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Chapitre III
Dédale

Benvenuto se retira avec lui assez inquiet, non pas des trois blessures qu'il avait reçues, elles étaient toutes trois trop légères pour qu'il s'en occupât, mais de ce qui allait se passer. Il avait déjà tué, six mois auparavant, Guasconti, le meurtrier de son frère, mais il s'était tiré de cette mauvaise affaire grâce à la protection du pape Clément VII ; d'ailleurs cette mort n'était qu'une espèce de représailles ; mais cette fois le protecteur de Benvenuto était trépassé et le cas devenait autrement épineux.
Le remords, bien entendu, il n'en fut pas un seul instant question.
Que nos lecteurs ne prennent pas pour cela le moins du monde une mauvaise idée de notre digne orfèvre, qui, après avoir tué un homme, qui après avoir tué deux hommes, et qui même en cherchant bien dans sa vie après avoir tué trois hommes, redoute fort le guet, mais ne craint pas une minute Dieu.
Car cet homme-là, en l'an de grâce 1540, c'est un homme ordinaire, un homme de tous les jours, comme disent les Allemands. Que voulez-vous ? on se souciait si peu de mourir en ce temps-là, qu'en revanche on ne s'inquiétait guère de tuer ; nous sommes encore braves aujourd'hui, nous ; eux étaient téméraires alors ; nous sommes des hommes faits, ils étaient des jeunes gens. La vie était si abondante à cette époque qu'on la perdait, qu'on la donnait, qu'on la vendait, qu'on la prenait avec une profonde insouciance et une parfaite légèreté.
Il fut un écrivain longtemps calomnié, avec le nom duquel on a fait un synonyme de traîtrise, de cruauté, de tous les mots enfin qui veulent dire infamie, et il a fallu le dix-neuvième siècle, le plus impartial des siècles qu'a vécus l'humanité, pour réhabiliter cet écrivain, grand patriote et homme de coeur ! Et pourtant, le seul tort de Nicolas Machiavel est d'avoir appartenu à une époque où la force et le succès étaient tout ; où l'on estimait les faits et non les mots, et où marchaient droit à leur but, sans souci aucun des moyens et des raisonnements, le souverain, César Borgia ; le penseur, Machiavel ; l'ouvrier, Benvenuto Cellini.
Un jour on trouva sur la place de Cesena un cadavre coupé en quatre quartiers ; ce cadavre était celui de Ramiro d'Orco. Or, comme Ramiro d'Orco était un personnage tenant son rang en Italie, la République florentine voulut savoir les causes de cette mort. Les huit de la seigneurie firent donc écrire à Machiavel, leur ambassadeur, afin qu'il satisfit leur curiosité.
Mais Machiavel se contenta de répondre :

« Magnifiques Seigneurs,

« Je n'ai rien à vous dire sur la mort de Ramiro d'Orco, si ce n'est que César Borgia est le prince qui sait le mieux faire et défaire les hommes selon leurs mérites.

                    « Machiavel. »

Benvenuto était la pratique de la théorie émise par l'illustre secrétaire de la République florentine. Benvenuto génie, César Borgia prince, se croyaient tous les deux au-dessus des lois par leur droit de puissance. La distinction du juste et de l'injuste pour eux, c'était ce qu'ils pouvaient et ce qu'ils ne pouvaient pas : du devoir et du droit pas la moindre notion.
Un homme gênait, on supprimait cet homme.
Aujourd'hui, la civilisation lui fait l'honneur de l'acheter.
Mais alors tant de sang bouillonnait dans les veines des jeunes nations qu'on le répandait pour raison de santé. On se battait d'instinct, fort peu pour la patrie, fort peu pour les dames, beaucoup pour se battre, nation contre nation, homme contre homme. Benvenuto faisait la guerre à Pompeo comme François Ier à Charles-Quint. La France et l'Espagne se battaient en duel, tantôt à Marignan, tantôt à Pavie ; le tout très simplement, sans préambules, sans phrases, sans lamentations.
De même on exerçait le génie comme une faculté native, comme une puissance absolue, comme une royauté de droit divin ; l'art était au seizième siècle ce qu'il y avait de plus naturel au monde.
Il ne faut donc pas s'étonner de ces hommes qui ne s'étonnaient de rien ; nous avons pour expliquer leurs homicides, leurs boutades et leurs écarts, un mot qui explique et justifie toute chose dans notre pays et surtout dans notre temps :
Cela se faisait.
Benvenuto avait donc fait tout simplement ce qui se faisait : Pompeo gênait Benvenuto Cellini, Benvenuto Cellini avait supprimé Pompeo.
Mais la police s'enquérait parfois de ces suppressions ; elle se serait bien gardée de protéger un homme pendant sa vie, mais une fois sur dix il lui prenait des velléités de le venger lorsqu'il était mort.
