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Chapitre LXVI
Comment M. de Saint-Luc montra à M. de Monsoreau le coup que le roi lui avait montré

M. de Monsoreau attendait Saint-Luc l'épée à la main et en faisant des appels furieux avec le pied.
- Y es-tu ? dit le comte.
- Tiens, fit Saint-Luc, vous n'avez pas pris la plus mauvaise place, le dos au soleil ; ne vous gênez pas.
Monsoreau fit un quart de conversion.
- A la bonne heure, dit Saint-Luc, de cette façon je verrai clair à ce que je fais.
- Ne me ménage pas, dit Monsoreau, car j'irai franchement.
- Ah çà, dit Saint-Luc, vous voulez donc me tuer absolument ?
- Si je le veux !... Oh ! oui... je le veux.
- L'homme propose et Dieu dispose, dit Saint-Luc en tirant son épée à son tour.
- Tu dis...
- Je dis... Regardez bien cette touffe de coquelicots et de pissenlits.
- Eh bien ?
- Eh bien ! je dis que je vais vous coucher dessus.
Et il se mit en garde toujours riant.
Monsoreau engagea le fer avec rage et porta avec une incroyable agilité à Saint-Luc deux ou trois coups que celui-ci para avec une agilité égale.
- Pardieu ! monsieur de Monsoreau, dit-il tout en jouant avec le fer de son ennemi, vous tirez fort agréablement l'épée, et tout autre que moi ou Bussy eut été tué par votre dernier dégagement.
Monsoreau pâlit, voyant à quel homme il avait affaire.
- Vous êtes peut-être étonné, dit Saint-Luc, de me trouver si convenablement l'épée dans la main ; c'est que le roi, qui m'aime beaucoup, comme vous savez, a pris la peine de me donner des leçons et m'a montré, entre autres choses, un coup que je vous montrerai tout à l'heure. Je vous dis cela parce que s'il arrive que je vous tue de ce coup, vous aurez le plaisir de savoir que vous êtes tué d'un coup enseigné par le roi, ce qui sera excessivement flatteur pour vous.
- Vous avez infiniment d'esprit, monsieur, dit Monsoreau exaspéré en se fendant à fond pour porter un coup droit qui eût traversé une muraille.
- Dame ! on fait ce qu'on peut, répliqua modestement Saint-Luc en se jetant de côté, forçant, par ce mouvement, son adversaire de faire une demi volte qui lui mit en plein le soleil dans les yeux.
- Ah ! ah ! dit-il. Vous voilà où je voulais vous voir, en attendant que je vous voie où je veux vous mettre. N'est-ce pas que j'ai assez bien conduit ce coup-là, hein ? Aussi je suis content, vrai ! très content ! Vous aviez tout à l'heure cinquante chances seulement sur cent d'être tué ; maintenant vous en avez quatre-vingt-dix-neuf.
Et avec une souplesse, une vigueur et une rage que Monsoreau ne lui connaissait pas, et que personne n'eût soupçonnées dans ce jeune homme efféminé, Saint-Luc porta de suite et sans interruption cinq coups au grand veneur, qui les para tout étourdi de cet ouragan mêlé de sifflements et d'éclairs ; le sixième fut un coup de prime composé d'une double feinte, d'une parade et d'une riposte dont le soleil l'empêcha de voir la première moitié, et dont il ne put voir la seconde, attendu que l'épée de Saint-Luc disparut tout entière dans sa poitrine.
Monsoreau resta encore un instant debout, mais comme un chêne déraciné qui n'attend qu'un souffle pour savoir de quel côté tomber.
- Là, maintenant, dit Saint-Luc, vous avez les cent chances complètes ; et remarquez ceci, monsieur, c'est que vous allez tomber juste sur la touffe que je vous ai indiquée.
Les forces manquèrent au comte ; ses mains s'ouvrirent, son oeil se voila ; il plia les genoux et tomba sur les coquelicots, à la pourpre desquels il mêla son sang.
Saint-Luc essuya tranquillement son épée et regarda cette dégradation de nuances qui, peu à peu, change en un masque de cadavre le visage de l'homme qui agonise.
- Ah ! vous m'avez tué, monsieur, dit Monsoreau.
- J'y tâchais, dit Saint-Luc ; mais maintenant que je vous vois couché là, près de mourir, le diable m'emporte si je ne suis pas fâché de ce que j'ai fait ; vous m'êtes sacré à présent, monsieur ; vous êtes horriblement jaloux, c'est vrai, mais vous étiez brave.
Et tout satisfait de cette oraison funèbre, Saint-Luc mit un genou en terre près de Monsoreau, et lui dit :
- Avez-vous quelque volonté dernière à déclarer, monsieur ? et, foi de gentilhomme, elle sera exécutée ; ordinairement, je sais cela, moi, quand on est blessé on a soif ; avez-vous soif ? j'irai vous chercher à boire.
Monsoreau ne répondit pas.
Il s'était retourné la face contre terre, mordant le gazon et se débattant dans son sang.
- Pauvre diable ! fit Saint-Luc en se relevant. Oh ! amitié, amitié, tu es une divinité bien exigeante.
