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Chapitre CCL


Voyage du duc de Reichstadt. – M. le chevalier de Prokesch. – Questions sur les souvenirs laissés par le « Napoléon en Egypte ». – L'ambition du duc de Reichstadt. – La comtesse Camerata. – Le prince est nommé lieutenant- colonel. – Il s'enroue en passant une revue. – Il tombe malade. – Rapport du docteur Malfatti sur sa santé.

Au mois de juin 1830, l'empereur d'Autriche, comme il avait l'habitude de le faire chaque année, quitta Vienne pour aller visiter quelques-unes de ses provinces ; cette année-là, c'était au tour de la Styrie d'être honorée du passage de l'empereur. Sa Majesté prit avec elle Marie-Louise et son fils, et l'on arriva à Gratz.
Là se trouvait le lieutenant-colonel Prokesch d'Osten, qui venait de visiter successivement la Grèce, l'Asie Mineure, la Terre sainte, l'Egypte et la Nubie. C'était un homme de distinction à la fois native et personnelle ; il avait publié plusieurs écrits militaires ; entre autres, un sur la campagne de 1812, et un sur la campagne de 1815.
L'empereur l'invita à dîner. A table, il fut placé près du duc de Reichstadt.
Le prince lui adressa le premier la parole.
- Je vous connais depuis longtemps, lui dit-il, et je me suis beaucoup occupé de vous.
- Comment ai-je pu mériter un pareil intérêt de votre part, monseigneur ? demanda le chevalier de Prokesch.
- J'ai lu, j'ai étudié votre ouvrage sur la bataille de Waterloo, et j'en ai été tellement satisfait, que je l'ai traduit en français et en italien.
Après le dîner, le prince adressa au voyageur de nombreuses questions sur l'orient, sur son état actuel, sur le caractère de ses habitants.
- Quel souvenir a-t-on conservé de mon père en Egypte ? demanda-t-il.
- On s'en souvient comme d'un météore qui a passé sur ce pays en l'éblouissant.
- Vous me parlez là, monsieur, repartit le duc, des hommes à idées supérieures, de Méhémet-Ali, d'Ibrahim Pacha ; mais, moi, je vous parle du peuple, des Turcs, des Arabes, des fellahs, et je vous demande ce que tous ces gens-là pensent du général Bonaparte. Ayant eu à supporter les malheurs de la guerre, n'en ont-ils pas conservé un profond ressentiment ?
- Oui sans doute... D'abord, il y a eu inimitié ; mais plus tard, cette inimitié a fait place à d'autres sentiments, et il n'est resté pour le souvenir de votre illustre père qu'une grande admiration. La haine qui existe entre les Turcs et les Arabes est telle, qu'aujourd'hui le mal présent a totalement effacé la mémoire du mal qu'on a eu à subir à une autre époque.
- Je connais cette explication, dit le duc ; mais, en général, la multitude considère un grand homme à la manière dont elle regarde un beau tableau, sans pouvoir se rendre compte de ce qui en constitue le mérite : aussi les traces qu'il laisse dans sa mémoire doivent-elles être éphémères ; il n'y a que les esprits supérieurs qui puissent apprécier les grands hommes, et conserver leur souvenir.
- Cette fois, vous vous trompez, monseigneur : c'est le peuple qui est fidèle à sa religion. Les grands hommes sont des dieux qui n'admettent pas d'autres divinités, ou qui les discutent avant de les admettre. Le peuple juge par sentiment, non par appréciation, et vote d'enthousiasme les immortalités.
Souvent aussi le duc de Reichstadt parlait des capitaines antiques ; parmi ceux-ci, il préférait César à Alexandre, Annibal à César.
Voici l'appréciation que, d'après lui, le chevalier de Prokesch nous a donnée du vainqueur de la Trébie, de Trasimène et de Cannes.
