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Chapitre LXXXI
La demande en mariage

La reine et Charny échangèrent un coup d'œil si plein d'effroi, que leur plus cruel ennemi eût eu pitié d'eux en ce moment.

Charny se releva lentement, et salua le roi avec un profond respect.

On voyait le cœur de Louis XVI battre violemment sous la dentelle de son jabot.

– Ah ! dit-il d'une voix sourde... monsieur de Charny !

Le comte ne répondit que par un nouveau salut.

La reine sentit qu'elle ne pouvait parler, et qu'elle était perdue.

Le roi continuant :

– Monsieur de Charny, fit-il avec une mesure incroyable, c'est peu honorable pour un gentilhomme d'être pris en flagrant délit de vol.

– De vol ! murmura Charny.

– De vol ! répéta la reine, qui croyait encore entendre siffler à ses oreilles ces horribles accusations touchant le collier, et qui supposa que le comte en allait être souillé comme elle.

– Oui, poursuivit le roi, s'agenouiller devant la femme d'un autre, c'est un vol ; et, quand cette femme est une reine, monsieur, on appelle ce crime lèse-majesté. Je vous ferai dire cela, monsieur de Charny, par mon garde des Sceaux.

Le comte allait parler ; il allait protester de son innocence, lorsque la reine, impatiente dans sa générosité, ne voulut pas souffrir qu'on accusât d'indignité l'homme qu'elle aimait ; elle lui vint en aide.

– Sire, dit-elle vivement, vous êtes, à ce qu'il me paraît, dans une voie de mauvais soupçons et de suppositions défavorables ; ces soupçons, ces préventions tombent à faux, je vous en avertis. Je vois que le respect enchaîne la langue du comte ; mais moi, qui connais le fond de son cœur, je ne le laisserai pas accuser sans le défendre.

Elle s'arrêta là, épuisée par son émotion, effrayée du mensonge qu'elle allait être forcée de trouver, éperdue enfin parce qu'elle ne le trouvait pas.

Mais cette hésitation, qui lui paraissait odieuse à elle, fier esprit de reine, c'était tout simplement le salut de la femme. En ces horribles rencontres, où souvent se jouent l'honneur, la vie de celle qu'on a surprise, une minute gagnée suffit pour sauver, comme une seconde perdue avait suffi pour perdre.

La reine, uniquement par instinct, avait saisi l'occasion du délai ; elle avait arrêté court le soupçon du roi ; elle avait égaré son esprit, elle avait raffermi celui du comte. Ces minutes décisives ont des ailes rapides sur lesquelles est emportée si loin la conviction d'un jaloux, qu'elle ne se retrouve presque jamais, si le démon protecteur des envieux d'amour ne la ramène sur les siennes.

– Me direz-vous, par hasard, répondit Louis XVI, tombant du rôle de roi au rôle de mari inquiet, que je n'ai pas vu monsieur de Charny agenouillé, là, devant vous, madame ? Or, pour s'agenouiller sans être relevé, il faut...

– Il faut, monsieur, dit sévèrement la reine, qu'un sujet de la reine de France ait une grâce à lui demander... C'est là, je crois, un cas assez fréquent à la cour.

– Une grâce à vous demander ! s'écria le roi.

– Et une grâce que je ne pouvais accorder, poursuivit la reine. Sans quoi, monsieur de Charny n'eût pas insisté, je vous jure, et je l'eusse relevé bien vite avec la joie d'accorder selon ses désirs à un gentilhomme dont je fais une estime particulière.

Charny respira. L'œil du roi était devenu indécis, son front se désarmait peu à peu de l'insolite menace que leur surprise y avait fait monter.

Pendant ce temps, Marie-Antoinette cherchait avec la rage d'être obligée de mentir, avec la douleur de ne rien trouver qui fût vraisemblable.

