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Chapitre XI


Traversée. – Débarquement. – Prise d'Alexandrie. – Le Chant du départ et le concert arabe. – Les prisonniers... épargnés. – Marche sur Le Caire. – Le rhum et le biscuit. – Les pastèques de mon père. L'Institut scientifique. – Bataille des Pyramides. – Mise en scène de la victoire. – Lettre de mon père rétablissant la vérité.

Bonaparte montait l'Orient, magnifique bâtiment de cent vingt canons.
En sortant du port, l'Orient, qui, par son énorme chargement, tirait trop d'eau, toucha le fond ; ce qui occasionna un instant de trouble dans la flotte.
Le contremaître du Guillaume-Tell, bâtiment sut lequel était monté mon père, secoua tristement là tête : ce contremaître se nommait Boyer.
- Qu'y a-t-il donc Boyer ? demanda mon père.
- Il y a, général, qu'il arrivera malheur à la flotte.
- Et pourquoi cela ?
- Parce que le bâtiment amiral a touché ; voyez-vous, cela, c'est immanquable !
Mon père haussa les épaules.
Deux mois après, la flotte était détruite à Aboukir.
On connaît tous les détails de la traversée : on prit Malte en passant, Malte l'imprenable !
Aussi, en visitant les fortifications avec Bonaparte, Caffarelli ne put s'empêcher de lui dire :
- Ma foi, général, vous êtes bien heureux qu'il y ait eu quelqu'un dans la citadelle pour vous en ouvrir les portes.
Bonaparte mit en liberté les prisonniers turcs : c'était une avance faite au Grand Seigneur.
La flotte quitta Malte le 19 juin, et fit voile vers Candie.
Nelson était à Messine avec la flotte anglaise : il y apprit la prise de Malte. Convaincu que Bonaparte faisait voile pour l'Egypte, il se dirigea tout droit vers Alexandrie.
Pendant la nuit du 22 au 23 juin, la flotte anglaise passa à six lieues à peu près de la flotte française. Elle ne vit rien, et, tandis que nous appuyions au nord, elle, appuyant au sud, arriva trois jours avant nous à Alexandrie.
Voyant qu'il n'y avait pas trace de notre passage, et ayant appris qu'aucun bâtiment n'avait été signalé, Nelson pensa que notre expédition était destinée à conquérir l'Asie, et se dirigea rapidement vers Alexandrette de Syrie.
Cette erreur sauva l'expédition, qui, arrivée à hauteur de Candie, prit les vents étésiens, et marcha directement vers le sud.
Le 1er juillet, au point du jour, on aperçut la terre, et, s'élançant au-dessus des ruines et des maisons blanches, la colonne de Septime Sévère.
Bonaparte comprenait à quel danger il venait d'échapper : c'était par miracle que nous n'avions pas été vus de la flotte anglaise. Il donna l'ordre de débarquer sans retard.
La journée fut employée à cette importante opération, et, quoique la mer fût houleuse, elle s'exécuta sans accident grave.
Seulement, en arrivant à terre, une vingtaine d'hommes, ayant cru apercevoir une fontaine, se mirent à courir dans l'intérieur du pays, et furent entourés par une tribu bédouine.
Leur capitaine fut tué.
C'était un mauvais début ! Aussi Bonaparte fit-il un ordre du jour des plus sévères contre les traînards, tout en promettant une récompense de cent piastres à chaque Arabe qui ramènerait un prisonnier.
Cent piastres turques, on le sait, font vingt-cinq francs à peine ; mais Bonaparte pensait qu'il ne fallait pas gâter les Bédouins.
Comme on le verra plus tard, il avait raison.
La cavalerie n'avait pu débarquer, à cause du gros temps ; Bonaparte résolut de ne pas l'attendre, et, vers trois heures du matin, on se mit en marche pour Alexandrie, avec les trois divisions Kléber, Bon et Moreau.
Mon père, son fusil de chasse à la main, se mit à la tête des carabiniers de la 4e demi-brigade légère.
On ne trouva aucun obstacle sur la route jusqu'au moment où l'on vint se heurter aux murs d'Alexandrie, défendus par les Turcs.
Un des premiers coups fut pour Kléber : au moment où il commandait l'attaque, une balle l'atteignit à la tête.