- C'est le plus beau génie militaire de l'Antiquité ; c'est l'homme le plus habile dans la stratégie de son époque. On lui reproche – qui cela, d'ailleurs ? des pédants de collège, des stratégistes de bibliothèque ! – de n'avoir pas su profiter des succès qu'il avait obtenus ; mais conçoit-on la différence qui eût existé entre Annibal chef d'un empire, disposant librement de ses ressources, et le simple général d'une république jalouse, d'un sénat composé de ses envieux, et d'esprits étroits, qui, par de honteux calculs, lui refusaient les moyens d'assurer le triomphe de ses armes ? Annibal a le mérite d'avoir formé Scipion à la victoire ; et l'un des plus grands phénomènes de l'Antiquité, c'est de voir ce général faire triompher si longtemps, par son génie, une nation de marchands d'un peuple de soldats.
Nous ne reprocherons à ces idées que d'être un peu alignées à la manière classique. Parlait-il ainsi, le fils de l'homme dont le style incohérent, marchant par enjambées de géant ou par bondissements de lion, éclatait surtout en images ?
- Oui, répondront M. de Montbel et M. le chevalier de Prokesch.
Alors, le style des lignes qu'on vient de lire nous explique ce qui suit :
- Vous avez un noble but devant vous, monseigneur, disait M. de Prokesch au jeune duc. L'Autriche est devenue votre patrie adoptive... Pauvre enfant ! qui se rappelait les Cosaques parce qu'ils l'avaient conduit hors de France ! L'Autriche est devenue votre patrie adoptive, et vous pouvez, par vos talents, vous préparer à lui rendre dans l'avenir d'immenses services !
- Je le sens comme vous, monsieur, répondit le duc de Reichstadt. Mes idées ne doivent pas se porter à troubler la France ; je ne veux pas être un aventurier, je ne veux pas surtout servir d'instrument et de jouet au libéralisme. Ce serait déjà pour moi le but d'une assez noble ambition, que de m'efforcer de marcher, un jour, sur les traces du prince Eugène de Savoie. Mais comment me préparer à un si grand rôle ? Comment atteindre à une semblable hauteur ? Je désire trouver autour de moi des hommes dont les talents et l'expérience me facilitent les moyens de fournir, s'il est possible, cette honorable carrière.
N'est-ce pas que ce n'est point là le style que vous eussiez supposé au fils de l'homme des proclamations de Marengo, des Pyramides et d'Austerlitz ! Il est vrai que, lorsque nous empruntons du Reichstadt à M. de Montbel, c'est traduit du carlisme, et que, quand nous en empruntons à M. de Prokesch, c'est traduit de l'autrichien.
La révolution de juillet arriva : elle eut son retentissement dans le monde entier.
Cette fois, les yeux de tout un parti se tournèrent vers Napoléon II ; et, chose étrange ! ce fut M. de Talleyrand qui se chargea d'être, à Vienne, l'organe de ce parti.
Il va sans dire que toutes les propositions furent repoussées.
C'est alors qu'une femme au coeur viril, Napoléon de famille, d'âme et de visage, essaya de réveiller dans l'esprit du jeune prince quelque chose de ce qu'Ulysse allait redemander à Achille, perdu parmi les filles de Déidamie.
Cette femme, c'était la comtesse Camerata, fille d'Elisa Bacciochi.
Elle arriva un jour à Vienne, et se logea à l'hôtel du Cygne, dans la rue de Carinthie. – C'était vers le commencement de novembre 1830.
Un soir, en rentrant chez M. d'Obenaus, son gouverneur, le duc de Reichstadt trouva sur le palier de l'escalier une jeune femme qui l'attendait, enveloppée d'un manteau écossais. Dès qu'elle aperçut le duc, cette jeune femme s'avança vivement vers lui, lui prit la main, la serra, puis la porta à ses lèvres avec l'expression de la plus vive tendresse.
Le prince s'arrêta tout étourdi.
- Madame, demanda M. d'Obenaus, qui accompagnait le duc de Reichstadt, que faites-vous, et quelle est votre intention ?
- Qui me refusera, s'écria l'inconnue, de baiser la main du fils de mon souverain ?
Et elle disparut.
Quelques jours après, le duc trouva sur sa table une lettre d'une écriture inconnue ; il l'ouvrit.
