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Chapitre XXXIX
Le retour

La nuit était venue, amenant son cortège de craintes et de visions sinistres, quand tout à coup à l'extrémité du palais retentirent des cris.
La reine tressaillit et se leva. Une fenêtre était sous sa main, elle l'ouvrit.
Presque au même instant, des serviteurs transportés de joie entrèrent chez Sa Majesté en s'écriant :
- Un courrier, madame ! un courrier !
Puis, trois minutes après, un hussard se précipitait dans les antichambres.
C'était un lieutenant dépêché par M. de Charny. Il arrivait à toute bride de Sèvres.
- Et le roi ? dit la reine.
- Sa Majesté sera ici dans un quart d'heure, répliqua l'officier, qui pouvait à peine parler.
- Sain et sauf ? dit la reine.
- Sain et sauf et souriant, madame.
- Vous l'avez vu, n'est-ce pas ?
- Non, madame ; mais M. de Charny me l'a dit en m'expédiant.
La reine tressaillit de nouveau à ce nom que le hasard venait accoler au nom du roi.
- Merci, monsieur ; reposez-vous, dit-elle au jeune gentilhomme.
Le jeune homme salua et sortit.
Elle, prenant ses deux enfants par la main, se dirigea vers le grand perron, sur lequel déjà se groupaient tous les serviteurs et les courtisans.
L'oeil perçant de la reine aperçut au premier degré une jeune femme blanche accoudée sur la balustrade de pierre et plongeant un regard avide dans les ombres de la nuit.
C'était Andrée, que la présence de la reine ne réussit pas à distraire de sa préoccupation.
Evidemment, elle, si empressée à venir se ranger aux côtés de la reine, elle n'avait point vu sa maîtresse, ou dédaignait de la voir.
Elle avait donc rancune de la vivacité de Marie-Antoinette, vivacité cruelle dont elle avait eu à souffrir dans la journée.
Ou bien emportée par un sentiment d'intérêt puissant, elle guettait pour son propre compte le retour de Charny, auquel elle avait témoigné tant d'appréhensions affectueuses.
Double coup de poignard qui rouvrit chez la reine une plaie encore saignante.
Elle ne prêta plus qu'une oreille distraite aux compliments et à la joie de ses autres amies et des courtisans.
Elle se sentit même un instant distraite de cette violente douleur qui l'avait accablée pendant toute la soirée. Une trêve se faisait en elle à l'inquiétude qu'excitait dans son coeur le voyage du roi, menacé par tant d'ennemis.
Mais avec une âme forte, la reine chassa bientôt tout ce qui n'était pas la légitime affection de son coeur. Elle mit aux pieds de Dieu sa jalousie, elle immola ses colères et ses joies secrètes à la sainteté du serment conjugal.
Ce fut Dieu, sans doute, qui lui envoyait comme repos et comme soutien cette salutaire faculté d'aimer le roi son époux par-dessus toute chose.
En ce moment, du moins, elle le sentit ou crut le ressentir, l'orgueil de la royauté élevait la reine au-dessus de toutes les passions terrestres, l'amour du roi était son égoïsme.
Elle avait donc absolument refoulé au dehors, et les petites vengeances de femme, et les coquetteries frivoles de l'amante, quand les flambeaux de l'escorte apparurent au fond de l'avenue. Ces feux grossissaient à chaque seconde par la rapidité de la course.
On entendait hennir et souffler les chevaux. Le sol tremblait dans le silence de la nuit sous le poids cadencé des escadrons en course.
Les grilles s'ouvrirent, les postes se précipitèrent au-devant du roi avec mille cris d'enthousiasme. Le carrosse retentit avec éclat sur le pavé de la grande cour.
Eblouie, ravie, fascinée, ivre de tout ce qu'elle avait éprouvé, de tout ce qu'elle ressentait de nouveau, la reine se précipita par les degrés au-devant du roi.
Louis XVI, descendu de voiture, montait l'escalier le plus rapidement possible au milieu de ses officiers, tout remués par les événements et leur triomphe, tandis qu'en bas, les gardes, mêlés sans façon aux palefreniers et aux écuyers, arrachaient des carrosses et des harnais toutes les cocardes que l'enthousiasme des Parisiens y avaient plantées.
Le roi et la reine se rencontrèrent sur un palier de marbre. La reine, avec un cri de joie et d'amour, étreignit son époux à plusieurs reprises.
Elle sanglotait, comme si le retrouvant elle avait cru ne jamais le revoir.
Tout entière à ce mouvement d'un coeur trop plein, elle ne vit pas le serrement de main silencieux que Charny et Andrée venaient d'échanger dans l'ombre.
Ce n'était rien qu'un serrement de main, mais Andrée était la première au bas des marches : c'était elle que Charny avait vue et touchée la première.
La reine, après avoir présenté ses enfants au roi les fit embrasser à Louis XVI, et alors le dauphin voyant au chapeau de son père la nouvelle cocarde sur laquelle les flambeaux projetaient une sanglante lumière, s'écria dans son étonnement enfantin :
- Tiens, papa ! qu'avez-vous donc à votre cocarde, du sang ?
C'était le rouge national.
La reine avec un cri regarda à son tour.
Le roi baissait la tête pour embrasser sa fille en réalité pour cacher sa honte.
Marie-Antoinette arracha cette cocarde avec un profond dégoût, sans voir, la noble furieuse, qu'elle blessait au coeur cette nation, qui saurait se venger un jour.
- Jetez cela, monsieur, dit-elle ; jetez cela.
Et elle lança par les degrés cette cocarde, sur laquelle passèrent les pieds de toute l'escorte qui conduisait le roi dans ses appartements.
Cette étrange transition avait éteint chez la reine tout l'enthousiasme conjugal. Elle chercha des yeux, mais sans paraître le chercher, M. de Charny, qui se tenait à son rang comme un soldat.
- Je vous remercie, monsieur, lui dit-elle, lorsque leurs regards se furent rencontrés, après plusieurs secondes d'hésitation de la part du comte ; je vous remercie, vous avez bien tenu votre promesse.
- A qui parlez-vous ? demanda le roi.
- A M. de Charny, dit-elle bravement.
- Oui, pauvre Charny, il a eu bien du mal à venir jusqu'à moi. Et... Gilbert, je ne le vois pas, ajouta-t-il.
La reine, attentive depuis la leçon du soir :
- Venez souper, dit-elle, sire, en changeant la conversation. Monsieur de Charny, poursuivit-elle, cherchez madame la comtesse de Charny ; qu'elle vienne avec vous. Nous souperons en famille.
Là, elle fut reine. Mais elle soupira en songeant que Charny, de triste qu'il était, redevint joyeux.

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