Cette susceptibilité la prit à l'endroit de Benvenuto Cellini. Comme, rentré chez lui, il mettait quelques papiers au feu et quelques écus dans sa poche, les sbires pontificaux l'arrêtèrent et le conduisirent au château Saint-Ange, événement dont Benvenuto se consola presque en songeant que c'était au château Saint-Ange que l'on mettait les gentilshommes.
Mais une autre consolation qui agissait non moins efficacement sur Benvenuto Cellini en entrant au château Saint-Ange, c'était l'idée qu'un homme doué d'une imagination aussi inventive que la sienne ne pouvait, d'une façon ou d'une autre, tarder d'en sortir.
Aussi en entrant dit-il au gouverneur, qui était assis devant une table couverte d'un tapis vert, et qui rangeait bon nombre de papiers sur cette table :
- Monsieur le gouverneur, triplez les verrous, les grilles et les sentinelles ; enfermez-moi dans votre chambre la plus haute ou dans votre cachot le plus profond, que votre surveillance veille tout le jour et ne s'endorme pas de toute la nuit, et je vous préviens que malgré tout cela je m'enfuirai.
Le gouverneur leva les yeux sur le prisonnier qui lui parlait avec un si miraculeux aplomb, et reconnut Benvenuto Cellini, que trois mois auparavant il avait déjà eu l'honneur de faire asseoir à sa table.
Malgré cette connaissance, et peut-être à cause de cette connaissance, l'allocution de Benvenuto plongea le digne gouverneur dans la plus profonde stupéfaction : c'était un Florentin nommé messire Georgio, chevalier des Ugolini, excellent homme, mais de tête un peu faible. Cependant il revint bientôt de son premier étonnement, et fit conduire Benvenuto dans la chambre la plus élevée du château. Le toit de cette chambre était la plate-forme même ; une sentinelle se promenait sur cette plate-forme, une autre sentinelle veillait au bas de cette muraille.
Le gouverneur fit remarquer au prisonnier tous ces détails, puis lorsqu'il eut cru que le prisonnier les avait appréciés :
- Mon cher Benvenuto, dit-il, on peut ouvrir les serrures, on peut forcer les portes, on peut creuser le sol d'un cachot souterrain, on peut percer un mur, on peut gagner les sentinelles, on peut endormir les geôliers, mais, à moins d'avoir des ailes, on ne peut descendre de cette hauteur dans la plaine.
- J'y descendrai pourtant, dit Benvenuto Cellini.
Le gouverneur le regarda en face, et commençait à croire que son prisonnier était fou.
- Mais vous vous envolerez donc alors ?
- Pourquoi pas ? j'ai toujours eu l'idée que l'homme pouvait voler, moi ; seulement le temps m'a manqué pour en faire l'expérience. Ici j'en aurai le temps, et pardieu ! je veux en avoir le coeur net. L'aventure de Dédale est une histoire et non pas une fable.
- Prenez garde au soleil, mon cher Benvenuto, répondit en ricanant le gouverneur ; prenez garde au soleil.
- Je m'envolerai la nuit, dit Benvenuto.
Le gouverneur ne s'attendait pas à cette réponse, de sorte qu'il ne trouva pas le plus petit mot à riposter, et qu'il se retira hors de lui.
En effet, il fallait fuir à tout prix. En d'autres temps, Dieu merci ! Benvenuto ne se serait pas inquiété d'un homme tué, et il en eût été quitte pour suivre la procession de Notre-Dame d'août vêtu d'un pourpoint et d'un manteau d'armoise bleu. Mais le nouveau pape Paul III était vindicatif en diable, et Benvenuto avait eu, quand il n'était encore que monseigneur Farnèse, maille à partir avec lui à propos d'un vase d'argent qu'il refusait de lui livrer faute de paiement, et que Son Eminence avait voulu faire enlever de vive force, ce qui avait mis Benvenuto dans la dure nécessité de maltraiter quelque peu les gens de Son Eminence ; en outre le saint-père était jaloux de ce que le roi François Ier lui avait déjà fait demander Benvenuto par monseigneur de Montluc, son ambassadeur près du Saint-Siège. En apprenant la captivité de Benvenuto, monseigneur de Montluc croyant rendre service au pauvre prisonnier avait insisté d'autant plus ; mais il s'était fort trompé au caractère du nouveau pape, qui était encore plus entêté que son prédécesseur Clément VII. Or, Paul III avait juré que Benvenuto lui payerait son escapade, et s'il ne risquait pas précisément la mort, un pape y eût regardé à deux fois à cette époque pour faire pendre un pareil artiste, il risquait fort au moins d'être oublié dans sa prison. Il était donc important en pareille occurrence que Benvenuto ne s'oubliât point lui-même, et voilà pourquoi il était résolu à fuir sans attendre les interrogatoires et jugements qui auraient bien pu n'arriver jamais, car le pape, irrité de l'intervention du roi François Ier, ne voulait plus même entendre prononcer le nom de Benvenuto Cellini. Le prisonnier savait tout cela par Ascanio, qui tenait sa boutique, et qui, à force d'instances, avait obtenu la permission de visiter son maître ; bien entendu que ces visites se faisaient à travers deux grilles et en présence de témoins qui veillaient à ce que l'élève ne passât au maître ni lime, ni corde, ni couteau.
