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Chapitre LXXII
Ordre du roi

Cependant Mailly, avec toutes ses défiances, défiance de mari, défiance d'amant, défiances qui le faisaient bondir cent fois par jour, Mailly ne pouvait parvenir à écarter l'ennemi du double bien qu'il défendait.
Il ressemblait à ces malheureux taureaux d'Espagne harcelés à droite et à gauche, d'un côté par les picadors, de l'autre par les chulos, qui veulent le distraire du coup mortel que lui prépare en face le torero.
à peine sorti des mains de Richelieu, il retombait dans celles de Pecquigny.
Et Pecquigny, le plus brutal, n'était pas le plus dangereux.
Et cependant Mailly n'était pas tranquille de ce côté, car il avait donné une consigne sévère aux gens de sa maison de la Grange-Batelière.
Pour M. le duc de Pecquigny, Mlle Olympe ne devait jamais être chez elle.
Pecquigny vint se heurter deux fois à cette barrière. Il s'y rompit les cornes; mais aussi il jura de s'en venger.
C'était difficile, Olympe ne reparaissait plus au théâtre; difficulté qui eût été levée facilement avec un ordre du roi.
Mais avec un ordre du roi il trouvait Mailly chez Olympe, et il ne pouvait pas faire signer un ordre du roi qui empêchât Mailly d'accompagner Olympe au théâtre.
D'ailleurs, on cause mal de pareilles affaires dans une coulisse, derrière un châssis, et même dans une loge. Il lui fallait une belle et bonne conversation, bien tranquille, bien longue; une conversation qui durât, sans être interrompue, au moins le temps qu'avait mis Satan à séduire ève: un quart d'heure.
11 fallait donc attendre une sortie de Mailly, car pour Olympe elle ne sortait jamais.
Pecquigny était en vérité fort malheureux, car il n'avait pas les ressources ordinaires aux séducteurs, il ne pouvait séduire Olympe par lettres.
En effet, comment écrire à Olympe?
Jamais une épître amoureuse ne déshonore l'homme qui l'a écrite; elle lui vaut une rebuffade; elle lui vaut un duel; voilà tout: mais il y a peu d'exemple qu'un gentilhomme de la qualité de Pecquigny ait écrit à une femme pour le compte d'un autre, fût-ce pour le compte d'un roi. Le duel qui se fût suivi d'une pareille épître eût déshonoré Pecquigny, et le roi lui-même eût applaudi au lieu de s'offenser.
Et le roi, ce qui était bien pis, n'eût pas tenu sa maîtresse de l'offenseur. Force était à Pecquigny de garder en cette circonstance la plus désagréable circonspection.
En attendant, le temps se passait.
Le temps, c'est-à-dire le sang des négociations: s'il coule en vain, la mort arrive.
Et pendant que Pecquigny perdait son temps, M. de Richelieu pouvait réussir.
Voilà ce qui épouvantait Pecquigny et ce qui donnait à Mailly quelques consolations.
Car il n'avait pas tout à fait désespéré encore du côté de sa femme. Il la savait vertueuse, colère, et facile à revenir sur ses idées; elle avait menacé, mais, à coup sûr, elle s'adoucirait.
Donc, Mailly, d'un côté, se reposait sur sa surveillance; de l'autre, sur l'autorité de son nom.
Mais le jour était venu où les circonstances allaient donner à Pecquigny la facilité de renouveler son attaque.
Ce fut un jour où Mailly était de service absolu pour une inspection de trois régiments de cavalerie.
Ce jour-là, le roi devait parcourir les rangs à cheval, Mailly serait tranquille: Sa Majesté ne serait ni auprès de sa femme ni auprès de sa maîtresse.
Restaient les agents de Sa Majesté. Richelieu et Pecquigny.
Contre Richelieu, il avait la vertu de Mme de Mailly.
Contre Pecquigny, il avait les verrous de la maison de la rue GrangeBatelière.
Mais à peine fut-il sur le champ de manœuvres de Satory, que Pecquigny, sur la foi de ses espions, arriva rue Grange-Batelière.
Il savait qu'on lui refuserait la porte, ce qui arriva.
