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Chapitre CCVII


Une lecture chez Nodier. – Les auditeurs et les lecteurs. – Début. – « Les Marrons du feu. » – La Camargo et l'abbé Desideria. – Généalogie d'une idée dramatique. – Oreste et Hermione. – Chimène et don Sanche. – « Gtz de Berlichingen. » – Fragments. – Où je rends à César ce qui appartient à César.

Vers la fin de 1830 ou le commencement de 1831, nous fûmes conviés à une soirée chez Nodier. Un jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans devait y lire quelques fragments d'un livre de poésie qu'il venait de faire imprimer. Ce jeune homme portait un nom alors à peu près inconnu dans les lettres, et pour la première fois ce nom allait être livré à la publicité.
On ne manquait jamais à une convocation faite par notre cher Nodier et notre belle Marie. Tout le monde fut donc exact au rendez-vous. Par tout le monde, j'entends notre cercle ordinaire de l'arsenal : Lamartine, Hugo, de Vigny, Jules de Rességuier, Sainte-Beuve, Lefebvre, Taylor, les deux Johannot, Louis Boulanger, Jal, Laverdant, Bixio, Amaury Duval, Francis Wey, etc. ; puis une foule de jeunes filles, fleurs en bouton, devenues aujourd'hui de belles et bonnes mères de famille.
Vers dix heures, un jeune homme de taille ordinaire, mince, blond, avec des moustaches naissantes, de longs cheveux bouclés rejetés en touffe d'un côté de la tête, un habit vert très serré à la taille, un pantalon de couleur claire, entra, affectant une grande désinvolture de manières qui n'était peut-être destinée qu'à cacher une timidité réelle.
C'était notre poète.
Parmi nous, peu le connaissaient personnellement, peu de vue, peu même de nom.
On lui avait préparé une table, un verre d'eau, deux bougies.
Il s'assit, et, autant que je puis me le rappeler, il lut, non pas sur un manuscrit, mais sur un livre imprimé.
Dès le début, toute cette assemblée de poètes frissonna ; elle sentait qu'elle avait affaire à un poète.
En effet, le volume s'ouvrait par ces vers, que l'on nous permettra de citer, quoiqu'ils soient connus de tout le monde. Nous l'avons dit, et nous ne saurions trop le répéter, ces Mémoires ne sont pas nos Mémoires seulement : ce sont ceux de la peinture, de la poésie, de la littérature et de la politique des cinquante premières années du siècle. Quand nous avons attaqué, durement peut-être, mais franchement et loyalernent, les choses basses, inférieures, honteuses ; quand nous avons poursuivi l'hypocrisie, flétri la trahison, raillé la médiocrité, il nous semble si bon et si doux de relever nos yeux vers le ciel, d'y suivre du regard et d'y adorer de l'esprit ces beaux nuages d'or qui ne sont, pour beaucoup de gens, que des vapeurs folles, mais qui, pour nous, sont les mondes errants où nous voudrions voir habiter notre âme pendant l'éternité, que, tout en nous disant que nous avons tort peut-être de faire ainsi, notre plume trace des lignes étrangères avec plus de joie et d'orgueil qu'elle n'a jamais tracé nos propres oeuvres.
Et je suis bien désintéressé vis-à-vis de l'auteur de ces vers : à peine l'ai-je connu, à peine nous sommes-nous vus dix fois. Je l'admire fort, tandis que, de son côté, il n'a pas, j'en ai peur, une grande affection pour moi.
Le poète commença ainsi :

          Je n'ai jamais aimé pour ma part, ces bégueules
          Qui ne sauraient aller au Prado toutes seules ;
          Qu'une duègne toujours, de quartier en quartier,
          Talonne, comme fait sa mule un muletier ;
          Qui s'usent, à prier, les genoux et la lèvre,
          Se courbent sur le grès plus pâles, dans leur fièvre,
          Qu'un homme qui, pieds nus, marche sur un serpent,
          ou qu'un faux-monnayeur au moment qu'on le pend.
          Certes, ces femmes-là, pour mener cette vie,
          Portent un coeur châtré de toute noble envie ;
          Elles n'ont pas de sang et pas d'entrailles ! – Mais
          Sur ma tête et mes os, je vous promets
          Qu'elles valent encor quatre fois mieux que celles
          Dont le temps se dépense en intrigues nouvelles.
          Celles-là vont au bal, courent les rendez-vous,
          Savent dans un manchon cacher un billet doux,
          Serrer un ruban noir sur un beau flanc qui ploie,
          Jeter d'un balcon d'or une échelle de soie,
          Suivre l'imbroglio de ces amours mignons
          Poussés dans une nuit comme des champignons.
          Si charmantes d'ailleurs ! Aimant en enragées
          Les moustaches, les chiens, la valse et les dragées.
          Mais, oh ! la triste chose et l'étrange malheur,
          Lorsque dans leurs filets tombe un homme de coeur !
          Frère, mieux lui vaudrait, comme ce statuaire
          Qui pressait de ses bras son amante de pierre,
          Réchauffer de baisers un marbre ! Mieux vaudrait
          Une louve enragée en quelque âpre forêt !...

