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Chapitre LXXXIX
La bibliothèque de la reine

On peut juger de l'effet que produisit cette capture sur monsieur de Crosne.

Les agents ne reçurent probablement pas le million qu'ils espéraient, mais il y a tout lieu de penser qu'ils furent satisfaits.

Quant au lieutenant de police, après s'être bien frotté les mains en signe de contentement, il se rendit à Versailles dans un carrosse, à la suite duquel venait un autre carrosse hermétiquement fermé et cadenassé.

C'était le lendemain du jour où le Positif et son ami avaient remis Nicole entre les mains du chef de la police.

Monsieur de Crosne fit entrer ses deux carrosses dans Trianon, descendit de celui qu'il occupait, et laissa l'autre à la garde de son premier commis.

Il se fit admettre chez la reine, à laquelle, tout d'abord, il avait envoyé demander une audience à Trianon.

La reine, qui n'avait garde, depuis un mois, de négliger tout ce qui lui arrivait de la part de la police obtempéra sur-le-champ à la demande du ministre ; elle vint, dès le matin, dans sa maison favorite, et peu accompagnée, en cas de secret nécessaire.

Dès que monsieur de Crosne eut été introduit près d'elle, à son air rayonnant elle jugea que les nouvelles étaient bonnes.

Pauvre femme ! depuis assez longtemps elle voyait autour d'elle des visages sombres et réservés.

Un battement de joie, le premier depuis trente mortels jours, agita son cœur blessé par tant d'émotions mortelles.

Le magistrat, après lui avoir baisé la main :

– Madame, dit-il, Sa Majesté a-t-elle à Trianon une salle où, sans être vue, elle puisse voir ce qui se passe ?

– J'ai ma bibliothèque, répondit la reine ; derrière les placards, j'ai fait ménager des jours dans mon salon de collation, et, quelquefois, en goûtant, je m'amusais, avec madame de Lamballe ou avec mademoiselle de Taverney, quand je l'avais, à regarder les grimaces comiques de l'abbé Vermond, lorsqu'il tombait sur un pamphlet où il était question de lui.

– Fort bien, madame, répondit monsieur de Crosne. Maintenant, j'ai en bas un carrosse que je voudrais faire entrer dans le château sans que le contenu du carrosse fût vu de personne, si ce n'est de Votre Majesté.

– Rien de plus aisé, répliqua la reine ; où est-il votre carrosse ?

– Dans la première cour, madame.

La reine sonna, quelqu'un vint prendre ses ordres.

– Faites entrer le carrosse que monsieur de Crosne vous désignera, dit-elle, dans le grand vestibule, et fermez les deux portes de telle sorte qu'il y fasse noir, et que personne ne voie avant moi les curiosités que monsieur de Crosne m'apporte.

L'ordre fut exécuté. On savait respecter bien plus que des ordres les caprices de la reine. Le carrosse entra sous la voûte près du logis des gardes, et versa son contenu dans le corridor sombre.

– Maintenant, madame, dit monsieur de Crosne, veuillez venir avec moi dans votre salon de collation, et donner ordre qu'on laisse entrer mon commis, avec ce qu'il apportera dans la bibliothèque.

Dix minutes après la reine épiait, palpitante, derrière ses casiers.

Elle vit entrer dans la bibliothèque une forme voilée, que dévoila le commis, et qui, reconnue, fit pousser un cri d'effroi à la reine. C'était Oliva, vêtue de l'un des costumes les plus aimés de Marie-Antoinette.

Elle avait la robe verte à larges bandes moirées noir, la coiffure élevée que préférait la reine, des bagues pareilles aux siennes, les mules de satin vert à talons énormes : c'était Marie-Antoinette elle-même, moins le sang des Césars, que remplaçait le fluide plébéien mobile de toutes les voluptés de monsieur Beausire.

La reine crut se voir dans une glace opposée ; elle dévora des yeux cette apparition.