Monsoreau ouvrit un oeil alourdi, essaya de lever la tête et retomba avec un lugubre gémissement.
- Allons ! il est mort, dit Saint-Luc ; ne pensons plus à lui... C'est bien aisé à dire : ne pensons plus à lui... Voilà que j'ai tué un homme, moi, avec tout cela. On ne dira pas que j'ai perdu mon temps à la campagne.
Et aussitôt, enjambant le mur, il prit sa course à travers le parc et arriva au château.
La première personne qu'il aperçut fut Diane ; elle causait avec son amie.
- Comme le noir lui ira bien, dit Saint-Luc.
Puis s'approchant du groupe charmant formé par les deux femmes :
- Pardon, chère dame, fit-il à Diane ; mais j'aurais vraiment bien besoin de dire deux mots à madame de Saint-Luc.
- Faites, cher hôte, faites, répliqua madame de Monsoreau ; je vais retrouver mon père à la bibliothèque ; quand tu auras fini avec M. de Saint- Luc, ajouta-t-elle en s'adressant à son amie, tu viendras me reprendre, je serai là.
- Oui, sans faute, dit Jeanne.
Et Diane s'éloigna en les saluant de la main et du sourire.
Les deux époux demeurèrent seuls.
- Qu'y a-t-il donc ? demanda Jeanne avec la plus riante figure ; vous paraissez sinistre, cher époux.
- Mais oui, mais oui, répondit Saint-Luc.
- Qu'est-il donc arrivé ?
- Eh ! mon Dieu ! un accident !
- A vous ? demanda Jeanne effrayée.
- Pas précisément à moi, mais à une personne qui était près de moi.
- A quelle personne donc ?
- A celle avec laquelle je me promenais.
- A M. de Monsoreau ?
- Hélas ! oui. Pauvre cher homme !
- Que lui est-il donc arrivé ?
- Je crois qu'il est mort.
- Mort ! s'écria Jeanne avec une agitation bien naturelle à concevoir ; mort !
- C'est comme cela.
- Lui qui tout à l'heure était là, parlant, regardant !...
- Eh ! justement voilà la cause de sa mort, il a trop regardé, et surtout trop parlé.
- Saint-Luc, mon ami, dit la jeune femme en saisissant les deux mains de son mari.
- Quoi ?
- Vous me cachez quelque chose.
- Moi, absolument rien, je vous jure ; pas même l'endroit où il est mort.
- Et où est-il mort ?
- Là-bas, derrière le mur, à l'endroit même où notre ami Bussy avait l'habitude d'attacher son cheval.
- C'est vous qui l'avez tué, Saint-Luc ?
- Parbleu ! qui voulez-vous que ce soit ? nous n'étions que deux, je reviens vivant et je vous dis qu'il est mort : il n'est pas difficile de deviner lequel de nous deux a tué l'autre.
- Malheureux que vous êtes !
- Ah ! chère amie, dit Saint-Luc, il m'a provoqué, insulté ; il a tiré l'épée du fourreau.
- C'est affreux ! c'est affreux ! ce pauvre homme !
- Bon, dit Saint-Luc, j'en étais sûr ; vous verrez qu'avant huit jours on dira saint Monsoreau.
- Mais vous ne pouvez rester ici ! s'écria Jeanne ; vous ne pouvez habiter plus longtemps sous le toit de l'homme que vous avez tué.
- C'est ce que je me suis dit tout de suite, et voilà pourquoi je suis accouru pour vous prier, chère amie, de faire vos apprêts de départ.
- Il ne vous a pas blessé, au moins ?
- A la bonne heure ! quoiqu'elle vienne un peu tard, voilà une question qui me raccommode avec vous ; non, je suis parfaitement intact.
- Alors, nous partirons ?
- Le plus vite possible, car vous comprenez que, d'un moment à l'autre, on peut découvrir l'accident.
- Quel accident ? s'écria madame de Saint-Luc en revenant sur sa pensée comme quelquefois on revient sur ses pas.
- Ah ! fit Saint-Luc.
- Mais, j'y pense, dit Jeanne, voilà madame de Monsoreau veuve.
- Voilà justement ce que je me disais tout à l'heure.
- Après l'avoir tué ?
- Non, auparavant.
- Allons, tandis que je vais la prévenir...
- Prenez bien des ménagements, chère amie !
- Mauvaise nature ! pendant que je vais la prévenir, sellez les chevaux vous-même comme pour une promenade.
- Excellente idée. Vous ferez bien d'en avoir comme cela plusieurs, chère amie, car pour moi, je l'avoue, ma tête commence un peu à s'embarrasser.
- Mais où allons-nous ?
- A Paris.
- A Paris ! et le roi ?
- Le roi aura tout oublié ; il s'est passé tant de choses depuis que nous ne nous sommes vus ; puis s'il y a la guerre, ce qui est probable, ma place est à ses côtés.
- C'est bien ; nous partons pour Paris alors ?
- Oui, seulement je voudrais une plume et de l'encre.
- Pour écrire à qui ?
- A Bussy ; vous comprenez que je ne peux pas quitter comme cela l'Anjou, sans lui dire pourquoi je le quitte.
- C'est juste, vous trouverez tout ce qu'il vous faut pour écrire dans ma chambre.
Saint-Luc y monta aussitôt, et d'une main qui, quoi qu'il en eût, tremblait quelque peu, il traça à la hâte les lignes suivantes :