Vous le voyez, il n'y avait point à s'y tromper, ces vers étaient à la fois bien faits, bien pensés ; ils marchaient d'une allure fière et hardie, le poing sur la hanche, la taille cambrée, splendidement drapés dans leur manteau espagnol.
Ce n'était ni du Lamartine, ni de l'Hugo, ni du de Vigny : c'était une fleur du même jardin, c'est vrai ; un fruit du même verger, c'est vrai encore ; mais une fleur ayant son odeur à elle, un fruit ayant son goût à lui.
Bon ! voilà que je voulais dire du mal de moi, et que je dis du bien d'Alfred de Musset. Par ma foi ! je ne m'en repens pas, et c'est tout bénéfice pour moi !
J'ai, cependant, à expliquer comment fut fait ce pastiche dramatique qui a nom Charles VII, ne l'oublions pas.
La soirée se passa comme un instant. Alfred de Musset, au lieu de lire quelques pièces, lut tout le volume : Don Paez Porcia, L'Andalouse, Madrid, la Ballade à la lune, Mardoche, etc., deux mille vers peut-être ; seulement, j'en conviens, les jeunes filles qui étaient venues pour écouter cette lecture, soit avec leurs mamans, soit toutes seules, eurent fort à faire de leurs paupières et de leur éventail.
Parmi ces pièces, il y avait une espèce de comédie intitulée Les Marrons du feu.
La Camargo, cette danseuse belge célébrée par Voltaire, et qui fit les délices de l'opéra de 1734 à 1751, en est héroïne ; mais, il faut le dire, la pauvre fille y est fort calomniée.
D'abord, le poète suppose qu'elle a été amoureuse folle d'un beau seigneur italien nommé Rafal Garuci, et que cet amour est plus fort au bout de deux ans qu'il ne l'a jamais été. – Première calomnie.
Puis il suppose encore que le seigneur Garuci, las de la danseuse donne ses habits à l'abbé Annibal Desiderio, et lui indique de quelle façon il doit s'y prendre pour pénétrer jusqu'à la belle. – Seconde calomnie, mais moins grave que la première, le seigneur Rafal Garuci n'ayant probablement jamais existé que dans le cerveau du poète.
Il suppose, enfin, que, lorsqu'elle se voit face à face avec l'abbé déguisé en gentilhomme, et qu'elle apprend que c'est Rafal, soupant à cette heure avec la Cydalise, qui lui a donné le moyen d'arriver jusqu'à elle la Camargo entre en fureur contre son infidèle amant, et dit à l'abbé :

          Abbé, je veux du sang ! j'en suis plus altérée
          Qu'une corneille au vent d'un cadavre attirée !
          Il est là-bas, dis-tu ? Cours-y donc ! coupe-lui
          La gorge, et tire-le par les pieds jusqu'ici !
          Tords-lui le coeur, abbé, de peur qu'il n'en réchappe ;
          Coupe-le en quatre, et mets les morceaux dans la nappe !
          Tu me l'apporteras ; et puisse m'écraser
          La foudre, si tu n'as par blessure un baiser !...
          Tu tressailles, Romain ? C'est une faute étrange,
          Si tu te crois conduit ici par ton bon ange !
          Le sang te fait-il peur ? Pour t'en faire un manteau
          De cardinal, il faut la pointe d'un couteau !
          Me jugeais-tu le coeur si large, que j'y porte
          Deux amours à la fois, et que pas un n'en sorte ?
          C'est une faute encor : mon coeur n'est pas si grand,
          Et le dernier venu ronge l'autre en entrant...

L'abbé, doit se battre le lendemain avec Rafal, et il la supplie d'attendre au moins jusque-là ; mais il finit par céder aux prières, aux caresses, aux larmes de la Camargo, comme Oreste cède aux promesses aux emportements, aux défis d'Hermione ; poussé par la main fiévreuse de la belle courtisane, il tue Rafal comme Oreste tue Pyrrhus, et comme Oreste, il revient demander à la Camargo le salaire de son amour, le prix du sang. Comme Hermione, elle lui manque de parole.
– Troisième calomnie.
La Camargo est à son clavecin ; l'abbé frappe à la porte.

