Robin Hood, le prince des voleurs Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre XV


Cependant les soldats s'approchaient toujours, mais avec prudence, et à chaque pas ils s'arrêtaient, abrités par des massifs de feuillage, pour écouter les conseils du baron qui ne voulait pas qu'ils se servissent de l'arc de peur de blesser sa fille.

Cet ordre ne plaisait guère aux soldats, car ils comprenaient que Robin ne les laisserait pas s'approcher de lui assez près pour qu'ils pussent employer la lance sans en tuer quelques-uns.

– S'ils ont l'esprit de m'entourer, pensa Robin, je suis perdu.

Une éclaircie dans le feuillage lui permit bientôt d'apercevoir Fitz-Alwine, et le désir de la vengeance le mordit au cœur.

– Robin, murmura alors la jeune fille, je me sens forte. Qu'est devenu mon père ? Vous ne lui avez fait aucun mal, n'est-ce pas ?

– Aucun mal, milady, répondit Robin en tressaillant, mais...

Et du doigt il fit vibrer la corde de l'arc.

– Mais quoi ? s'écria Christabel épouvantée par ce geste sinistre.

– C'est qu'il m'a fait du mal, lui ! Ah ! milady, si vous saviez...

– Où est mon père, messire ?

– à quelques pas d'ici, répondit froidement Robin, et Sa Seigneurie n'ignore pas que nous ne sommes qu'à quelques pas d'elle ; mais ses soldats n'osent m'attaquer, ils redoutent mes flèches. écoutez-moi bien, milady, reprit Robin après une minute de réflexion, nous tomberons inévitablement entre leurs mains si nous restons ici : nous n'avons qu'une seule chance de salut, la fuite, la fuite sans être vus, et, pour y réussir, il nous faut beaucoup de courage, beaucoup de sang-froid, et surtout beaucoup de confiance en la protection divine. écoutez-moi bien : si vous tremblez ainsi, vous ne comprendrez pas toutes mes paroles ; c'est à vous d'agir maintenant ; enveloppez-vous dans votre manteau, dont la couleur sombre n'attire pas le regard, et glissez-vous sous la feuillée, presque terre à terre, en rampant s'il le faut.

– Mais les forces encore plus que le courage me manquent, dit en pleurant la pauvre Christabel ; ils m'auront tuée avant que je n'aie fait vingt pas. Sauvez-vous, messire, et ne vous préoccupez plus de moi ; vous avez fait tout ce qu'il était possible de faire pour me réunir à mon bien-aimé, Dieu ne l'a pas permis, que sa sainte volonté soit faite, et que sa sainte bénédiction vous accompagne ! Adieu, messire... partez ; vous direz à mon très-cher Allan que mon père n'exercera pas longtemps son pouvoir sur moi... mon corps est brisé comme mon cœur ; je mourrai bientôt, Adieu.

– Non, milady, répliqua le courageux enfant, non, je ne fuirai pas. J'ai fait une promesse à messire Allan, et pour remplir cette promesse j'irai toujours en avant, à moins que la mort ne m'arrête... Reprenez courage. Allan est peut-être déjà rendu dans la vallée ; peut-être aussi, en voyant ma flèche, se mettra-t-il à notre recherche... Dieu ne nous a pas encore abandonnés.

– Allan, Allan, cher Allan ! pourquoi ne venez-vous pas ? s'écria Christabel éperdue.

Soudain, comme pour répondre à cet appel du désespoir, retentit à travers l'espace le hurlement prolongé d'un loup.

Christabel, agenouillée, tendit les bras au ciel d'où vient tout secours ; mais Robin, les joues colorées d'une vive rougeur, voûta ses deux mains autour de sa bouche, et répéta le même hurlement.

– On vient à notre aide, dit-il ensuite joyeusement, on vient, milady ; ce hurlement, c'est un signal convenu entre forestiers ; j'y ai répondu, et nos amis vont paraître. Vous voyez bien que Dieu ne nous abandonne pas. Je vais leur dire de se hâter.

Et, avec une seule main placée en entonnoir devant ses lèvres, Robin imita le cri d'un héron poursuivi par un vautour.

– Cela signifie, milady, que nous sommes en détresse.

Un cri semblable de héron effrayé se fit entendre à une faible distance.

– C'est Will, c'est l'ami Will ! s'écria Robin. Courage, milady ! glissez-vous sous la feuillée, vous y serez à l'abri ; une flèche égarée est à craindre.