« Cher ami,

« Vous apprendrez, par la voix de la Renommée, l'accident arrivé à M. de Monsoreau ; nous avons eu ensemble, du côté du vieux taillis, une discussion sur les effets et les causes de la dégradation des murs, et l'inconvénient des chevaux qui vont tout seuls.
« Dans le fort de cette discussion, M. de Monsoreau est tombé sur une touffe de coquelicots et de pissenlits, et cela si malheureusement qu'il s'est tué raide.
« Votre ami pour la vie,
                    « Saint-Luc. »

« P.-S.– Comme cela pourrait, au premier moment, vous paraître un peu invraisemblable, j'ajouterai que, lorsque cet accident lui est arrivé, nous avions tous deux l'épée à la main.
« Je pars à l'instant même pour Paris, dans l'intention de faire ma cour au roi, l'Anjou ne me paraissant pas très sûr après ce qui vient de se passer. »

Dix minutes après, un serviteur du baron courait à Angers porter cette lettre, tandis que, par une porte basse donnant sur un chemin de traverse M. et madame de Saint-Luc partaient seuls, laissant Diane éplorée, et surtout fort embarrassée pour raconter au baron la triste histoire de cette rencontre.
Elle avait détourné les yeux quand Saint-Luc avait passé.
- Servez donc vos amis, avait dit celui-ci à sa femme ; décidément, tous les hommes sont ingrats, il n'y a que moi qui suis reconnaissant.

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