          Entrez !
L'abbé entre et lui présente son poignard. La Camargo le considère quelque temps, puis se lève
                    A-t-il souffert beaucoup ?
                                        - Bon ! c'est l'affaire
          D'un moment !
                              - Qu'a-t-il dit ?
                                        - Il a dit que la terre
          Tournait.
                    - Quoi ! rien de plus ?
                              - Ah ! qu'il donnait son bien
          A son bouffon Pippo.
                              - Quoi ! rien de plus ?
                                                  - Non, rien.
          - Il porte au petit doigt un diamant : de grâce,
          Allez me le chercher !
                              - Je ne le puis.
                                                  - La place
          Où vous l'avez laissé n'est pas si loin.
                                                  - Non, mais
          Je ne le puis.
                    - Abbé, tout ce que je promets,
          Je le tiens.
                    - Pas ce soir !...
                              - Pourquoi ?
                                        - Mais...
                                                  - Misérable !
          Tu ne l'as pas tué !
                    - Moi ? Que le ciel m'accable
          Si je ne l'ai pas fait, madame, en vérité !
          - En ce cas, pourquoi non !
                                        - Ma foi, je l'ai jeté
          Dans la mer.
                    - Quoi ! ce soir, dans la mer ?
                                                  - Oui, madame.
          - Alors, c'est un malheur pour vous, car, sur mon âme
          Je voulais cet anneau.
                              - Si vous me l'aviez dit,
          Au moins !
                    - Et sur quoi donc t'en croirai-je, maudit ?
          Sur quel honneur vas-tu me jurer ? sur laquelle
          De tes deux mains de sang ? où la marque en est-elle ?
          La chose n'est pas sûre, et tu peux te vanter !
          Il fallait lui couper la main, et l'apporter.
          - Madame, il faisait nuit, la mer était prochaine...
          Je l'ai jeté dedans.
                              - Je n'en suis pas certaine.
          - Mais, madame, ce fer est chaud, et saigne encor !
          - Ni le feu ni le sang ne sont rares !
                                                  - Son corps
          N'est pas si loin, madame ; il se peut qu'on se charge...
          - La nuit est trop épaisse, et l'océan trop large !
          - Mais je suis pâle, moi, tenez !
                                                  - Mon cher abbé
          L'étais-je pas, ce soir, quand j'ai joué Thisbé,
          Dans l'opéra ?
                    - Madame, au nom du ciel !
                                                  - Peut-être
          Qu'en y regardant bien, vous l'aurez... Ma fenêtre
          Donne sur la mer.
                    Elle sort.
                              - Mais elle est partie !... O Dieu
          J'ai tué mon ami, j'ai mérité le feu,
          J'ai taché mon pourpoint, et l'on me congédie !
          C'est la moralité de cette comédie.

Cette scène, si fort qu'elle s'en éloigne par la forme, est évidemment imitée, pour le fond, de cette scène de l'Andromaque de Racine :

Hermione
          Je veux qu'à mon départ toute l'Epire pleure !
          Mais, si vous me vengez, vengez-moi dans une heure.
          Tous vos retardements sont pour moi des refus.
          Courez au temple ! Il faut immoler...

Oreste
                                                  Qui ?

Hermione
                                                            Pyrrhus !
          Pyrrhus, madame ?
                              - Hé quoi ! votre haine chancelle !
          Ah ! courez, et craignez que je ne vous rappelle !
          Ne vous suffit-il pas que je l'ai condamné ?
          Ne vous suffit-il pas que ma gloire offensée
          Demande une victime à moi seule adressée ;
          Qu'Hermione est le prix d'un tyran opprimé ;
          Que je le hais ! enfin, seigneur, que je l'aimai ?
          Malgré la juste horreur que son crime me donne
          Tant qu'il vivra, craignez que je ne lui pardonne !
          Doutez jusqu'à sa mort d'un courroux incertain.
          S'il ne meurt aujourd'hui, je peux l'aimer demain !

          - Mais, madame, songez...
                                        - Ah ! c'en est trop, seigneur,
          Tant de raisonnements offensent ma colère.
          J'ai voulu vous donner les moyens de me plaire,
          Rendre Oreste content ; mais, enfin, je vais bien
          Qu'il veut toujours se plaindre, et ne mériter rien.
          Je m'en vais seule au temple où leur hymen s'apprête,
          Où vous n'osez aller mériter ma conquête.
          Là, de mon ennemi je saurai m'approcher ;
          Je percerai le coeur que je n'ai pu toucher,
          Et mes sanglantes mains, sur moi-même tournées,
          Aussitôt, malgré lui, joindront nos destinées.
          Et, tout ingrat qu'il est, il me sera plus doux
          De mourir avec lui que de vivre avec vous !
          - Non, je vous priverai de ce plaisir funeste,
          Madame, il ne mourra que de la main d'Oreste !
          Vos ennemis par moi vous vont être immolés,
          Et vous reconnaîtrez mes soins, si vous voulez !

Et Oreste part, tue Pyrrhus, puis vient, son épée sanglante à la main, retrouver Hermione.