Elle était datée du 17 novembre, et contenait les lignes suivantes :

« Prince,
Je vous écris pour la troisième fois. Dites-moi si vous avez reçu mes lettres, et si vous voulez agir en archiduc autrichien ou en prince français. Dans le premier cas, livrez mes lettres : en me perdant, vous acquerrez une position plus élevée, et cet acte de dévouement vous sera attribué à gloire. Mais, si, au contraire, vous voulez profiter de mes avis, si vous agissez en homme, vous verrez combien les obstacles cèdent devant une volonté calme et forte. Vous trouverez mille moyens de me parler, que, seule, je ne puis embrasser. Vous ne pouvez avoir d'espoir qu'en vous : que l'idée de vous confier à quelqu'un ne se présente même pas à votre pensée ! Sachez que, si je demandais à vous voir même devant cent témoins, ma demande serait refusée ; sachez que vous êtes mort pour tout ce qui est français, pour votre famille. Au nom des horribles tourments auxquels les rois de l'Europe ont condamné votre père ; en pensant à cette agonie de banni par laquelle ils lui ont fait expier le crime d'avoir été trop généreux envers eux, songez que vous êtes son fils, que ses regards mourants se sont arrêtés sur votre image ; pénétrez-vous de tant d'horreurs, et ne leur imposez d'autre supplice que de vous voir assis sur le trône de France ! Profitez de ce moment, prince !... J'ai peut-être trop dit : mon sort est entre vos mains, et je puis vous dire que, si vous vous servez de mes lettres pour me perdre, l'idée de votre lâcheté me fera plus souffrir que tout ce que l'on pourra me faire endurer !
L'homme qui vous remettra cette lettre se chargera aussi de votre réponse. Si vous avez de l'honneur, vous ne m'en refuserez pas une. »
                    Napoleone Camerata.

Cette lettre effraya fort le jeune prince : c'était une mise en demeure claire, nette, positive. « Etes-vous archiduc autrichien ou prince francais ? » Là était la question.
Le duc s'ouvrit de cet événement et de l'inquiétude qu'il lui causait au chevalier de Prokesch.
- Vous comprenez bien, lui dit-il, que je ne prendrai pas pour guide de ma conduite et pour garant de mon avenir des personnes d'un caractère aussi exalté ; mais je me trouve dans un embarras véritable. Il est dans mes sentiments envers l'empereur quand le duc de Reichstadt parle de l'empereur, c'est toujours de l'empereur François II qu'il parle, il est dans mes sentiments envers l'empereur, comme dans la dignité de ma situation, de ne lui cacher ni mes peines, ni mes démarches ; lui taire cette circonstance me semblerait un tort vis-à-vis de lui. D'un autre côté, je ne voudrais pas nuire à la comtesse ; elle manque de prudence, mais elle a droit à mes égards... D'ailleurs, c'est une femme. Cependant, mon premier devoir est envers l'empereur... – Ne pourriez-vous pas aller, de ma part, trouver le comte de Dietrichstein, lui confier ce qui se passe, en lui demandant de tout arranger, de manière que la comtesse Camerata n'éprouve aucune persécution, aucun désagrément, et qu'on ne la force pas à s'éloigner de Vienne ?
Après avoir attentivement examiné cette affaire, le chevalier de Prokesch approuva la résolution du prince, et se chargea volontiers de la mission que lui avait confiée Son Altesse.
Le lendemain, il reçut un billet qui contenait les lignes suivantes :

« Depuis que je vous ai vu, j'ai reçu une nouvelle lettre de la comtesse Camerata. C'est le valet de chambre d'Obenaus qui avait mis sur la table la première, que je vous ai confiée ; renvoyez-la-moi : il est convenable et nécessaire que j'en parle à Obenaus. J'arrangerai les choses, de manière à éviter toute tracasserie et tout scandale ; mais je ne veux pas répondre. Qu'il ne soit plus question de cela.
J'espère vous revoir à six heures pour reprendre nos lectures. »
                    François de Reichstadt.

La comtesse Camerata, quoiqu'elle n'eût point reçu de réponse, ne se tint pas pour battue. Au risque de ce qui pouvait lui arriver, elle resta encore trois semaines à Vienne, se trouvant partout sur le chemin du prince, au théâtre, au Prater, à Schnbrunn.