Aussi du moment où le gouverneur avait fait refermer la porte de sa chambre derrière Benvenuto, lui, Benvenuto s'était mis à faire l'inspection de sa chambre.
Or, voici ce que contenaient les quatre murs de son nouveau logement : un lit, une cheminée où l'on pouvait faire du feu, une table et deux chaises ; deux jours après Benvenuto obtint de la terre et un outil à modeler. Le gouverneur avait refusé d'abord ces objets de distraction à son prisonnier, mais il s'était ravisé en réfléchissant qu'en occupant l'esprit de l'artiste il le détournerait peut-être de cette tenace idée d'évasion dont il avait paru possédé ; le même jour Benvenuto ébaucha une Vénus colossale.
Tout cela n'était pas grand-chose ; mais en y ajoutant l'imagination, la patience et l'énergie, c'était beaucoup.
Un jour de décembre qu'il faisait très froid et qu'on avait allumé du feu dans la cheminée de Benvenuto Cellini, on vint changer les draps de son lit et l'on oublia les draps sur la seconde chaise ; aussitôt que la porte fut refermée, Benvenuto ne fit qu'un bond de sa chaise à son grabat, tira de sa paillasse deux énormes poignées de ces feuilles de maïs qui composent les paillasses italiennes, fourra à leur place la paire de draps, revint à sa statue, reprit son outil et se remit au travail. Au même instant le domestique rentra pour reprendre les draps oubliés, chercha partout, demandant à Benvenuto s'il ne les avait pas vus ; mais Benvenuto répondit négligemment et comme absorbé par son travail de modeleur que quelques-uns de ses camarades étaient sans doute venus les prendre, ou que lui-même les avait emportés sans y prendre garde. Le domestique ne conçut aucun soupçon, tant il s'était écoulé peu de temps entre sa sortie et sa rentrée, tant Benvenuto joua naturellement son rôle ; et comme les draps ne se retrouvèrent point, il se garda bien d'en parler de peur d'être forcé de les payer ou d'être mis à la porte.
On ne sait pas ce que les événements suprêmes contiennent de péripéties terribles et d'angoisses poignantes. Alors les accidents les plus communs de la vie deviennent des circonstances qui éveillent en nous la joie ou le désespoir. Dès que le domestique fut sorti, Benvenuto se jeta à genoux et remercia Dieu du secours qu'il lui envoyait.
Puis, comme une fois son lit fait on ne retouchait jamais à son lit que le lendemain matin, il laissa tranquillement les draps détournés dans sa paillasse.
La nuit venue il commença à couper ces draps, qui se trouvèrent par bonheur neufs et assez grossiers, en bandes de trois ou quatre pouces de large, puis il se mit à les tresser le plus solidement qu'il lui fut possible ; puis enfin il ouvrit le ventre de sa statue, qui était en terre glaise, l'évida entièrement, y fourra son trésor, repassa dessus la blessure une pincée de terre, qu'il lissa avec le pouce et avec son outil, si bien que le plus habile praticien n'eût pas pu s'apercevoir qu'on venait de faire à la pauvre Vénus l'opération césarienne.
Le lendemain matin, le gouverneur entra à l'improviste, comme il avait l'habitude de le faire, dans la chambre du prisonnier, mais comme d'habitude il le trouva calme et travaillant. Chaque matin le pauvre homme, qui avait été menacé spécialement pour la nuit, tremblait de trouver la chambre vide. Et, il faut le dire à la louange de sa franchise, il ne cachait pas sa joie chaque matin en la voyant occupée.
- Je vous avoue que vous m'inquiétez terriblement, Benvenuto, dit le pauvre gouverneur au prisonnier ; cependant je commence à croire que vos menaces d'évasion étaient vaines.
- Je ne vous menace pas, maître Georgio, répondit Benvenuto, je vous avertis.
- Espérez-vous donc toujours vous envoler ?
- Ce n'est heureusement pas une simple espérance, mais pardieu ! bien une certitude.
- Mais, demonio ! comment ferez-vous donc ? s'écria le pauvre gouverneur, que cette confiance apparente ou réelle de Benvenuto dans ses moyens d'évasion bouleversait.
- C'est mon secret, maître. Mais je vous en préviens, mes ailes poussent.
Le gouverneur porta machinalement les yeux aux épaules de son prisonnier.
