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Chapitre XLII
Le prince et l'ami

Comme on l'a vu, Chicot avait vainement cherché le duc d'Anjou par les rues de Paris pendant la soirée de la Ligue.
Le duc de Guise, on se le rappelle, avait invité le prince à sortir : cette invitation avait inquiété l'ombrageuse Altesse. François avait réfléchi, et, après réflexion, François dépassait le serpent en prudence.
Cependant, comme son intérêt à lui-même exigeait qu'il vît de ses propres yeux ce qui devait se passer ce soir-là, il se décida à accepter l'invitation, mais il prit en même temps la résolution de ne mettre le pied hors de son palais que bien et dûment accompagné.
De même que tout homme qui craint appelle une arme favorite à son secours, le duc alla chercher son épée, qui était Bussy d'Amboise.
Pour que le duc se décidât à cette démarche, il fallait que la peur le talonnât bien fort. Depuis sa déception à l'endroit de M. de Monsoreau, Bussy boudait, et François s'avouait à lui-même qu'à la place de Bussy, et en supposant qu'en prenant sa place il eût en même temps pris son courage, il aurait témoigné plus que du dépit au prince qui l'eût trahi d'une si cruelle façon.
Au reste Bussy, comme toutes les natures d'élite, sentait plus vivement la douleur que le plaisir : il est rare qu'un homme intrépide au danger, froid et calme en face du fer et du feu, ne succombe pas plus facilement qu'un lâche aux émotions d'une contrariété. Ceux que les femmes font pleurer le plus facilement, ce sont les hommes qui se font le plus craindre des hommes.
Bussy dormait pour ainsi dire dans sa douleur : il avait vu Diane reçue à la cour, reconnue comme comtesse de Monsoreau, admise par la reine Louise au rang de ses dames d'honneur, il avait vu mille regards curieux dévorer cette beauté sans rivale, qu'il avait pour ainsi dire découverte et tirée du tombeau où elle était ensevelie. Il avait, pendant toute une soirée, attaché ses yeux ardents sur la jeune femme qui ne levait point ses yeux appesantis, et dans tout l'éclat de cette fête, Bussy, injuste comme tout homme qui aime véritablement, Bussy, oubliant le passé et détruisant lui-même dans son esprit tous les fantômes de bonheur que le passé y avait fait naître, Bussy ne s'était pas demandé combien Diane devait souffrir de tenir ainsi ses yeux baissés, elle qui pouvait, en face d'elle, apercevoir un visage voilé par une tristesse sympathique au milieu de toutes ces figures indifférentes ou sottement curieuses.
- Oh ! se dit Bussy à lui-même en voyant qu'il attendait inutilement un regard, les femmes n'ont d'adresse et d'audace que lorsqu'il s'agit de tromper un tuteur, un époux ou une mère ; elles sont gauches, elles sont lâches lorsqu'il s'agit de payer une dette de simple reconnaissance ; elles ont tellement peur de paraître aimer, elles attachent un prix si exagéré à leur moindre faveur, que, pour désespérer celui qui prétend à elles, elles ne regardent point, quand tel est leur caprice, à lui briser le coeur. Diane pouvait me dire franchement : merci de ce que vous avez fait pour moi, monsieur de Bussy, mais je ne vous aime pas. J'eusse été tué du coup ou j'en eusse guéri. Mais non ! elle préfère me laisser l'aimer inutilement ; mais elle n'y a rien gagné, car je ne l'aime plus, je la méprise.
Et il s'éloigna du cercle royal la rage dans le coeur.
En ce moment ce n'était plus cette noble figure que toutes les femmes regardaient avec amour et tous les hommes avec terreur : c'était un front terni, un oeil faux, un sourire oblique.
Bussy, en sortant, se vit passer dans un grand miroir de Venise et se trouva lui-même insupportable à voir.
- Mais je suis fou, dit-il ; comment, pour une personne qui me dédaigne, je me rendrais odieux à cent qui me recherchent ! Mais pourquoi me dédaigne t-elle, ou plutôt pour qui ?
« Est-ce pour ce long squelette à face livide qui, toujours planté à dix pas d'elle, la couve sans cesse de son jaloux regard... et qui, lui aussi, feint de ne pas me voir ? Et dire cependant que, si je le voulais, dans un quart d'heure je le tiendrais muet et glacé sous mon genou avec dix pouces de mon épée dans le coeur ; dire que, si je voulais, je pourrais jeter sur cette robe blanche le sang de celui qui y a cousu ces fleurs ; dire que, si je voulais, ne pouvant être aimé, je serais au moins terrible et haï.
