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Chapitre LXV
Le projet de M. de Saint-Luc

Le repas fini, Monsoreau prit son nouvel ami par le bras, et l'emmenant hors du château :
- Savez-vous, lui dit-il, que je suis on ne peut plus heureux de vous avoir trouvé ici, moi que la solitude de Méridor effrayait d'avance.
- Bon ! dit Saint-Luc, n'avez-vous donc pas votre femme ? Quant à moi, avec une pareille compagne, il me semble que je trouverais un désert trop peuplé.
- Je ne dis pas non, répondit Monsoreau en se mordant les lèvres. Cependant...
- Cependant quoi ?
- Cependant je suis fort aise de vous avoir rencontré ici.
- Monsieur, dit Saint-Luc en se nettoyant les dents avec une petite épée d'or, vous êtes, en vérité, fort poli ; car je ne croirai jamais que vous ayez un seul instant pu craindre l'ennui avec une pareille femme et en face d'une si riche nature.
- Bah ! dit Monsoreau, j'ai passé la moitié de ma vie dans les bois.
- Raison de plus pour ne pas vous y ennuyer, dit Saint-Luc ; il me semble que plus on habite les bois, plus on les aime ; voyez donc quel admirable parc. Je sais bien, moi, que je serai désespéré lorsqu'il me faudra le quitter. Malheureusement j'ai peur que ce ne soit bientôt.
- Pourquoi le quitteriez-vous ?
- Eh ! monsieur, l'homme est-il maître de sa destinée ? C'est la feuille de l'arbre que le vent détache et promène par la plaine et par les vallons, sans qu'il sache lui-même où il va. Vous êtes bien heureux, vous.
- Heureux de quoi ?
- De demeurer sous ces magnifiques ombrages.
- Oh ! dit Monsoreau, je n'y demeurerai probablement pas longtemps non plus.
- Bah ! qui peut dire cela ? je crois que vous vous trompez, moi.
- Non, fit Monsoreau, non ; oh ! je ne suis pas si fanatique que vous de la belle nature, et je me défie, moi, de ce parc que vous trouvez si beau.
- Plaît-il ? fit Saint-Luc.
- Oui, répéta Monsoreau.
- Vous vous défiez de ce parc, avez-vous dit ; et à quel propos ?
- Parce qu'il ne me paraît pas sûr.
- Pas sûr ! en vérité ! dit Saint-Luc étonné. Ah ! je comprends : à cause de l'isolement, voulez-vous dire ?
- Non. Ce n'est point précisément à cause de cela ; car je présume que vous voyez du monde à Méridor.
- Ma foi non, dit Saint-Luc avec une naïveté parfaite, pas une âme.
- Ah ! vraiment ?
- C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire.
- Comment, de temps en temps vous ne recevez pas quelque visite ?
- Pas depuis que j'y suis, du moins.
- De cette belle cour qui est à Angers, pas un gentilhomme ne se détache de temps en temps ?
- Pas un.
- C'est impossible !
- C'est comme cela, cependant.
- Ah ! fi donc ! vous calomniez les gentilshommes angevins.
- Je ne sais pas si je les calomnie, mais le diable m'emporte si j'ai aperçu la plume d'un seul.
- Alors, j'ai tort sur ce point.
- Oui, parfaitement tort. Revenons donc à ce que vous disiez d'abord, que le parc n'était pas sûr. Est-ce qu'il y a des ours ?
- Oh ! non pas.
- Des loups ?
- Non plus.
- Des voleurs ?
- Peut-être. Dites-moi, mon cher monsieur madame de Saint-Luc est fort jolie, à ce qu'il m'a paru ?
- Mais, oui.
- Est-ce qu'elle se promène souvent dans le parc ?
- Souvent : elle est comme moi, elle adore la campagne. Mais pourquoi me faites-vous cette question ?
- Pour rien. Et lorsqu'elle se promène, vous l'accompagnez ?
- Toujours, dit Saint-Luc.
- Presque toujours ? continua le comte.
- Mais où diable voulez-vous en venir ?
- Eh ! mon Dieu ! à rien, cher monsieur de Saint-Luc, ou presque à rien, du moins.
- J'écoute.
- C'est qu'on me disait...
- Que vous disait-on ? Parlez.
- Vous ne vous fâcherez pas ?