- C'est comme cela, monsieur le gouverneur, reprit celui-ci tout en modelant sa statue, dont il arrondissait les hanches de telle façon qu'on eût cru qu'il voulait en faire la rivale de la Vénus Callipyge. Il y a lutte et défi entre nous. Vous avez pour vous des tours énormes, des portes épaisses, des verrous à l'épreuve, mille gardiens toujours prêts : j'ai pour moi la tête et les mains que voici, et je vous préviens très simplement que vous serez vaincu. Seulement, comme vous êtes un homme habile, comme vous aurez pris toutes vos précautions, il vous restera, moi parti, la consolation de savoir qu'il n'y avait pas de votre faute, messire Georgio, que vous n'avez pas le plus petit reproche à vous faire, messire Georgio, et que vous n'avez rien négligé pour me retenir, messire Georgio. Là, maintenant que dites-vous de cette hanche, car vous êtes amateur d'art, je le sais.
Tant d'assurance exaspérait le pauvre commandant. Son prisonnier était devenu pour lui une idée fixe où se brouillaient tous les yeux de son entendement ; il en devenait triste, n'en mangeait plus, et tressaillait à tout moment comme un homme qu'on réveille en sursaut. Une nuit Benvenuto entendit un grand tumulte sur la plate-forme, puis ce tumulte s'avança dans son corridor, puis enfin il s'arrêta à sa porte ; alors sa porte s'ouvrit, et il aperçut messire Georgio, en robe de chambre et en bonnet de nuit, suivi de quatre geôliers et de huit gardes, lequel s'élança vers son lit la figure décomposée. – Benvenuto s'assit sur son matelas et lui rit au nez. – Le gouverneur, sans s'inquiéter de ce sourire, respira comme un plongeur qui revient sur l'eau.
- Ah ! s'écria-t-il, Dieu soit loué ! il y est encore, le malheureux ! – on a raison de dire : Songe – mensonge.
- Eh bien ! qu'y a-t-il donc, demanda Benvenuto Cellini, et quelle est l'heureuse circonstance qui me procure le plaisir de vous voir à pareille heure, maître Georgio ?
- Jésus Dieu ! ce n'est rien, et j'en suis quitte cette fois encore pour la peur. N'ai-je pas été rêver que ces maudites ailes vous étaient poussées ; – mais des ailes immenses, avec lesquelles vous planiez tranquillement au-dessus du château Saint-Ange, en me disant : – Adieu, mon cher gouverneur, adieu ! je n'ai pas voulu partir sans prendre congé de vous, je m'en vais ; au plaisir de ne jamais vous revoir.
- Comment ! je vous disais cela, maître Georgio ?
- C'étaient vos propres paroles... Ah ! Benvenuto, vous êtes le mal venu pour moi.
- Oh ! vous ne me tenez pas pour si mal appris, je l'espère. Heureusement que ce n'est qu'un rêve, car sans cela je ne vous le pardonnerais pas.
- Mais par bonheur il n'en est rien. Je vous tiens, mon cher ami, et quoique votre société ne me soit pas des plus agréables, je dois le dire, j'espère vous tenir longtemps encore.
- Je ne crois pas, répondit Benvenuto avec ce sourire confiant qui faisait damner son hôte.
Le gouverneur sortit en envoyant Benvenuto à tous les diables, et le lendemain, il donna ordre que nuit et jour, et de deux heures en deux heures, on vint inspecter sa prison. Cette inspection dura pendant un mois ; mais au bout d'un mois, comme il n'y avait aucun motif visible de croire que Benvenuto s'occupât même de son évasion, la surveillance se ralentit.
Ce mois, Benvenuto l'avait cependant employé à un terrible travail.
Benvenuto avait, comme nous l'avons dit, minutieusement examiné sa chambre du moment où il y était entré, et de ce moment il avait été fixé sur ses moyens d'évasion. Sa fenêtre était grillée, et les barreaux étaient trop forts pour être enlevés avec la main ou déchaussés avec son outil à modeler, le seul instrument de fer qu'il possédât. Quant à sa cheminée, elle se rétrécissait au point qu'il eût fallu que le prisonnier eût le privilège de se changer en serpent comme la fée Mélusine pour y passer. Restait la porte.
Ah ! la porte ! Voyons un peu comment était faite la porte.
La porte était une porte de chêne épaisse de deux doigts, fermée par deux serrures, close par quatre verrous, et recouverte en dedans de plaques de fer maintenues en haut et en bas par des clous.
C'était par cette porte qu'il fallait passer.
Car Benvenuto avait remarqué qu'à quelques pas de cette porte et dans le corridor qui y conduisait était l'escalier par lequel on allait relever la sentinelle de la plate-forme. De deux heures en deux heures, Benvenuto entendait donc le bruit des pas qui montaient ; puis les pas redescendaient, et il en avait pour deux autres heures sans être réveillé par aucun bruit.
Il s'agissait donc tout simplement de se trouver de l'autre côté de cette porte de chêne, épaisse de deux doigts, fermée par deux serrures, close par quatre verrous, et, de plus recouverte en dedans, comme nous l'avons dit, de plaques de fer maintenues en haut et en bas par des clous.
Or, voici le travail auquel Benvenuto s'était livré pendant ce mois qui venait de s'écouler.