« Oh ! sa haine ! sa haine ! plutôt que son indifférence.
« Oui, mais ce serait banal et mesquin : c'est ce que feraient un Quélus et un Maugiron, si un Quélus et un Maugiron savaient aimer. Mieux vaut ressembler à ce héros de Plutarque que j'ai tant admiré, à ce jeune Antiochus mourant d'amour, sans risquer un aveu, sans proférer une plainte. Oui, je me tairai ! Oui, moi qui ai lutté corps à corps avec tous les hommes effrayants de ce siècle ; moi qui ai vu Crillon, le brave Crillon lui-même, désarmé devant moi, et qui ai tenu sa vie à ma merci ; oui, j'éteindrai ma douleur et l'étoufferai dans mon âme, comme a fait Hercule du géant Antée, sans lui laisser toucher une seule fois du pied l'Espérance, sa mère. Non, rien ne m'est impossible à moi, Bussy, que, comme Crillon, on a surnommé le brave, et tout ce que les héros ont fait, je le ferai.
Et sur ces mots, il déraidit la main convulsive avec laquelle il déchirait sa poitrine, il essuya la sueur de son front et marcha lentement vers la porte ; son poing allait frapper rudement la tapisserie : il se commanda la patience et la douceur, et il sortit le sourire sur les lèvres et le calme sur le front, avec un volcan dans le coeur.
Il est vrai que, sur sa route, il rencontra M. le duc d'Anjou et détourna la tête, car il sentait que toute sa fermeté d'âme ne pourrait aller jusqu'à sourire, et même saluer le prince qui l'appelait son ami et qui l'avait trahi si odieusement.
En passant, le prince prononça le nom de Bussy, mais Bussy ne se retourna même point.
Bussy rentra chez lui. Il plaça son épée sur la table, ôta son poignard de sa gaine, dégrafa lui-même pourpoint et manteau, et s'assit dans un grand fauteuil en appuyant sa tête sur l'écusson de ses armes qui en ornait le dossier.
Ses gens le virent absorbé : ils crurent qu'il voulait reposer et s'éloignèrent. Bussy ne dormait pas : il rêvait.
Il passa de cette façon plusieurs heures sans s'apercevoir qu'à l'autre bout de la chambre un homme, assis comme lui, l'épiait curieusement sans faire un geste, sans prononcer un mot, attendant, selon toute probabilité, l'occasion d'entrer en relation, soit par un mot, soit par un signe.
Enfin, un frisson glacial courut sur les épaules de Bussy et fit vaciller ses yeux ; l'observateur ne bougea point.
Bientôt les dents du comte claquèrent les unes contre les autres ; ses bras se raidirent ; sa tête devenue trop pesante, glissa le long du dossier du fauteuil et tomba sur son épaule.
En ce moment l'homme qui l'examinait se leva de sa chaise en poussant un soupir et s'approcha de lui.
- Monsieur le comte, dit-il, vous avez la fièvre.
Le comte leva son front qu'empourprait la chaleur de l'accès.
- Ah ! c'est toi, Remy, dit-il.
- Oui, comte, je vous attendais ici.
- Ici, et pourquoi ?
- Parce que là où l'on souffre on ne reste pas longtemps.
- Merci, mon ami, dit Bussy en prenant la main du jeune homme.
Remy garda entre les siennes cette main terrible devenue plus faible que la main d'un enfant, et la pressant avec affection et respect contre son coeur :
- Voyons, dit-il, il s'agit de savoir, monsieur le comte, si vous voulez demeurer ainsi : voulez-vous que la fièvre gagne et vous abatte ? restez debout ; voulez-vous la dompter ? mettez-vous au lit et faites-vous lire quelque beau livre où vous puissiez puiser l'exemple et la force.
Le comte n'avait plus rien à faire au monde qu'à obéir ; il obéit.
C'est donc en son lit que le trouvèrent tous les amis qui le vinrent visiter.
Pendant toute la journée du lendemain, Remy ne quitta point le chevet du comte ; il avait la double attribution de médecin du corps et de médecin de l'âme ; il avait des breuvages rafraîchissants pour l'un, il avait de douces paroles pour l'autre.
Mais le lendemain, qui était le jour où M. de Guise était venu au Louvre, Bussy regarda autour de lui, Remy n'y était point.
- Il s'est fatigué, pensa Bussy ; c'est bien naturel ! pauvre garçon ! qui doit avoir tant besoin d'air, de soleil et de printemps ; et puis Gertrude l'attendait sans doute, Gertrude n'est qu'une femme de chambre, mais elle l'aime... Une femme de chambre qui aime vaut mieux qu'une reine qui n'aime pas.
La journée se passa ainsi, Remy ne reparut pas ; justement parce qu'il était absent, Bussy le désirait ; il se sentait contre ce pauvre garçon de terribles mouvements d'impatience.
- Oh ! murmura-t-il une fois ou deux, moi qui croyais encore à la reconnaissance et à l'amitié.
Non, désormais je ne veux plus croire à rien.
Vers le soir, quand les rues commençaient à s'emplir de monde et de rumeurs, quand le jour déjà disparu ne permettait plus de distinguer les objets dans l'appartement, Bussy entendit des voix très hautes et très nombreuses dans son antichambre.
Un serviteur accourut alors tout effaré.
- Monseigneur, le duc d'Anjou, dit-il.
- Fais entrer, répliqua Bussy en fronçant le sourcil à l'idée que son maître s'inquiétait de lui, ce maître dont il méprisait jusqu'à la politesse.
Le duc entra. La chambre de Bussy était sans lumière ; les coeurs malades aiment l'obscurité, car ils peuplent l'obscurité de fantômes.
- Il fait trop sombre chez toi, Bussy, dit le duc ; cela doit te chagriner.
Bussy garda le silence ; le dégoût lui fermait la bouche.
- Es-tu donc malade gravement, continua le duc, que tu ne me réponds pas ?
- Je suis fort malade en effet, Monseigneur, murmura Bussy.
- Alors, c'est pour cela que je ne t'ai point vu chez moi depuis deux jours ? dit le duc.
- Oui, Monseigneur, dit Bussy.
Le prince, piqué de ce laconisme, fit deux ou trois tours par la chambre en regardant les sculptures qui se détachaient dans l'ombre et en maniant les étoffes.
- Tu es bien logé, Bussy, ce me semble du moins, dit le duc.
Bussy ne répondit pas.
- Messieurs, dit le duc à ses gentilshommes, demeurez dans la chambre à côté ; il faut croire que décidément mon pauvre Bussy est bien malade. Cà, pourquoi n'a-t-on pas prévenu Miron ? Le médecin d'un roi n'est pas trop bon pour Bussy.
Un serviteur de Bussy secoua la tête : le duc regarda ce mouvement.
- Voyons, Bussy, as-tu des chagrins ? demanda le prince presque obséquieusement.
- Je ne sais pas, répondit le comte.
Le duc s'approcha, pareil à ces amants qu'on rebute, et qui, à mesure qu'on les rebute, deviennent plus souples et plus complaisants.
- Voyons ! parle-moi donc, Bussy ! dit-il.
- Et que vous dirai-je, Monseigneur ?
- Tu es fâché contre moi, hein ? ajouta-t-il à voix basse.
- Moi, fâché ! de quoi ? D'ailleurs, on ne se fâche point contre les princes. A quoi cela servirait-il ?
Le duc se tut.
- Mais, dit Bussy à son tour, nous perdons le temps en préambules. Allons au fait, Monseigneur.
Le duc regarda Bussy.
- Vous avez besoin de moi, n'est-ce pas ? dit ce dernier avec une dureté incroyable.
- Ah ! monsieur de Bussy !
- Eh ! sans doute vous avez besoin de moi, je le répète ; croyez-vous que je pense que c'est par amitié que vous me venez voir ? Non, pardieu ! car vous n'aimez personne.
- Oh ! Bussy ! toi, me dire de pareilles choses !
- Voyons, finissons-en ; parlez, Monseigneur, que vous faut-il ? Quand on appartient à un prince, quand ce prince dissimule au point de vous appeler mon ami, eh bien ! il faut lui savoir gré de la dissimulation et lui faire tout sacrifice, même celui de la vie. Parlez.
Le duc rougit ; mais comme il était dans l'ombre personne ne vit cette rougeur.
