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Chapitre CLXXIII


Oudard m'annonce que Louis-Philippe désire me voir. – Visite à M. Deviolaine. – Hutin, garde et cheval surnuméraire. – Mon entretien avec le roi sur la Vendée et la politique du juste milieu. – Bixio artilleur. – Il se charge de me faire admettre dans sa batterie. – J'envoie ma démission à Louis-Philippe.

C'était au milieu de tous ces troubles que j'étais arrivé ; et ce que je viens de dire dans le chapitre précèdent, le peu d'ordre même avec lequel je l'ai dit, peint assez bien l'état étrange d'exaspération auquel étaient arrivés les esprits.
J'avais remis mon rapport au général La Fayette, et, sans doute, le général La Fayette l'avait remis au roi ; car, cinq ou six jours après mon arrivée, je reçus une lettre d'Oudard, qui m'invitait à le venir voir.
Je me rendis aussitôt au Palais-Royal ; malgré tout ce que m'avait fait mon ancien chef de division, j'avais pour lui une affection réelle.
Ma conviction était que lui, comme M. Deviolaine, m'avait cru incapable, et que c'était dans cette persuasion qu'il s'était opposé à mes travaux.
- Comment se fait-il, me demanda Oudard, que vous soyez de retour à Paris depuis huit ou dix jours, et que nous ne vous ayons pas encore vu ?
- Mais, lui dis-je, mon cher Oudard, vous savez bien que je ne me regarde plus comme faisant partie des bureaux.
- Laissez-moi vous répondre que, tant que vous n'aurez pas donné votre démission, nous vous regarderons, nous, comme des nôtres.
- N'est-ce que cela ? dis-je en prenant une plume et du papier. Alors, ce ne sera pas long !
- Bon ! dit Oudard en m'arrêtant la main, vous avez toujours le temps de faire une sottise... Dans tous les cas, je désire que vous la fassiez ailleurs que dans mon bureau.
Je posai la plume, et j'allai reprendre la place que j'occupais d'abord devant la cheminée.
Il y eut un moment de silence.
- N'avez-vous pas le désir de voir le roi ?
- Pour quoi faire ?
- Dame ! ne serait-ce que pour le remercier de la grâce qu'il a accordée à votre faux monnayeur.
- Ce n'est pas à moi qu'il l'a accordée, c'est à vous.
- Vous vous trompez ; c'est votre lettre qui a été mise sous ses yeux, et c'est sur votre lettre qu'il a écrit : Accordé.
- Vous le remercierez de ma part, cher ami... Vous savez bien mieux que moi parler aux têtes couronnées.
- Bah ! vous étiez si fort sur la manière de parler au roi Charles X !
- Ah !c'était autre chose, celui-là !... C'était un roi de vieille date ; il y avait la tradition... C'était un Bourbon et non un Valois.
- Chut ! ne dites pas de ces choses-là ici !
- Est-ce de la honte ou du repentir ?
Oudard haussa les épaules.
- Vous êtes incorrigible ! dit-il.
Il se fit un nouveau silence de quelques instants.
- Ainsi, dit-il, vous n'avez pas envie de voir le roi !
- Aucunement.
- Mais, s'il avait envie de vous voir, lui ?...
- Le roi ?... Allons donc !
- Si j'étais chargé de vous désigner une heure d'audience. ?
- Vous comprenez, mon cher, que je n'aurais pas le mauvais goût de la refuser... Mais je ne crois pas que vous ayez reçu cette mission.
- Eh bien, c'est ce qui vous trompe encore : le roi vous attendra demain matin, à huit heures.
- Ah ! mon cher, comme le roi va me trouver désagréable !
- Pourquoi cela ?
- Mais parce que je suis parfaitement maussade quand on me fait lever à ces heures-là.
- Voulez-vous dîner aujourd'hui avec moi ?
- Et avec qui encore ?
- Lamy et Appert... Cela vous va-t-il ?
- Très bien.
- Alors, à ce soir, six heures.
