Le Collier de la Reine Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre LXXVII
Explications

Nous l'avons dit, la reine et le cardinal se trouvaient enfin face à face. Charny, dans le cabinet, pouvait entendre jusqu'à la moindre parole des interlocuteurs, et les explications si impatiemment attendues des deux parts allaient enfin avoir lieu.

– Madame, dit le cardinal en s'inclinant, vous savez ce qui se passe au sujet de notre collier ?

– Non, monsieur, je ne le sais pas, et je suis aise de l'apprendre de vous.

– Pourquoi Votre Majesté me réduit-elle depuis si longtemps à ne plus communiquer avec elle que par intermédiaire ? Pourquoi, si elle a quelque sujet de me haïr, ne me le témoigne-t-elle pas en me l'expliquant ?

– Je ne sais ce que vous voulez dire, monsieur le cardinal, et je n'ai aucun sujet de vous haïr ; mais là n'est pas, je crois, l'objet de notre entretien. Veuillez donc me donner sur ce malheureux collier un renseignement positif, et d'abord où est madame de La Motte ?

– J'allais le demander à Votre Majesté.

– Pardon, mais si quelqu'un peut savoir où est madame de La Motte, c'est vous, je pense.

– Moi, madame, à quel titre ?

– Oh ! je ne suis pas ici pour recevoir vos confessions, monsieur le cardinal, j'ai eu besoin de parler à madame de La Motte, je l'ai fait appeler, on l'a cherchée chez elle à dix reprises : elle n'a rien répondu. Cette disparition est étrange, vous m'avouerez.

– Et moi aussi, madame, je m'étonne de cette disparition, car j'ai fait prier madame de La Motte de me venir voir ; elle n'a pas plus répondu à moi qu'à Votre Majesté.

– Alors, laissons là la comtesse, monsieur, et parlons de nous.

– Oh ! non, madame, parlons d'elle tout d'abord, car certaines paroles de Votre Majesté m'ont jeté dans un douloureux soupçon, il me semble que Votre Majesté me reprochait des assiduités auprès de la comtesse.

– Je ne vous ai encore rien reproché du tout, monsieur, mais patience.

– Oh ! madame, c'est qu'un pareil soupçon m'expliquerait toutes les susceptibilités de votre âme, et, alors, je comprendrais, tout en me désespérant, la rigueur jusque-là inexplicable dont vous avez usé vis-à-vis de moi.

– Voilà où nous cessons de nous comprendre, dit la reine ; vous êtes d'une obscurité impénétrable, et ce n'est pas pour nous embrouiller davantage que je vous demande des explications. Au fait ! au fait !

– Madame, s'écria le cardinal en joignant les mains et en se rapprochant de la reine, faites-moi la grâce de ne pas changer la conversation : deux mots de plus sur le sujet que nous traitions tout à l'heure, et nous nous fussions entendus.

– En vérité, monsieur, vous parlez une langue que je ne sais pas ; reprenons le français, je vous prie. Où est ce collier que j'ai rendu aux joailliers ?

– Le collier que vous avez rendu ! s'écria monsieur de Rohan.

– Oui, qu'en avez-vous fait ?

– Moi ! mais je ne sais pas, madame.

– Voyons, il y a une chose toute simple ; madame de La Motte a pris ce collier, l'a rendu en mon nom ; les joailliers prétendent qu'ils ne l'ont pas repris. J'ai dans les mains un reçu qui prouve le contraire ; les joailliers disent que le reçu est faux. Madame de La Motte pourrait d'un mot expliquer tout... Elle ne se trouve pas, eh bien ! laissez-moi mettre des suppositions à la place des faits obscurs. Madame de La Motte a voulu rendre le collier. Vous, dont ce fut toujours la manie, bienveillante sans doute, de me faire acheter ce collier, vous qui me l'avez apporté avec l'offre de payer pour moi, offre...

– Que Votre Majesté a refusée bien durement, dit le cardinal avec un soupir.