Jamais le duc de Reichstadt ne fit mine de la connaître ! Lassée de ce mutisme, elle partit enfin pour Prague.
La conduite du prince eut sa récompense : dans le même mois, l'empereur – l'empereur François II, toujours – le nomma lieutenant-colonel ; mais, comme si le destin eût voulu lui faire comprendre qu'il devait être César ou rien, aut Caesar, aut nihil, dès les premiers commandements qu'il essaya de formuler, sa voix s'enroua, et il lui fallut discontinuer son service. Une toux fréquente succéda à son enrouement. Le prince était malade de la maladie dont il devait mourir.
Ecoutons ce qu'en dit le médecin lui-même, le docteur Malfatti : « Je fus appelé par le duc de Reichstadt, avec le titre de son médecin ordinaire, dans le mois de mai 1830. Je succédais à trois hommes d'une haute réputation : le célèbre Franck, les docteurs Golis et Standenheimer. M. de Herbeck avait rempli près du prince les fonctions de chirurgien ordinaire. Ces médecins n'avaient pas laissé de journal de la santé du jeune duc. M. le comte de Dietrichstein eut la bonté d'y suppléer en m'instruisant de beaucoup de détails qu'il était indispensable de connaître.
« Le prince mangeait très peu et sans appétit ; son estomac semblait trop faible pour supporter la nourriture qu'aurait exigée sa croissance, singulièrement rapide et même effrayante : à l'âge de dix-sept ans, il avait atteint la taille de cinq pieds trois pouces ! De légers maux de gorge le faisaient souffrir de temps en temps ; il était sujet à une sorte de toux habituelle et à une journalière excrétion de mucosités. Le docteur Standenheimer avait déjà manifesté de vives inquiétudes sur la prédisposition du prince à la phtisie de la trachée-artère. Je pris connaissance des prescriptions qui avaient été décidées contre ces symptômes inquiétants.
« La connaissance personnelle que j'avais d'une disposition morbifique héréditaire dans la famille de Napoléon dirigea mes premières recherches, et je m'assurai de l'existence d'une affection cutanée herpes farinaceum. Je ne pus approuver l'usage des bains froids et de la natation, que le chirurgien, M. de Herbeck, avait aussi combattus, peut-être par suite seulement de la connaissance qu'il avait acquise de la faible organisation de la poitrine du prince. Dans le but de réagir sur le système cutané, j'employai avec succès les bains muriatiques et les eaux de Seltz coupées avec du lait. Le prince devait passer à l'état militaire dans l'automne suivant ; c'est là que tendaient ses voeux, que se concentraient tous ses désirs. Il avait déjà obtenu l'autorisation tant sollicitée. Je ne me recommandai pas à ses bonnes grâces, comme vous pouvez l'imaginer, lorsque je m'opposai formellement à ce changement de vie. J'en développai les raisons à ses augustes parents dans un mémoire que je leur adressai le 15 juillet 1830. J'établissais que, dans l'état de croissance excessive en disproportion avec le peu de développement des organes, dans la disposition générale de faiblesse, particulièrement de la poitrine, toute maladie accessoire pourrait devenir extrêmement dangereuse, soit dans le présent, soit dans l'avenir, et que, par suite, il était indispensable de mettre le prince à l'abri de toutes les influences atmosphériques, de tous les efforts de voix auxquels il serait continuellement exposé dans le service militaire.
« Mon mémoire fut accueilli par l'empereur : l'entrée au service militaire fut ajournée pour six mois. A la suite de soins assidus et de révulsions artificielles, les symptômes inquiétants se mitigèrent d'une manière visible. L'hiver se passa heureusement ; mais la croissance continuait encore.
