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Chapitre XIV
Ce qu'on voit chez madame Tussaud III

Je vous entends.
Vous me demandez si au moins notre homme avait essayé la vraie guillotine de Louis XVI, si c'est bien celle-là que possède madame Tussaud, et si elle n'a pas été changée pendant ses mois de nourrice chez M. Sanson.
Justement, je suis en mesure de vous répondre là-dessus.
Plusieurs historiens avaient raconté qu'au moment de monter à l'échafaud, Louis XVI s'était débattu entre les mains des aides.
Cela me semblait tellement en opposition avec la couleur générale de sa mort, avec la résignation de son testament, que, ne m'en rapportant point à la lettre écrite, le surlendemain de l'exécution, par le père Sanson, à l'Assemblée nationale, je résolus, vers 1832 ou 1833, de me présenter chez l'exécuteur sous un prétexte quelconque, et de le questionner moi-même.
Le prétexte fut bientôt trouvé. Les exécuteurs ont toujours certains remèdes contre certaines maladies, sans compter le remède souverain qu'ils ont contre la vie. Aussi, en Allemagne, appelle-t-on généralement les bourreaux docteurs. – Il est vrai qu'en France, on appelle assez généralement les médecins bourreaux.
Sanson vendait de la pommade pour les rhumatismes. Cette pommade, selon la légende populaire, se fait avec de la graisse de mort.
Je me présentai chez M. Sanson à huit heures du soir. Il demeurait rue des Marais, n° 71,
Je demandai à parler à M. Sanson ; – On me conduisit à lui.
Je savais que lui n'avait jamais exécuté ; seulement, il était présent, se tenait au pied de l'échafaud, tandis qu'un de ses quatre aides faisait la besogne.
Depuis 1820, son fils Clément-Henri exécutait. La première exécution qu'il avait faite, c'était à Beauvais, chez son beau-frère, Charles-Constant Desmarets, mort aujourd'hui, et qui avait dans sa vie ce terrible souvenir d'avoir exécuté Georges Cadoudal et ses onze complices.
J'avoue que j'étais assez embarrassé pour entamer la négociation.
Le père Sanson, homme de soixante-trois ans, à peu près, à figure douce, mélancolique et vénérable me reçut debout et le sourire sur les lèvres.
Ce sourire voulait dire : « Vous êtes un curieux, je le vois bien ; que puis-je faire pour satisfaire votre curiosité ? »
Je pris mon prétexte.
- Monsieur, lui dis-je, un de mes parents est atteint de rhumatismes, et j'ai recours à vous. On lui a recommandé votre pommade comme étant souveraine ; je viens vous en demander un pot.
Sanson ouvrit une armoire, en tira un pot et me le donna.
- Combien ? demandai-je.
- C'est selon : votre parent est-il pauvre ou riche ?
- Pourquoi cela ?
- S'il est pauvre, ce n'est rien ; s'il est riche, c'est ce que vous voudrez.
Je lui donnai dix francs.
- Est-ce tout ce que vous désirez ? me demanda-t-il.
A mon tour, je le regardai en souriant.
- Non, lui dis-je, je désirerais encore autre chose ; mais, cette autre chose, je n'ose pas vous la demander.
- Parlez.
- Franchement, vous me permettez, n'est-ce pas ?... Puis je ne suis pas tout le monde.
- Je ne vous demande pas qui vous êtes ; mais si vous voulez me dire votre nom...
- Je suis l'auteur d'Henri III, de Christine et d'Antony.
- Ah ! monsieur Dumas ! Quel dommage que mon fils ne soit pas là ; c'est un rude claqueur,
allez ! il se ferait plutôt écharper que de manquer une de vos premières... Au reste, il est peut-être rentré ; attendez.
Il ouvrit la porte et cria :
- Henri ! Henri !
Une voix répondit :
- Il n'est pas rentré.
- Ah ! par exemple, ce sera un désespoir... Enfin !... Eh bien, vous disiez que vous désiriez quelque chose, monsieur Dumas ?