La résistance d'Alexandrie ne fut pas sérieuse : au bout d'une heure de combat, la ville était prise.
Mon père était entré un des premiers à Alexandrie, et sa grande taille et son teint brun, à peu près de la nuance de celui des Arabes, avaient fait une vive impression sur les indigènes. On raconta ce fait à Bonaparte, et, comme il tirait parti de tout, il fit venir mon père.
- Général, lui dit-il, prenez une vingtaine de mes guides, et portez-vous avec eux au-devant de la tribu arabe qui me ramène les prisonniers. Je tiens à ce que vous soyez le premier général qu'ils voient, le premier chef à qui ils aient affaire.
Mon père partit au galop, et rencontra ceux qu'il cherchait à un quart de lieue à peu près de la ville. Il leur annonça aussitôt, par l'organe de son drogman, qu'ils pouvaient se présenter chez le général en chef, qui les verrait avec plaisir et les récompenserait selon la promesse faite.
Bonaparte ne s'était pas trompé : mon père devint à l'instant même l'objet de l'admiration de ces hommes de la nature, et, comme il ne cherchait point à les écarter, il entra pêle-mêle avec eux dans Alexandrie.
Bonaparte les reçut tous dans un grand salon donnant sur la mer, leur fit distribuer ses proclamations traduites en arabe, et leur offrit un repas dans la préparation duquel on eut soin de ne blesser en rien les coutumes du pays.
Ils acceptèrent avec satisfaction, s'accroupirent et commencèrent à tirer à pleines mains, chacun de son côté.
Au milieu du repas, la musique réunie de trois régiments d'infanterie fit éclater tout à coup le Chant du Départ.
Quoique l'explosion fût à la fois terrible et inattendue, pas un des Arabes ne tressaillit, et chacun continua de manger, malgré l'effroyable tintamarre que faisaient ces cent vingt musiciens.
Lorsque l'air fut fini, Bonaparte leur demanda si cette musique leur plaisait.
Oui ! répondirent-ils ; mais nous avons la nôtre, qui vaut mieux. Bonaparte désira alors entendre cette musique, si supérieure à la musique française. Trois Arabes quittèrent aussitôt le repas ; deux prirent des espèces de tambours, l'un qui ressemblait à la boutique d'un marchand d'oublies, l'autre à un potiron coupé par la moitié ; le troisième s'empara d'une espèce de guitare à trois cordes, et le concert arabe commença, faisant gravement concurrence au concert français.
Bonaparte leur adressa de grands compliments sur leur musique, leur fit donner la récompense promise, et, de part et d'autre, on se jura amitié.
Une dizaine d'hommes manquaient à l'appel. Les Bédouins étaient en train de décapiter leurs prisonniers et avaient déjà accompli le tiers de leur besogne, lorsqu'ils apprirent qu'il y avait cent piastres de récompense pour chaque prisonnier ramené vivant. En hommes qui mettent les affaires en première ligne et font passer le commerce avant tout, ils s'interrompirent à l'instant même, et se contentèrent de se livrer sur leurs prisonniers à un autre divertissement moins cruel, mais plus extraordinaire, aux yeux des captifs, que celui qu'ils avaient craint d'abord.
Il en résulta que, lorsque Bonaparte fit venir ces prisonniers devant lui pour les interroger, il fut tout étonné de les voir rougir, se détourner, balbutier comme des jeunes filles honteuses. Enfin, pressé par les instances du général en chef, qui, entendant toujours parler des malheurs arrivés aux captifs, voulait absolument savoir quels étaient ces malheurs, un vieux soldat lui raconta en pleurant de colère qu'il lui était arrivé, à lui et à ses compagnons, ce qui serait arrivé aux anges du Seigneur, entre Sodome et Gomorrhe, si ceux-ci, qui avaient sur nos grenadiers l'avantage d'avoir des ailes, n'étaient pas remontés au ciel sans perdre un instant.
- Imbécile ! dit Bonaparte en haussant les épaules, te voilà bien malade... Allons, allons ! remercie le ciel d'en être quitte à si bon marché, et ne pleure plus.
Le malheur des prisonniers fit grand bruit dans l'armée et ne servit pas peu à maintenir la discipline, qu'il eût été plus difficile de faire observer si les soldats n'eussent eu à craindre que d'avoir la tête coupée.