          - Madame, c'en est fait, et vous êtes servie :
          Pyrrhus rend à l'autel son infidèle vie !
          - Il est mort ?...
                              - Il expire, et nos Grecs, irrités,
          Ont lavé dans son sang ses infidélités !
          Mais c'est moi dont l'ardeur leur a servi d'exemple.
          Je les ai pour vous seule entraînés dans le temple,
          Madame, et vous pouvez justement vous flatter
          D'une mort que leurs bras n'ont fait qu'exécuter :
          Vous seule avez porté les coups !
                                                  - Tais-toi, perfide !
          Et n'impute qu'à toi ton lâche parricide !
          Va faire chez les Grecs admirer ta fureur
          Va ! je te désavoue, et tu me fais horreur...
          Barbare ! qu'as-tu fait ? Avec quelle furie
          As-tu tranché le cours d'une si belle vie ?
          Avez-vous pu, cruels, l'immoler aujourd'hui,
          Sans que tout votre sang se soulevât pour lui ?
          Mais parle ! De son sort qui t'a rendu l'arbitre ?
          Pourquoi l'assassiner ? qu'a-t-il fait ? à quel titre ?
          Qui te l'a dit ?
                    - Odieux ! quoi ! ne m'avez-vous pas
          Vous-même, ici, tantôt, ordonné son trépas ?
          - Ah ! fallait-il en croire une amante insensée ?...

On le voit, dans les deux femmes, c'est la même passion : danseuse de l'opéra, princesse de Sparte, parlent différemment, mais agissent de la même façon.
Il est vrai que toutes deux ont pris exemple sur la Chimène du Cid.
Don Sanche rentre l'épée à la main, et se prosterne devant Chimène.

          - Madame, à vos genoux j'apporte cette épée...
          - Quoi ! du sang de Rodrigue encor toute trempée ?
          Perfide ! oses-tu bien te montrer à mes yeux
          Après m'avoir ôté ce que j'aimais le mieux ?
          Eclate, mon amour ! tu n'as plus rien à craindre.
          Mon père est satisfait, cesse de te contraindre !
          Un même coup a mis ma gloire en sûreté,
          Mon âme au désespoir, ma flamme en liberté !
          -D'un esprit plus rassis...
                                        - Tu me parles encore,
          Exécrable assassin du héros que j'adore !
          Va, tu l'as pris en traître ! Un guerrier si vaillant
          N'eût jamais succombé sous un tel assaillant !
          N'espère rien de moi ; tu ne m'as point servie :
          En croyant me venger, tu m'as ôté la vie !...

Il est vrai que Corneille avait emprunté cette scène à Guilhem de Castro, qui l'avait empruntée au romancero du Cid.
Maintenant, le jour où j'écoutai cette lecture d'Alfred de Musset, j'avais déjà, depuis plus d'un an, une idée analogue en tête.
Cette idée m'était restée de la lecture du fameux drame de Goethe Gtz de Berlichingen. Trois ou quatre scènes sont noyées dans ce drame gigantesque qui m'avaient paru suffire à un drame. C'est toujours cette même situation de la femme poussant l'homme qu'elle n'aime pas à tuer l'homme qu'elle aime, comme Chimène dans Le Cid, comme Hermione dans Andromaque.
L'analyse de Gtz de Berlichingen nous entraînerait trop loin ; contentons- nous d'emprunter ces trois ou quatre scènes à la traduction de notre ami Marmier :

Adélaïde, femme de Weislingen ; Frantz, page de Weislingen.

Adélaïde.
          - Ainsi, les deux expéditions sont en marche ?
Frantz.
          - Oui, madame, et mon maître a la joie de combattre vos ennemis...
          - Comment va-t-il, ton maître ?
          - A merveille ! il m'a chargé de vous baiser la main.
          - La voici... Tes lèvres sont brûlantes !
          - C'est ici que je brûle. Il met la main sur son coeur           Madame, vos domestiques sont les plus heureux des hommes !... Adieu ! il faut que je reparte. Ne m'oubliez pas !
          - Mange d'abord quelque chose, et prends un peu de repos.
          - A quoi bon ? Je vous ai vue, je ne me sens ni faim ni fatigue.
          - Je sais que tu es un garçon plein de zèle.
          - Oh ! madame !
          - Mais tu n'y tiendrais pas... Repose-toi, te dis-je, et prends quelque nourriture.
          - Que de soins pour un pauvre jeune homme !
          - Il a les larmes aux yeux... Je l'aime de tout mon coeur ! Jamais personne ne m'a montré tant d'attachement !

Adélaïde, Frantz, entrant une lettre à la main.