Nous échangeâmes une poignée de main, et nous nous séparâmes. Je profitai de ce que j'étais au Palais-Royal pour y faire une série de visites. J'allai voir d'abord Lassagne, qui se montra bon, excellent et spirituel comme toujours ; puis Ernest, que je trouvai grandi d'un cran ; puis mon ami de La Ponce, qui crut que, selon mes anciennes habitudes, je venais l'inviter à prendre son manteau et son chapeau ; puis, enfin, M. Deviolaine.
Ainsi que d'ordinaire, j'entrai dans son cabinet sans être annoncé. Myope comme une taupe, il écrivait couché sur son papier, effaçant avec les poils de son nez les lettres que traçait sa plume. Au bruit que je fis en approchant de son bureau, il leva la tête, et me reconnut.
- Ah ! te voilà, me dit-il, monsieur le fendant !
- Certainement que me voilà.
- Je te conseille de retourner à Soissons !
- Pourquoi pas ?
- Tu y seras bien reçu !
- Bah ! on est donc devenu bien méchant, à Soissons ?
- Comment ! Tu n'as pas eu de honte, dans ton pays d'aller faire un pareil esclandre ?
- A propos, j'ai quelque chose à vous demander.
- Pour toi ?
- Dieu m'en garde !
- Et pour qui ?
- Pour mon compagnon de route.
- Lequel ? Car vous étiez trois.
- Hutin.
- Qu'est-ce que tu veux pour Hutin ?
- Je veux une place de garde à cheval surnuméraire.
- Bon ! tu crois que ça se donne comme cela, toi, une place de garde à cheval surnuméraire !
- Sans doute.
- Et qu'a-t-il fait pour être garde à cheval surnuméraire ?
- Comment, ce qu'il a fait ? Vous savez bien qu'il est venu avec moi à Soissons.
- Belle recommandation !
- Voulez-vous parier que vous allez me donner la place ?
- Veux-tu parier que non ?
- Vingt-cinq louis.
- A-t-on vu un b..... comme cela !
- Parions
- Qui sait ? Tu vas peut-être me mettre le pistolet sur la gorge, comme tu l'as mis au commandant de place de Soissons.
- Oh ! non, je sais bien qu'avec vous cela ne réussirait pas.
- C'est bien heureux.
- Mais je vous ferai demander la chose par quelqu'un à qui vous ne voudrez pas la refuser.
- Par qui ?
- Par le général La Fayette.
- Le général La Fayette ! Il a mieux à faire que d'apostiller des pétitions !
- Vous avez raison ; je demanderai la chose directement au roi.
- Au roi ?
- Oui, je le vois demain.
- Tu lui as demandé une audience ?
- Moi ?
Je secouai la tête.
- Si tu ne lui as pas demandé une audience, comment le vois-tu ?
- Je le vois parce qu'il désire me voir.
- Le roi désire te voir ?
- Du moins, il me l'a fait dire par Oudard.
- Et pourquoi désire-t-il te voir ?
- Je n'en sais rien...Pour causer avec moi sans doute.
- Pour causer avec lui !...Ma parole d'honneur, cet animal-là a un aplomb incroyable ! Et que lui diras-tu, au roi...si tu causes avec ?
- Ce qu'il est déjà déshabitué d'entendre : la vérité.
- Si tu crois que c'est avec ces principes-là que tu feras ton chemin, tu te trompes !
- Mon chemin est fait...et vous savez mieux que personne que ce n'est ni vous ni lui qui m'avez aidé à le faire.
- Oh ! la sacrée tête ! Il me semble que je parle encore à son père.
- On se ressemblerait de plus loin, vous en conviendrez.
- Je le croyais riche, ton Hutin.
- Ah ! nous revenons à lui ?
- Pourquoi pas ?
- Il l'est, riche, puisqu'il demande une place de surnuméraire.
- Un coureur de demoiselles !
- Après quoi diable voulez-vous qu'il coure ? Après les garçons ?
- Un braconnier !
- Je vous ai entendu dire vingt fois que c'étaient les bons braconniers qui faisaient les bons gardes.
- Voyons, envoie-le-moi la première fois qu'il viendra à Paris.
- Je vous l'amènerai.
- Non pas ! Tu as une façon de m'entortiller
- Ah ! oui, parlez un peu de cela à Henri III et à Christine ; vous verrez ce qu'ils vous répondront !