Bonaparte resta sept jours à Alexandrie.
Le premier jour, il passa en revue l'armée.
Le second jour, il donna l'ordre à l'amiral Brueys de faire entrer la flotte dans le vieux port d'Alexandrie ou de la conduire à Corfou.
Le troisième jour, il fit sa proclamation aux habitants et donna l'ordre à Desaix de marcher sur le Caire.
Le quatrième jour, il fit graver sur la colonne de Pompée les noms des hommes tués devant Alexandrie, et fit enterrer leurs corps au pied de ce monument.
Le cinquième jour, le général Dugua s'empara d'Aboukir.
Le sixième jour, on prit Rosette, et, tandis qu'on organisait la flottille, l'armée se mit en marche sur Le Caire.
Desaix, parti le premier, fut le premier atteint par le découragement. Je cite Desaix, parce que le dévouement de Desaix à Bonaparte est inattaquable.
Eh bien, le 15 juillet, Desaix écrivait à Bonaparte, du Bakahireh :
« De grâce, ne nous laissez pas dans cette position ! la troupe se décourage et murmure ; faites-nous avancer ou reculer à toutes jambes. Les villages ne sont que des huttes absolument sans ressources. »
Au moment du départ, l'armée reçut pour quatre jours de vivres. Malheureusement, on eut l'imprudence d'y ajouter pour quatre jours de rhum. Il résulta de cette adjonction du liquide au solide que, pendant les premières heures de marche dans le désert qui sépare Alexandrie de Damanhour, les soldats, mourant de soif, mais n'éprouvant pas encore les atteintes de la faim, commencèrent par entamer le rhum, et revinrent si souvent au bidon qui le renfermait, qu'à moitié de l'étape, le bidon était vide et le soldat ivre.
Plein de cette confiance dans l'avenir que donne l'ivresse, le soldat se figura qu'il n'aurait plus jamais faim, et commença, pour alléger son sac, à semer son riz et à jeter son biscuit.
Les chefs s'aperçurent de ce qui se passait, et donnèrent ordre de faire halte.
Cette halte de deux heures suffit à dissiper les premières fumées de l'alcool. On se remit en marche, regrettant déjà l'imprudence commise. Vers cinq heures du matin, cette faim qu'on croyait disparue à jamais commença de se faire cruellement sentir. On se traîna péniblement jusqu'à Damanhour où l'on arriva le 9, à huit heures du matin.
On avait quelque espoir de trouver des vivres dans cette ville ; mais elle était entièrement évacuée. On fouilla toutes les maisons, et, comme la moisson s'achevait, on trouva un peu de froment battu. Mais les moulins à bras, à l'aide desquels les Arabes moulent leur blé, étaient tout disloqués et avaient été avec intention mis hors d'usage. On en monta plusieurs, et l'on parvint à se procurer un peu de farine, mais en si petite quantité, que, si l'on en eût fait la distribution, chaque homme n'en eût pas reçu une demi-once.
Ce fut alors que le découragement commença à se mettre dans l'armée, et que la faim, cette mauvaise conseillère, se hasarda de souffler la rébellion aux soldats et même aux chefs.
On se remit en marche pour Rhamanieh, au milieu du découragement et des murmures. Cependant, comme le soldat ne pouvait s'en prendre qu'à lui puisqu'il s'était dépouillé lui-même, il lui fallut bien patienter. On arriva, mourant de faim, à Rhamanieh.
Là, on apprit que l'on séjournerait le 11 et le 12, pour attendre des vivres commandés dans le Delta, et qui arrivèrent effectivement.
Ces vivres frais, et le voisinage du Nil, dans lequel les soldats se plongeaient au fur et à mesure qu'ils arrivaient, rendirent un peu de courage à l'armée.
Mon père, qui s'était procuré deux ou trois pastèques, avait invité quelques généraux de ses amis à venir les manger sous sa tente. On se rendit à son invitation.