Frantz.
          - Voici pour vous, madame.
Adélaïde.
          - Est-ce Charles lui-même qui te l'a remise ?
          - Oui.
          - Qu'as-tu donc ? Tu parais triste !
          - Vous allez absolument me faire périr de langueur... Oui, je mourrai dans l'âge de l'espérance, et c'est vous qui en serez cause !
          - Il me fait de la peine... Il m'en coûterait si peu pour le rendre heureux !
          - Prends courage, jeune homme, je connais ton amour, ta fidélité ; je ne serai point ingrate.
          - Si vous en étiez capable, je mourrais ! Mon Dieu ! moi qui n'ai pas une goutte de sang qui ne soit à vous ! moi qui n'ai de sens que pour vous aimer et pour obéir à ce que vous désirez !
          - Cher enfant !
          - Vous me flattez ! et tout cela n'aboutit qu'à s'en voir préférer d'autres... Toutes vos pensées tournées vers Charles !... Aussi, je ne le veux plus... Non, Je ne veux plus servir d'entremetteur !
          - Frantz, tu t'oublies !
          - Me sacrifier !... sacrifier mon maître ! mon cher maître !
          - Sortez de ma présence !
          - Madame...
          - Va, dénonce-moi à ton cher maître... J'étais bien folle de te prendre pour ce que tu n'es pas.
          - Chère noble dame, vous savez que je vous aime !
          - Je t'aimais bien aussi ; tu étais près de mon coeur... Va, trahis moi !
          - Je m'arracherais plutôt le sein !... Pardonnez-moi, madame. Mon âme est trop pleine, je ne suis plus maître de moi !
          - Cher enfant ! excellent coeur !

Elle lui prend les mains, l'attire à elle : leurs bouches se rencontrent ; il se jette à son cou en pleurant.

          - Laisse-moi !... Les murs ont des yeux... Laisse-moi... Elle se dégage. Aime-moi toujours ainsi ; sois toujours aussi fidèle ; la plus belle récompense t'attend ! Elle sort.
          - La plus belle récompense ! Dieu, laisse-moi vivre jusque-là !... Si mon père me disputait cette place, je le tuerais !

Weislingen, Frantz.

Weislingen.
          - Frantz !
Frantz.
          - Monseigneur !
          - Exécute ponctuellement mes ordres : tu m'en réponds sur ta vie. Remets-lui cette lettre ; il faut qu'elle quitte la cour, et se retire dans mon château à l'instant même. Tu la verras partir, et aussitôt tu reviendras m'annoncer son départ.
          - Vos ordres seront suivis.
          - Dis-lui bien qu'il faut qu'elle le veuille... Va !

Adélaïde, Frantz.
Adélaïde tient à la main la lettre de son mari apportée par Frantz.

Adélaïde.
          - Lui ou moi !... L'insolent ! me menacer ! Nous saurons le prévenir.. Mais qui se glisse dans le salon ?
Frantz, se jetant à son cou.
          - Ah ! madame ! chère madame !...
          - Ecervelé ! si quelqu'un t'avait entendu !
          - Oh ! tout dort !... tout le monde dort !
          - Que veux-tu ?
          - Je n'ai point de sommeil : les menaces de mon maître votre sort... mon coeur...
          - Il était bien en colère quand tu l'as quitté ?
          - Comme jamais je ne l'ai vu ! « Il faut qu'elle parte pour mon château ! a-t-il dit ; il faut qu'elle le veuille ! »
          - Et... nous obéirons ?
          - Je n'en sais rien, madame.
          - Pauvre enfant, dupe de ta bonne foi, tu ne vois pas où cela mène ! Il sait qu'ici je suis en sûreté... Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il en veut à mon indépendance... Il me fait aller dans ses domaines parce que, là, il aura le pouvoir de me traiter au gré de son aversion.
          - Il ne le fera pas !
          - Je vois dans l'avenir toute ma misère ! Je ne resterai pas dans son château : il m'en arrachera pour m'enfermer dans un cloître !
          - O mort ! ô enfer !
          - Me sauveras-tu ?
          - Tout ! tout plutôt que cela !
          - Frantz ! En pleurs et l'embrassant. O! Frantz ! pour nous sauver...
          - Oui, il tombera... il tombera sous mes coups ! Je le foulerai aux pieds !
          - Point d'emportement ! Tiens, remets-lui plutôt un billet plein de respect, où je l'assure de mon entière soumission à ses ordres... Et cette fiole... cette fiole, vide-la dans son verre.
          - Donnez, vous serez libre !

Weislingen, puis Frantz.

Weislingen.
          - Je suis si malade, si faible !... mes os sont brisés : une fièvre ardente en a consumé la moelle ! Ni paix ni trêve, le jour comme la nuit... un mauvais sommeil agité de rêves empoisonnés... Il s'assied. Je suis faible, faible... Comme mes ongles sont bleus !... Un froid glacial circule dans mes veines, engourdit tous mes membres... Quelle sueur dévorante ! tout tourne autour de moi... Si je pouvais dormir !...

Frantz, entrant dans la plus grande agitation.
          - Monseigneur !
          - Eh bien ?
          - Du poison... du poison de votre femme... Moi, c'est moi !
Il s'enfuit, ne pouvant en dire davantage.
          - Il est dans le délire... Oh ! oui, je le sens... le martyre ! la mort... Voulant se lever. Dieu ! je n'en puis plus ! je meurs !... je meurs !... et, pourtant, je ne puis cesser de vivre... Oh ! dans cet affreux combat de la vie et de la mort il y a tous les supplices de l'enfer !...