- Et que fais-tu dans ce moment-ci ?
- Rien.
- Paresseux !
- Mais bientôt je ferai quelque chose, c'est probable.
- Que feras-tu ?
- Je me battrai.
- Tu te battras ! Et contre qui ?
- Contre ce qui est, donc !
- Veux-tu me f.....le camp d'ici, et plus vite que cela ! Mais a-t-on jamais vu ! Me venir dire de pareilles choses, à moi !
- Au revoir, cousin !
- Moi, ton cousin ? Ce n'est pas vrai ; j'aimerais mieux être le cousin du diable !
- Féresse ! Féresse !
Féresse parut.
- Vous voyez bien monsieur ? lui dit M. Deviolaine en me montrant du doigt
- Oui ; répondit Féresse tout étonné.
- Eh bien, quand il se présentera à mon bureau, vous lui direz que je n'y suis pas.
- Je me moque pas mal de Féresse ! J'entrerai sans lui demander, donc !
- Tu entreras sans lui demander ?
- Parfaitement.
- Eh bien, moi, je te flanquerai à la porte !
- Vous ?
- Comme je me gênerais !
- Vous ?
- Veux-tu voir un peu ?
- Ma foi, oui !
- Ah ! tu veux voir ? Eh bien, attends !
M. Deviolaine se leva et s'avança furieux vers moi.
Je lui jetai les bras au cou, et l'embrassai sur les deux joues.
Il s'arrêta court, et quelque chose comme une larme vint briller au bord de sa paupière.
- Allez-vous-en, Féresse, dit-il.
Alors, me posant la main sur l'épaule :
- Ce qui me fait de la peine, reprit M. Deviolaine, c'est qu'avec ce caractère-là, vois-tu, tu crèveras sur la paille, comme ton père !... Allons, l'affaire de Hutin est arrangée... Va-t'en. J'ai à travailler.
Mais, avant de quitter les bureaux, j'avais mis une lettre à la poste pour inviter Hutin à venir sans retard à Paris, et pour lui apprendre cette nouvelle, à laquelle il ne s'attendait pas.
Disons tout de suite que, trois mois après, Hutin fut nommé surnuméraire, et, au bout de dix-huit mois, porté sur les états. Etre porté sur les états signifie, en termes de bureau, toucher des appointements.
Le lendemain, à huit heures sonnantes, j'étais chez le roi. J'avais revêtu pour cette solennité mon costume de garde national à cheval.
Soit hasard, soit préméditation, le roi me reçut dans la même chambre où, duc d'Orléans, il m'avait reçu la veille de la première représentation d'Henri III.
Je ne le trouvai changé ni d'aspect ni de manières ; il avait ce sourire affectueux et cette apparence de bonhomie auxquels il était si difficile de résister, et avec lesquels il a usé Laffitte comme fortune, Casimir Périer comme santé, M. Thiers comme réputation.
- Bonjour, monsieur Dumas, me dit-il.
Je m'inclinai.
- Vous arrivez de la Vendée, à ce qu'il parait ?
- Oui, sire.
- Combien de temps y êtes-vous resté ?
- Six semaines, sire.
- On m'a dit que vous aviez fait sur le pays des études très précises, et qui valaient la peine de m'être communiquées...
- Sans doute le général La Fayette ?
- Justement.
- Je croyais qu'il avait fait mieux, sire, et qu'il avait mis sous les yeux du roi mon rapport lui-même.
- C'est vrai... Mais, dans ce rapport, je trouve, il me semble, une lacune.
Je m'inclinai en signe que j'attendais.
- Vous avez été envoyé par le général La Fayette, continua le roi, pour étudier la possibilité d'établir une garde nationale dans la Vendée, et à peine parlez-vous de cette possibilité ou de cette impossibilité.