Avec son outil à modeler, qui était en fer, il avait l'une après l'autre enlevé toutes les têtes de clous, à l'exception de quatre en haut et de quatre en bas qu'il réservait pour le dernier jour ; puis, pour qu'on ne s'aperçût pas de leur absence, il les avait remplacées par des têtes de clous exactement pareilles qu'il avait modelées avec de la glaise, et qu'il avait recouvertes avec de la raclure de fer, de sorte qu'il était impossible à l'oeil le plus exercé de reconnaître les têtes de clous véritables d'avec les têtes de clous fausses. Or, comme il y avait, tant en haut qu'en bas de la porte, une soixantaine de clous, que chaque clou prenait quelquefois une heure, même deux heures à décapiter, on comprend le travail qu'avait dû donner au prisonnier une pareille exécution.
Puis chaque soir, lorsque tout le monde était couché et qu'il n'entendait plus que le bruit des pas de la sentinelle qui se promenait au-dessus de sa tête, il faisait grand feu dans sa cheminée, et transportait de sa cheminée, le long des plaques de fer de sa porte, un amas de braises ardentes ; alors le fer rougissait et réduisait tout doucement en charbon le bois sur lequel il était appliqué, sans que cependant du côté opposé de la porte on pût s'apercevoir de cette carbonisation.
Pendant un mois, comme nous l'avons dit, Benvenuto se livra à ce travail, mais aussi au bout d'un mois il était complètement achevé, et le prisonnier n'attendait plus qu'une nuit favorable à son évasion. Or, il lui fallait attendre quelques jours encore, car à l'époque même où ce travail fut fini il faisait pleine lune.
Benvenuto n'avait plus rien à faire à ses clous, il continua de chauffer la porte et de faire enrager le gouverneur.
Ce jour-là même le gouverneur entra chez lui plus préoccupé que jamais.
- Mon cher prisonnier, lui dit le brave homme, qui en revenait sans cesse à son idée fixe, est-ce que vous comptez toujours vous envoler ? Voyons, répondez-moi franchement.
- Plus que jamais, mon cher hôte, lui répondit Benvenuto.
- Ecoutez, dit le gouverneur, vous me conterez tout ce que vous voudrez, mais, franchement, je crois la chose impossible.
- Impossible, maître Georgio, impossible ! reprit l'artiste, mais vous savez bien que ce mot-là n'existe pas pour moi qui me suis toujours exercé à faire les choses les plus impossibles aux hommes, et cela avec succès. Impossible, mon cher hôte ! et ne me suis-je pas amusé quelquefois à rendre la nature jalouse, en créant avec de l'or, des émeraudes et des diamants, quelque fleur plus belle qu'aucune des fleurs qu'emperle la rosée ? Croyez vous que celui qui fait des fleurs ne puisse pas faire des ailes ?
- Que Dieu m'assiste ! dit le gouverneur, mais avec votre confiance insolente, vous me ferez perdre la tête ! Mais enfin, pour que ces ailes pussent vous soutenir dans les airs, ce qui, je vous l'avoue, me paraît impossible, à moi, quelle forme leur donneriez-vous ?
- Mais j'y ai beaucoup réfléchi, comme vous pouvez bien le penser, puisque la sûreté de ma personne dépend de la forme de ces ailes.
- Eh bien ?
- Eh bien ! en examinant tous les animaux qui volent, si je voulais refaire par l'art ce qu'ils ont reçu de Dieu, je ne vois guère que la chauve-souris que l'on puisse imiter avec succès.
- Mais enfin, Benvenuto, reprit le gouverneur, quand vous auriez le moyen de vous fabriquer une paire d'ailes, est-ce qu'au moment de vous en servir le courage ne vous manquerait pas ?
- Donnez-moi ce qu'il me faut pour les confectionner, mon cher gouverneur, et je vous répondrai en m'envolant.
- Mais que vous faut-il donc ?
- Oh ! mon Dieu, presque rien : une petite forge, une enclume, des limes, des tenailles et des pinces pour fabriquer les ressorts, et une vingtaine de bras de toile cirée pour remplacer les membranes.
- Bon, bon, dit maître Georgio, me voilà un peu rassuré, car jamais, quelle que soit votre intelligence, vous ne parviendrez à vous procurer tout cela ici.
- C'est fait, répondit Benvenuto.
Le gouverneur bondit sur sa chaise, mais au même instant il réfléchit que la chose était matériellement impossible. Cependant, toute impossible que cette chose était, elle ne laissait pas un instant de relâche à sa pauvre tête. A chaque oiseau qui passait devant sa fenêtre, il se figurait que c'était Benvenuto Cellini, tant est grande l'influence d'une puissante pensée sur une pensée médiocre.
Le même jour, maître Georgio envoya chercher le plus habile mécanicien de Rome, et lui ordonna de prendre mesure d'une paire d'ailes de chauve souris.
Le mécanicien, stupéfait, regarda le gouverneur sans lui répondre, pensant avec quelque raison que maître Georgio était devenu fou.