« Au printemps de l'année 1831, le prince fit son entrée dans la carrière des armes. Dès ce moment, il rejeta tous mes conseils ; je ne fus plus que spectateur d'un zèle sans mesure, d'un emportement hors des limites pour ses nouveaux exercices. Il crut ne devoir écouter désormais que sa passion, qui entraînait son faible corps à des privations et à des fatigues absolument au-dessus de ses forces. Il eût regardé comme une honte, comme une lâcheté de se plaindre sous les armes. D'ailleurs, j'avais toujours à ses yeux le tort grave d'avoir retardé sa carrière militaire ; il paraissait redouter que mes observations ne vinssent encore l'interrompre. Aussi, quoiqu'il me traitât avec une extrême bienveillance dans les relations sociales, comme médecin, il ne me dit plus un seul mot de vérité. Il me fut impossible de le déterminer à reprendre l'usage des bains muriatiques et des eaux minérales, qui lui avaient été si utiles l'année précédente. Le temps lui manquait, me disait-il. Plusieurs fois, je le surpris, à la caserne, dans un état d'extrême fatigue. Un jour, entre autres, je le trouvai couché sur un canapé, épuisé de forces, exténué. Ne pouvant me nier alors l'état pénible où je le voyais réduit :
« - J'en veux, me dit-il, à ce misérable corps, qui ne peut pas suivre la volonté de mon âme !
« - Il est fâcheux, en effet, lui répondis-je, que Votre Altesse n'ait pas la faculté de changer de corps comme elle change de chevaux, lorsqu'elle les a fatigués. Mais, je vous en conjure, monseigneur, faites attention que vous avez une âme de fer dans un corps de cristal, et que l'abus de la volonté ne peut que vous devenir funeste.
« Sa vie était alors comme un véritable procédé de combustion. Il dormait à peine pendant quatre heures, quoique naturellement il eût besoin d'un long sommeil ; il ne mangeait presque pas ; son existence était entièrement concentrée dans les mouvements du manège et de tous les exercices militaires. Il ne connaissait plus le repos ; sa croissance en longueur ne s'arrêtait pas ; il maigrissait graduellement, et son teint prenait une couleur livide. A toutes mes questions, il répondait toujours :
« - Je me porte parfaitement bien !
« Dans le mois d'août, il fut atteint d'une forte fièvre catarrhale ; tout ce que je pus obtenir, ce fut de lui faire garder le lit et la chambre pendant un jour. Nous conférâmes avec le général comte Hartmann de la nécessité de mettre un terme à un régime aussi dangereux pour cette frêle existence. Vous vous rappelez l'époque funeste de l'invasion du choléra à Vienne, les malheurs qui signalèrent la première irruption de ce fléau, la généreuse conduite des habitants de Vienne, les sages précautions des administrateurs, les secours, les exemples que donnèrent l'empereur et les membres de la famille impériale, inaccessibles à la crainte qu'inspira cette maladie à son apparition. Le duc de Reichstudt ne voulait pas se séparer des soldats et s'éloigner de leur caserne ; l'empereur ne pouvait qu'apprécier ce sentiment, conforme à ses idées sur les devoirs d'un prince ; mais, pour nous, il y avait un devoir sacré et pressant : c'était de sauver ce jeune homme d'une position qui tendait évidemment à le détruire. Je fis, à cet égard, un exposé de tous les dangers imminents qu'il fallait conjurer par un prompt changement de régime et par un repos absolu ; dans une situation aussi critique, la moindre attaque du mal régnant devait être mortelle. Le comte Hartmann se chargea de présenter ce rapport à l'empereur, qui me fit transmettre l'ordre de venir le lui répéter textuellement, en présence du duc de Reichstadt, à l'issue de la revue militaire qu'il devait passer le lendemain sur le Schmolz, près de Vienne. Je me rendis exactement, à l'heure indiquée, sur ce champ de manoeuvres, où l'empereur, se mêlant aux troupes et au peuple, voulait ainsi rassurer, par son exemple, contre les terreurs de la contagion. Quand la revue fut terminée, je m'approchai de Sa Majesté, et je lui répétai mon rapport.
« L'empereur, s'adressant alors au jeune prince, lui dit :
« - Vous venez d'entendre le docteur Malfatti... Vous vous rendrez immédiatement à Schnbrunn.
« Le duc s'inclina respectueusement en signe d'obéissance ; mais, en se relevant, il me lança un regard d'indignation.
« - C'est donc vous qui me mettez aux arrêts ? me dit-il avec un accent de colère.
« Et il s'éloigna rapidement. »
Mais il n'en fut pas moins forcé d'obéir aux ordres de l'empereur, et c'est ce que voulait le docteur Maltatti.

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