- C'est vrai, sire, attendu que l'étude des localités m'a convaincu que l'établissement d'une garde nationale dans les départements de la Loire- Inférieure, de Maine-et-Loire, de la Vendée et des Deux-Sèvres, n'était qu'une mesure temporaire ruineuse pour la classe moyenne de la société, qui a ses affaires à suivre, et dont l'état est d'être notaire, marchand de drap, tisseur de toile, serrurier, menuisier, avocat, commerçant en gros ou en détail enfin, mais non de monter à cheval ou de faire l'exercice ; une mesure, en outre, dangereuse en ceci que les citoyens qui porteront l'uniforme redeviendront des bleus, et ceux qui ne le porteront pas des chouans. Voilà pourquoi j'ai à peu près abandonné cette idée, et me suis appesanti sur celle qui consiste à ouvrir des chemins, à créer des communications, à agir, enfin, comme on dirait en médecine, par le moyen des dissolvants bien plutôt que par celui des révulsifs ; que les Vendéens échappent à l'influence des nobles, et leurs femmes à l'influence des prêtres, et il n'y a plus de Vendée possible.
- Eh bien, moi, monsieur Dumas, je suis d'un autre avis que vous. Je crois qu'il n'y a plus de Vendéens. Dites-moi où sont les d'Elbée, les Bonchamp, les Lescure, les La Rochejaquelein, les Charette ?
- Sire, où ils étaient en 1789... Pourtant, la Vendée ne me paraît pas à craindre pour demain ou après-demain ; non, je dirai mieux : la Vendée ne se soulèvera plus d'elle-même ; mais quelqu'un peut se jeter dans la Vendée et la soulever.
- Qui ? Ce n'est pas le dauphin, il n'a pas assez d'énergie pour cela ; ce n'est pas le duc de Bordeaux, il est trop jeune ; ce n'est pas Charles X, la place du roi ne saurait être à la tête de quelques bandes de rebelles.
- Le roi sait trop bien son histoire universelle pour ne pas connaître l'histoire de Hongrie : Moriamur pro nostro rege Maria-Theresa !
- La duchesse de Berry ?
- On en parle beaucoup.
- Vous avez raison, j'y ai pensé plus d'une fois aussi ; mais retenez bien ce que je vous dis, monsieur Dumas, il n'y a pas de Vendée sans l'Angleterre, et je suis sûr de l'Angleterre.
- Je ne dis point au roi qu'il y aura une Vendée terrible, implacable, acharnée comme celle de 92 et de 93 ; je ne dis pas qu'il y aura des armées de vingt, de trente, de quarante mille hommes comme alors ; je ne dis pas qu'il y aura des batailles désastreuses, fatales, mortelles comme celles des Ponts-de-Cé, de Torfou et d'Antrain ; je ne dis pas, enfin, que le soulèvement de l'ouest sera appuyé par le soulèvement du Midi et par l'invasion étrangère ; je dis qu'il y a chance, probabilité, certitude que l'on se battra, que des hommes seront tués, que des haines nouvelles naîtront sang nouveau, et que le roi est trop ménager du sang français pour ne pas s'opposer, autant qu'il sera dans ses moyens, à un pareil résultat.
Le roi sourit.
- Et moi, je vous dis, monsieur Dumas, que j'ai mis aussi le doigt sur le pouls de la Vendée... Je suis un peu médecin, comme vous savez.
Je m'inclinai.
- Eh bien, il n'y a rien, et il n'y aura rien dans la Vendée.
- Le roi me permettra-t-il, répondis-je en riant, de ne pas essayer de combattre son opinion, mais de rester dans la mienne ?
- Comment donc ! Vous savez que mon influence ne s'étend malheureusement pas sur les opinions ; sans quoi, j'aurais déjà tenté de modifier la vôtre et celle de quelques-uns de vos amis.
- En attendant, le roi voudra-t-il bien, quand la conversation tombera sur ce sujet, que je dise ce que je pense ?
- Sur les dispositions de la Vendée ?
- Et sur la politique du roi...
- Dites-moi d'abord, à moi, ce que vous pensez de l'une et de l'autre.
- Eh bien, je pense qu'une guerre étrangère, sur le Rhin ou en Italie, serait une guerre populaire à l'heure qu'il est ; que le roi ne se soucie pas de faire cette guerre, mais qu'il n'est pas fâché d'avoir une excuse pour ne pas la faire.
- Ah ! ah !
- Cette excuse, la Vendée la lui offre.
- Comment cela ?
