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Chapitre LXXXIII
Une promenade aux Tournelles

Cependant peu à peu les gentilshommes angevins étaient revenus à Paris.
Dire qu'ils y rentraient avec confiance, on ne le croirait pas. Ils connaissaient trop bien le roi, son frère et sa mère pour espérer que les choses se passassent en embrassades de famille.
Ils se rappelaient toujours cette chasse qui leur avait été faite par les amis du roi, et ils ne voulaient pas se décider à croire qu'on pût leur donner un triomphe pour pendant à cette cérémonie assez désagréable.
Ils revenaient donc timidement et se glissaient en ville armés jusqu'à la gorge, prêts à faire feu sur le moindre geste suspect, et ils dégainèrent cinquante fois, avant d'arriver à l'hôtel d'Anjou contre des bourgeois qui n'avaient commis d'autre crime que de les regarder passer. Antraguet surtout se montrait féroce et reportait toutes ces disgrâces à MM. les mignons du roi, se promettant de leur en dire à l'occasion deux mots fort explicites.
Il fit part de ce projet à Ribeirac, homme de bon conseil, et celui-ci lui répondit qu'avant de se donner un pareil plaisir, il fallait avoir à sa portée une frontière ou deux.
- On s'arrangera pour cela, dit Antraguet.
Le duc leur fit bon accueil.
C'étaient ses hommes à lui, comme MM. de Maugiron, de Quélus, de Schomberg et d'Epernon étaient ceux du roi.
Il débuta par leur dire :
- Mes amis, on songe à vous tuer un peu, à ce qu'il paraît. Le vent est à ces sortes de réceptions. gardez-vous bien.
- C'est fait, Monseigneur, répliqua Antraguet ; mais ne convient-il pas que nous allions offrir à Sa Majesté nos très humbles respects ? Car enfin si nous nous cachons, cela ne fera pas honneur à l'Anjou. Que vous en semble ?
- Vous avez raison, dit le duc ! allez, et si vous le voulez, je vous accompagnerai.
Les trois jeunes gens se consultèrent du regard. A ce moment Bussy entra dans la salle et vint embrasser ses amis.
- Eh ! dit-il, vous êtes bien en retard ! Mais qu'est-ce que j'entends ? Son Altesse qui se propose d'aller se faire tuer au Louvre comme César dans le sénat de Rome. Songez donc que chacun de MM. les mignons emporterait volontiers un petit morceau de Monseigneur sous son manteau.
- Mais, cher ami, nous voulons nous frotter un peu à ces messieurs.
Bussy se mit à rire.
- Eh ! eh ! dit-il, on verra, on verra.
Le duc le regarda très attentivement.
- Allons au Louvre, fit Bussy, mais nous seulement, Monseigneur restera dans son jardin à abattre des têtes de pavots.
François feignit de rire très joyeusement. Le fait est qu'au fond il se trouvait heureux de n'avoir plus la corvée à faire.
Les Angevins se parèrent superbement.
C'étaient de fort grands seigneurs qui mangeaient volontiers en soie, velours et passementerie le revenu des terres paternelles.
Leur réunion était un mélange d'or, de pierres et de brocart qui sur leur chemin fit crier nol au populaire, dont le flair infaillible devinait sous ces beaux atours des coeurs embrasés de haine pour les mignons du roi.
Henri III ne voulut pas recevoir ces messieurs de l'Anjou, et ils attendirent vainement dans la galerie.
Ce furent MM. de Quélus, de Maugiron, de Schomberg et d'Epernon qui, saluant avec politesse et témoignant tous les regrets du monde vinrent annoncer cette nouvelle aux Angevins.
- Ah ! messire, dit Antraguet, car Bussy s'effaçait le plus possible, la nouvelle est triste ; mais passant par votre bouche, elle perd beaucoup de son désagrément.
- Messieurs, dit Schomberg, vous êtes la fine fleur de la grâce et de la courtoisie. Vous plaît-il que nous métamorphosions cette réception qui est manquée en une petite promenade ?
- Oh ! messieurs, nous allions vous le demander, dit vivement Antraguet, à qui Bussy toucha légèrement le bras pour lui dire :
- Tais-toi donc, et laisse-les faire.
- Où irions-nous bien ? dit Quélus en cherchant.
- Je connais un charmant endroit du côté de la Bastille, fit Schomberg.
- Messieurs, nous vous suivons, dit Ribeirac marchez devant.
En effet les quatre amis du roi sortirent du Louvre, suivis des quatre Angevins, et se dirigèrent par les quais vers l'ancien enclos des Tournelles, alors Marché-aux-Chevaux, sorte de place unie, plantée de quelques arbres maigres, et semée çà et là de barrières destinées à arrêter les chevaux ou à les attacher.