- Vous savez combien les auteurs dramatiques ont besoin de renseignements précis, monsieur Sanson. Il se peut qu'il arrive un moment où j'aie à mettre Louis XVI en scène. Qu'y a-t-il de vrai dans la lutte qui s'engagea entre lui et les aides de votre père, au pied de l'échafaud ?
- Oh ! je puis vous le dire, monsieur, j'y étais.
Je le sais, et c'est pour cela que je m'adresse à vous.
- Eh bien, voici : le roi avait été conduit à l'échafaud dans son propre carrosse et avait les mains libres. Au pied de l'échafaud, on pensa qu'il fallait lui lier les mains, moins parce qu'on craignait qu'il ne se défendit que parce que, dans un mouvement involontaire, il pouvait entraver son supplice ou le rendre plus douloureux. Un des aides attendait donc avec une corde, tandis qu'un autre lui disait : « Il est nécessaire de vous lier les mains. » A cette proposition inattendue, à la vue inopinée de cette corde, Louis XVI eut un mouvement de répulsion involontaire. « Jamais ! s'écria-t-il, jamais ! » Et il repoussa l'homme qui tenait la corde. Les trois autres aides, croyant à une lutte, s'élancèrent vivement. De là le moment de confusion interprété à leur manière par les historiens. Alors, mon père s'approcha, et, du ton le plus respectueux : « Avec un mouchoir, sire, » dit-il. A ce mot sire, qu'il n'avait pas entendu depuis si longtemps, Louis XVI tressaillit ; et, comme au même moment son confesseur lui adressait quelques mots du carrosse : « Eh bien, soit ; encore cela, mon Dieu ! » dit-il. Et il tendit les mains.
- Est-ce que l'échafaud est toujours le même ? demandai-je à Sanson.
- Non, me dit-il, il a été renouvelé ; mais la guillotine, l'ancienne, celle qui a servi à Louis XVI, à Marie-Antoinette, à madame Elisabeth et à la princesse de Lamballe est dans notre musée.
- Vous avez donc un musée ? demandai-je.
- Oui. Voulez-vous le voir ?
- Je crois bien !
- Venez, alors.
Il prit une bougie et marcha devant moi.
Autant que je puis me le rappeler, après vingt-cinq ans, nous montâmes quelques marches et entrâmes, à droite, dans une espèce de galerie.
La, en effet, était le musée terrible.
Au premier rang, appuyés contre la muraille, les deux portants rouges, et, entre eux, le couperet rouillé.
Au pied des portants, la bascule démontée et les deux paniers : celui qui reçoit la tête, et celui qui reçoit le corps.
Après cette sombre relique venait, comme importance, l'épée qui avait décapité Lally-Tollendal.
M. Sanson, voyant ma curiosité, prit cette épée et me la mit entre les mains.
C'était une longue rapière dont la lame avait près de quatre pieds de long ! sa forme était espagnole : sans doute la lame faisait partie de ces fers précieux que l'on trempait dans le Tage ; la garde, tout en fer, comme la poignée, était composée de quatre tiges de fer recourbées de manière à couvrir la main, tandis que la sous-garde, faite en manière d'écumoire, était perforée de petites étoiles dans la concavité desquelles s'engageait l'épée de l'adversaire.
Puis il y avait tout un arsenal de haches, de doloires, de tranche-têtes de toutes façons.
Je vis un peu tout cela, comme dans un songe, à la lueur d'une bougie dont la flamme tremblante faisait trembler les objets qu'elle éclairait.
M. Sanson avait mis une complaisance parfaite à me montrer tous ces objets, de sorte que je n'hésitai point à hasarder la plus indiscrète de mes questions.
Après l'avoir fait précéder de toutes sortes d'excuses :
- Monsieur, demandai-je, est-il vrai que vous pouvez avoir une voiture, mais seulement à la condition que votre nom sera sur cette voiture ?
- Ceci, me dit-il, ce n'est pas une loi ; c'est pis : une loi se rapporte ; c'est une coutume, et une coutume ne s'abolit pas. Au reste, si vous voulez voir comment on élude une question, venez avec moi, je vous ferai voir ma voiture.
J'étais en train de tout voir, la voiture devait y passer comme le reste.