Maintenant que le lecteur a vu passer sous ses yeux tous ces fragments divers : Gtz de Berlichingen, Le Cid, Andromaque, Les Marrons du feu, que le génie de quatre poètes, Goethe, Corneille, Racine, Alfred de Musset a posé devant lui, il comprendra l'analogie, l'air de famille qui existe entre ces différentes scènes ; elles ne sont point pareilles, mais elles sont soeurs.
Or, je l'ai dit, ces quelques scènes de Gtz de Berlichingen m'étaient restées comme endormies dans la mémoire ; ni Le Cid ni Andromaque ne les eussent réveillées ; la poésie incorrecte, mais chaude, mais vivante d'Alfred de Musset les galvanisa, et, à partir de ce moment, il leur fallut un emploi.
Vers le même temps, j'avais lu Quentin Durward, et la figure du Mograbin m'avait frappé ; j'avais pris en note quelques-unes de ses phrases pleines de poésie orientale. Je résolus de placer mon drame au milieu du Moyen Age, et de faire, de mes deux personnages principaux, une belle et sévère châtelaine et quelque esclave arabe regrettant sa terre natale, mais retenu sur la terre d'exil par une chaîne plus forte que celle de son esclavage.
Je me mis alors à feuilleter les chroniques du XVème siècle, pour trouver un clou où accrocher mon tableau.
J'ai toujours constaté l'admirable complaisance de l'histoire à cet endroit ; jamais elle ne laisse le poète dans l'embarras. Ainsi, ma manière de procéder vis-à-vis de l'histoire est étrange. Je commence par combiner une fable ; je tâche de la faire romanesque, tendre, dramatique, et, lorsque la part du coeur et de l'imagination est trouvée, je cherche dans l'histoire un cadre où la mettre, et jamais il ne m'est arrivé que l'histoire ne m'ait fourni ce cadre, si exact et si bien approprié au sujet, qu'il semble que ce soit, non le cadre qui ait été fait pour le tableau, mais le tableau pour le cadre.
Cette fois encore, le hasard me fut plus que fidèle, il me fut complaisant.
Voici ce que je trouvai à la page 5 de la Chronique du Roi Charles VII, par maître Alain Chartier, homme très honorable :

« Et, en ce temps, un chevalier nommé messire Charles de Savoisy, par un de ses pages qui chevauchait un cheval, en le venant de mener boire à la rivière, le cheval esclabouta un escollier, lequel, avecques les autres, allait en procession à Sainte-Katherine, et tant que l'escollier frappa ledit page ; et, alors, les gens dudit chevalier saillirent de son hôtel embastonnés, poursuivant lesdits escolliers jusqu'à Sainte-Katherine ; et un des gens dudit chevalier tira une flèche dedans l'église jusques au grand autel, où le prêtre chantait messe ; donc, pour ce faict, l'Université fit telle poursuite à l'encontre dudit chevalier, que la maison de celui chevalier fut abattue, et fut ledit chevalier banny hors du royaume de France, et excommunié. Et s'en alla devers le pape, lequel l'absolut, et arma quatre gallées, et s'en alla par mer, faisant guerre aux Sarrazins, et là, gagna moult d'avoir. Puis retourna, et fut faite sa paix, et refit son hôtel à Paris tel comme il était paravant ; mais il ne fut pas parachevé, et fit faire son hôtel de Signelay Seignelais en Auxerrois moult bel, par les Sarrazins qu'il avait amenés d'outre-mer ; lequel châtel est à trois lieues d'Auxerre. »
On le voit, l'histoire avait tout prévu, et me fournissait un cadre qui, depuis quatre cents ans, attendait son tableau.
Cette ossature trouvée, dans les personnages de Savoisy, de Bérengère et d'Yaqoub, mon drame ayant, pour ainsi dire, sa tête, son coeur et ses jambes, il fallut trouver les bras, les muscles, les chairs et le reste de son anatomie. Ce fut, alors, la besogne de l'histoire ; l'histoire tenait en réserve Charles VII, Agnès, Dunois ; – et toute cette grande lutte de la France contre l'Angleterre vint tourner autour de l'amour d'un Arabe pour la femme de l'homme qui l'avait fait prisonnier, et transporté d'Afrique en France.
J'ai assez nettement exposé, je crois, les emprunts que j'ai faits, pour le fond, à Goethe, à Corneille, à Racine et à Alfred de Musset ; je vais les rendre encore plus palpables par la citation ; car, puisque je suis en train de me critiquer moi-même, il faut que j'aille jusqu'au bout, quitte à rester, aux yeux de mes lecteurs, solus, pauper et nudus, comme Adam dans le paradis terrestre, ou comme Noé au pied de sa vigne !                     

Bérengère, Yaqoub.