– Eh bien ! oui, vous avez persévéré dans cette idée fixe que je restasse en possession du collier, et vous ne l'aurez pas rendu aux joailliers pour me le faire reprendre dans une occasion quelconque. Madame de La Motte a été faible, elle qui savait mes répugnances, l'impossibilité où j'étais de payer, la résolution immuable que j'avais prise de ne pas avoir ce collier sans argent ; madame de La Motte a conspiré avec vous par zèle pour moi, et aujourd'hui elle craint ma colère et ne se présente pas. Est-ce cela ? Ai-je reconstruit l'affaire au milieu des ténèbres, dites-moi, oui. Laissez-vous reprocher cette légèreté, cette désobéissance à mes ordres formels, vous en serez quitte pour une réprimande, et tout sera fini. Je fais plus, je vous promets le pardon de madame de La Motte, qu'elle sorte de sa pénitence. Mais, par grâce ! de la clarté, de la clarté, monsieur, je ne veux pas en ce moment qu'il plane une ombre sur ma vie ; je ne le veux pas, entendez-vous.

La reine avait prononcé ces paroles avec une telle vivacité, elle les avait accentuées si vigoureusement, que le cardinal n'avait ni osé, ni pu l'interrompre, mais aussitôt qu'elle eut cessé :

– Madame, dit-il en étouffant un soupir, je vais répondre à toutes vos suppositions. Non, je n'ai pas persévéré dans l'idée que vous deviez avoir le collier, attendu que j'étais assuré qu'il était en vos mains. Non, je n'ai en rien conspiré avec madame de La Motte au sujet de ce collier. Non, je ne l'ai pas plus que les joailliers ne l'ont, que vous ne dites l'avoir vous-même.

– Il n'est pas possible, s'écria la reine avec stupeur ; vous n'avez pas le collier ?

– Non, madame.

– Vous n'avez pas conseillé à madame de La Motte de demeurer hors de tout ceci ?

– Non, madame.

– Ce n'est pas vous qui la cachez ?

– Non, madame.

– Vous ne savez pas ce qu'elle est devenue ?

– Pas plus que vous, madame.

– Mais alors, comment vous expliquez-vous ce qui arrive ?

– Madame, je suis forcé d'avouer que je ne l'explique pas. Au surplus, ce n'est pas la première fois que je me plains à la reine de ne pas être compris par elle.

– Quand donc cela, monsieur ? je ne me le rappelle pas.

– Soyez bonne, madame, dit le cardinal, et veuillez relire en idée mes lettres.

– Vos lettres ! dit la reine surprise. Vous m'avez écrit, vous ?

– Trop rarement, madame, pour tout ce que j'avais dans le cœur.

La reine se leva.

– Il me semble, dit-elle, que nous nous trompons l'un et l'autre ; finissons vite cette plaisanterie. Que parlez-vous de lettres ? Quelles lettres, et qu'avez-vous sur le cœur ou dans le cœur, je ne sais trop comment vous venez de dire cela ?

– Mon Dieu ! madame, je me suis peut-être laissé aller à dire trop haut le secret de mon âme.

– Quel secret ! êtes-vous dans votre bon sens, monsieur le cardinal ?

– Madame !

– Oh ! ne tergiversons pas ; vous parlez comme un homme qui veut me tendre un piège, ou qui veut m'embarrasser devant des témoins.

– Je vous jure, madame, que je n'ai rien dit... Y a-t-il vraiment quelqu'un qui écoute ?

– Non, monsieur, mille fois non, il n'y a personne, expliquez-vous donc, mais complètement, et si vous jouissez de votre raison, prouvez-le.

– Oh ! madame, pourquoi madame de La Motte n'est-elle pas là ? Elle m'aiderait, elle, notre amie, à réveiller, sinon l'attachement, du moins la mémoire de Votre Majesté.

– Notre amie ? mon attachement ? ma mémoire ? Je tombe des nues.

– Ah ! madame, je vous prie, dit le cardinal révolté par le ton aigre de la reine, épargnez-moi. Libre à vous de n'aimer plus, n'offensez pas.

– Ah ! mon Dieu ! s'écria la reine en pâlissant, ah ! mon Dieu !... que dit cet homme ?

– Très bien ! continua monsieur de Rohan, qui s'animait à mesure que la colère montait en bouillonnant, très bien ! Madame, je crois avoir été assez discret et assez réservé pour que vous ne me maltraitiez pas ; je ne vous reproche, d'ailleurs, que des griefs frivoles. J'ai le tort de me répéter. J'eusse dû savoir que quand une reine a dit : Je ne veux plus, c'est une loi aussi impérieuse que lorsqu'une femme a dit : Je veux !

La reine poussa un cri farouche, et saisit le cardinal par sa manche de dentelles.

– Dites vite, monsieur, dit-elle d'une voix tremblante. J'ai dit : Je ne veux plus, et j'avais dit : Je veux ! à qui ai-je dit l'un, à qui ai-je dit l'autre ?