- Ordre du roi, dit simplement Pecquigny au suisse ébahi.
- Mais ... répliqua l'honnête porte-hallebarde.
- Ordre du roi, répéta Pecquigny.
Le suisse se radoucit à ce double avertissement.
- Vous êtes le duc de Pecquigny? demanda-t-il.
- Gentilhomme de la chambre, dit le duc, et j'apporte un ordre du roi. Veux-tu que je fasse requérir un commissaire?
- Oh! M. le comte me chassera! s'écria le suisse.
- Eh bien! que me fait cela, maraud! répond le duc; si l'on te chasse, tu auras évité un plus grand malheur!
- Lequel, monsieur le duc? demanda le suisse tout tremblant.
- Celui de coucher dans quelque cul-de-basse-fosse, pour t'apprendre à manquer de respect à un ordre du roi.
Le suisse s'inclina, écrasé par cette logique. Il ouvrit la porte à deux battants.
Le duc de Pecquigny eut la bonté de ne pas faire entrer sa voiture. Juste au moment où il franchissait à pied la porte de l'hôtel, Olympe sortait du bain.
Elle avait entendu les femmes et les valets se récrier dans le vestibule. Elle sonna pour savoir la cause de tout ce tumulte.
Mlle Claire entra tout effarée.
- Qu'y a-t-il? demanda Olympe.
- Oh! madame, quel malheur!
- Voyons, dites.
- Un ordre du roi pour madame.
- Un ordre du roi! fit Olympe pâlissant, car, à cette époque, où la liberté n'était pas même garantie aux princesses du sang, elle l'était bien moins aux princesses de théâtre; un ordre du roi!
- Oui, et c'est moi qui l'apporte, répondit de l'antichambre Pecquigny dont l'oreille avait saisi l'intonation craintive d'Olympe.
- Qui, vous? demanda celle-ci.
- M. le duc de Pecquigny, madame, dit Claire, se penchant pour voir à travers la porte entrebâillée, et apercevant le duc.
Olympe rentra dans son boudoir, s'enveloppa d'une robe de damas, donna un tour à sa coiffure, et se hâta de faire entrer le duc.
- Oh! mon Dieu! s'écria celui-ci, que de peine on a, belle dame, pour pénétrer auprès de vous!
- C'est moi, au contraire, monsieur le duc, répondit Olympe, qui vous demanderai d'où vient que vous êtes si rare?
- Oh! c'est charmant, dit Pecquigny; et c'est à moi que vous dites cela!
- Sans doute, c'est à vous.
- Alors vous ne savez pas pourquoi vous ne m'avez pas revu?
- Non.
- Eh bien! je vais vous le dire. C'est parce que votre tyran fait jeter les gens à la porte.
- On vous a fait jeter à la porte, vous?
- Oui, moi.
- On vous a fait une pareille injure, monsieur le duc?
- Oui. Voulez-vous me venger?
- Je veux être la maîtresse chez moi, dit Olympe, et comme je n'ai jamais commandé que l'on vous refusât la porte, vous entrerez désormais, s'il vous plaît, sans difficulté, sans avoir besoin de prétexter, comme aujourd'hui, des ordres du roi, qui me font frémir, moi, Olympe de Clèves, pauvre comédienne, pour laquelle ordre du roi se traduit toujours par ces mots: Fort-l'évêque.
- Mais je n'ai rien prétexté du tout, je vous prie de le croire. J'ai un bon ordre du roi, signé de Sa Majesté.
- Pour me conduire à Versailles ou au Fort-l'évêque ? demanda Olympe en riant.
- Oh! ni à l'un ni à l'autre. Pour vous faire jouer la comédie.
- à moi! s'écria Olympe toute curieuse, et surtout toute ravie, car ce qu'elle aimait le plus après Bannière c'était le théâtre.
- à vous, oui.
- Et comment cela? j'ai cru que j'étais tombée, moi, et que grâce à cette chute j'étais redevenue libre.
