Le Collier de la Reine Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre XL
La tentatrice

Madame de La Motte avait repris son poste ; à l'écart comme une femme modeste, debout et attentive comme une femme à qui l'on a permis de rester et d'écouter.

Messieurs Bœhmer et Bossange, en habits de cérémonie, se présentèrent à l'audience de la souveraine. Ils multiplièrent leurs saluts jusqu'au fauteuil de Marie-Antoinette.

– Des joailliers, dit-elle soudain, ne viennent ici que pour parler joyaux. Vous tombez mal, messieurs.

Monsieur Bœhmer prit la parole : c'était l'orateur de l'association.

– Madame, répliqua-t-il, nous ne venons point offrir des marchandises à Votre Majesté, nous craindrions d'être indiscrets.

– Oh ! fit la reine, qui se repentait déjà d'avoir témoigné trop de courage, voir des joyaux, ce n'est pas en acheter.

– Sans doute, madame, continua Bœhmer en cherchant le fil de sa phrase ; mais nous venons pour accomplir un devoir, et cela nous a enhardis.

– Un devoir... fit la reine avec étonnement.

– Il s'agit encore de ce beau collier de diamants que Votre Majesté n'a pas daigné prendre.

– Ah ! bien... le collier... Nous y voilà revenus ! s'écria Marie-Antoinette en riant.

Bœhmer demeura sérieux.

– Le fait est qu'il était beau, monsieur Bœhmer, poursuivit la reine.

– Si beau, madame, dit Bossange timidement, que Votre Majesté seule était digne de le porter.

– Ce qui me console, fit Marie-Antoinette avec un léger soupir qui n'échappa point à madame de La Motte, ce qui me console, c'est qu'il coûtait... un million et demi, n'est-ce pas, monsieur Bœhmer ?

– Oui, Votre Majesté.

– Et que, continua la reine, en cet aimable temps où nous vivons, quand les cœurs des peuples se sont refroidis comme le soleil de Dieu, il n'est plus de souverain qui puisse acheter un collier de diamants quinze cent mille livres.

– Quinze cent mille livres ! répéta comme un écho fidèle madame de La Motte.

– En sorte que, messieurs, ce que je n'ai pu, ce que je n'ai pas dû acheter, personne ne l'aura... Vous me répondrez que les morceaux en sont bons. C'est vrai ; mais je n'envierai à personne deux ou trois diamants ; j'en pourrais envier soixante.

La reine se frotta les mains avec une sorte de satisfaction dans laquelle entrait pour quelque chose le désir de narguer un peu messieurs Bœhmer et Bossange.

– Voilà justement en quoi Votre Majesté fait erreur, dit Bœhmer, et voilà aussi de quelle nature est le devoir que nous venions accomplir auprès d'elle : le collier est vendu.

– Vendu ! s'écria la reine en se retournant.

– Vendu ! dit madame de La Motte, à qui le mouvement de sa protectrice inspira de l'inquiétude pour sa prétendue abnégation.

– à qui donc ? reprit la reine.

– Ah ! madame, ceci est un secret d'état.

– Un secret d'état ! Bon, nous en pouvons rire, s'exclama joyeusement Marie-Antoinette. Ce qu'on ne dit pas, souvent, c'est qu'on ne pourrait le dire, n'est-ce pas, Bœhmer ?

– Madame.

– Oh ! les secrets d'état ; mais cela nous est familier à nous autres. Prenez garde, Bœhmer, si vous ne me donnez pas le vôtre, je vous le ferai voler par un employé de monsieur de Crosne.

Et elle se mit à rire de bon cœur, manifestant sans voile son opinion sur le prétendu secret qui empêchait Bœhmer et Bossange de révéler le nom des acquéreurs du collier.

– Avec Votre Majesté, dit gravement Bœhmer, on ne se comporte pas comme avec d'autres clients ; nous sommes venus dire à Votre Majesté que le collier était vendu, parce qu'il est vendu, et nous avons dû taire le nom de l'acquéreur, parce qu'en effet l'acquisition s'est faite secrètement, à la suite du voyage d'un ambassadeur envoyé incognito.