- Jamais je ne me fâche.
- D'ailleurs, entre maris, ces confidences-là se font ; c'est qu'on me disait que l'on avait vu rôder un homme dans le parc.
- Un homme ?
- Oui.
- Qui venait pour ma femme ?
- Oh ! je ne dis point cela.
- Vous auriez parfaitement tort de ne pas le dire, cher monsieur de Monsoreau : c'est on ne peut plus intéressant ; et qui donc a vu cela, je vous prie ?
- A quoi bon ?
- Dites toujours. Nous causons, n'est-ce pas ; eh bien ! autant causer de cela que d'autre chose. Vous dites donc que cet homme venait pour madame de Saint-Luc. Tiens ! tiens ! tiens !
- Ecoutez, s'il faut tout vous avouer ; eh bien ! non, je ne crois pas que ce soit pour madame de Saint-Luc.
- Et pour qui donc ?
- Je crains, au contraire, que ce ne soit pour Diane.
- Ah bah ! fit Saint-Luc, j'aimerais mieux cela.
- Comment ! vous aimeriez mieux cela ?
- Sans doute. Vous le savez, il n'y a pas de race plus égoïste que les maris. Chacun pour soi ! Dieu pour tous.
- Le diable plutôt ! ajouta Monsoreau.
- Ainsi donc, vous croyez qu'un homme est entré ?
- Je fais mieux que de le croire, j'ai vu.
- Vous avez vu un homme dans le parc ?
- Oui, dit Monsoreau.
- Seul ?
- Avec madame de Monsoreau.
- Quand cela ? demanda Saint-Luc.
- Hier.
- Où donc ?
- Mais ici, à gauche : tenez.
Et comme Monsoreau avait dirigé sa promenade et celle de Saint-Luc du côté du vieux taillis, il put, d'où il était, montrer la place à son compagnon.
- Ah ! dit Saint-Luc, en effet, voici un mur en bien mauvais état ; il faudra que je prévienne le baron qu'on lui dégrade ses clôtures.
- Et qui soupçonnez-vous ?
- Moi ! qui je soupçonne ?
- Oui, dit le comte.
- De quoi ?
- De franchir la muraille pour venir dans le parc causer avec ma femme.
Saint-Luc parut se plonger dans une méditation profonde dont M. de Monsoreau attendit avec anxiété le résultat.
- Eh bien ? dit-il.
- Dame ! fit Saint-Luc, je ne vois guère que,..
- Que... qui ?... demanda vivement le comte.
- Que... vous..., dit Saint-Luc en se découvrant le visage.
- Plaisantez-vous, mon cher monsieur de Saint-Luc ? dit le comte pétrifié.
- Ma foi ! non. Moi, dans le commencement de mon mariage, je faisais de ces choses-là : pourquoi n'en feriez-vous pas, vous ?
- Allons, vous ne voulez pas me répondre ; avouez cela, cher ami, mais ne craignez rien... j'ai du courage. Voyons, aidez-moi, cherchez, c'est un énorme service que j'attends de vous.
Saint-Luc se gratta l'oreille.
- Je ne vois toujours que vous, dit-il.
- Trêve de railleries ; prenez la chose gravement, monsieur, car, je vous en préviens, elle est de conséquence.
- Vous croyez ?
- Mais je vous dis que j'en suis sûr.
- C'est autre chose alors ; et comment vient cet homme ? le savez-vous ?
- Il vient à la dérobée, parbleu !
- Souvent ?
- Je le crois bien ; ses pieds sont imprimés dans la pierre molle du mur ; regardez plutôt.
- En effet.
- Ne vous êtes-vous donc jamais aperçu de ce que je viens de vous dire ?
- Oh ! fit Saint-Luc, je m'en doutais bien un peu.
- Ah ! voyez-vous, fit le comte haletant ; après ?
- Après ? je ne m'en suis pas inquiété ; j'ai cru que c'était vous.
- Mais quand je vous dis que non.
- Je vous crois, mon cher monsieur !
- Vous me croyez ?
- Oui.
- Eh bien ! alors ?
- Alors, c'est quelque autre.
Le grand veneur regarda d'un oeil presque menaçant Saint-Luc, qui déployait sa plus coquette et sa plus suave nonchalance.
- Ah ! fit-il d'un air si courroucé que le jeune homme leva la tête.