Elle avait cru, en s'avouant impuissante à accorder au comte la grâce qu'il sollicitait, enchaîner la curiosité du roi. Elle avait espéré que l'interrogatoire en resterait là. Elle se trompait : toute autre femme eût été plus habile en témoignant moins de raideur ; mais pour elle c'était un affreux supplice de mentir devant l'homme qu'elle aimait. Se montrer sous ce jour misérable et faux de la supercherie des comédies, c'était clore toutes ces faussetés, toutes ces ruses, tous ces manèges de l'intrigue du parc par un dénouement conséquent à leur infamie ; c'était presque s'en montrer coupable : c'était pire que la mort.

Elle hésita encore. Elle eût donné sa vie pour que Charny trouvât le mensonge ; mais lui, le loyal gentilhomme, il ne le pouvait, il n'y pensait même pas. Il craignait trop, dans sa délicatesse, de paraître même disposé à défendre l'honneur de la reine.

Ce que nous écrivons ici en beaucoup de lignes, en trop de lignes peut-être, bien que la situation soit féconde, une demi-minute suffit aux trois acteurs pour le ressentir et l'exprimer.

Marie-Antoinette attendait, suspendue aux lèvres du roi, la question qui enfin éclata.

– Voyons, madame, dites-moi quelle est cette grâce qui, vainement sollicitée par monsieur de Charny, l'a conduit à s'agenouiller devant vous ?

Et, comme pour adoucir la dureté de cette question soupçonneuse, le roi ajouta :

– Je serai peut-être plus heureux que vous, madame, et monsieur de Charny n'aura pas besoin de s'agenouiller devant moi.

– Sire, je vous ai dit que monsieur de Charny demandait une chose impossible.

– Laquelle au moins ?

« Que peut-on demander à genoux... se disait la reine ; que peut-on implorer de moi qu'il soit impossible d'accorder ?... Voyons ! voyons ! »

– J'attends, dit le roi.

– Sire, c'est que... la demande de monsieur de Charny est un secret de famille.

– Il n'y a pas de secret pour le roi ; maître dans son royaume, et père de famille intéressé à l'honneur, à la sûreté de tous ses sujets, qui sont ses enfants ; même, ajouta Louis XVI avec une dignité redoutable, même quand ces enfants dénaturés attaquent l'honneur et la sûreté de leur père.

La reine bondit sous cette dernière menace du danger.

– Monsieur de Charny, s'écria-t-elle, l'esprit troublé, la main tremblante, monsieur de Charny voulait obtenir de moi...

– Quoi donc, madame ?

– Une permission pour se marier.

– Vraiment ! s'écria le roi rassuré tout d'abord.

Puis, replongé dans sa jalouse inquiétude...

– Eh bien ! mais, dit-il, sans remarquer combien la pauvre femme souffrait d'avoir prononcé ces mots, combien Charny était pâle de la souffrance de la reine ; eh bien ! en quoi est-il donc impossible de marier monsieur de Charny ? Est-ce qu'il n'est pas d'une bonne noblesse ? Est-ce qu'il n'a pas une belle fortune ? Est-ce qu'il n'est pas brave et beau ? En vérité, mais pour ne pas lui donner accès dans une famille, ou pour le refuser si l'on est femme, il faut être princesse du sang ou mariée ; je ne vois que ces deux raisons qui constituent l'impossibilité. Ainsi, madame, dites-moi le nom de cette femme que voudrait épouser monsieur de Charny, et, si elle n'est ni dans l'un ni dans l'autre cas, je vous réponds que je lèverai la difficulté... pour vous plaire.

La reine, amenée par le péril toujours croissant, entraînée par la conséquence même du premier mensonge, reprit avec force :

– Non, monsieur, non ; il est des difficultés que vous ne pouvez pas vaincre. Celle qui nous occupe est de ce genre.

– Raison de plus pour que je sache quelle chose est impossible au roi, interrompit Louis XVI avec une sourde colère.

Charny regarda la reine, elle semblait près de chanceler. Il eût fait un pas vers elle ; le roi l'arrêta par son immobilité. De quel droit, lui, qui n'était rien pour cette femme, eût-il offert sa main ou son appui à celle que son roi et son époux abandonnait.

