La Dame de Monsoreau Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre LVIII
Diplomatie de M. de Bussy

A la porte du palais ducal, Bussy trouva une figure franche, loyale et rieuse, qu'il croyait à quatre-vingts lieues de lui.
- Ah ! dit-il avec un vif sentiment de joie, c'est toi, Remy !
Eh ! mon Dieu oui, Monseigneur.
- J'allais t'écrire de venir me rejoindre.
- En vérité ?
- Parole d'honneur !
- En ce cas, cela tombe à merveille : je craignais que vous ne me grondassiez.
- Et de quoi ?
- Et de ce que j'étais venu sans permission. Mais, ma foi ! j'ai entendu dire que Monseigneur le duc d'Anjou s'était évadé du Louvre, et qu'il était parti pour sa province : je me suis rappelé que vous étiez dans les environs d'Angers, j'ai pensé qu'il y aurait guerre civile et force estocades données et rendues, bon nombre de trous faits à la peau de mon prochain ; et attendu que j'aime mon prochain comme moi-même, et plus que moi-même, je suis accouru.
- Tu as bien fait, Remy ; d'honneur, tu me manquais.
- Comment va Gertrude, Monseigneur ?
Le gentilhomme sourit.
- Je te promets de m'en informer à Diane, la première fois que je la verrai, dit-il.
- Et moi, en revanche, soyez tranquille, la première fois que je la verrai, dit-il, de mon côté, je lui demanderai des nouvelles de madame de Monsoreau.
- Tu es un charmant compagnon ; et comment m'as-tu trouvé ?
- Parbleu, belle difficulté : j'ai demandé où était l'hôtel ducal, et je vous ai attendu à la porte après avoir été conduire mon cheval dans les écuries du prince, où, Dieu me pardonne, j'ai reconnu le vôtre.
- Oui, le prince avait tué le sien, je lui ai prêté Roland, et comme il n'en avait pas d'autre il l'a gardé.
- Je vous reconnais bien là, c'est vous qui êtes prince, et le prince qui est le serviteur.
- Ne te presse pas de me mettre si haut, Remy, tu vas voir comment Monseigneur est logé.
Et en disant cela, il introduisit le Haudouin dans sa petite maison du rempart.
- Ma foi ! dit Bussy, tu vois le palais ; loge-toi où tu voudras et comme tu pourras.
- Cela ne sera point difficile, et il ne me faut pas grand-place, comme vous savez ; d'ailleurs, je dormirai debout s'il le faut : je suis assez fatigué pour cela.
Les deux amis, car Bussy traitait le Haudouin plutôt en ami qu'en serviteur, se séparèrent, et Bussy, le coeur doublement content de se retrouver entre Diane et Remy, dormit tout d'une traite.
Il est vrai que pour dormir à son aise, le duc, de son côté, avait fait prier qu'on ne tirât plus le canon, et que les mousquetades cessassent ; quant aux cloches, elles s'étaient endormies toutes seules, grâce aux ampoules des sonneurs.
Bussy se leva de bonne heure et courut au château en ordonnant qu'on prévînt Remy de l'y venir rejoindre.
Il tenait à guetter les premiers bâillements du réveil de Son Altesse, afin de surprendre, s'il était possible, sa pensée dans la grimace ordinairement très significative du dormeur qu'on éveille.
Le duc se réveilla, mais on eût dit que, comme son frère Henri, il mettait un masque pour dormir.
Bussy en fut pour ses frais de matinalité.
Il tenait tout prêt un catalogue de choses toutes plus importantes les unes que les autres.
D'abord, une promenade extra-muros pour reconnaître les fortifications de la place.
Une revue des habitants et de leurs armes.
Visite à l'arsenal et commande de munitions de toutes espèces.
Examen minutieux des tailles de la province, à l'effet de procurer aux bons et fidèles vassaux du prince un petit supplément d'impôt destiné à l'ornement intérieur des coffres.