Mais comme maître Georgio insista, que maître Georgio était riche, et que s'il faisait des folies, maître Georgio avait le moyen de les payer, le mécanicien ne s'en mit pas moins à la besogne commandée, et huit jours après il lui apporta une paire d'ailes magnifiques, qui s'adaptaient au corps par un corset de fer, et qui se mouvaient à l'aide de ressorts extrêmement ingénieux avec une régularité tout à fait rassurante.
Maître Georgio paya la mécanique le prix convenu, mesura la place que pouvait tenir cet appareil, monta chez Benvenuto Cellini, et, sans rien dire, bouleversa toute la chambre, regardant sous le lit, guignant dans la cheminée, fouillant dans la paillasse, et ne laissant pas le plus petit coin sans l'avoir visité.
Puis il sortit, toujours sans rien dire, convaincu qu'à moins que Benvenuto ne fût sorcier, il ne pouvait cacher dans sa chambre une paire d'ailes pareilles aux siennes.
Il était évident que la tête du malheureux gouverneur se dérangeait de plus en plus.
En redescendant chez lui, maître Georgio retrouva le mécanicien ; il était revenu pour lui faire observer qu'il y avait au bout de chaque aile un cercle de fer destiné à maintenir les jambes de l'homme volant dans une position horizontale.
A peine le mécanicien fut-il sorti que maître Georgio s'enferma, mit son corset, déploya ses ailes, accrocha ses jambes, et se couchant à plat ventre, essaya de s'envoler.
Mais, malgré tous ses efforts, il ne put parvenir à quitter la terre.
Après deux ou trois essais du même genre, il envoya quérir de nouveau le mécanicien.
- Monsieur, lui dit-il, j'ai essayé vos ailes, elles ne vont pas.
- Comment les avez-vous essayées ?
Maître Georgio lui raconta dans tous ses détails sa triple expérience. Le mécanicien l'écouta gravement, puis, le discours fini :
- Cela ne m'étonne pas, dit-il. Couché à terre, vous ne pouvez prendre une somme suffisante d'air : il vous faudrait monter sur le château Saint-Ange et de là vous laisser aller hardiment dans l'espace.
- Et vous croyez qu'alors je volerais ?
- J'en suis sûr, dit le mécanicien.
- Mais si vous en êtes si sûr, continua le gouverneur, est-ce qu'il ne vous serait pas égal d'en faire l'expérience ?
- Les ailes sont taillées au poids de votre corps et non au poids du mien, répondit le mécanicien. Il faudrait à des ailes qui me seraient destinées un pied et demi d'envergure de plus.
Et le mécanicien salua et sortit.
- Diable ! fit maître Georgio.
Toute la journée on put remarquer dans l'esprit de maître Georgio différentes aberrations qui indiquaient que sa raison, comme celle de Roland, voyageait de plus en plus dans les espaces imaginaires.
Le soir, au moment de se coucher, il appela tous les domestiques, tous les geôliers, tous les soldats.
- Messieurs, dit-il, si vous apprenez que Benvenuto Cellini veut s'envoler, laissez-le partir et prévenez-moi seulement, car je saurai bien, même pendant la nuit, le rattraper sans peine, attendu que je suis une vraie chauve- souris, moi, tandis que lui, quoi qu'il en dise, il n'est qu'une fausse chauve souris.
Le pauvre gouverneur était tout à fait fou ; mais comme on espéra que la nuit le calmerait, on décida qu'on attendrait au lendemain pour prévenir le pape.
D'ailleurs il faisait une nuit abominable, pluvieuse et sombre, et personne ne se souciait de sortir par une pareille nuit.
Excepté Benvenuto Cellini, qui, par esprit de contradiction sans doute, avait choisi cette nuit-là même pour son évasion.
Aussi, dès qu'il eut entendu sonner dix heures et relever la sentinelle, tomba t-il à genoux, et après avoir dévotement prié Dieu, se mit-il à l'oeuvre.
D'abord, il arracha les quatre têtes de clous qui restaient et qui maintenaient seules les plaques de fer. La dernière venait de céder lorsque minuit sonna.
Benvenuto entendit les pas de la ronde qui montait sur la terrasse ; il demeura sans souffle collé à sa porte, puis la ronde descendit, les pas s'éloignèrent, et tout rentra dans le silence.
La pluie redoublait, et Benvenuto, le coeur bondissant de joie, l'entendait fouetter contre ses carreaux.
Il essaya alors d'arracher les plaques de fer ; les plaques de fer, que rien ne maintenait plus, cédèrent, et Benvenuto les posa les unes après les autres contre le mur.
Puis il se coucha à plat ventre, attaquant le bas de la porte avec son outil à modeler, qu'il avait aiguisé en forme de poignard et emmanché dans un morceau de bois. Le bas de la porte céda : le chêne était complètement réduit en charbon.
Au bout d'un instant Benvenuto avait pratiqué au bas de la porte une échancrure assez grande pour qu'il pût sortir en rampant.
