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Chapitre XXII
Le songe d'une nuit d'automne

C'était par une belle soirée d'automne, calme et transparente. La lune avait chassé presque tous les nuages, et ceux qui restaient encore au ciel glissaient éloignés les uns des autres sur un fond bleu semé d'étoiles. Autour du groupe qui causait et écoutait dans le jardin du Petit-Nesle, tout était calme et silencieux, mais en eux tout était troublé et frémissant.
- Ma bien-aimée Colombe, disait Ascanio, tandis que Benvenuto, debout derrière lui, froid et pâle, ne croyait pas entendre ces paroles avec son oreille mais avec son coeur, ma fiancée chérie, que suis-je venu faire, hélas ! dans votre destinée ? Quand vous saurez tout ce que je vous apporte de malheur et d'épouvante, vous allez me maudire de m'être fait le messager de pareilles nouvelles.
- Vous vous trompez, mon ami, répondit Colombe, quoi que vous puissiez me dire, je vous bénirai, car je vous regarde comme venant de la part de Dieu. Je n'ai jamais entendu la voix de ma mère, mais je sens que je l'eusse écoutée comme je vous écoute. Parlez donc, Ascanio, et si vous avez des choses terribles à m'apprendre, eh bien ! votre voix me consolera déjà un peu de ce que vous me direz.
- Appelez donc à votre aide tout votre courage et toutes vos forces, dit Ascanio.
Et il lui raconta ce qui s'était passé, lui présent, entre madame d'Etampes et le comte d'Orbec ; il exposa tout ce complot, mélange de trahison contre l'intérêt d'un royaume et de projets contre l'honneur d'un enfant ; il endura le supplice d'expliquer à cette âme ingénue et tout étonnée du mal le traité infâme du trésorier ; il dut faire comprendre à cette jeune fille, pure au point de ne pas même rougir à ses paroles, les cruels raffinements de haine et d'ignominie que l'amour blessé avait inspirés à la favorite. Tout ce que Colombe put nettement concevoir, c'est que son amant était pénétré de dégoût et de terreur, et, pauvre lierre qui n'avait d'autre appui que l'arbrisseau auquel elle s'était attachée, elle trembla et frissonna comme lui.
- Ami, lui dit-elle, il faut révéler à mon père tout cet affreux dessein contre mon honneur. Mon père ne se doute pas de notre amour, mon père vous doit la vie, mon père vous écoutera. Oh ! soyez tranquille, il arrachera ma destinée aux mains du comte d'Orbec.
- Hélas ! fit pour toute réponse Ascanio.
- Oh ! mon ami ! s'écria Colombe, qui comprit tout ce que contenait de doute l'exclamation de son amant ; oh ! soupçonneriez-vous mon père d'une si odieuse complicité ? Ce serait mal, Ascanio. Non, mon père ne sait rien, ne se doute de rien, j'en suis sûre, et bien qu'il ne m'ait jamais témoigné une grande tendresse, il ne voudrait pas me tremper de sa propre main dans la honte et dans le malheur.
- Pardon, Colombe, reprit Ascanio, mais c'est que votre père n'est point habitué à voir le malheur dans la fortune, c'est qu'un titre lui cacherait une honte, c'est que son orgueil de courtisan vous croirait plus heureuse maîtresse d'un roi que femme d'un artiste. Je ne dois rien vous cacher, Colombe : le comte d'Orbec disait à madame la duchesse d'Etampes qu'il répondait de votre père.
- Est-il possible, Dieu juste ! s'écria la jeune fille. Est-ce que cela s'est jamais vu, Ascanio, des pères qui ont vendu leur enfant ?
- Cela s'est vu dans tous les pays et dans tous les temps, mon pauvre ange, et surtout dans ce temps et dans ce pays. Ne vous faites pas le monde à l'image de votre âme et la société à celle de votre vertu. Oui, oui, Colombe, les plus nobles noms de la France ont affermé sans pudeur au libertinage royal la jeunesse et la beauté de leurs femmes et de leurs filles ; c'est chose toute simple à la cour, et votre père, s'il veut se donner la peine de se justifier, ne manquera pas d'illustres exemples.