Enfin, correspondance.
Mais Bussy savait d'avance qu'il ne devait pas énormément compter sur ce dernier article ; le duc d'Anjou écrivait peu ; dès cette époque il pratiquait le proverbe : Les écrits restent.
Ainsi, muni contre les mauvaises pensées qui pouvaient venir au duc, le comte vit ses yeux s'ouvrir, mais, comme nous l'avons dit, sans pouvoir rien lire dans ses yeux.
- Ah ! ah ! fit le duc, déjà toi !
- Ma foi oui, Monseigneur : je n'ai pas pu dormir, tant les intérêts de Votre Altesse m'ont toute la nuit trotté par la tête ; çà, que faisons-nous ce matin ? Tiens, si nous chassions ?
« Bon ! se dit tout bas Bussy, voilà encore une occupation à laquelle je n'avais pas songé. »
- Comment ! dit le duc, tu prétends que tu as pensé à mes intérêts toute la nuit, et le résultat de la veille et de la méditation est de venir me proposer une chasse ; allons donc !
- C'est vrai, dit Bussy ; d'ailleurs nous n'avons pas de meute.
- Ni de grand veneur, fit le prince.
- Ah ! ma foi, je n'en trouverais la chasse que plus agréable pour chasser sans lui.
- Ah ! je ne suis pas comme toi, il me manque.
Le duc dit cela d'un singulier air. Bussy le remarqua.
- Ce digne homme, dit-il, votre ami, il paraît qu'il ne vous a pas délivré non plus, celui-là.
Le duc sourit.
- Bon, dit Bussy, je connais ce sourire-là ; c'est le mauvais : gare au Monsoreau.
- Tu lui en veux donc ? demanda le prince.
- Au Monsoreau ?
- Oui.
- Et de quoi lui en voudrais-je ?
- De ce qu'il est mon ami.
- Je le plains fort, au contraire.
- Qu'est-ce à dire ?
- Que plus vous le ferez monter, plus il tombera de haut quand il tombera.
- Allons, je vois que tu es de bonne humeur.
- Moi ?
- Oui, c'est quand tu es de bonne humeur que tu me dis de ces choses-là. N'importe, continua le duc, je maintiens mon dire, et Monsoreau nous eût été bien utile dans ce pays-ci.
- Pourquoi cela ?
- Parce qu'il a des biens aux environs.
- Lui ?
- Lui ou sa femme.
Bussy se mordit les lèvres : le duc ramenait la conversation au point d'où il avait eu tant de peine à l'écarter la veille.
- Ah ! vous croyez ? dit-il.
- Sans doute. Méridor est à trois lieues d'Angers ; ne le sais-tu pas, toi qui m'as amené le vieux baron ?
Bussy comprit qu'il s'agissait de n'être point déferré.
- Dame ! dit-il, je vous l'ai amené, moi, parce qu'il s'est pendu à mon manteau, et qu'à moins de lui en laisser la moitié entre les doigts, comme faisait saint Martin, il fallait bien le conduire devers vous... Au reste, ma protection ne lui a pas servi à grand-chose.
- Ecoute, dit le duc, j'ai une idée.
- Diable ! dit Bussy qui se défiait toujours des idées du prince.
- Oui... Monsoreau a eu sur toi la première partie ; mais je veux te donner la seconde.
- Comment l'entendez-vous, mon prince ?
- C'est tout simple. Tu me connais, Bussy ?
- J'ai ce malheur, mon prince.
- Crois-tu que je sois homme à subir un affront et à le laisser impuni ?
- C'est selon.
Le duc sourit d'un sourire plus mauvais encore que le premier, en se mordant les lèvres et en secouant la tête de haut en bas.
- Voyons, expliquez-vous, Monseigneur, dit Bussy.
- Eh bien ! le grand veneur m'a volé une jeune fille que j'aimais pour en faire sa femme ; moi, à mon tour, je veux lui voler sa femme pour en faire ma maîtresse.