                                        - Yaqoub, si vos paroles
          Ne vous échappent point comme des sons frivoles,
          Vous m'avez dit ces mots : « S'il était, par hasard,
          Un homme dont l'aspect blessât votre regard ;
          Si ses jours sur vos jours avaient cette influence
          Que son trépas pût seul finir votre souffrance ;
          De Mahomet lui-même eût-il reçu ce droit,
          Quand il passe, il faudrait me le montrer du doigt ! »
          Vous avez dit cela ?
                                        - Je l'ai dit... Je frissonne !
          Mais un homme par moi fut excepté.
                                                            - Personne.
          - Un homme à ma vengeance a le droit d'échapper...
          - Si c'était celui-là qu'il te fallût frapper ?
          S'il fallait que sur lui la vengeance fût prompte ?
          - Son nom ?
                    - Le comte.
                              - Enfer ! je m'en doutais ; le comte !
          - Entendez-vous ? le comte !... Eh bien ?
                                                            - Je ne le puis !
          - Adieu donc pour toujours !
                                                  - Restez, ou je vous suis.
          - J'avais cru jusqu'ici, quelle croyance folle !
          Que les chrétiens eux seuls manquaient à leur parole.
          Je me trompais, c'est tout.
                                        - Madame...
                                                  - Laissez-moi !
          Oh ! mais vous mentiez donc ?
                                        - Vous savez bien pourquoi
          Ma vengeance ne peut s'allier à la vôtre :
          Il m'a sauvé la vie... Oh ! nommez-moi tout autre !
          ....................................................................
          Un instant, Bérengère, écoutez-moi !
                                                  - J'écoute :
          Dites vite.
                    - J'ai cru, je me trompais sans doute,
          Qu'ici vous m'aviez dit, ici même... Pardon !
          - Quoi ?
                    - Que vous m'aimiez !
                              - Oui, je l'ai dit.
                                        - Eh bien, donc
          Puisque même destin, même amour nous rassemble,
          Bérengère, ce soir...
                              - Eh bien ?
                                                  - Fuyons ensemble !
          - Sans frapper ?
                              - Ses remords vous vengeront-ils pas ?
          - Esclave, me crois-tu le coeur placé si bas,
          Que je puisse souffrir qu'en ce monde où nous sommes,
          J'aie été tour à tour l'amante de deux hommes,
          Dont le premier m'insulte, et que tous deux vivront,
          Sans que de celui-là m'ait vengé le second ?
          Crois-tu que, dans un coeur ardent comme le nôtre,
          Un amour puisse entrer sans qu'il dévore l'autre ?
          Si tu l'as espéré, l'espoir est insultant !
          - Bérengère !
                              - Entre nous, tout est fini... Va-t'en !
          - Grâce !...
                              - Je saurai bien trouver, pour cette tâche,
          Quelque main moins timide et quelque âme moins lâche,
          Qui fera pour de l'or ce que, toi, dans ce jour,
          Tu n'auras pas osé faire pour de l'amour !
          Et, s'il n'en était pas, je saurai bien moi-même,
          De cet assassinat affrontant l'anathème,
          Me glisser au milieu des femmes, des valets,
          Qui flattent les époux de leurs nouveaux souhaits,
          Et les faire avorter, ces souhaits trop précoces,
          En vidant ce flacon dans la coupe des noces !
          - Du poison ?
                    - Du poison ! Mais ne vient plus, après,
          Esclave, me parler d'amour et de regrets !
          Refuses-tu toujours ?... Il te reste un quart d'heure,
          C'est encore plus de temps qu'il n'en faut pour qu'il meure,
          Un quart d'heure !... Réponds, mourra-t-il de ta main ?
          Es-tu prêt ? Réponds-moi, car j'y vais. Dis !
                                                            - Demain !
          - Demain ! Et, cette nuit, dans cette chambre même,
          Ainsi qu'il me l'a dit, il lui dira : « Je t'aime ! »
          Demain ! Et, d'ici là, que ferai-je ? Ah ! tu veux,
          Cette nuit, qu'à deux mains j'arrache mes cheveux ;
          Que je brise mon front à toutes les murailles ;
          Que je devienne folle ? Ah ! demain ! mais tu railles !
          Et si ce jour était le dernier de nos jours ?
          Si cette nuit d'enfer allait durer toujours ?
          Dieu le peut ordonner, si c'est sa fantaisie.
          Demain ? Et si je suis morte de jalousie ?
          Tu n'es donc pas jaloux, toi ? tu ne l'es donc pas ?...

Je m'abstiens de citer le reste de la scène, dont les moyens, je crois, m'appartiennent en propre. Yaqoub cède : il s'élance dans la chambre du comte ; Bérengère se jette derrière un prie-Dieu ; le comte passe avec sa nouvelle épouse ; il entre dans sa chambre ; on entend un cri.

Bérengère, puis Yaqoub et le comte.

Bérengère.
                              Le voilà qui tombe !
          Savoisy, retiens-moi ma place dans ta tombe !
Elle avale le poison qu'elle avait montré à Yaqoub

Yaqoub.
          ... Fuyons ! il vient !
Le comte paraît, sanglant et se cramponnant à la tapisserie.

Le comte.
                                        C'est toi
          Yaqoub, qui m'as tué !

Bérengère.
                    Ce n'est pas lui : c'est moi !