Alors il rouvrit le ventre de sa statue, reprit ses bandes de toile tressées, les roula autour de lui en forme de ceinture, s'arma de son outil, dont, comme nous l'avons dit, il avait fait un poignard, se remit à genoux et pria une seconde fois.
Puis il passa la tête sous la porte, puis les épaules, puis le reste du corps et se trouva dans le corridor.
Il se releva ; mais les jambes lui tremblaient tellement qu'il fut forcé de s'appuyer au mur pour ne pas tomber. Son coeur battait à lui briser la poitrine, sa tête était de flamme. Une goutte de sueur tremblait à chacun de ses cheveux, et il serrait le manche de son poignard dans sa main comme si on eût voulu le lui arracher.
Cependant, comme tout était tranquille, comme on n'entendait aucun bruit, comme rien ne bougeait, Benvenuto fut bientôt remis, et tâtant avec la main, il suivit le mur du corridor jusqu'à ce qu'il sentît que le mur lui manquait. Il avança aussitôt le pied et toucha la première marche de l'escalier ou plutôt de l'échelle qui conduisait à la plate-forme.
Il monta les échelons un à un, frissonnant au cri du bois qui gémissait sous ses pieds, puis il sentit l'impression de l'air, puis la pluie vint lui battre le visage, puis sa tête dépassa le niveau de la plate-forme, et comme il était depuis un quart d'heure dans la plus profonde obscurité, il put juger aussitôt tout ce qu'il avait à craindre ou à espérer.
La balance penchait du côté de l'espoir.
La sentinelle, pour se garantir de la pluie, s'était réfugiée dans sa guérite. Or, comme les sentinelles qui montaient la garde sur le château Saint-Ange étaient placées là, non pas pour inspecter la plate-forme, mais pour plonger dans le fossé et explorer la campagne, le côté fermé de la guérite était justement placé en face de l'escalier par lequel sortait Benvenuto Cellini.
Benvenuto Cellini s'avança en silence, en se traînant sur ses pieds et sur ses mains, vers le point de la plate-forme, le plus éloigné de la guérite. Là, il attacha un bout de sa bande à une brique antique scellée dans le mur et qui saillait de six pouces à peu près, puis se jetant à genoux une troisième fois :
- Seigneur ! Seigneur ! murmura-t-il, aidez-moi, puisque je m'aide.
Et cette prière faite, il se laissa glisser en se suspendant par les mains, et, sans faire attention aux écorchures de ses genoux et de son front, qui de temps en temps éraflaient la muraille, il se laissa glisser jusqu'à terre.
Lorsqu'il sentit le sol sous ses pieds, un sentiment de joie et d'orgueil infini inonda sa poitrine. Il regarda l'immense hauteur qu'il avait franchie, et en la regardant, il ne put s'empêcher de dire à demi-voix : « Me voilà donc libre ! » Ce moment d'espoir fut court.
Il se retourna et ses genoux fléchirent : devant lui s'élevait un mur récemment bâti, un mur qu'il ne connaissait pas : il était perdu.
Tout sembla s'anéantir en lui, et, désespéré, il se laissa tomber à terre ; mais en tombant il se heurta à quelque chose de dur : c'était une longue poutre ; il poussa une légère exclamation de surprise et de joie : il était sauvé !
oh ! l'on ne sait pas tout ce qu'une minute de la vie humaine peut contenir d'alternatives de joie et d'espérance.
Benvenuto saisit la poutre comme un naufragé saisit le mât qui doit le soutenir sur l'eau. Dans une circonstance ordinaire, deux hommes eussent eu de la peine à la soulever ; il la traîna vers le mur, la dressa contre lui.
Puis à la force des mains et des genoux il se hissa sur le faîte du mur, mais arrivé là, la force lui manqua pour tirer la poutre à lui et la faire passer de l'autre côté.
Un instant il eut le vertige, la tête lui tourna, il ferma les yeux, et il sembla qu'il se débattait dans un lac de flammes.
Tout à coup il songea à ses bandes de toile tressées, à l'aide desquelles il était descendu de la plate-forme.
Il se laissa glisser le long de la poutre et courut à l'endroit où il les avait laissées pendantes, mais il les avait si bien attachées par l'extrémité opposée qu'il ne put les arracher de la brique qui les retenait.
Benvenuto se suspendit en désespéré à l'extrémité de ces bandes, tirant de toutes ses forces et espérant les rompre. Par bonheur, un des quatre noeuds qui les attachaient les unes aux autres glissa, et Benvenuto tomba à la renverse, entraînant avec lui un fragment de cordage d'une douzaine de pieds.
C'était tout ce qu'il lui fallait : il se releva bondissant et plein de forces nouvelles, remonta de nouveau à sa poutre, enjamba une seconde fois le mur, et à l'extrémité de la solive il attacha la bande de toile.
