Le Collier de la Reine Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre XCIV
La sellette

Le jour était venu enfin, après de longs débats, où l'arrêt de la cour du parlement allait être provoqué par les conclusions du procureur général.

Les accusés, à l'exception de monsieur de Rohan, avaient été transférés à la Conciergerie pour être plus rapprochés de la salle d'audience, qui s'ouvrait à sept heures chaque matin.

Devant les juges présidés par le premier président d'Aligre, la contenance des accusés avait continué d'être ce qu'elle avait été pendant l'instruction.

Oliva, franche et timide ; Cagliostro, tranquille, supérieur et rayonnant parfois de cette splendeur mystique qu'il se plaisait à affecter.

Villette, honteux, bas et pleurant.

Jeanne, insolente, l'œil étincelant, toujours menaçante et venimeuse.

Le cardinal, simple, rêveur, frappé d'atonie.

Jeanne avait bien vite pris les habitudes de la Conciergerie, et captivé par ses caresses mielleuses et ses petits secrets les bonnes grâces de la concierge du Palais, de son mari et de son fils.

De cette façon, elle s'était rendu la vie plus douce et les communications, plus libres. Il faut toujours plus de place au singe qu'au chien, à l'intrigant qu'à l'esprit tranquille.

Les débats n'apprirent rien de nouveau à la France. C'était bien toujours ce même collier volé avec audace par l'une ou l'autre des deux personnes qu'on accusait et qui s'accusaient réciproquement.

Décider entre les deux quel était le voleur, c'était tout le procès.

Cet esprit qui porte les Français toujours, et qui les portait surtout en ce temps-là aux extrêmes, avait greffé un autre procès sur le véritable.

Il s'agissait de savoir si la reine avait eu raison de faire arrêter le cardinal et de l'accuser de téméraires incivilités.

Pour quiconque raisonnait politique en France, cette annexe au procès constituait la cause véritable. Monsieur de Rohan avait-il cru pouvoir dire à la reine ce qu'il lui avait dit, agir en son nom, comme il l'avait fait ; avait-il été l'agent secret de Marie-Antoinette, agent désavoué sitôt que l'affaire avait fait du bruit ?

En un mot, dans cette cause incidente, le cardinal inculpé avait-il agi de bonne foi, comme un confident intime, vis-à-vis de la reine ?

S'il avait agi de bonne foi, la reine était donc coupable de toutes ces intimités, même innocentes, qu'elle avait niées et que madame de La Motte insinuait avoir existé. Et puis, comme total aux yeux de l'opinion, qui ne ménage rien, des intimités sont-elles innocentes, qu'on est contraint de nier à son mari, à ses ministres, à ses sujets.

Tel est le procès que les conclusions du procureur général vont diriger vers son but, vers sa morale.

Le procureur général prit la parole.

Il était l'organe de la cour, il parlait au nom de la dignité royale méconnue, outragée, il plaidait pour le principe immense de l'inviolabilité royale.

Le procureur général entrait dans le procès réel pour certains accusés ; il prenait corps à corps le procès incident quant au cardinal. Il ne pouvait admettre que dans cette affaire du collier, la reine pût assumer sur elle un tort, un seul. Si elle n'en avait aucun, ils tombaient donc tous sur la tête du cardinal.

Il conclut donc inflexiblement :

à la condamnation de Villette aux galères ;

à la condamnation de Jeanne de La Motte en la marque, le fouet et la réclusion à perpétuité dans l'hôpital ;

à la mise hors de cause de Cagliostro ;

au renvoi pur et simple d'Oliva ;

à l'aveu auquel serait contraint le cardinal d'une témérité offensante envers la Majesté royale, aveu à la suite duquel il serait banni de la présence du roi et de la reine, et dépouillé de ses charges et dignités.

Ce réquisitoire frappa le parlement d'indécision et les accusés de terreur. La volonté royale s'y expliquait de telle force, que si l'on eût vécu un quart de siècle auparavant, alors même que les parlements avaient commencé à secouer le joug et à revendiquer leur prérogative, ces conclusions du procureur du roi eussent été dépassées par le zèle et le respect des juges pour le principe, encore vénéré, de l'infaillibilité du trône.

Mais quatorze conseillers seulement adoptèrent l'opinion complète du procureur général, et la division se mit dès lors dans l'assemblée.

On procéda au dernier interrogatoire, formalité presque inutile avec de pareils accusés, puisqu'il avait pour but de provoquer des aveux avant l'arrêt, et qu'il n'y avait ni paix ni trêve à demander aux acharnés adversaires qui luttaient depuis si longtemps. C'était moins leur propre absolution qu'ils demandaient que la condamnation de leur partie.

L'usage était que l'accusé comparût devant ses juges assis sur un petit siège de bois, siège humble, bas, honteux, déshonoré par le contact des accusés qui de ce siège avaient passé à l'échafaud.

C'est là que vint s'asseoir le faussaire Villette, qui demanda pardon avec ses larmes et ses prières.

Il déclara tout ce qu'on sait, savoir qu'il était coupable du faux, coupable de complicité avec Jeanne de La Motte. Il témoigna que son repentir, ses remords étaient déjà pour lui un supplice capable de désarmer ses juges.

Celui-là n'intéressait personne ; il n'était et ne parut rien autre chose qu'un coquin. Congédié par la cour, il regagna en larmoyant sa cellule de la Conciergerie.

Après lui parut, à l'entrée de la salle, madame de La Motte, conduite par le greffier Frémyn.

Elle était vêtue d'un mantelet et d'une chemise de linon batiste, d'un bonnet de gaze sans rubans ; une sorte de gaze blanche lui couvrait le visage ; elle portait ses cheveux sans poudre. Sa présence fit une vive impression sur l'assemblée.

Elle venait de subir le premier des outrages auxquels elle était réservée : on l'avait fait passer par le petit escalier, comme les criminels vulgaires.

La chaleur de la salle, le bruit des conversations, le mouvement des têtes qui ondulaient de tous côtés commencèrent par la troubler ; ses yeux vacillèrent un moment comme pour s'habituer au miroitement de tout cet ensemble.

Alors le même greffier qui la tenait par la main la conduisit assez vivement à la sellette placée au centre de l'hémicycle et pareille à ce petit bloc sinistre qu'on appelle le billot quand il se dresse sur un échafaud au lieu de s'élever dans une salle d'audience.

à la vue de ce siège infamant qu'on lui destinait, à elle, orgueilleuse de s'appeler Valois, et de tenir en ses mains la destinée d'une reine de France, Jeanne de La Motte pâlit, elle jeta un regard courroucé autour d'elle, comme pour intimider les juges qui se permettaient cet outrage ; mais rencontrant partout des volontés fermes, et de la curiosité au lieu de miséricorde, elle refoula son indignation furieuse, et s'assit pour n'avoir pas l'air de tomber sur la sellette.

On remarqua dans les interrogatoires, qu'elle donnait à ses réponses tout le vague duquel les adversaires de la reine eussent pu tirer le plus d'avantage pour défendre leur opinion. Elle ne précisa rien que les affirmations de son innocence, et força le président de lui adresser une question sur l'existence de ces lettres qu'elle disait venir du cardinal pour la reine, de celles aussi que la reine aurait écrites au cardinal.

Tout le venin du serpent allait se répandre dans la réponse à cette question.

Jeanne commença par protester de son désir de ne pas compromettre la reine ; elle ajouta que nul mieux que le cardinal ne pouvait répondre à la question.

– Invitez-le, dit-elle, à produire ses lettres ou copie, pour en faire la lecture et satisfaire votre curiosité. Quant à moi, je ne saurais affirmer si ces lettres sont du cardinal à la reine ou de la reine au cardinal ; je trouve celles-ci trop libres et trop familières d'une souveraine à un sujet ; je trouve celles-là trop irrévérencieuses, venant d'un sujet pour aller à une reine.

Le silence profond, terrible, qui accueillit cette attaque, dut prouver à Jeanne qu'elle n'avait inspiré que de l'horreur à ses ennemis, de l'effroi à ses partisans, de la défiance à ses juges impartiaux. Elle ne quitta la sellette qu'avec le doux espoir que le cardinal y serait assis comme elle. Cette vengeance lui suffisait pour ainsi dire. Que devint-elle quand, en se retournant pour considérer une dernière fois ce siège d'opprobre où elle forçait un Rohan de s'asseoir après elle, elle ne vit plus la sellette, que, sur l'ordre de la cour, les huissiers avaient fait disparaître et remplacer par un fauteuil.

Un rugissement de rage s'exhala de sa poitrine ; elle bondit hors de la salle et se mordit les mains avec frénésie.

Son supplice commençait. Le cardinal s'avança lentement à son tour. Il venait de descendre de carrosse : la grande porte avait été ouverte pour lui.

Deux huissiers, deux greffiers l'accompagnaient ; le gouverneur de la Bastille marchait à son côté.

à son entrée, un long murmure de sympathie et de respect partit des bancs de la cour. Il y fut répondu par une puissante acclamation du dehors. C'était le peuple qui saluait l'accusé et le recommandait à ses juges.

Le prince Louis était pâle, très ému. Vêtu d'un habit long de cérémonie, il se présentait avec le respect et la condescendance dus à des juges par un accusé qui accepte leur juridiction et l'invoque.

On montra le fauteuil au cardinal, dont les yeux avaient craint de se porter vers l'enceinte, et le président lui ayant adressé un salut et une parole encourageante, toute la cour le pria de s'asseoir avec une bienveillance qui redoubla la pâleur et l'émotion de l'accusé.

Lorsqu'il prit la parole, sa voix tremblante, coupée de soupirs, ses yeux troublés, son maintien humble remuèrent profondément la compassion de l'auditoire. Il s'expliqua lentement, présenta des excuses plutôt que des preuves, des supplications plutôt que des raisonnements, et s'arrêtant tout à coup, lui, l'homme éloquent, disert, il produisit par cette paralysie de son esprit et de son courage un effet plus puissant que tous les plaidoyers et tous les arguments.

Ensuite parut Oliva ; la pauvre fille retrouva la sellette. Bien des gens frémirent en voyant cette vivante image de la reine sur le siège honteux qu'avait occupé Jeanne de La Motte ; ce fantôme de Marie-Antoinette, reine de France, sur la sellette des voleuses et des faussaires, épouvanta les plus ardents persécuteurs de la monarchie. Ce spectacle aussi en allécha plusieurs, comme le sang que l'on fait goûter au tigre.

Mais on se disait partout que la pauvre Oliva venait, au greffe, de quitter son enfant, qu'elle allaitait, et quand la porte venait à s'ouvrir, les vagissements du fils de monsieur Beausire venaient plaider douloureusement en faveur de sa mère.

Après Oliva parut Cagliostro le moins coupable de tous. Il ne lui fut pas enjoint de s'asseoir, bien que le fauteuil eût été conservé près de la sellette.

La cour craignait le plaidoyer de Cagliostro. Un semblant d'interrogatoire, coupé par le c'est bien ! du président d'Aligre, satisfit aux exigences de la formalité.

Et alors, la cour annonça que les débats étaient clos, et que la délibération commençait. La foule s'écoula lentement, par les rues et les quais, se promettant de revenir dans la nuit, pour entendre l'arrêt, qui, disait-on, ne tarderait pas à être prononcé.

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