Je te demande pardon, mon aimée, de froisser si brusquement ton âme chaste et sainte au contact de la hideuse réalité ; mais c'est nécessaire, enfin, et il faut bien te montrer l'abîme où l'on te pousse.
- Ascanio, Ascanio ! s'écria Colombe en cachant sa tête sur l'épaule du jeune homme, quoi, mon père se tourne aussi contre moi. Oh ! rien que de le répéter j'ai honte ! où donc me réfugier, alors ? oh ! dans vos bras, Ascanio ! oui, c'est à vous de me sauver ! Avez-vous parlé à votre maître, à ce Benvenuto si fort, si bon et si grand, à ce que vous m'avez dit, et que j'aime parce que vous l'aimez ?
- Ne l'aime pas, ne l'aime pas, Colombe ! s'écria Ascanio.
- Et pourquoi cela ? murmura la jeune fille.
- Parce qu'il vous aime, vous, parce qu'au lieu d'un ami sur lequel nous avions cru pouvoir compter, c'est un ennemi que nous allons avoir à combattre ; un ennemi, entendez-vous, et le plus terrible de nos ennemis. Ecoutez.
Alors Ascanio raconta à Colombe comment, au moment où il allait tout confier à Benvenuto, celui-ci lui avait révélé son amour idéal, et comment le ciseleur chéri de François Ier, grâce à cette foi de gentilhomme à laquelle le roi n'avait jamais manqué, pouvait obtenir tout ce qu'il demanderait après la fonte du Jupiter. Or, comme on le sait, ce que comptait demander Benvenuto Cellini, c'était la main de Colombe.
- Mon Dieu ! il ne nous reste donc plus que vous, dit Colombe en levant ses beaux yeux et ses blanches mains vers le ciel. Tout allié nous devient ennemi, tout port se change pour nous en écueil. Etes-vous bien certain que nous soyons abandonnés à ce point ?
- Oh ! que trop certain, dit le jeune homme. Mon maître est aussi dangereux pour nous que votre père, Colombe. Oui, lui, lui, s'écria Ascanio en joignant les mains ; lui Benvenuto, mon ami, mon maître, mon protecteur, mon père, mon Dieu ! me voilà presque forcé de le haïr. Et cependant pourquoi lui en voudrais-je, je vous le demande, Colombe ? Parce qu'il a subi l'ascendant auquel doit céder tout esprit élevé qui vous rencontrera ; parce qu'il vous aime comme je vous aime. Son crime est le mien, après tout. Seulement, vous, Colombe, vous m'aimez, et je suis absous. Que faire ? mon Dieu ! Ah ! depuis deux jours je m'interroge, et je ne sais si je commence à le détester ou si je le chéris toujours. Il vous aime, c'est vrai ; mais il m'a tant aimé, moi aussi ! ma pauvre âme vacille et tremble au milieu de ce trouble comme un roseau dans la tempête. Que fera- t-il, lui ? oh ! je vais d'abord l'informer des desseins du comte d'Orbec, et j'espère qu'il nous en délivrera. Mais après cela, quand nous nous trouverons face à face en ennemis, quand je lui dirai que son élève est son rival, Colombe, sa volonté toute-puissante comme le destin est peut-être aveugle comme lui : il oubliera Ascanio pour ne plus penser qu'à Colombe, il détournera les yeux de l'homme qu'il aima pour ne plus voir que la femme qu'il aime, car je sens aussi qu'entre lui et vous, moi je n'hésiterais pas. Je sens que je sacrifierais sans remords le passé de mon coeur à son avenir, la terre au ciel ! Pourquoi agirait-il autrement ? il est homme, et sacrifier son amour serait un acte au-dessus de l'humanité. Nous lutterons donc l'un contre l'autre, mais comment lui résisterai-je, moi, faible et isolé que je suis ? oh ! n'importe, Colombe, quand j'en arriverai un jour à haïr celui que j'ai tant et si longtemps aimé, non, je vous le dis, non, je ne voudrais pas pour tout au monde lui faire endurer le supplice dont il m'a torturé l'autre matin en me déclarant son amour pour vous.