Le comte.
          Bérengère !... Au secours ! Je meurs !

Yaqoub.
                                        Maintenant, femme,
          Fais-moi tout oublier, car c'est vraiment infâme !
          Viens donc !... Tu m'as promis de venir... Je t'attends...
          D'être à moi pour toujours !

Bérengère.
                              Encor quelques instants,
          Et je t'appartiendrai : tout entière.

Yaqoub.
                                                  Regarde !
          Ils accourent aux cris qu'il a poussés... Prends garde,
          Nous ne pouvons plus fuir, il ne sera plus temps.
          Ils viennent, Bérengère !

Bérengère.
                                        Attends encore, attends !

Yaqoub.
          Oh ! viens, viens ! toute attente à cette heure est mortelle !
          La cour est pleine, vois... Mais viens donc !... Que fait-elle ?
          Bérengère, est-ce ainsi que tu gardes ta foi ?
          Bérengère entends-tu ? viens !

Bérengère, rendant le dernier soupir.
                                        Me voici... Prends-moi !

Yaqoub.
          Oh ! malédiction !... son front devient livide...
          Son coeur ?... Il ne bat plus !... Sa main ?... Le flacon vide !...

Comme on le voit, il y a une triple imitation : imitation de l'Andromaque de Racine, imitation de Gtz de Berlichingen de Goethe, imitation des Marrons du feu d'Alfred de Musset.
C'est que Charles VII est surtout une étude, une étude laborieusement faite, et non pas une oeuvre primesautière ; un travail d'assimilation, et non un drame original, qui m'a coûté infiniment plus de labeur qu'Antony ; – ce qui ne veut pas dire que je l'aime autant qu'Antony.
Quelques mots encore pour en finir sur ce sujet.
Passons aux imitations de détail.
J'ai dit que j'avais emprunté différents passages au Mograbin de Quentin Durward.
Les voici :

« - Malheureux ! s'écrie Quentin Durward, reviens à des sentiments meilleurs... Sur quoi peux-tu compter, mourant dans l'impénitence et avec de pareilles idées !
« - Je me confondrai avec les éléments, répond le Mograbin. Ce que je crois, ce que j'attends, ce que j'espère, c'est que ma forme humaine se fondra mystérieusement dans la masse universelle, pour se recomposer sous les autres formes par lesquelles la nature remplace, chaque jour, celles qui, chaque jour, disparaissent. Les parcelles d'eau iront grossir les ruisseaux et les pluies ; les parties terrestres enrichiront la terre ; celles qui viennent de l'air s'envoleront avec les brises. Celles qui sont de feu alimenteront l'éclat d'Aldébaran et des étoiles ses soeurs. C'est dans cette foi que j'ai vécu et que je meurs ! »

Yaqoub est condamné à mort pour avoir tué Raymond, l'archer du comte.

Le comte.
          Esclave, si tu meurs en de tels sentiments,
          Qu'espères-tu ?

Yaqoub.
                              De rendre un corps aux éléments,
          Masse commune où l'homme, en expirant, rapporte
          Tout ce qu'en le créant la nature en emporte.
          Si la terre, si l'eau, si l'air et si le feu
          Me formèrent, aux mains du hasard ou de Dieu,
          Le vent, en dispersant ma poussière en sa course,
          Saura bien reporter chaque chose à sa source !

La seconde imitation de détail est empruntée à Walter Scott toujours, mais à Richard Coeur de Lion, et non plus à Quentin Durward.
Le chevalier du Léopard et Saladin, après avoir combattu l'un contre l'autre, ont fait une trêve, et déjeunent, en causant, près de la fontaine appelée le Diamant du désert.

« - Etranger, demande Saladin, combien d'hommes as-tu emmenés dans cette expédition guerrière ?
« - Par ma foi ! répond sir Kenneth, avec l'aide de mes amis et de mes parents, j'ai eu bien de la peine à fournir dix lances convenablement équipées ; ce qui peut former cinquante et quelques hommes, valets et écuyers compris.
« - Chrétien, j'ai ici cinq flèches dans mon carquois toutes empennées des plumes d'un aigle. Lorsque j'envoie une de ces flèches vers mes tentes, mille guerriers montent à cheval ; si j'envoie la seconde, une force égale se met en route ; à l'aspect de ces cinq flèches, cinq mille hommes accourent à moi, et, si j'envoie mon arc, dix mille cavaliers ébranlent le désert ! »

Yaqoub.
          Car mon père, ô Saïd, n'est point un chef vulgaire.
          Il a dans son carquois quatre flèches de guerre,
          Et, lorsqu'il tend son arc, et que, vers quatre buts,
          Il le lance en signal à ses quatre tribus,
          Chacune à lui fournir cent cavaliers fidèles
          Met le temps que met l'aigle à déployer ses ailes !

Voilà, grâce au ciel, ma confession finie ! Elle a été longue ; mais aussi c'est que, comme oeuvre d'assimilation et d'imitation, Charles VII est mon plus gros péché.

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