Chemin faisant, les huit gentilshommes s'étaient pris par le bras et, avec mille civilités, s'entretenaient de sujets gais et badins, au grand ébahissement des bourgeois qui regrettaient leurs vivats de tout à l'heure et disaient que les Angevins venaient de pactiser avec les pourceaux d'Hérode.
On arriva. Quélus prit la parole.
- Voyez le beau terrain, dit-il, voyez l'endroit solitaire, et comme le pied tient bien sur ce salpêtre.
- Ma foi, oui, répliqua Antraguet en battant plusieurs appels.
- Eh bien ! continua Quélus, nous avions pensé, ces messieurs et moi, que vous voudriez bien, un de ces jours, nous accompagner jusqu'ici pour seconder, tiercer et quarter M. de Bussy, votre ami, qui nous défait l'honneur de nous appeler tous quatre.
- C'est vrai, dit Bussy à ses amis stupéfaits.
- Il n'en avait rien dit ! s'écria Antraguet.
- Oh ! M. de Bussy est un homme qui sait le prix des choses, repartit Maugiron. Accepteriez-vous, messieurs de l'Anjou ?
- Certes oui, répliquèrent trois Angevins d'une seule voix ; l'honneur est tel que nous nous en réjouissons.
- C'est à merveille, dit Schomberg en se frottant les mains. Vous plaît-il maintenant que nous nous choisissions l'un l'autre ?
- J'aime assez cette méthode, dit Ribeirac avec des yeux ardents, et alors...
- Non pas, interrompit Bussy, cela n'est pas juste. Nous avons tous les mêmes sentiments ; donc nous sommes inspirés de Dieu. C'est Dieu qui fait les idées humaines, messieurs, je vous l'assure. Eh bien ! laissons à Dieu le soin de nous appareiller. Vous savez d'ailleurs que rien n'est plus indifférent au cas où nous conviendrions que le premier libre charge les autres.
- Et il le faut ! et il le faut ! s'écrièrent les mignons.
- Alors raison de plus, faisons comme firent les Horaces : tirons au sort.
- Tirèrent-ils au sort ? dit Quélus en réfléchissant.
- J'ai tout lieu de le croire, répondit Bussy.
- Alors imitons-les.
- Un moment, dit encore Bussy. Avant de connaître nos antagonistes, convenons des règles du combat. Il serait malséant que les conditions du combat suivissent le choix des adversaires.
- C'est simple, fit Schomberg, nous nous battrons jusqu'à ce que mort s'ensuive, comme a dit M. de Saint-Luc.
- Sans doute ; mais comment nous battrons-nous ?
- Avec l'épée et la dague, dit Bussy ; nous sommes tous exercés.
- A pied ? dit Quélus.
- Eh ! que voulez-vous faire d'un cheval ? on n'a pas les mouvements libres.
- A pied, soit.
- Quel jour ?
- Mais le plus tôt possible.
Non, dit d'Epernon ; j'ai mille choses à régler, un testament à faire ; pardon, mais je préfère attendre... Trois ou six jours nous aiguiseront l’appétit.
- C'est parler en brave, dit Bussy assez ironiquement.
- Est-ce convenu ?
- Oui. Nous nous entendrons toujours à merveille.
- Alors tirons au sort, dit Bussy.
- Un moment, fit Antraguet ; je propose ceci. Divisons le terrain en gens impartiaux. Comme les noms vont sortir au hasard deux par deux, coupons quatre compartiments sur le terrain pour chacune des quatre paires.
- Bien dit.
- Je propose pour le numéro 1 le carré long entre deux tilleuls... il y a belle place.
- Accepté.
- Mais le soleil ?
- Tant pis pour le second de la paire ; il sera tourné à l'est.
- Non pas, messieurs, ce serait injuste, dit Bussy. Tuons-nous, mais ne nous assassinons pas. Décrivons un demi-cercle, et opposons-nous tous à la lumière ; que le soleil nous frappe de profil.
Bussy montra la position, qui fut acceptée, puis on tira les noms.
Schomberg sortit le premier, Ribeirac le second. Ils furent désignés pour la première paire.
Quélus et Antraguet furent les seconds.
Livarot et Maugiron les troisièmes.
Au nom de Quélus, Bussy, qui croyait l'avoir pour champion, fronça le sourcil.
D'Epernon, se voyant forcément accouplé à Bussy, pâlit et fut obligé de se tirer la moustache pour rappeler quelques couleurs à ses joues.
- Maintenant, messieurs, dit Bussy, jusqu'au jour du combat, nous nous appartenons les uns aux autres. C'est à la vie, à la mort ; nous sommes amis. Voulez-vous bien accepter un dîner à l'hôtel Bussy ?
Tous saluèrent en signe d'assentiment et revinrent chez Bussy, où un somptueux festin les réunit jusqu'au matin.

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