Cependant Benvenuto, immobile comme une statue derrière l'arbre, sentait des gouttes de sueur glacée perler sur son front, et sa main se crisper convulsivement sur son coeur.
- Pauvre Ascanio ! cher ami ! reprit Colombe, vous avez beaucoup souffert déjà et beaucoup à souffrir encore. Pourtant, mon ami, attendons l'avenir avec calme. Ne nous exagérons pas nos douleurs, tout n'est pas désespéré. Pour résister au malheur, pour conjurer notre destinée, nous sommes trois, en comptant Dieu. Vous aimeriez mieux me voir à Benvenuto qu'à Orbec, n'est-ce pas ? Mais vous aimeriez encore mieux me voir au Seigneur qu'à Benvenuto ? Eh bien ! si je ne suis pas à vous, je ne serai qu'au Seigneur, dites-vous-le bien, Ascanio. Votre femme en ce monde ou votre fiancée pour l'autre. Voilà la promesse que je vous ai faite et que je tiendrai, Ascanio ; soyez tranquille.
- Merci, ange du ciel, merci ! dit Ascanio. Oublions donc ce vaste monde qui s'étend à l'entour de nous, et concentrons notre vie dans ce petit bosquet où nous sommes. Colombe, vous ne m'avez pas dit encore que vous m'aimez. Hélas ! il semblerait que vous êtes à moi parce que vous ne pouvez faire autrement.
- Tais-toi, Ascanio, tais-toi donc, dit Colombe, tu vois bien que je cherche à sanctifier mon bonheur en en faisant un devoir. Je t'aime, Ascanio, je t'aime !
Benvenuto n'eut plus la force de rester debout ; il tomba sur ses genoux, appuya sa tête contre l'arbre ; ses yeux hagards se fixaient vaguement dans l'espace, tandis que l'oreille tournée vers les deux jeunes gens, il écoutait avec toute son âme.
- Ma Colombe, répétait Ascanio, je t'aime, et quelque chose me dit que nous serons heureux, et que le Seigneur n'abandonnera pas son plus bel ange. Oh ! mon Dieu, je ne me rappelle plus, au milieu de cette atmosphère de joie qui t'entoure, ce cercle de douleur où je vais rentrer en te quittant.
- Il faut cependant songer à demain, dit Colombe ; aidons-nous, Ascanio, aidons-nous pour que Dieu nous aide. Il ne serait pas loyal, je crois, de laisser ignorer à votre maître Benvenuto notre amour, il s'exposerait peut- être à de graves dangers en luttant contre madame la duchesse d'Etampes et le comte d'Orbec. Cela ne serait pas juste ; il faut l'avertir de tout, Ascanio.
- Je vous obéirai, chère Colombe, car une parole de vous, vous le sentez bien, c'est un ordre. Puis, mon coeur aussi me dit que vous avez raison, raison toujours. Mais le coup que je lui porterai sera terrible. Hélas ! j'en juge d'après mon coeur. Il est possible que son amour pour moi se tourne en haine, il est possible qu'il me chasse. Comment résisterai-je alors, moi étranger, sans appui, sans asile, à d'aussi puissants ennemis que la duchesse d'Etampes et le trésorier du roi ? Qui m'aidera à déjouer les projets de ce couple terrible ? qui voudra s'engager avec moi dans cette guerre inégale ? qui me tendra la main ?
- Moi ! dit derrière les deux jeunes gens une voix profonde et grave.
- Benvenuto ! s'écria l'apprenti, sans même avoir besoin de se retourner.
Colombe jeta un cri et se leva précipitamment. Ascanio regardait le maître indécis entre sa colère et son amitié.
- Oui, c'est moi, moi, Benvenuto Cellini, reprit l'orfèvre ; moi que vous n'aimez point, mademoiselle, moi que tu n'aimes plus, Ascanio, et qui viens vous sauver pourtant tous deux.
- Que dites-vous là ? s'écria Ascanio.