– Que dit Votre Majesté de cette ressemblance ? fit alors monsieur de Crosne, triomphant de l'effet qu'il avait produit.

– Je dis... je dis... monsieur... balbutia la reine éperdue. Ah ! Olivier, pensa-t-elle, pourquoi n'êtes-vous pas là ?

– Que veut Votre Majesté ?

– Rien, monsieur, rien, sinon que le roi sache bien...

– Et que monsieur de Provence voie, n'est-ce pas, madame ?

– Oh ! merci, monsieur de Crosne, merci. Mais que fera-t-on à cette femme ?

– Est-ce bien à cette femme que l'on attribue tout ce qui s'est fait ? demanda monsieur de Crosne.

– Vous tenez sans doute les fils du complot ?

– à peu près, madame.

– Et monsieur de Rohan ?

– Monsieur de Rohan ne sait rien encore.

– Oh ! dit la reine en cachant sa tête dans ses mains, cette femme-là, monsieur, est, je le vois, toute l'erreur du cardinal !

– Soit, madame, mais si c'est l'erreur de monsieur de Rohan, c'est le crime d'un autre !

– Cherchez bien, monsieur ; vous avez l'honneur de la maison de France entre vos mains.

– Et croyez, madame, qu'il est bien placé, répondit monsieur de Crosne.

– Le procès ? fit la reine.

– Est en chemin. Partout on nie ; mais j'attends le bon moment pour lancer cette pièce de conviction que vous avez là dans votre bibliothèque.

– Et madame de La Motte ?

– Elle ne sait pas que j'ai trouvé cette fille, et accuse monsieur de Cagliostro d'avoir monté la tête au cardinal jusqu'à lui faire perdre la raison.

– Et monsieur de Cagliostro ?

– Monsieur de Cagliostro, que j'ai fait interroger, m'a promis de me venir voir ce matin même.

– C'est un homme dangereux.

– Ce sera un homme utile. Piqué par une vipère telle que madame de La Motte, il absorbera le venin, et nous rendra du contrepoison.

– Vous espérez des révélations ?

– J'en suis sûr.

– Comment cela, monsieur ? Oh ! dites-moi tout ce qui peut me rassurer.

– Voici mes raisons, madame : madame de La Motte habitait rue Saint-Claude...

– Je sais, je sais, dit la reine en rougissant.

– Oui, Votre Majesté fit l'honneur à cette femme de lui être charitable.

– Elle m'en a bien payée ! n'est-ce pas ? Donc, elle habitait rue Saint-Claude.

– Et monsieur de Cagliostro habite précisément en face.

– Et vous supposez ?...

– Que s'il y a eu un secret pour l'un ou pour l'autre de ces deux voisins, le secret doit appartenir à l'un et à l'autre. Mais pardon, madame, voici bientôt l'heure à laquelle j'attends à Paris monsieur de Cagliostro, et pour rien au monde je ne voudrais retarder ces explications...

– Allez, monsieur, allez, et encore une fois soyez assuré de ma reconnaissance.

– Voilà donc, s'écria-t-elle tout en pleurs, quand monsieur de Crosne fut parti, voilà une justification qui commence. Je vais lire mon triomphe sur tous les visages. Celui du seul ami auquel je tienne à prouver que je suis innocente, celui-là seul, je ne le verrai pas !

Cependant, monsieur de Crosne volait vers Paris, et rentrait chez lui, où l'attendait monsieur de Cagliostro.

Celui-ci savait tout depuis la veille. Il allait chez Beausire, dont il connaissait la retraite, pour le pousser à quitter la France, quand, sur la route, entre les deux agents, il le vit dans la carriole. Oliva était cachée au fond, toute honteuse et toute larmoyante.

Beausire vit le comte qui les croisait dans sa chaise de poste ; il le reconnut. L'idée que ce seigneur mystérieux et puissant lui serait de quelque utilité changea toutes les idées qu'il s'était faites de ne jamais abandonner Oliva.