Bussy fit un effort pour sourire ; mais si ardemment qu'il désirât arriver à ce but, il ne parvint qu'à faire une grimace.
- Voler la femme de M. de Monsoreau ! balbutia-t-il.
- Mais il n'y a rien de plus facile, ce me semble, dit le duc ; la femme est revenue dans ses terres, tu m'as dit qu'elle détestait son mari ; je puis donc compter sans trop de vanité qu'elle me préférera au Monsoreau, surtout si je lui promets... ce que je lui promettrai.
- Et que lui promettrez-vous, Monseigneur ?
- De la débarrasser de son mari.
« Eh ! fut sur le point de s'écrier Bussy, pourquoi donc ne l'avez-vous pas fait tout de suite ? »
Mais il eut le courage de se retenir.
- Vous feriez cette belle action ? dit-il.
- Tu verras. En attendant, j'irai toujours faire une visite à Méridor.
- Vous oserez ?
- Pourquoi pas ?
- Vous vous présenterez devant le vieux baron que vous avez abandonné, après m'avoir promis...
- J'ai une excellente excuse à lui donner.
- Où diable allez-vous donc les prendre ?
- Eh ! sans doute. Je lui dirai : « Je n'ai pas rompu ce mariage parce que le Monsoreau, qui savait que vous étiez un des principaux agents de la Ligue et que j'en étais le chef, m'a menacé de nous vendre tous deux au roi. »
- Ah ! ah !,.. Votre Altesse invente-t-elle celle-là ?
- Pas entièrement, je dois le dire, répondit le duc.
- Alors je comprends, dit Bussy.
- Tu comprends ? dit le duc qui se trompait à la réponse de son gentilhomme.
- Oui.
- Je lui fais accroire qu'en mariant sa fille j'ai sauvé sa vie, à lui, qui était menacée.
- C'est superbe, dit Bussy.
- N'est-ce pas ? Eh ! mais, j'y pense, regarde donc par la fenêtre, Bussy.
- Pourquoi faire ?
- Regarde toujours.
- M'y voilà.
- Quel temps fait-il ?
- Je suis forcé d'avouer à Votre Altesse qu'il fait beau.
- Eh bien ! commande les chevaux, et allons un peu voir comment va le bonhomme Méridor.
- Tout de suite, Monseigneur.
Et Bussy, qui depuis un quart d'heure jouait ce rôle éternellement comique de Mascarille dans l'embarras, feignant de sortir, alla jusqu'à la porte et revint.
- Pardon, Monseigneur, dit-il, mais combien de chevaux commandez vous ?
- Mais quatre, cinq, ce que tu voudras.
- Alors, si vous vous en rapportez de ce soin à moi, Monseigneur, dit Bussy, j'en commanderai un cent.
- Bon, un cent ! dit le prince surpris, pourquoi faire ?
- Pour en avoir à peu près vingt-cinq dont je sois sûr en cas d'attaque.
Le duc tressaillit.
- En cas d'attaque ? dit-il.
- Oui, j'ai ouï dire, continua Bussy, qu'il y avait force bois dans ces pays- là ; et il n'y aurait rien de rare à ce que nous tombassions dans quelque embuscade.
- Ah ! ah ! dit le duc, tu penserais !
- Monseigneur sait que le vrai courage n'exclut pas la prudence.
Le duc devint rêveur.
- Je vais en commander cent cinquante, dit Bussy.
Et il s'avança une seconde fois vers la porte.
- Un instant, dit le prince.
- Qu'y a-t-il, Monseigneur ?
- Crois-tu que je sois en sûreté à Angers, Bussy ?
- Dame, la ville n'est pas forte ; bien défendue, cependant...
- Oui, bien défendue, mais elle peut être mal défendue ; si brave que tu sois, tu ne seras jamais qu'à un seul endroit.