- Je ne voulais rien de toi, Bussy, et tu te trompes, dit-il, en croyant ma visite intéressée. Je désire seulement, voyant le beau temps qu'il fait, et tout Paris étant ému ce soir de la signature de la Ligue, t'avoir en ma compagnie pour courir un peu la ville.
Bussy regarda le duc.
- N'avez-vous pas Aurilly ? dit-il.
- Un joueur de luth !
- Ah ! Monseigneur ! vous ne lui donnez pas toutes ses qualités ; je croyais qu'il remplissait encore près de vous d'autres fonctions, et, en dehors d'Aurilly, d'ailleurs, vous avez encore dix ou douze gentilshommes dont j'entends les épées retentir sur les boiseries de mon antichambre.
La portière se souleva lentement.
- Qui est là ? demanda le duc avec hauteur, et qui entre sans se faire annoncer dans la chambre où je suis ?
- Moi, Remy, répondit le Haudouin en faisant une entrée majestueuse et nullement embarrassée.
- Qu'est-ce que Remy ? demanda le duc.
- Remy, Monseigneur, répondit le jeune homme, c'est le médecin.
- Remy, dit Bussy, c'est plus que le médecin Monseigneur, c'est l'ami.
- Ah ! fit le duc blessé.
- Tu as entendu ce que Monseigneur désire, demanda Bussy en s'apprêtant à sortir du lit.
- Oui, que vous l'accompagniez, mais...
- Mais quoi ? dit le duc.
- Mais vous ne l'accompagnerez pas, Monseigneur, répondit le Haudouin.
- Et pourquoi cela ? s'écria François.
- Parce qu'il fait trop froid dehors, Monseigneur.
- Trop froid ? dit le duc surpris qu'on osât lui résister.
- Oui, trop froid. En conséquence, moi qui réponds de la santé de M. de Bussy à ses amis, et surtout à moi-même, je lui défends de sortir.
Bussy n'en allait pas moins sauter en bas du lit, mais la main de Remy rencontra la sienne et la lui serra d'une façon significative.
- C'est bon, dit le duc. Puisqu'il courrait si grand risque à sortir, il restera.
Et Son Altesse, piquée outre mesure, fit deux pas vers la porte.
Bussy ne bougea point.
Le duc revint vers le lit.
- Ainsi, c'est décidé, dit-il, tu ne te risques point ?
- Vous le voyez, Monseigneur, dit Bussy, le médecin le défend.
- Tu devrais voir Miron, Bussy, c'est un grand docteur.
- Monseigneur, j'aime mieux un médecin ami qu'un médecin savant, dit Bussy.
- En ce cas, adieu.
- Adieu, Monseigneur !
Et le duc sortit avec grand fracas.
A peine fut-il dehors que Remy, qui l'avait suivi des yeux jusqu'à ce qu'il fût sorti de l'hôtel, accourut près du malade.
- Cà, dit-il, Monseigneur, qu'on se lève, et tout de suite, s'il vous plaît.
- Pourquoi faire, me lever ?
- Pour venir faire un tour avec moi. Il fait trop chaud dans cette chambre.
- Mais tu disais tout à l'heure au duc qu'il faisait trop froid dehors !
- Depuis qu'il est sorti, la température a changé.
- De sorte que... ? dit Bussy en se soulevant avec curiosité.
- De sorte qu'en ce moment, répondit le Haudouin, je suis convaincu que l'air vous serait bon.
- Je ne comprends pas, dit Bussy.
- Est-ce que vous comprenez quelque chose aux potions que je vous donne ? vous les avalez cependant. Allons ! sus ! levons-nous : une promenade avec M. le duc d'Anjou était dangereuse, avec le médecin elle est salutaire ; c'est moi qui vous le dis ; n'avez-vous donc plus confiance en moi ? alors il faut me renvoyer.
- Allons donc, dit Bussy, puisque tu le veux.
- Il le faut.
Bussy se leva pâle et tremblant.
- L'intéressante pâleur, dit Remy, le beau malade !
- Mais où allons-nous ?
- Dans un quartier dont j'ai analysé l'air aujourd'hui même.
- Et cet air ?
- Est souverain pour votre maladie, Monseigneur.
Bussy s'habilla.
- Mon chapeau et mon épée, dit-il.
Il se coiffa de l'un et ceignit l'autre.
Puis tous deux sortirent.

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