La reine, à ce mot ambassadeur, fut prise d'un nouvel accès d'hilarité. Elle se tourna vers madame de La Motte en lui disant :

– Ce qu'il y a d'admirable dans Bœhmer, c'est qu'il est capable de croire ce qu'il vient de me dire. Voyons, Bœhmer, seulement le pays d'où vient cet ambassadeur ?... Non, c'est trop, fit-elle en riant... la première lettre de son nom ? voilà tout...

Et lancée dans le rire, elle ne s'arrêta plus.

– C'est monsieur l'ambassadeur de Portugal, dit Bœhmer en baissant la voix, comme pour sauver au moins son secret des oreilles de madame de La Motte.

à cette articulation si positive, si nette, la reine s'arrêta tout à coup.

– Un ambassadeur de Portugal ! dit-elle ; il n'y en a pas ici, Bœhmer.

– Il en est venu un exprès, madame.

– Chez vous... incognito ?

– Oui, madame.

– Qui donc ?

– Monsieur de Souza.

La reine ne répliqua pas. Elle balança un moment sa tête ; puis, en femme qui a pris son parti :

– Eh bien ! dit-elle, tant mieux pour Sa Majesté la reine de Portugal ; les diamants sont beaux. N'en parlons plus.

– Madame, au contraire ; Votre Majesté daignera me permettre d'en parler... Nous permettre, dit Bœhmer en regardant son associé.

Bossange salua.

– Les connaissez-vous, ces diamants, comtesse ? s'écria la reine avec un regard à l'adresse de Jeanne.

– Non, madame.

– De beaux diamants !... C'est dommage que ces messieurs ne les aient point apportés.

– Les voici, fit Bossange avec empressement.

Et il tira du fond de son chapeau, qu'il portait sous son bras, la petite boîte plate qui renfermait cette parure.

– Voyez, voyez, comtesse, vous êtes femme, cela vous amusera, dit la reine.

Et elle s'écarta un peu du guéridon de Sèvres sur lequel Bœhmer venait d'étaler avec art le collier, de façon que le jour, en frappant les pierres, en fît jaillir les feux d'un plus grand nombre de facettes.

Jeanne poussa un cri d'admiration. Et de fait, rien n'était plus beau ; on eût dit une langue de feux, tantôt verts et rouges, tantôt blancs comme la lumière elle-même. Bœhmer faisait osciller l'écrin et ruisseler les merveilles de ces flammes liquides.

– Admirable ! admirable ! s'écria Jeanne en proie au délire d'une admiration enthousiaste.

– Quinze cent mille livres qui tiendraient dans le creux de la main, répliqua la reine avec l'affectation d'un flegme philosophique que monsieur Rousseau de Genève eût déployé en pareille circonstance.

Mais Jeanne vit autre chose dans ce dédain que le dédain lui-même, car elle ne perdit pas l'espoir de convaincre la reine, et après un long examen :

– Monsieur le joaillier avait raison, dit-elle ; il n'y a au monde qu'une reine digne de porter ce collier, c'est Votre Majesté.

– Cependant, Ma Majesté ne le portera pas, répliqua Marie-Antoinette.

– Nous n'avons pas dû le laisser sortir de France, madame, sans venir déposer aux pieds de Votre Majesté tous nos regrets. C'est un joyau que toute l'Europe connaît maintenant et qu'on se dispute. Que telle ou telle souveraine s'en pare au refus de la reine de France, notre orgueil national le permettra, quand vous, madame, vous aurez encore une fois, définitivement, irrévocablement refusé.

– Mon refus a été prononcé, répondit la reine. Il a été public. On m'a trop louée pour que je m'en repente.

– Oh ! madame, dit Bœhmer, si le peuple a trouvé beau que Votre Majesté préférât un vaisseau à un collier, la noblesse, qui est française aussi, n'aurait pas trouvé surprenant que la reine de France achetât un collier après avoir acheté un vaisseau.

– Ne parlons plus de cela, fit Marie-Antoinette en jetant un dernier regard à l'écrin.

Jeanne soupira, pour aider le soupir de la reine.

– Ah ! vous soupirez, vous, comtesse. Si vous étiez à ma place, vous feriez comme moi.

– Je ne sais pas, murmura Jeanne.

– Avez-vous bien regardé ? se hâta de dire la reine.

– Je regarderais toujours, madame.

– Laissez cette curieuse, messieurs ; elle admire. Cela n'ôte rien aux diamants ; ils valent toujours quinze cent mille livres, malheureusement.