- Point, il s'en faut du tout au tout; vous avez réussi, et grandement réussi, au contraire. Seulement, on a remarqué que vous vous éclipsiez. Tous les grands artistes, s'ils viennent à manquer, nous ôtent à la fois la chaleur et la lumière. Eh bien! depuis votre absence, belle Olympe, il fait nuit, il fait froid. Le on, qui s'en est aperçu, vous réclame, et voici un ordre signé de lui.
Et, sur ces paroles, Pecquigny tira de sa poche un papier carré qu'il tendit à la belle comédienne.
Olympe le prit, et lut avec une joie difficile à décrire:
«Par ordre du roi, messieurs les comédiens joueront, avant quinze jours, à la réquisition d'un de nos gentilshommes de la chambre, Les Folies amoureuses et Hérode et Mariamne. M. le gentilhomme de service distribuera les rôles et s'occupera et activera les répétitions à partir de ce jour.»
- Jouerai-je dans les deux pièces? demanda Olympe.
- Sans doute; ne savez-vous pas les deux rôles?
- Je sais Mariamne; mais, tout en sachant Les Folies amoureuses de mémoire, je ne l'ai jamais jouée.
- Voulez-vous choisir tout autre rôle?
- Non pas; celui-là est charmant, seulement il mérite de grandes études.
- Oh! pas longues.
- Vous vous trompez, monsieur Je duc; c'est un charmant rôle, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, mais qui demande à être tenu.
- Noblesse oblige, vous savez cela, belle dame, et je ne vous apprends rien de nouveau.
- C'est bien, dit Olympe en souriant, on fera le possible pour satisfaire Sa Majesté.
- Oh! madame, vous avez déjà trop plu au roi pour ne pas le satisfaire complètement.
- y a-t-il dans l'ordre de Sa Majesté que vous me direz de ces choses-là, monsieur le duc? dit Olympe.
- Non, mais c'est écrit dans vos yeux.
- Est-ce que vous voulez que j'approuve M. de Mailly de vous avoir fermé ma porte?
- Non, je ne vous dis rien qu'il ne puisse entendre.
- Et moi je ne vous dis rien qui ne soit raillerie.
- A la bonne heure!
- Au reste, puisque vous voilà, c'est que vous savez qu'il est loin d'ici.
- Il est à Versailles, près du roi; il est bien heureux, qu'en dites-vous?
- Il est bien heureux?
- Mais oui.
- Certainement, tout bon Français doit s'estimer heureux d'être auprès de son roi.
- Vous y comprenez les Françaises?
- Oh l monsieur le duc, les Françaises sont aussi de bons Français.
- Tudieu ! quelle parole, et comme elle fera plaisir au roi quand il la connaîtra!
- Oui, mais il ne la connaîtra pas.
- Et pourquoi cela?
- Qui la lui dirait?
- Moi.
- Vous! et pourquoi?
- Pour lui plaire, donc.
- Je crois que voilà M. de Mailly qui rentre, fit malicieusement Olympe.
Pecquigny se leva vivement, en fronçant le sourcil et en mettant la main sur la garde de son épée.
Mais Olympe se mit à rire.
Pecquigny la regarda avec étonnement.
- Vous voyez bien que vous faisiez mal ou que vous pensiez mal, dit-elle.
- Allons, je l'avoue.
- Renfermez-vous dans l'ordre du roi; c'est plus sûr, croyez-le.
- Oui, mais l'ordre du roi est qu'on serve le roi.
- Même ici?
- Ici surtout.
- Apportez-moi un second ordre de Sa Majesté, alors, dit Olympe.
- Oh! mais celui-là plus tôt que vous ne croyez.
- écrit de la main du roi.
- Et contresigné Pecquigny.
- Prenez garde! sur celui-là je consulterai M. de Mailly.
- En vérité, cette femme est de l'acier.
- Parlons du rôle des Folies amoureuses, monsieur le duc.
- Quel jour le voulez-vous jouer?
- Que dira M. de Mailly si je retourne au théâtre?
- S'il veut quereller le roi, il est libre. Quand voulez-vous jouer Les Folies amoureuses?
- Duc, il y a dans Les Folies amoureuses un travail difficile.
- Lequel?
- Celui de la folie.
- Bah! une folie simulée.
- Elle n'en est que plus difficile. Le personnage a besoin de faire illusion, et je n'ai jamais vu de fous.