Le cœur de la jeune fille battait à se rompre ; mais, soutenue par l'espérance de voir bientôt Allan, elle obéit et disparut, souple comme une couleuvre dans l'épaisseur du fourré.

Pour faire diversion, Robin poussa un grand cri, sortit de sa cachette, et alla d'un seul bond se placer derrière un autre arbre.

Une flèche vint aussitôt s'implanter dans l'écorce de cet arbre ; notre héros, prompt à la riposte, salua son arrivée par un éclat de rire moqueur, et, échangeant flèche contre flèche, jeta bas le malheureux soldat.

– En avant, imbéciles ! lâches ! en avant ! vociférait Fitz-Alwine, sinon il vous tuera tous ainsi les uns après les autres.

Le baron poussait ses gens au combat, tout en se faisant un gabion de chaque arbre, lorsqu'une grêle de flèches annonça l'entrée en lice de Petit-Jean, des sept frères Gamwell, d'Allan Clare et de frère Tuck.

à l'aspect de cette vaillante troupe, les gens de Nottingham jetèrent bas les armes et demandèrent quartier. Le baron seul ne capitula pas, et se jeta dans les broussailles en rugissant.

Robin, en apercevant ses amis, s'était élancé sur les traces de Christabel ; mais Christabel, au lieu de s'arrêter à une petite distance, avait continué sa course, soit par terreur, soit par oubli des conseils de Robin, soit par fatalité.

Robin retrouvait facilement les traces de la jeune fille, mais il l'appelait vainement, l'écho seul répondait à sa voix. Le jeune archer s'accusait déjà d'imprévoyance, quand tout à coup un cri de douleur frappa son oreille. Il bondit dans la direction d'où partait ce cri, et aperçut un cavalier du baron qui saisissait Christabel par la taille et l'enlevait sur son cheval.

Encore, encore une de ses flèches vengeresses partit ; le cheval, blessé en plein poitrail, se cabra, et le soldat et Christabel roulèrent dans le sentier.

Le soldat abandonna Christabel et chercha, rapière en main, sur qui venger la mort de sa bête ; mais il n'eut point le loisir de reconnaître son adversaire, car il tomba lui-même sans mouvement près de la victime, et Robin arracha Christabel d'auprès de ce nouveau cadavre, de peur que le sang qui s'écoulait d'une blessure à la tête ne souillât la jeune fille.

Lorsque Christabel ouvrit les yeux et qu'elle entrevit la noble physionomie du jeune archer penché vers elle, elle rougit et lui tendit la main en lui disant ce seul mot :

– Merci !

Mais ce seul mot fut dit avec un tel sentiment de gratitude, avec une si profonde émotion, que Robin, rougissant à son tour, baisa cette main qu'on lui offrait.

– Pourquoi vous êtes-vous si rapidement éloignée, milady, et comment avez-vous été surprise par ce mercenaire ? les autres ont mis bas les armes et demandent quartier à messire Allan.

– Allan !... Cet homme m'a reconnue, s'est saisi de moi en s'écriant : « Cent écus d'or ! hourra ! cent écus d'or ! » Mais vous dites qu'Allan...

– Je dis que messire Allan Clare vous attend.

La jeune fille eut des ailes à ses pieds, déjà si fatigués, mais elle s'arrêta stupéfaite, interdite devant le cortège qui entourait le chevalier.

Robin prit la main de Christabel et lui fit faire quelques pas vers le groupe ; mais à peine Allan l'eut-il aperçue que sans tenir compte des hommes présents, mais aussi sans pouvoir articuler une seule parole, il s'élança vers elle, l'étreignit sur sa poitrine, et couvrit son front des plus tendres baisers. Christabel, palpitante, ivre de joie, morte de bonheur à force d'être heureuse, n'était plus entre les bras d'Allan qu'une forme humaine ; toute la force vitale était dans le regard, dans les lèvres frémissantes, dans les folles palpitations du cœur.

Enfin les larmes, les sanglots, sanglots de bonheur, larmes d'allégresse, se firent jour ; ils reprirent conscience de leur être, et ils purent se le dire par de longs regards où le fluide d'amour remplaçait le fluide lumineux.

L'émotion des spectateurs de cette réunion ou plutôt de cette fusion de deux âmes était grande. Maude, comme si elle en ressentait l'envie, s'approcha de Robin, lui prit les deux mains et voulut lui sourire ; mais ce sourire égrenait une à une de grosses larmes sur ses joues veloutées et ces larmes roulaient sans se briser comme roulent les gouttes d'eau sur les feuilles.