Nous descendîmes dans une cour, et, sous une remise, je vis une espèce de landau assez massif.
M. Sanson approcha la bougie du panneau.
Ce panneau était orné d'un blason.
- Ce sont des armes parlantes, me dit-il.
L'écusson était de gueules, avec une cloche d'argent. Seulement, la cloche était fêlée, et, au-dessous de la cloche, était écrite cette légende : Sans son.
M. de Paris s'en était tiré au moyen d'un calembour.
Maintenant, comment cette guillotine – que j'ai vue démontée en 1833, dans le musée Sanson, à Paris, – comment cette guillotine se trouve-t-elle remontée, en l857, dans le musée Tussaud, à Londres ?
Je vais vous expliquer cela.
Comme nous l'avait dit son père, Clément-Henri Sanson était un grand coureur de spectacles et de bals.
Il était à toutes les premières représentations ; il ne manquait pas un bal.
Vous croyez qu'il en avait le droit.
Point. M. de Paris n'a pas de droits ; il n'a que des devoirs.
Nous avons dit que le père Sanson n'avait jamais exécuté et que le fils exécutait depuis 182O.
Pendant la nuit du mardi gras de l'an 1836, une exécution fut décidée.
C'était celle de Fieschi.
Lorsqu'une exécution est décidée pour le lendemain, – que le pourvoi en cassation et le pourvoi en grâce sont rejetés, – le ministre de la justice envoie au procureur général l'ordre d'exécution : le parquet alors fait prévenir l'exécuteur en lui envoyant, par un garçon de bureau, l'ordre d'exécution ; et un autre ordre pour que le directeur de la prison lui remette le condamné.
Le parquet prévient également l'aumônier de la prison, la gendarmerie et la police.
Il avait donc été décidé, dans la soirée du mardi gras, que Fieschi serait exécuté le lendemain.
A minuit, le garçon de bureau sonnait à la porte de la rue des Marais, n° 71.
Le père Sanson était à la campagne. Le fils n'était pas chez lui.
L'ordre était urgent ; le lendemain, à sept heures du matin Fieschi, Pépin et Moret devaient avoir cessé de vivre.
Pas d'exécuteurs !
Les domestiques, troublés, disaient qu'ils ne croyaient pas que leur maître rentrât le lendemain avant sept ou huit heures du matin.
Le garçon de bureau courut à la police.
On prévint M. Canler, chef de la brigade de sûreté, que M. Sanson ne se trouvait pas.
Il s'agissait, quelque part qu'il fût, de retrouver M. Sanson.
Canler se rendit à la maison de la rue des Marais, interrogea les domestiques, mais il n'en tira rien.
Il eut une illumination.
Il connaissait un bal où, selon lui, M. Sanson devait être.
C'était un bal masqué, – un bal, rien que de Turcs.
On se rendit au bal, on garda les issues, et on entra dans la salle, où l'on fit démarquer tous les danseurs.
Canler ne s'était pas trompé.
M. de Paris fut prévenu à temps ; Fieschi, Pépin et Moret furent exécutés a l'heure dite ; mais il n'y en eut pas moins un mauvais rapport adressé à qui de droit sur M. de Paris.
Deux ou trois faits du même genre s'étant succédé, Clément-Henri Sanson fut forcé de donner sa démission en février 1847.
Il n'avait d'autre fortune que sa place, les meubles de sa maison et les curiosités de son musée.
Les épées, – celle qui avait tranché la tête de Lally-Tollendal surtout, – les haches, les coutelas se vendirent facilement. Mais la guillotine n'était pas d'un placement commode ; on la fit offrir au musée d'artillerie : le directeur la refusa.
Enfin, Sanson la proposa à madame Tussaud, qui ne fit pas la petite bouche, sauta dessus, et la racheta le prix que le grand-père Sanson l'avait rachetée lui-même après l'exécution de Marie-Antoinette : cinq mille cinq cents francs.
C'est que le grand-père Sanson était royaliste de coeur : après l'exécution du roi, il tomba malade ; après celle de la reine, il mourut.
Il ne survécut que six mois à cette dernière.

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