- J'ai encore une idée, dit Saint-Luc.
- Allons donc !
- Si c'était...
- Si c'était ?
- Non.
- Non ?
- Mais si.
- Parlez.
- Si c'était M. le duc d'Anjou.
- J'y avais bien pensé, reprit Monsoreau ; mais j'ai pris des renseignements ; ce ne pouvait être lui.
- Eh ! eh ! le duc est bien fin.
- Oui, mais ce n'est pas lui.
- Vous me dites toujours que cela n'est pas dit Saint-Luc, et vous voulez que je vous dise moi, que cela est.
- Sans doute ; vous qui habitez le château, vous devez savoir...
- Attendez, s'écria Saint-Luc.
- Y êtes-vous ?
- J'ai encore une idée. Si ce n'était ni vous ni le duc, c'était sans doute moi.
- Vous, Saint-Luc ?
- Pourquoi pas ?
- Vous qui venez à cheval par le dehors du parc, quand vous pouvez venir par le dedans ?
- Eh ! mon Dieu, je suis un être si capricieux, dit Saint-Luc.
- Vous qui eussiez pris la fuite en me voyant apparaître au haut du mur ?
- Dame ! on la prendrait à moins.
- Vous faisiez donc mal, alors ? dit le comte qui commençait à n'être plus maître de son irritation.
- Je ne dis pas non.
- Mais vous vous moquez de moi, à la fini s'écria le comte pâlissant, et voilà un quart d'heure de cela.
- Vous vous trompez, monsieur, dit Saint-Luc en tirant sa montre et en regardant Monsoreau avec une fixité qui fit frissonner celui-ci malgré son courage féroce, il y a vingt minutes.
- Mais vous m'insultez, monsieur ! dit le comte.
- Est-ce que vous croyez que vous ne m'insultez pas, vous, monsieur, avec toutes vos questions de sbire ?
- Ah ! j'y vois clair maintenant.
- Le beau miracle, à dix heures du matin. Et que voyez-vous ? dites.
- Je vois que vous vous entendez avec le traître, avec le lâche que j'ai failli tuer hier.
- Pardieu ! fit Saint-Luc, c'est mon ami.
- Alors, s'il en est ainsi, je vous tuerai à sa place.
- Bah ! dans votre maison ! comme cela, tout à coup ! sans dire gare !
- Croyez-vous donc que je me gênerai pour punir un misérable ? s'écria le comte exaspéré.
- Ah ! monsieur de Monsoreau, répliqua Saint-Luc, que vous êtes donc mal élevé ! et que la fréquentation des bêtes fauves a détérioré vos moeurs ! Fi !...
- Mais vous ne voyez donc pas que je suis furieux ! hurla le comte en se plaçant devant Saint-Luc les bras croisés et le visage bouleversé par l'expression effrayante du désespoir qui le mordait au coeur.
- Si, mordieu ! je le vois ; et, vrai, la fureur ne vous va pas le moins du monde ; vous êtes affreux à voir comme cela, mon cher monsieur de Monsoreau.
Le comte, hors de lui, mit la main à son épée.
- Ah ! faites attention, dit Saint-Luc, c'est vous qui me provoquez. Je vous prends vous-même à témoin que je suis parfaitement calme.
- Oui, muguet, dit Monsoreau, oui, mignon de couchette, je te provoque.
- Donnez-vous donc la peine de passer de l'autre côté du mur, monsieur de Monsoreau : de l'autre côté du mur, nous serons sur un terrain neutre.
- Que m'importe ! s'écria le comte.
- Il m'importe à moi, dit Saint-Luc ; je ne veux pas vous tuer chez vous.
- A la bonne heure ! dit Monsoreau en se hâtant de franchir la brèche.
- Prenez garde ! allez doucement, comte ! Il y a une pierre qui ne tient pas bien ; il faut qu'elle ait été fort ébranlée. N'allez pas vous blesser au moins ; en vérité, je ne m'en consolerais pas.
Et Saint-Luc se mit à franchir la muraille à son tour.
- Allons ! allons ! hâte-toi, dit le comte en dégainant.
- Et moi qui viens à la campagne pour mon agrément, dit Saint-Luc se parlant à lui-même ; ma foi, je me serai bien amusé.
Et il sauta de l'autre côté du mur.

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