- Je dis qu'il faut revenir vous asseoir auprès de moi, car il faut nous entendre. Vous n'avez à m'informer de rien. Je n'ai pas perdu un mot de votre conversation. Pardonnez-moi de l'avoir surprise par hasard, mais vous comprenez : mieux vaut que je sache tout. Vous avez dit des choses tristes et terribles pour moi, mais des choses bonnes aussi. Ascanio a eu quelquefois raison et quelquefois tort. Il bien vrai, mademoiselle, que je vous aurais disputée à lui. Mais, puisque vous l'aimez, tout est dit, soyez heureux ; il vous a défendu de m'aimer, mais je vous y forcerai bien en vous donnant à lui.
- Cher maître ! s'écria Ascanio.
- Vous souffrez beaucoup, monsieur, dit Colombe en joignant les mains.
- Oh ! merci ! dit Benvenuto, dont les yeux se mouillèrent et qui se contint cependant. Vous voyez cela, vous, que je souffre. Ce n'est pas lui qui s'en serait aperçu, l'ingrat ! Mais rien n'échappe aux femmes. Oui, je ne veux pas vous mentir, je souffre ! C'est tout simple, je vous perds ; mais en même temps je suis heureux de pouvoir vous servir : vous me devrez tout ; cela me console un peu. Tu te trompais, Ascanio : ma Béatrix est jalouse et ne voulait pas de rivale ; c'est toi, Ascanio, qui achèveras la statue d'Hébé. Adieu mon plus beau rêve ! le dernier !
Benvenuto parlait ainsi avec effort, d'une voix brève et saccadée. Colombe se pencha vers lui avec grâce, et mettant sa main dans les siennes, lui dit doucement :
- Pleurez, mon ami, pleurez.
- Oui, vous avez raison, dit Cellini, éclatant en sanglots.
Il resta quelque temps ainsi, debout, pleurant sans rien dire, et tout secoué de tremblements intérieurs ; sa forte nature se soulageait par ses larmes comprimées. Ascanio et Colombe regardaient avec respect cette profonde douleur.
- Excepté le jour où je t'ai blessé, Ascanio, excepté le moment où j'ai vu couler ton sang, voilà vingt ans que je n'ai pleuré, dit-il en se remettant ; mais aussi le coup a été affreux ! Tenez, je souffrais tant tout à l'heure derrière ces arbres, que j'ai eu un moment la tentation de me poignarder tout de suite.
Ce qui m'a retenu, c'est que vous aviez besoin de moi. Ainsi vous m'avez sauvé la vie. Tout est dans l'ordre, après tout. Ascanio a vingt ans de bonheur à vous donner plus que moi, Colombe. Et puis il est mon enfant ; vous serez bien heureux ensemble, et cela me réjouira comme un père. Benvenuto saura triompher de Benvenuto comme de vos ennemis. C'est notre lot de souffrir, à nous autres créateurs, et de chacune de mes larmes éclora peut-être quelque belle statue, comme de chacune des larmes de Dante a éclaté un sublime chant. Vous le voyez, Colombe, j'en reviens déjà à mon ancien amour, ma sculpture chérie : elle ne m'abandonnera jamais, celle-là. Vous avez bien fait de me faire pleurer ; toute l'amertume de mon coeur s'en est allée avec mes larmes. Je reste triste, mais je suis redevenu bon, et je me distrairai de ma peine en vous sauvant.
Ascanio prit une main du maître et la serra dans les siennes. Colombe prit l'autre et la porta à ses lèvres. Benvenuto respira plus largement qu'il n'avait encore fait, et relevant et secouant la tête :
- Voyons, dit-il, en souriant, ne m'affaiblissez pas, ménagez-moi, mes enfants. Le mieux est de ne jamais reparler de tout ceci. Désormais, Colombe, je serai votre ami, rien de plus : je serai votre père. Le reste est un songe. Maintenant causons de ce que nous devons faire et des dangers qui vous menacent. Je vous entendais tout à l'heure faire vos projets et dresser vos plans. Vous êtes bien jeunes, mon Dieu ! et vous ne savez guère l'un et l'autre ce que c'est que la vie. Vous vous offrez candidement désarmés aux coups du sort, et vous espérez vaincre la méchanceté, la cupidité, toutes les passions hurlantes avec votre bonté et vos sourires ! chers fous ! allons, je serai fort, rusé, implacable à votre place. J'y suis habitué, moi, mais vous, Dieu vous a créés pour le bonheur et le calme, mes beaux anges, je veillerai à ce que vous remplissiez votre destination.