- Pourquoi cela?
- Parce que les fous me font peur.
- Eh bien! dit Pecquigny, vous en voyez un.
- Où cela?
- à vos pieds.
- C'est vrai, dit tranquillement Olympe.
- Prenez modèle, dit Pecquigny un peu déconcerté.
- Non, cette folie-là n'est point assez raisonnable. Nous en verrons d'autres, monsieur le duc.
- Comment! vous voulez voir des fous?
- Oui.
- De vrais fous?
- Sans doute.
- Prenez garde!
- à quoi?
- Cela se gagne, la folie.
- Bah!
- Oh! mon Dieu! oui, c'est contagieux: cela se gagne en général sur les lèvres et dans les yeux des gens.
- Oh ! que non pas, je suis tranquille.
- Ne raillez point. J'ai ouï dire que ceux qui visitent Charenton trop souvent, ou qui même y demeurent, courent les plus grands dangers pour leur raison.
- Ah! c'est à Charenton que sont les fous?
- Oui, belle dame, et même, je vous en préviens, c'est affreux à voir.
- J'irai à Charenton.
- Mais vous êtes donc une cruelle?
- Non; je suis une artiste très amoureuse de mon état, et très ambitieuse de réussir.
- Eh bien! soit, on vous fera visiter Charenton.
- Merci.
- Et l'on vous accompagnera même, si vous le permettez.
- Soit, monsieur le duc.
- Vous aurez une permission dès ce soir, et demain, à l'heure qu'il vous plaira d'ordonner, mon carrosse sera à votre porte.
- Merci, j'ai le mien.
- Vous m'offrez donc une place?
- Ce n'est pas mon droit, monsieur le duc.
- Pourquoi cela?
- Parce que mes carrosses, à moi, sont à M. de Mailly, et que c'est lui qui autorise à y monter, comme le roi dans les siens.
- Service du roi, ma chère.
- Sans doute aussi, M. de Mailly sera-t-il très heureux de vous prouver son obéissance au roi; demandez-le-lui.
- Oh! vous savez bien que c'est impossible, il me refuserait.
- Alors, s'il refuse, il refusera de me laisser jouer: il est entêté.
- Bah!
- Plus qu'entêté, immuable.
- Et vous croyez que cette immuabilité tiendra contre le roi?
- Elle tiendrait contre l'enfer!
- Que faire, alors?
- Tenez, le mieux, si vous voulez que réellement je joue Les Folies amoureuses ...
- Eh bien?
- Le mieux est de laisser ignorer à M. de Mailly que je joue.
- C'est faible, pour un ambassadeur de Sa Majesté Très Chrétienne, ce que vous me proposez là, savez-vous?
- Oh! M. de Richelieu est un ambassadeur moins fier, ce qui ne l'empêche pas d'être un ambassadeur fort adroit.
- Que fait M. de Richelieu?
- Il réussit d'abord.
Ce nom de Richelieu, qu'Olympe lançait le plus innocemment du monde, produisit néanmoins sur le duc un effet magique.
Il frémit en songeant que peut-être M. de Richelieu réussirait près de Mme de Mailly, tandis que lui se laisserait vaincre du côté d'Olympe.
- Vous avez raison, s'écria-t-il brusquement, vous avez raison, madame. Allez seule à Charenton, gardez le secret sur l'ordre du roi, faites comme il vous plaira; mais, en tout cas, et pour être prête à tout événement, vous aurez demain votre permission ... Et je compte sur vous pour jouer Les Folies amoureuses dans huit jours.
- Non, dans quinze, s'il vous plaît, monsieur le duc, fit Olympe.
- Va pour quinze jours, puisque vous le voulez ... Mais, votre parole.
- Voici ma main.
- Vous savez que le roi y sera.
- Mais j'y compte bien. Pourquoi m'ordonnerait-il de jouer si ce n'était pour jouer devant lui?
Pecquigny baisa la main qu'Olympe lui tendait et fit une sortie à peu près pareille à celle que Richelieu avait faite chez Mme de Mailly. Il triomphait de son côté comme avait triomphé Richelieu.
Pauvre Mailly!


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