– Mais à moi, tous les deux.

– à vous ?

– Oubliez que vous avez dit l'un, moi je n'oublie pas que vous avez dit l'autre.

– Vous êtes un misérable, monsieur de Rohan, vous êtes un menteur !

– Moi !

– Vous êtes un lâche, vous calomniez une femme.

– Moi !

– Vous êtes un traître ; vous insultez la reine.

– Et vous, vous êtes une femme sans cœur, une reine sans foi.

– Malheureux !

– Vous m'avez amené par degrés à prendre pour vous un fol amour. Vous m'avez laissé m'abreuver d'espérances.

– Des espérances ! Mon Dieu ! suis-je une folle ? Est-il un scélérat ?

– Est-ce moi qui aurais jamais osé vous demander les audiences nocturnes que vous m'accordâtes ?

La reine poussa un hurlement de rage auquel répondit un long soupir dans le boudoir.

– Est-ce moi, poursuivit monsieur de Rohan, qui aurais osé venir seul dans le parc de Versailles, si vous ne m'eussiez envoyé madame de La Motte ?

– Mon Dieu !

– Est-ce moi qui aurais osé voler la clef qui ouvre cette porte de la louveterie ?

– Mon Dieu !

– Est-ce moi qui aurais osé vous demander d'apporter la rose que voici ? Rose adorée ! rose maudite ! séchée, brûlée sous mes baisers !...

– Mon Dieu !

– Est-ce moi qui vous ai forcée de descendre le lendemain et de me donner vos deux mains, dont le parfum dévore incessamment mon cerveau et me rend fou. Vous avez raison de me le reprocher.

– Oh ! assez ! assez !

– Est-ce moi, enfin, qui, dans mon plus furieux orgueil, aurais jamais osé rêver cette troisième nuit au ciel blanc, aux doux silences, aux perfides amours.

– Monsieur ! monsieur ! cria la reine en reculant devant le cardinal, vous blasphémez !

– Mon Dieu ! répliqua le cardinal en levant les yeux au ciel, tu sais si pour continuer à être aimé de cette femme trompeuse, j'eusse donné mes biens, ma liberté, ma vie !

– Monsieur de Rohan, si vous voulez conserver tout cela, vous allez dire ici même que vous cherchez à me perdre ; que vous avez inventé toutes ces horreurs ; que vous n'êtes pas venu à Versailles la nuit...

– J'y suis venu, répliqua noblement le cardinal.

– Vous êtes mort si vous soutenez ce langage.

– Rohan ne ment pas. J'y suis venu.

– Monsieur de Rohan, monsieur de Rohan, au nom du ciel, dites que vous ne m'avez pas vue dans le parc...

– Je mourrai s'il le faut, comme vous m'en menaciez tout à l'heure, mais je n'ai vu que vous dans le parc de Versailles, où me conduisait madame de La Motte.

– Encore une fois ! s'écria la reine livide et tremblante, rétractez-vous ?

– Non !

– Une seconde fois, dites que vous avez tramé contre moi cette infamie ?

– Non !

– Une dernière fois, monsieur de Rohan, avouez-vous qu'on peut vous avoir trompé vous-même, que tout cela fut une calomnie, un rêve, l'impossible, je ne sais quoi ; mais avouez que je suis innocente, que je puis l'être ?

– Non !

La reine se redressa terrible et solennelle.

– Vous allez donc avoir affaire, dit-elle, à la justice du roi, puisque vous récusez la justice de Dieu.

Le cardinal s'inclina sans rien dire.

La reine sonna si violemment que plusieurs de ses femmes entrèrent à la fois.

– Qu'on prévienne Sa Majesté, dit-elle en essuyant ses lèvres, que je la prie de me faire l'honneur de passer chez moi.

Un officier partit pour exécuter cet ordre. Le cardinal, décidé à tout, demeura intrépidement dans un coin de la chambre.

Marie-Antoinette alla dix fois vers la porte du boudoir sans y entrer, comme si chaque fois, ayant perdu la raison, elle la retrouvait en face de cette porte.

Dix minutes ne s'étaient pas écoulées dans ce terrible jeu de scène, que le roi parut au seuil, la main dans son jabot de dentelles.

On voyait toujours, au plus profond du groupe, la mine effarée de Bœhmer et de Bossange qui flairaient l'orage.

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