Ce mot-là sembla une occasion favorable à la comtesse.

La reine regrettait, donc elle avait eu envie. Elle avait eu envie, donc elle devait désirer encore, n'ayant pas été satisfaite. Telle était la logique de Jeanne, il faut le croire, puisqu'elle ajouta :

– Quinze cent mille livres, madame, qui, à votre col, feraient mourir de jalousie toutes les femmes, fussent-elles Cléopâtre, fussent-elles Vénus.

Et, saisissant dans l'écrin le royal collier, elle l'agrafa si habilement, si prestidigieusement sur la peau satinée de Marie-Antoinette, que celle-ci se trouva en un clin d'œil inondée de phosphore et de chatoyantes couleurs.

– Oh ! Votre Majesté est sublime ainsi, dit Jeanne.

Marie-Antoinette s'approcha vivement d'un miroir : elle éblouissait.

Son col fin et souple autant que celui de Jeanne Gray, ce col mignon comme le tube d'un lis, destiné comme la fleur de Virgile à tomber sous le fer, s'élevait gracieusement avec ses boucles dorées et frisées du sein de ce flot lumineux.

Jeanne avait osé découvrir les épaules de la reine, en sorte que les derniers rangs du collier tombaient sur sa poitrine de nacre. La reine était radieuse, la femme était superbe. Amants ou sujets, tout se fût prosterné.

Marie-Antoinette s'oublia jusqu'à s'admirer ainsi. Puis, saisie de crainte, elle voulut arracher le collier de ses épaules.

– Assez, dit-elle, assez !

– Il a touché Votre Majesté, s'écria Bœhmer, il ne peut plus convenir à personne.

– Impossible, répliqua fermement la reine. Messieurs, j'ai un peu joué avec ces diamants, mais prolonger le jeu, ce serait une faute.

– Votre Majesté a tout le temps nécessaire pour s'accoutumer à cette idée, glissa Bœhmer à la reine ; demain nous reviendrons.

– Payer tard, c'est toujours payer. Et puis, pourquoi payer tard ? Vous êtes pressés. On vous paie sans doute plus avantageusement.

– Oui, Votre Majesté, comptant, riposta le marchand redevenu marchand.

– Prenez ! prenez ! s'écria la reine ; dans l'écrin les diamants. Vite ! vite !

– Votre Majesté oublie peut-être qu'un pareil joyau, c'est de l'argent, et que dans cent ans le collier vaudra toujours ce qu'il vaut aujourd'hui.

– Donnez-moi quinze cent mille livres, comtesse, répliqua en souriant forcément la reine, et nous verrons.

– Si je les avais, s'écria celle-ci ; oh...

Elle se tut. Les longues phrases ne valent pas toujours une heureuse réticence.

Bœhmer et Bossange eurent beau mettre un quart d'heure à serrer, à cadenasser leurs diamants, la reine ne bougea plus.

On voyait à son air affecté, à son silence, que l'impression avait été vive, la lutte pénible.

Selon son habitude, dans les moments de dépit, elle allongea les mains vers un livre, dont elle feuilleta quelques pages sans lire.

Les joailliers prirent congé en disant :

– Votre Majesté a refusé ?

– Oui... et oui, soupira la reine, qui, cette fois, soupira pour tout le monde.

Ils sortirent.

Jeanne vit que le pied de Marie-Antoinette s'agitait au-dessus du coussin de velours dans lequel son empreinte était marquée encore.

Elle souffre, pensa la comtesse immobile.

Tout à coup la reine se leva, fit un tour dans sa chambre, et s'arrêtant devant Jeanne dont le regard la fascinait :

– Comtesse, dit-elle d'une voix brève, il paraît que le roi ne viendra pas. Notre petite supplique est remise à une prochaine audience.

Jeanne salua respectueusement et se recula jusqu'à la porte.

– Mais je penserai à vous, ajouta la reine avec bonté.

Jeanne appuya ses lèvres sur sa main, comme si elle y déposait son cœur, et sortit, laissant Marie-Antoinette toute possédée de chagrins et de vertiges.

«Les chagrins de l'impuissance, les vertiges du désir, se dit Jeanne. Et elle est la reine ! Oh ! non ! elle est femme ! »

La comtesse disparut.

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