- C'est probable.
- Si je ne suis pas en sûreté dans la ville, et je n'y suis pas, puisque Bussy en doute...
- Je n'ai pas dit que je doutais, Monseigneur.
- Bon, bon ; si je ne suis pas en sûreté, il faut que je m'y mette promptement.
- C'est parler d'or, Monseigneur.
- Eh bien ! je veux visiter le château et m'y retrancher.
- Vous avez raison, Monseigneur, de bons retranchements, voyez-vous.
Bussy balbutia ; il n'avait pas l'habitude de la peur, et les paroles prudentes lui manquaient.
- Et puis une autre idée encore.
- La matinée est féconde, Monseigneur.
- Je veux faire venir ici les Méridor.
- Monseigneur, vous avez aujourd'hui une justesse et une vigueur de pensées !... Levez-vous et visitons le château.
Le prince appela ses gens. Bussy profita de ce moment pour sortir.
Il trouva le Haudouin dans les appartements. C'était lui qu'il cherchait.
Il l'emmena dans le cabinet du duc, écrivit un petit mot, entra dans une serre, cueillit un bouquet de roses, roula le billet autour des tiges, passa à l'écurie, sella Roland, mit le bouquet dans la main du Haudouin, et invita le Haudouin à se mettre en selle.
Puis, le conduisant hors de la ville, comme Aman conduisait Mardochée, il le plaça dans une espèce de sentier.
- Là, lui dit-il, laisse aller Roland ; au bout du sentier tu trouveras la forêt, dans la forêt un parc, autour de ce parc un mur, à l'endroit du mur où Roland s'arrêtera, tu jetteras ce bouquet.

« Celui qu'on attend ne vient pas, disait le billet, parce que celui qu'on n'attendait pas est venu, et plus menaçant que jamais, car il aime toujours. Prenez avec les lèvres et le coeur tout ce qu'il y a d'invisible aux yeux de ce papier. »

Bussy lâcha la bride à Roland qui partit au galop dans la direction de Méridor.
Bussy revint au palais ducal et trouva le prince habillé.
Quant à Remy, ce fut pour lui l'affaire d'une demi-heure. Emporté comme un nuage par le vent, Remy, confiant dans les paroles de son maître, traversa prés, champs, bois, ruisseaux, collines, et s'arrêta au pied d'un mur à demi dégradé, dont le chaperon tapissé de lierres semblait relié par eux aux branches des chênes.
Arrivé là, Remy se dressa sur ses étriers, attacha de nouveau et plus solidement encore qu'il ne l'était le billet au bouquet, et, poussant un « hem ! » vigoureux, il lança le bouquet par-dessus le mur.
Un petit cri qui retentit de l'autre côté lui apprit que le message était arrivé à bon port.
Remy n'avait plus rien à faire, car on ne lui avait pas demandé de réponse.
Il tourna donc, du côté par lequel il était venu, la tête du cheval, qui se disposait à prendre son repas aux dépens de la glandée, et qui témoigna un vif mécontentement d'être dérangé dans ses habitudes ; mais Remy fit une sérieuse application de l'éperon et de la cravache.
Roland sentit son tort et repartit de son train habituel.
Quarante minutes après il se reconnaissait dans sa nouvelle écurie, comme il s'était reconnu dans le hallier, et il venait prendre de lui-même sa place au râtelier bien garni de foin et à la mangeoire regorgeant d'avoine.
Bussy visitait le château avec le prince.
Remy le joignit au moment où il examinait un souterrain conduisant à une poterne.
- Eh bien ! demanda-t-il à son messager, qu'as-tu vu ? qu'as-tu entendu ? qu'as-tu fait ?
- Un mur, un cri, sept lieues, répondit Remy avec le laconisme d'un de ces enfants de Sparte qui se faisaient dévorer le ventre par les renards pour la plus grande gloire des lois de Lycurgue.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente