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Chapitre XXXIII
Les archers.

Bannière entendit l'étrange invitation qui lui était faite, et se pencha vers la rue noire.
Olympe tressaillit. Bannière était sérieusement menacé, et l'amour n'était pas si mort au fond de son coeur qu'elle le croyait elle-même.
En se penchant, Bannière vit en face de la maison des buffleteries de soldats et des baïonnettes reluisant le long des murailles.
Ce mouvement qu'il venait de faire était presque imperceptible et ne ressemblait pas à un mouvement de fuite. Cependant les canons des fusils se dirigèrent contre lui.
- Ne bougez pas, répéta la voix, ou l'on fait feu sur vous.
Olympe oublia tout. Elle se précipita vers lui.
- Qu'est cela ? s'écria-t-elle épouvantée.
- Au nom du roi ! dit en bas la voix d'un commissaire à qui l'on ouvrait la porte et qui pénétrait dans la maison ; au nom du roi ! je vous arrête !
- Mon Dieu ! mais que signifie cela ? répéta Olympe en s'appuyant à l'épaule de Bannière.
- Oh ! ce sont sans doute les soldats que vous avez fait demander à la police pour arrêter votre voleur, Olympe, dit Bannière, ne pouvant réprimer le tremblement qui s'emparait de lui, et s'appuyant à la barre de la fenêtre pour ne pas tomber.
Olympe n'eut pas même le temps de protester. La porte de la chambre s'ouvrit, et le laquais épouvanté précédait le commissaire et deux fusiliers.
- Voilà Bannière, dit le magistrat, je le reconnais.
- Mais que me voulez-vous donc ? articula faiblement le malheureux.
Le commissaire s'avança vers lui en le désignant du doigt à ses soldats et en répétant les mêmes paroles qu'il avait déjà dites :
- Au nom du roi, je vous arrête !
- Mais qu'a-t-il fait ? s'écria Olympe.
- Ceci est l'affaire des juges qui auront à juger monsieur. Moi, j'ai un mandat et je l'exécute.
On entraîna Bannière.
Olympe, séparée de ce malheureux par les soldats, retomba mourante sur son fauteuil.
Quant à Bannière, il avait déjà disparu, entraîné par les soldats.
Il avait disparu de plus en plus persuadé qu'Olympe était la cause de son arrestation.
Bannière se trompait.
Olympe, depuis la découverte qu'elle venait de faire de l'infidélité de Bannière et de la perte de sa bague, Olympe n'avait eu ni le temps ni les moyens de prévenir la justice.
Mais depuis la révélation faite par la Catalane, l'abbé d'Hoirac avait eu vingt-quatre heures.
Il en avait profité en homme pressé de trouver sa vengeance et sa liberté.
En conséquence, il s'était rendu auprès de l'official, et avait lui-même exposé la cause.
N'était-il pas honteux qu'au mépris des lois divines et humaines, un homme en rupture de voeux et d'engagements eût quitté l'Eglise pour se jeter dans le théâtre ?
Le vicaire de l'archevêque se montra fort sensible, on le conçoit, à ce théorème ainsi posé.
Il répondit que rompre le voeu du noviciat était un crime.
L'abbé d'Hoirac, enchanté de ce que son opinion avait éveillé un écho, continua :
- N'est-il pas vrai, dit-il, que le scandale émane plus odieux, venant de la part de gens institués pour donner le bon exemple ?
Le vicaire de l'archevêque répondit qu'il était heureux de voir monsieur d'Hoirac, qui avait une réputation un peu mondaine, dans d'aussi saintes dispositions.
L'abbé s'inclina rayonnant.
- Vous avez quelque prêtre scandaleux à dénoncer ? dit le vicaire.
- Oui, monsieur, répondit l'abbé.
- Et ce prêtre s'est fait comédien ?
- Oui, monsieur.
- Nos pouvoirs sont bien gênés par le parlement, dit le vicaire, mais nous avons toujours droit d'enquête.
- Ah ! fit l'abbé d'Hoirac, c'est que vous avez affaire, je vous préviens, à un drôle qui a le nez fin, et pendant l'enquête il flairera la chasse et disparaîtra.
- Comment l'appelez-vous ?
L'abbé hésita à dire son nom. Une mauvaise action ne sort jamais franche du coeur d'un honnête homme, dont cependant elle sort quelquefois.
- C'est celui qui joue les empereurs au théâtre de la ville, dit l'abbé.
- Ah ! Bannière, alors ? répondit le vicaire, fort instruit des choses de théâtre, comme certains ecclésiastiques de cette époque.
- Précisément.
- Eh ! mais, dit le vicaire, il ne joue pas mal ; j'aime assez son débit : il a le geste noble et la voix cadencée.
- Oui. Oh ! je ne l'attaque nullement sous ce rapport-là.
- Et vous dites que c'est un novice échappé ?
- Des jésuites d'Avignon, oui.
- Je vais écrire au révérend père Mordon pour qu'il le réclame.
- Soit ! mais ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire, quand arrivera la réclamation du révérend père Mordon, Bannière se sera enfui.
Le vicaire se gratta un instant le menton.
- Je vois ce que vous voudriez, dit-il ; ce serait une arrestation provisoire, ce que nous appelons à l'officialité une saisie de précaution.
- Pour la plus grande gloire de la morale, dit l'abbé.
- Oui ; ad majorem Dei gloriam ! fit en riant le vicaire de l'archevêque, qui fleurait un certain goût de jansénisme, et qui n'était point fâché de lancer son lardon à la société de Jésus quand l'occasion se présentait.
L'abbé d'Hoirac sourit en montrant ses jolies dents blanches.
- Vous vous intéressez donc toujours aux jésuites ? demanda l'official, souriant comme l'abbé, mais sans dents, hélas !
- J'aime un peu partout, répliqua celui-ci ; et, sur ce point, je suis l'exemple de mon parent l'archevêque, qui est plus berger que pasteur. Vous êtes exclusifs, vous autres, qui êtes de la vieille école, et vous ne comprenez pas cela. Si le feu roi vivait, on vous taxerait encore d'arnaudisme et de port- royalisme ! mais moi, jésuite, c'est-à-dire pareil à l'abeille d'Horace, je récolte çà et là les fleurs de l'orthodoxie.
- Fût-ce sur le théâtre, dit l'official avec son plus fin sourire.
- J'ai dit partout, monsieur le vicaire, répondit d'Hoirac : ainsi je n'aurai pas besoin d'écrire moi-même à l'ami de mon oncle, le révérend père Mordon, et vous me savez gré, n'est-ce pas, de vous en laisser le mérite auprès de lui ?
- Parfaitement, mon cher abbé, je m'accommode à merveille d'être utile à messieurs les jésuites quand ils cherchent à nous être agréables. Le révérend père Mordon est homme d'esprit, il nous revaudra le service que je vais lui rendre.
- Et, demanda d'Hoirac, voyons, quand pratiquerez-vous cette saisie de précaution.
- Mais quand vous le jugerez convenable, monsieur l'abbé.
- Voulez-vous ce soir ?
- Ce soir ?
- Oui.
- Est-ce possible ?
- Parfaitement.
- Va pour ce soir. Avez-vous une préférence pour le mode d'arrestation ?
- Oh ! nullement. >vitons le scandale, voilà tout.
- Nous l'arrêterons à domicile, alors ?
- Je crois que c'est le meilleur parti à adopter.
- Où loge-t-il ?
- Je ne sais pas bien.
L'abbé ne voulait pas avoir l'air de savoir où logeait Bannière : c'était trop savoir où demeurait Olympe.
- Ah ! diable ! fit le vicaire, vous ne savez pas bien ?
- On peut s'en informer au théâtre, hasarda d'Hoirac.
- Vous avez raison ; ce sera fait, monsieur l'abbé.
- Une dernière question.
- Faites.
- Expliquez-moi, je vous prie, monsieur le vicaire, la marche d'une affaire du genre de celle qui nous occupe.
- C'est bien facile.
- J'écoute.
- Saisie de précaution, arrestation, incarcération.
- Provisoire ?
- Toujours provisoire. Eh ! monsieur l'abbé, vous le savez bien, rien n'est que provisoire en pareil cas. Incarcération, ai-je dit, réclamation du révérend père proviseur, débat, réintégration provisoire du novice dans le couvent, instruction de son procès devant l'official.
- Ah ! devant l'official d'Avignon ?
- Non pas ! non pas ! devant l'official de la localité dans laquelle ont eu lieu le séjour du fugitif et son arrestation.
- Très bien ! l'official de Lyon, par conséquent.
- L'official de Lyon, oui ; est-ce que cela vous gêne, par hasard ? demanda sournoisement le vicaire.
- Nullement, monsieur. Ensuite ?
- Ensuite, disons-nous, procès.
- C'est long, n'est-ce pas, un procès ecclésiastique ?
- Oh ! cela ne finit jamais, surtout quand quelqu'un de puissant a intérêt à ce que cela dure.
- Mais, pendant ce temps, le malheureux serait donc toujours prisonnier ?
- Non une fois rendu aux jésuites, il redevient élève, et comme les révérends pères sont extrêmement habiles à retenir ceux qui ne veulent pas demeurer avec eux, comme ils peuvent être fort désagréables à ceux qui résistent, il est à peu près certain qu'au bout de deux ou trois ans, le novice en arriverait à faire profession de très bonne grâce.
- Heu ! qui sait ? fit l'abbé qui, tout plein des souvenirs d'Olympe, était peu disposé à croire qu'après l'avoir connue on pût l'oublier.
- En tout cas, poursuivit le vicaire de l'archevêque, qui voyait bien que quelque chose tourmentait l'abbé, et qui tenait à le rassurer, en tout cas, soit prisonnier, soit jésuite, notre scandaleux novice ne pourra plus, d'ici à bien longtemps, d'ici à jamais, ce qui est plus long encore, ne pourra plus donner au monde de ces scandales qui vous ont à si juste raison contrarié dans vos saintes dispositions.
L'abbé remercia l'official et prit congé de lui, bien décidé à ne reparaître chez Olympe qu'après la disparition de l'embarras principal.
Et, en effet, comme l'avait prédit monsieur le vicaire, dès le soir même, sur sa réquisition, la force armée, un commissaire en tête, était venue arrêter Bannière, ainsi que nous l'avons vu au précédent chapitre.
La lettre d'avis parvint au révérend père Mordon le lendemain de la saisie de précaution.
Le jésuite, enchanté de retrouver sa proie, adressa à l'official de Lyon sa réclamation judiciaire ; cette réclamation, confiée au coureur du collège, messager intelligent qui savait, comme la mule de Phèdre, courir et trotter quand il fallait et selon le besoin de l'ordre, et toujours ad majorem Dei gloriam, le messager arriva deux jours après la petite escorte qui, emmenant Bannière en prison, marchait d'un pas précipité. C'est l'habitude de tous les archers, gens inquiets, qui n'aspirent qu'au moment où leur responsabilité se trouve dégagée par le jeu de cinq à six bons verrous.
Bannière n'annonçait pas une bien grande inclination à se rebeller. Il était plongé dans un si morne désespoir, que, sans l'action machinale de ses deux jambes obéissant à l'impulsion que de temps à autre leur donnaient quelques bourrades d'archer, on eût cru le pauvre garçon pétrifié comme la femme de Loth après sa curiosité fatale. Les archers couraient donc à la suite du commissaire, et le commissaire retroussait sa robe pour enjamber plus vite, quand, au détour d'une rue, cette escorte se jeta dans une autre qui débouchait de la rue adjacente.
Un dragon portant un falot heurta le commissaire, auquel, avec humeur, ne le reconnaissant pas, il rendit une violente secousse accompagnée de ces mots :
- Eh ! butor, ne vois-tu pas mon officier !
Le commissaire allait se formaliser et verbaliser si l'officier n'avait été que lieutenant, mais, à la lueur du fallot, ce magistrat reconnut un colonel ; il rengaina sa mauvaise humeur et se rangea.
On put voir alors entre trois dragons, dont deux suivaient à quelque distance, un fort beau cavalier tout frais de dentelles et tout parfumé de roses.
Il y avait derrière les dragons un petit laquais qui lui portait son épée et son manteau.
Le colonel, ayant regardé obliquement le commissaire et les alguazils.
- Ah ! ah ! dit-il au falot, éclaire un peu, Laverdrie ; c'est, je crois, du gibier derrière un commissaire.
- Oui, monsieur le colonel, répliqua humblement la robe noire.
- Très bien, très bien, faites votre office, répliqua le colonel avec un vague dédain. A propos, dans quelle rue suis-je ?
Le commissaire répondit :
- Rue de la Réale, monsieur le colonel.
- Oh ! ce n'est pas mon affaire. Est-ce qu'il n'y a pas près d'ici la rue Montyon ?
- Vous y touchez, monsieur le colonel ; nous en sortons.
- Très bien, merci.
- La première à gauche, monsieur le colonel.
- Va, Laverdrie.
- Oui, mon colonel.
- Et toi, dit l'officier au laquais, déterre-moi un peu le logis de mademoiselle Olympe de Clèves.
Le laquais allongea le pas et précéda bientôt ceux qu'il suivait naguère.
Au nom d'Olympe, Bannière parut se réveiller d'un sommeil de mort. Il ouvrit les yeux, et aperçut le fallot, les uniformes, l'épaulette, entendit les éperons, les voix.
En conséquence, il s'assit sur une borne, incapable de faire un pas de plus.
- Ah ! mon Dieu ! répétait-il, ah ! mon Dieu !
Cependant les dragons et le colonel étaient passés.
- Ah ! mon Dieu ! répétait ce pauvre Bannière.
- Eh bien ! marchons-nous, ou ne marchons-nous pas ? demanda le commissaire.
- Monsieur le commissaire, le prisonnier ne va plus, répondit un archer.
- Bourrez, bourrez !
- Mais nous avons bourré, monsieur le commissaire.
- Piquez, alors.
- Mais nous avons piqué, monsieur le commissaire.
Le commissaire s'approcha tout furieux.
Il n'avait jamais vu pareille chose, le digne homme ! la bourrade trouvait parfois des rebelles, la piqûre jamais.
Bannière était sur sa borne, tout pâle, tout débraillé, tout meurtri. Ses yeux vitreux se tournaient obstinément vers la rue Montyon ; à l'endroit où il avait vu disparaître le laquais, le fallot, les deux dragons suivant le colonel, qui se rendait, sans aucun doute, près d'Olympe.
- Ah ! mon Dieu ! murmura-t-il, voilà l'explication : elle attendait un nouvel amant, et, pour se défaire de moi, elle m'a fait arrêter. Ah ! mon Dieu !
Le fait est qu'une pareille idée était de nature à tanner la peau d'un amoureux, fût-ce du plus sensible, au point de la rendre à l'épreuve de la bourrade et de la piqûre.
Le commissaire usa du dernier moyen que la loi lui laissait.
Il fit enlever Bannière sur un lit de fusils enlacés, et le pauvre garçon fut porté de cette façon jusqu'à la maison de ville, où il fut déposé dans la prison.
Les archers souffrirent bien plus que lui : ils le trouvèrent très lourd.

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