Ascanio, la colère ne ridera pas ton front blanc ; la douleur, Colombe, ne dérangera pas les lignes pures de ton visage. Je vous prendrai dans mes bras, charmant couple aux doux yeux ; je vous ferai traverser ainsi toutes les fanges et toutes les misères de la vie, et je ne vous déposerai sains et saufs que dans la joie ; et puis je vous regarderai et je serai joyeux en vous. Seulement, il faut que vous ayez en moi une confiance aveugle ; j'ai mes façons d'agir, brusques, étranges, et qui vous effaroucheront peut-être, Colombe. Je me comporte un peu à la manière de l'artillerie, et vais droit au but sans me soucier de ce que je rencontre en chemin. Oui, je regarde plus à la pureté de mes intentions, je le sais, qu'à la moralité de mes moyens. Quand je veux modeler une belle nature, je ne m'inquiète guère si l'argile me salit les doigts. La statue achevée, je me lave les mains, voilà tout. Que votre âme délicate et timorée me laisse donc, mademoiselle, la responsabilité de mes actes devant Dieu ; nous nous comprenons, lui et moi. J'aurai affaire ici à forte partie. Le comte est ambitieux, le prévôt avare, la duchesse adroite. Ils sont tous trois tout-puissants. Vous êtes en leur pouvoir et sous leurs mains, et deux d'entre eux ont sur vous des droits : il faudra peut-être employer l'astuce et la violence. Mais je ferai en sorte que vous restiez aussi bien qu'Ascanio en dehors d'une lutte indigne de vous. Voyons, Colombe, êtes-vous prête à fermer les yeux et à vous laisser mener ? Quand je vous dirai : « Faites cela », le ferez-vous ? « Restez-là », y resterez-vous ? « Allez », irez-vous ?
- Que dit Ascanio ? demanda Colombe.
- Colombe, répondit l'apprenti, Benvenuto est bon et grand ; il nous aime et nous pardonne le mal que nous lui avons fait. Obéissons-lui, je vous en conjure.
- Ordonnez, maître, dit Colombe, et je vous obéirai comme si vous étiez l'envoyé de Dieu.
- Bien, mon enfant. Je n'ai plus à vous demander qu'une chose qui vous coûtera peut-être, mais à laquelle il faut vous décider, après quoi votre rôle se bornera à attendre et à laisser faire les événements et moi. Et pour que vous ayez en moi encore plus de foi tous deux, pour que vous n'hésitiez pas à vous confier à un homme dont la vie peut-être fut souillée, mais dont le coeur est demeuré pur, je vais vous dire l'histoire de ma jeunesse. Hélas ! toutes les histoires se ressemblent, et au fond de chacune siège la douleur. Ascanio, je vais te dire comment ma Béatrix, l'ange dont je t'ai parlé, s'est mêlée à mon existence ; tu sauras qui elle fut, et tu t'étonneras moins sans doute de ma résignation à t'abandonner Colombe quand tu verras que par ce sacrifice je commence seulement à payer à l'enfant la dette de larmes contractée envers la mère. Ta mère ! une sainte du paradis, Ascanio ! Béatrix veut dire bienheureuse ; Stéphana veut dire couronnée.
- Vous m'avez toujours dit, maître, qu'un jour vous m'apprendriez toute cette histoire.
- Oui reprit Cellini, et le moment est venu de vous la faire connaître. Cela vous donnera plus de confiance encore en moi, Colombe, quand vous saurez toutes les raisons que j'ai d'aimer notre Ascanio.
Alors Benvenuto prenant dans ses mains les mains de ses deux enfants, se mit à raconter ce qui suit de sa voix grave et harmonieuse, sous les étoiles qui scintillaient au ciel, et dans le calme et le silence de cette nuit embaumée.

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