« Quelle est donc, se demandait-elle, la puissance contre laquelle le roi n'ait pas d'action ? Encore cette idée, encore ce secours, mon Dieu ! »

Tout à coup une lueur traversa son esprit.

– Ah ! Dieu lui-même m'envoie ce secours, murmura-t-elle. Celles qui appartiennent à Dieu ne lui peuvent être prises, même par le roi.

Alors, relevant la tête :

– Monsieur, dit-elle enfin au roi, celle que monsieur de Charny voudrait épouser est dans un couvent.

– Ah ! s'écria le roi, voilà une raison ; en effet, il est bien difficile d'enlever à Dieu son bien pour le donner aux hommes. Mais cela est étrange, que monsieur de Charny ait conçu de si subites amours : jamais nul ne m'en a parlé, jamais son oncle même, qui peut tout obtenir de moi. Quelle est cette femme que vous aimez, monsieur de Charny ? dites-le-moi, je vous prie.

La reine sentit une poignante douleur. Elle allait entendre un nom sortir de la bouche d'Olivier ; elle allait subir la torture de ce mensonge. Et qui sait si Charny n'allait pas révéler, soit un nom jadis aimé, souvenir encore saignant du passé, soit un nom, gerbe d'amour, espérance vague de l'avenir. Pour ne pas recevoir ce coup terrible, Marie-Antoinette prit l'avance ; elle s'écria tout à coup :

– Mais, sire, vous connaissez celle que monsieur de Charny demande en mariage, c'est... mademoiselle Andrée de Taverney.

Charny poussa un cri et cacha son visage dans ses deux mains.

La reine s'appuya la main sur le cœur, et alla tomber presque évanouie sur son fauteuil.

– Mademoiselle de Taverney ! répéta le roi, mademoiselle de Taverney, qui s'est retirée à Saint-Denis ?

– Oui, sire, articula faiblement la reine.

– Mais elle n'a pas fait de vœux, que je sache ?

– Mais elle doit en faire.

– Nous y mettrons une condition, dit le roi. Cependant, ajouta-t-il avec un dernier levain de défiance, pourquoi ferait-elle ses vœux ?

– Elle est pauvre, dit Marie-Antoinette ; vous n'avez enrichi que son père, ajouta-t-elle durement.

– C'est là un tort que je réparerai, madame ; monsieur de Charny l'aime...

La reine frémit et lança au jeune homme un regard avide, comme pour le supplier de nier.

Charny regarda fixement Marie-Antoinette, et ne répondit pas.

– Bien ! dit le roi, qui prit ce silence pour un respectueux assentiment ; et sans doute mademoiselle de Taverney aime monsieur de Charny ? Je doterai mademoiselle de Taverney, je lui donnerai les cinq cent mille livres que je dus refuser l'autre jour, pour vous, à monsieur de Calonne. Remerciez la reine, monsieur de Charny, de ce qu'elle a bien voulu me raconter cette affaire, et assurer le bonheur de votre vie.

Charny fit un pas en avant et s'inclina comme une pâle statue à qui Dieu, par un miracle, aurait un moment donné la vie.

– Oh ! cela vaut la peine que vous vous agenouilliez encore une fois, dit le roi avec cette légère nuance de raillerie vulgaire qui tempérait trop souvent en lui la noblesse traditionnelle de ses ancêtres.

La reine tressaillit, et tendit, par un mouvement spontané, ses deux mains au jeune homme. Il se mit à genoux devant elle, et déposa sur ses belles mains glacées un baiser dans lequel il suppliait Dieu de lui laisser exhaler son âme.

– Allons, dit le roi, laissons maintenant à madame le soin de vos affaires ; venez, monsieur, venez.

Et il passa devant très vite, de sorte que Charny put se retourner sur le seuil, et voir l'ineffable douleur de cet adieu éternel que lui envoyaient les yeux de la reine.

La porte se referma entre eux, barrière désormais infranchissable pour d'innocentes amours.

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