Il renouvela aux agents la proposition qu'ils lui avaient faite d'une évasion. Ceux-ci acceptèrent cent louis qu'il avait, et le lâchèrent malgré les pleurs de Nicole.

Cependant, Beausire en embrassant sa maîtresse lui dit à l'oreille :

– Espère ; je vais travailler à te sauver.

Et il arpenta vigoureusement dans le sens de la route que suivait Cagliostro.

Celui-ci s'était arrêté en tout état de cause ; il n'avait plus besoin d'aller chercher Beausire, puisque Beausire revenait. Il lui était expédient d'attendre Beausire, si quelquefois celui-ci faisait courir après lui.

Cagliostro attendait donc depuis une demi-heure au tournant de la route, quand il vit arriver pâle, essoufflé, demi-mort, le malheureux amant d'Oliva.

Beausire, à l'aspect du carrosse arrêté, poussa le cri de joie du naufragé qui touche une planche.

– Qu'y a-t-il, mon enfant ? dit le comte en l'aidant à monter près de lui.

Beausire raconta toute sa lamentable histoire, que Cagliostro écouta en silence.

– Elle est perdue, lui dit-il ensuite.

– Comment cela ? s'écria Beausire.

Cagliostro lui raconta ce qu'il ne savait pas, l'intrigue de la rue Saint-Claude et celle de Versailles.

Beausire faillit s'évanouir.

– Sauvez-la, sauvez-la, dit-il en tombant à deux genoux dans le carrosse, et je vous la donnerai si vous l'aimez toujours.

– Mon ami, répliqua Cagliostro, vous êtes dans l'erreur, je n'ai jamais aimé mademoiselle Oliva ; je n'avais qu'un but, celui de la soustraire à cette vie de débauches que vous lui faisiez partager.

– Mais... dit Beausire, surpris.

– Cela vous étonne ? Sachez donc que je suis l'un des syndics d'une société de réforme morale, ayant pour but d'arracher au vice tout ce qui peut offrir des chances de guérison. J'eusse guéri Oliva en vous l'ôtant, voilà pourquoi je vous l'ai ôtée. Qu'elle dise si jamais elle a entendu de ma bouche un mot de galanterie ; qu'elle dise si mes services n'ont pas toujours été désintéressés !

– Raison de plus, monsieur ; sauvez-la ! sauvez-la !

– J'y veux bien essayer ; mais cela dépendra de vous, Beausire.

– Demandez-moi ma vie.

– Je ne demanderai pas tant que cela. Revenez à Paris avec moi, et si vous suivez de point en point mes instructions, peut-être sauverons-nous votre maîtresse. Je n'y mets qu'une condition.

– Laquelle, monsieur ?

– Je vous la dirai en nous en retournant chez moi, à Paris.

– Oh ! j'y souscris d'avance ; mais la revoir ! la revoir !

– Voilà justement ce à quoi je pense ; avant deux heures, vous la reverrez.

– Et je l'embrasserai ?

– J'y compte ; bien plus, vous lui direz ce que je vais vous dire.

Cagliostro reprit, avec Beausire, la route de Paris.

Deux heures après, c'était le soir, il avait rejoint la carriole.

Et une heure après, Beausire achetait cinquante louis aux deux agents le droit d'embrasser Nicole et de lui glisser les recommandations du comte.

Les agents admiraient cet amour passionné, ils se promettaient une cinquantaine de louis comme cela à chaque double poste.

Mais Beausire ne reparut plus, et la chaise de Cagliostro l'emporta rapidement vers Paris, où tant d'événements se préparaient.

Voilà ce qu'il était nécessaire d'apprendre au lecteur avant de lui montrer monsieur Cagliostro causant d'affaires avec monsieur de Crosne.

Maintenant, nous pouvons l'introduire dans le cabinet du lieutenant de police.

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