Arrivé au bout, il chercha vainement la terre sous ses pieds ; mais en regardant au-dessous de lui il vit le sol à six pieds à peine : il lâcha la corde et se trouva à terre.
Alors il se coucha un instant. – Il était épuisé, ses jambes et ses mains étaient dépouillées de leur épiderme. – Pendant quelques minutes, il regarda stupidement ses chairs saignantes ; mais en ce moment cinq heures sonnèrent, il vit que les étoiles commençaient à pâlir.
Il se leva ; mais comme il se levait, une sentinelle qu'il n'avait pas aperçue et qui l'avait sans doute vu accomplir son manège fit quelques pas pour venir à lui. Benvenuto vit qu'il était perdu, et qu'il fallait tuer ou être tué. Il prit son outil, qu'il avait passé dans sa ceinture, et marcha droit au soldat d'un air si déterminé que celui-ci vit sans doute qu'outre un homme vigoureux il allait avoir un désespoir terrible à combattre. En effet, Benvenuto était résolu à ne pas reculer, mais tout à coup le soldat lui tourna le dos comme s'il ne l'avait pas vu. Le prisonnier comprit ce que cela voulait dire.
Il courut au dernier rempart. Ce rempart donnait près du fossé et était élevé de douze ou quinze pieds à peu près. Un pareil saut ne devait pas arrêter un homme comme Benvenuto Cellini, arrivé surtout où il en était, et comme il avait laissé la première partie de ses bandes à la brique, la seconde à la poutre, qu'il ne lui restait plus rien après quoi se suspendre et qu'il n'y avait pas de temps à perdre, il se suspendit par les mains à un anneau, et tout en priant Dieu mentalement, il se laissa tomber.
Cette fois il resta évanoui sur le coup.
Une heure à peu près s'écoula sans qu'il revînt à lui ; mais la fraîcheur qui court dans l'air à l'approche du jour le rappela à lui-même. Il demeura un instant encore comme étourdi, puis il passa la main sur son front et tout lui revint à la mémoire.
Il ressentait à la tête une vive douleur, en même temps il voyait des gouttes de sang qui, après avoir ruisselé comme de la sueur sur son visage, tombaient sur les pierres où il était couché. Il comprit qu'il était blessé au front. Il y porta la main une seconde fois, mais cette fois non plus pour rappeler ses idées, mais pour sonder ses blessures : ces blessures étaient légères, elles entamaient la peau, mais n'offensaient pas le crâne. Benvenuto sourit et voulut se lever, mais il retomba aussitôt : il avait la jambe droite cassée à trois pouces au-dessus de la cheville.
Cette jambe était tellement engourdie qu'il n'avait d'abord pas senti la douleur.
Alors il ôta sa chemise, la déchira par bandes, puis, rapprochant le mieux qu'il put les os de sa jambe, il la serra de toutes ses forces, passant de temps en temps la bande sous la plante du pied, pour maintenir les deux os l'un contre l'autre.
Puis il se traîna à quatre pattes vers une des portes de Rome qui était à cinq cents pas de là.
Lorsque après une demi-heure d'atroces tortures il arriva à cette porte, il trouva qu'elle était fermée. Mais il remarqua une grosse pierre qui était sous la porte ; il tira cette pierre, qui céda facilement, et il passa par l'ouverture qu'elle avait laissée.
Mais à peine eut-il fait trente pas qu'une troupe de chiens errants et affamés, comprenant qu'il était blessé à l'odeur du sang, se jetèrent sur lui. Il tira son outil à modeler, et d'un coup dans le flanc il tua le plus gros et le plus acharné. Les autres se jetèrent aussitôt sur celui-là et le dévorèrent.
Benvenuto se traîna alors jusqu'à l'église de la Transpontina ; là il rencontra un porteur d'eau qui venait de charger son âne et avait rempli ses pots. Il l'appela.
- Ecoute, lui dit-il, je me trouvais chez ma maîtresse, une circonstance a fait qu'après y être entré par la porte, j'ai été obligé d'en sortir par la fenêtre : j'ai sauté d'un premier étage et je me suis cassé la jambe en sautant ; porte moi sur les marches de Saint-Pierre, et je te donnerai un écu d'or.
Le porteur d'eau chargea sans mot dire le blessé sur ses épaules et le porta à l'endroit indiqué. Puis ayant reçu la somme promise, il continua son chemin sans même regarder derrière lui.
Alors Benvenuto, toujours rampant, gagna la maison de monseigneur de Montluc, ambassadeur de France, qui demeurait à quelques pas de là.
Et monseigneur de Montluc fit si bien et s'employa avec tant de zèle, qu'au bout d'un mois Benvenuto était guéri, qu'au bout de deux mois il avait sa grâce, et qu'au bout de quatre mois il partait pour la France avec Ascanio et Pagolo.
Quant au pauvre gouverneur, qui était devenu fou, il vécut fou et mourut fou, croyant toujours être une chauve-souris, et faisant sans cesse les plus grands efforts pour s'envoler.

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