Nous avons vu comme avait mal débuté la campagne et combien on avait déjà souffert depuis le départ d'Alexandrie. L'Egypte, qu'on avait vue de loin comme un large ruban d'émeraude déroulé à travers le désert, apparaissait, non plus avec son abondance antique qui en faisait le grenier du monde, mais avec sa pauvreté moderne, ses populations fuyantes, ses villages déserts et ruinés. On a entendu les plaintes de Desaix : ces plaintes étaient celles de toute l'armée.
La réunion sous la tente de mon père, réunion qui avait pour but de manger trois pastèques, prit, au bout de quelques instants, et quand chacun eut mis sa mauvaise humeur en commun, un aspect politique.
Que venait-on faire dans ce pays maudit, qui avait successivement dévoré tous ceux qui avaient voulu le conquérir, depuis Cambyse jusqu'à saint Louis ? Etait-ce une colonie qu'on voulait y fonder ? A quel propos quitter la France, son soleil qui réchauffe sans brûler, ses grands bois, ses plaines fertiles, pour ce ciel de feu, pour ce désert sans abri, pour ces plaines brûlées ? Etait-ce une royauté que Bonaparte voulait se tailler en orient, à l'instar des anciens proconsuls ? Alors fallait-il au moins demander aux autres généraux s'ils voulaient se contenter d'être les chefs de ce nouveau satrape ; de pareils projets pouvaient réussir avec les armées antiques, composées d'affranchis ou d'esclaves, et non avec des patriotes de 1792, qui étaient, non pas les satellites d'un homme, mais les soldats de la nation.
N'y avait-il dans toutes ces récriminations que de simples murmures arrachés par la souffrance ? ou était-ce déjà un commencement de rébellion contre la future ambition de l'homme du 18 brumaire ? C'est ce qu'il eût peut-être été difficile de dire à ceux-là mêmes qui prirent part à cette réunion, mais c'est ce qui fut dénoncé à Bonaparte comme une grave atteinte à son autorité, par un général qui avait crié plus haut que tous les autres pour trouver les pastèques de mon père très bonnes et les intentions du général en chef très mauvaises.
Quoi qu'il en soit, ce fut à Rhamanieh, et sous la tente de mon père, que commença cette opposition à laquelle Kléber donna tant de force en s'y ralliant.
Le 12, la flottille, commandée par le chef de division Perrée, arriva de Rosette.
Perrée montait le Cerf : Bonaparte plaça sur le bâtiment monté par Perrée tous les membres de la commission scientifique : Monge, Fourier, Costaz, Berthollet, Dolomieu, Tallien, etc.
Ils devaient remonter le Nil parallèlement à l'armée française ; leurs chevaux servaient à compléter un petit corps de cavalerie. On sait comment cette flottille, poussée par le vent, marcha plus rapidement que l'armée, fut attaquée par la flottille turque et fusillée des deux côtés du Nil par les fellahs. L'ordonnateur Sussy, qui fut depuis le comte de Sussy, eut, dans ce combat, le bras cassé par une balle.
Attiré par le canon, Bonaparte intervint à temps, et, après avoir passé sur le corps de quatre mille mamelouks à Chebreys, il sauva la flottille d'une destruction totale.
Huit jours plus tard, Bonaparte livrait la bataille des Pyramides.
Quatre jours après la bataille des Pyramides, c'est-à-dire le 25 juillet, à quatre heures du soir, Bonaparte faisait son entrée au Caire.
Nul mieux que Bonaparte ne connaissait cette mise en scène de la victoire, qui double dans le monde le bruit qu'elle doit faire répéter d'écho en écho ; nul mieux que Bonaparte ne trouvait, à tête reposée, ces mots sublimes qui sont censés avoir été dits avant, pendant ou après le combat, et dont un des plus célèbres est celui-ci :
- Soldats, du haut de ces monuments, quarante siècles vous contemplent !
Veut-on savoir maintenant le degré d'exagération apporté par le bulletin du général en chef ? Veut-on se faire une idée juste de l'impression produite par ce combat, sur ceux-là mêmes qui y avaient assisté, et y avaient joué des rôles qui n'étaient pas tout à fait secondaires ?
Qu'on me permette de transcrire cette lettre de mon père adressée à Kléber, demeuré, comme on sait, à Alexandrie, en qualité de gouverneur, et surtout pour s'y remettre de sa blessure :

« A Boulak, près le Caire, le 9 thermidor an VI.