- Sans doute, comme le roi disait tout à l'heure, il est médecin, et, quand le roi aura à répondre à ceux qui lui parleront de la nationalité belge, italienne ou polonaise : « Pardon, messieurs, avant de s'occuper des autres peuples, la France a d'abord une inflammation d'entrailles à guérir chez elle » ; quand on tournera les yeux du côté de la Vendée, qu'on y entendra la fusillade, et qu'on verra la fumée, personne n'aura plus rien à dire, et le roi, ménager de son propre sang, n'aura pas, aux yeux des plus ardents propagandistes, la responsabilité du sang étranger.
Le roi se mordit les lèvres ; j'avais évidemment touché juste.
- Monsieur Dumas, me dit-il, c'est un triste métier que celui de la politique... Laissez ce métier-là aux rois et aux ministres. Vous êtes poète, vous ; faites de la poésie.
- Cela veut dire ?
- Que poète, vous voyez les choses en poète, voilà tout.
Je m'inclinai.
- Sire, lui dis-je, les anciens appelaient les poètes vates.
Le roi me fit de la main un signe qui voulait dire : « Monsieur Dumas, votre audience est finie ; je sais de vous ce que je voulais savoir ; vous pouvez vous retirer. » Je compris le signe, je ne me le fis pas répéter, et sortis, autant que je pus, à reculons, pour ne point donner d'entorse à cette étiquette dont le duc d'Orléans avait bien voulu m'offrir une leçon, le jour où le roi Charles X était venu au fameux bal du Palais-Royal.
Je rencontrai Oudard dans l'escalier.
- Vous avez vu le roi ? me demanda-t-il.
- Je le quitte, répondis-je.
- Eh bien ?
- Hier, nous n'étions brouillés qu'à moitié.
- Et aujourd'hui ?
- Aujourd'hui, c'est autre chose, nous le sommes tout à fait.
- Mauvaise tête ! murmura-t-il.
Je lui dis adieu de la main et descendis les escaliers en riant.
En revenant chez moi, je rencontrai Bixio sur le pont des Tuileries,
il était vêtu d'un habit militaire bleu, avec des épaulettes et une fourragère rouge ; il portait une flamme de crin rouge à son schako, des bandes rouges à son pantalon.
- Tiens, lui dis-je, dans quoi es-tu donc ?
- Dans l'artillerie.
- Il y a donc une artillerie ?
- Certainement.
- Qui est composée ?
- De tous nos amis les républicains : Grouvelle, Guinard, Cavaignac, Etienne Arago, Bastide, Thomas, moi enfin.
- Mais je veux en être, alors.
- C'est difficile, à cause de ta position près du roi.
- Moi ? J'ai parfaitement rompu
- Tu es donc libre ?
- Libre comme l'air ! Et d'ailleurs, il y a un moyen de me rendre plus libre encore
- Lequel ?
- C'est d'envoyer aujourd'hui même ma démission.
- Si c'est comme cela, je me charge de te faire admettre... Je crois qu'il manque un ou deux hommes à la quatrième batterie ; tu n'as pas de préférence ?
- Non.
- D'ailleurs, c'est la mienne.
- Alors, j'ai une préférence : fais-moi recevoir dans la quatrième batterie.
- J'en parlerai ce soir à Cavaignac et à Bastide.
- C'est convenu ?
- Pardieu !
- Au revoir.
- Au revoir. Je rentrai chez moi ; je pris du papier, une plume, de l'encre, et j'écrivis la démission suivante :

« Sire,
Mes opinions politiques n'étant point en harmonie avec celles que Votre Majesté a le droit d'exiger des personnes qui composent sa maison, je prie Votre Majesté d'accepter ma démission de la place de bibliothécaire.
J'ai l'honneur d'être, avec respect, etc. »
Alex.Dumas.

Je demande pardon pour le style, c'est celui de l'époque.
Puis, à l'adresse de Bixio, je jetai à la poste un petit billet contenant cette seule ligne :
Alea jacta est !
On verra plus tard comment, ma lettre n'étant point parvenue entre les mains du roi, je fus obligé de donner une seconde démission, qui fut insérée dans les journaux, et répétée dans la préface de Napoléon.

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1998-2010
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