Le dévouement des pauvres Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre V


Grâce aux soins assidus dont il était l'objet, l'enfant alla un peu mieux.
Les bains de lait parurent le soulager, et on ne les regretta point.
Mais la maladie n'avait fait que quitter un instant la rue Myrrha, pour aller frapper plus terrible à la porte de la maison du Panthéon.
L'oncle de Nantes fut attaqué à son tour d'un mal terrible.
Le malade lutta sans se plaindre pendant deux ou trois jours.
Enfin, sa femme se décidé à aller à la mairie chercher un médecin.
Sans doute l'avait-on dérangé dans un moment où il était de mauvaise humeur, car il arriva fort maussade ; il regarda autour de lui, vit le dénuement des chambres, la pauvreté de ceux qui les habitaient, examina le malade et dit :
- Les médicaments nécessaires à la maladie de cet homme coûteront trop cher pour que vous puissiez vous les procurer ; d'ailleurs, il n'en a pas pour longtemps. Envoyez-le à l'hospice.
On insista. Il fit une ordonnance, mais ne revint pas.
Un second médecin vint.
Celui-ci n'était pas le médecin des pauvres ; il fit une ordonnance, partit, ne revint pas et, trois jours après, envoya demander le prix de sa visite.
C'est triste à dire, mais la vérité est presque toujours triste ; ce que nous pouvons faire pour ces deux hommes, c'est de ne pas les nommer, mais au besoin nous les nommerions.
Femme et enfants pleuraient, il n'y avait plus qu'à laisser mourir cet homme condamné par deux médecins, lorsque la Providence fit encore des siennes.
La famille des environs du Panthéon, pour ne pas l'attrister, n'avait rien fait dire à la famille de la rue Myrrha.
Jane vint chez moi à son jour et à son heure.
Ce soir-là, cette heureuse idée me vint de l'endormir.
Comme toujours, je lui ordonnai de regarder chez elle.
Bien des fois je sus ainsi sur sa famille de douloureux détails, qu'elle ne m'eût peut-être pas donnés éveillée ; mais au lieu de m'obéir :
- Envoyez-moi plutôt chez mon oncle, me dit-elle, je crois qu'il a besoin de moi.
Je l'y envoyai, en esprit bien entendu.
- Ah ! mon dieu ! dit-elle, mais il est mal, très mal, mon pauvre oncle, comment ne savons-nous pas cela ? éveillez-moi donc, et que j'aille le voir tout de suite.
Je la réveillai, elle prit une voiture et trouva son oncle au plus mal, si mal qu'elle passa sa nuit à le veiller, après avoir fait prévenir sa mère par un des enfants.
Le lendemain, à neuf heures du matin, elle était chez moi, et me racontait en pleurant l'histoire des deux médecins.
- Attends, mon enfant, lui dis-je, je vais te donner une lettre pour un des premiers docteurs de Paris ; celui-là ne trouvera pas la maison trop pauvre et soignera ton oncle comme s'il s'appelait Pereire ou Rothschild.
Et je lui donnai une lettre pour mon bon, mon vieil, mon excellent ami, le baron Larrey, que je croyais toujours au Val-de-Grâce.
Il n'y était plus depuis dix ans, ce qui prouve qu'on peut s'aimer de tout cœur, sans se voir souvent. Mais, au Val-de-Grâce, on lui donna l'adresse de son hôtel et elle revint du Val-de-Grâce à la rue de Lille, 59.
La baron n'était pas chez lui, Jane laissa la lettre.
à huit heures du soir il rentra.
à l'instant même, il monta en voiture et se fit conduire à la maison du malade.
Lui, ne regarda ni les tapisseries, ni l'ameublement ; il ne regarda que l'homme couché sur un lit de douleurs près duquel priaient sa femme et ses huit enfants.
Il examina le malade avec cette profonde attention du cœur, que j'ai vue chez si peu d'hommes exerçant la médecine, puis il laissa une ordonnance ; et le même soir il m'écrivit :
« Mon cher Dumas,
« J'ai vu votre homme, il est bien malade. Je ne peux encore répondre de rien, mais je le mets entre les mains du plus habile de mes jeunes amis, du docteur Villemin.
« Croyez-moi toujours votre bien fidèle ami,
« Baron Larrey. »
Monsieur Villemin reprit le malade des mains de Larrey et fit un miracle.
Atteint d'une pneumonie double, le mourant, traité par la morphine et le musc, fut sur pied au bout de huit jours.
Ce fut une si grande joie dans la famille que l'on remit sur le poêle le même pot-au-feu qui avait fêté l'arrivée, et que l'appartement de la rue Myrrha revit à la même table les vingt convives, buvant à la santé du baron Larrey et de M. Villemin.
Que cette santé porte ses fruits, et qu'ils vivent longuement, ces dignes apôtres de la science !


*
**

Mercredi dernier, à neuf heures du soir, l'enfant, malgré les soins les plus assidus, rendit le dernier soupir.
Il est allé rejoindre sa sœur dans cette terre si froide et si humide sur laquelle il craignait tant de se coucher. Hélas ! pour le second enterrement, la famille était aussi pauvre que pour le premier.
J'écrivis un mot au général Fleury, qui m'avait dit de penser à lui dans ces sortes d'occasions !...
Il donna 100 francs.
- Merci.

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