Nous sommes enfin arrivés, mon ami, au pays tant désiré. Qu'il est loin, bon Dieu ! de ce que l'imagination la plus raisonnable se l'était représenté. L'horrible villasse du Caire est peuplée d'une canaille paresseuse, accroupie tout le jour devant des huttes infâmes, fumant et prenant du café ou mangeant des pastèques et buvant de l'eau. On peut se perdre aisément tout un jour dans les rues puantes et étroites de cette fameuse capitale. Le seul quartier des mamelouks est habitable ; le général en chef y demeure dans une assez belle maison du bey. J'ai écrit au chef de brigade Dupuis, actuellement général et commandant au Caire, pour qu'il t'y fît réserver une maison... Je n'ai pas encore sa réponse.
La division est à une espèce de ville appelée Boulak, près du Nil, à une demi-lieue du Caire. Nous sommes tous logés dans des maisons abandonnées et fort vilaines ; Dugua seul l'est passablement.
Le général Lannes vient de recevoir l'ordre d'aller prendre le commandement de la division Menou, à la place de Vial, qui va à Damiette avec un bataillon. Il m'assure qu'il refusera. La 2e légère et le général Verdier sont en position près des Pyramides, sur la rive gauche du Nil, jusqu'à ce que le poste qu'ils occupent soit fortifié pour y placer un poste de cent hommes. On doit établir un pont vis-à-vis de Gizeh ; cet endroit est en ce moment occupé par la réserve d'artillerie et du génie. La division Régnier est au-devant du Caire, à deux ou trois lieues ; celle de Desaix va venir au vieux Caire ; celle de Bon est à la citadelle, et celle de Menou en ville.
Tu n'as pas idée des marches fatigantes que nous avons faites pour atteindre Le Caire : arrivant toujours à trois ou quatre heures après midi, après avoir souffert toute la chaleur, la plupart du temps sans vivres, étant obligés de glaner ce que les divisions qui précédaient avaient laissé dans les horribles villages qu'elles avaient souvent pillés ; harcelés pendant toute la marche par cette horde de voleurs nommés Bédouins, qui nous ont tué des hommes et des officiers à vingt-cinq pas de la colonne. L'aide de camp du général Dugua, nommé Géroret, a été assassiné avant-hier de cette façon en allant porter un ordre à un peloton de grenadiers à une portée de fusil du camp : c'est une guerre, ma foi, pire que celle de la Vendée.
Nous avons eu combat, le jour de notre arrivée sur le Nil, à la hauteur du Caire. Les mamelouks, qui sont pleins d'esprit, ont eu celui de passer de la rive droite sur la rive gauche du Nil. Il va sans dire qu'ils ont été rossés et que nous leur avons f.. le c... dans le fleuve. Cette bataille se nommera, je crois, celle des Pyramides. Ils ont perdu sept à huit cents hommes, sans exagération aucune ; une grande partie de ce nombre se noya en voulant passer le Nil à la nage.
Je désire bien savoir comment tu te portes et quand tu seras en état de venir prendre le commandement de la division, qui est en de bien faibles mains. Tout le monde t'y désire, et chacun s'y relâche singulièrement du service. Je fais ce que je puis pour retenir chaque partie liée entre elles, mais cela va très mal. Les troupes ne sont ni payées ni nourries, et tu devines aisément combien cela attire de murmures. Ils sont peut-être encore plus forts de la part des officiers que de celle des soldats. On nous fait espérer que, d'ici à huit jours, les administrations seront assez bien organisées pour faire exactement les distributions ; mais cela sera bien long.
Si tu viens bientôt – ce que je souhaite ardemment –, fais-toi escorter, même sur ta barque, par deux carabiniers qui puissent répondre aux attaques des Bédouins, qui ne manqueraient certainement pas de se présenter sur la rive du Nil pour te fusiller au passage.
Le commissaire ordonnateur Sussy a eu le bras cassé sur la flottille en remontant du Caire. Tu pourrais peut-être revenir avec les chaloupes canonnières et les djermes qui sont allés chercher les effets des troupes à Alexandrie.
Arrive ! arrive, arrive !
Tout à toi.
                    Dumas.

P.-S. – Amitiés à Auguste et aux collègues. »

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1998-2010
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