– Et ma mère, et Gilbert ? demanda le jeune homme en pressant les mains de Maude dans les siennes.

Maude apprit en tremblant à Robin qu'elle ne s'était pas rendue au cottage et qu'Halbert y était allé seul.

– Petit-Jean, dit Robin, vous avez vu mon père ce matin ; ne lui était-il rien arrivé de malheureux ?

– Rien de malheureux, cher ami, mais des choses étranges qu'on te racontera ; j'ai laissé ton père tranquille et bien portant ce matin, c'est-à-dire à deux heures après minuit.

– Pourquoi t'inquiéter ainsi, Robin ? demanda Will qui se rapprochait du jeune archer pour être dans le voisinage de Maude.

– J'ai des motifs sérieux de m'inquiéter : un sergent du baron Fitz-Alwine m'a dit avoir incendié ce matin la maison de mon père et jeté ma mère dans les flammes.

– Et que lui as-tu répondu ? s'écria Petit-Jean.

– Je ne lui ai pas répondu, je l'ai tué... A-t-il dit la vérité, a-t-il menti ? Je veux y aller voir, je veux voir mon père et ma mère, ajouta Robin la voix pleine de larmes ; sœur Maude, partons...

– Miss Maude est ta sœur ? s'écria Will. Vraiment je ne te savais pas si heureux il y a huit jours.

– Il y a huit jours je n'avais pas encore de sœur, cher Will... aujourd'hui j'ai le bonheur d'être frère, répliqua Robin en essayant de sourire.

– Je n'aurais qu'un souhait à faire pour mes sœurs, ajouta galamment Will, ce serait qu'elles ressemblassent en tout à mademoiselle.

Robin regarda Maude d'un œil curieux.

La jeune fille pleurait.

– Où est ton frère Halbert ? demanda Robin.

– Je vous l'ai déjà dit, Robin, Hal se dirige vers le cottage de Gilbert.

– Sur mon âme, je crois l'apercevoir ! s'écria vivement le moine Tuck, regardez...

En effet, Hal arrivait à franc étrier, monté sur le plus beau cheval des écuries du baron.

– Voyez, mes amis, s'écria orgueilleusement le jeune garçon, quoique séparé de vous, je me suis bien battu ; j'ai gagné la meilleure bête de tout le comté. Ah ! vous croyez cela que je me suis battu ! Eh bien ! non, j'ai trouvé le cheval sans cavalier et broutant l'herbe de la forêt.

Robin sourit en reconnaissant la monture du baron, cette monture qui lui avait servi de cible.

On tint conseil.

à cette époque où les grands possesseurs de fiefs agissaient en souverains sur leurs vassaux, guerroyaient avec leurs voisins et se livraient au pillage, au brigandage, au meurtre, sous prétexte d'exercer les droits de haute et de basse justice, souvent des luttes terribles s'engageaient de château à château, de village à village, et, la bataille finie, vainqueurs et vaincus se retiraient, chacun de son côté, prêts à recommencer à la première occasion favorable.

Le baron de Nottingham, battu pendant cette nuit fertile en événements, pouvait donc tenter de reprendre le jour même sa revanche. Ses hommes reçus à quartier ralliaient déjà le château, il possédait encore bon nombre de lances qu'il n'avait pas mises en campagne, et les gens du hall de Gamwell, seuls partisans d'Allan Clare et de Robin, n'étaient pas de force à lutter longtemps contre un aussi puissant seigneur ; il fallait donc, pour conserver l'avantage, suppléer au manque de bras par la prudence, par la ruse et par l'activité aussi bien que par le courage.

Voilà pourquoi nos amis tinrent conseil pendant que le baron, accompagné de deux ou trois serviteurs, regagnait piteusement son manoir. La présence de Christabel empêchait qu'on l'inquiétât dans sa retraite.

Il fut décidé que messire Allan et Christabel se réfugieraient immédiatement au hall par la route la plus courte. Will l'écarlate, ses six frères et le cousin Petit-Jean les accompagneraient.

Robin, Maude, Tuck et Halbert devaient se rendre à la demeure de Gilbert Head. Dans la soirée on échangerait des messages, et on se tiendrait prêt s'il fallait se réunir sur tel point ou sur tel autre.

William n'approuvait pas ces dispositions et employait toute son éloquence pour convaincre Maude de la nécessité où elle se trouvait d'accompagner sa maîtresse au hall.

Maude, prenant sérieusement à cœur son nouveau titre de sœur de Robin, n'y voulait rien entendre ; mais Will fit si bien que Christabel s'associa à ses désirs sans en comprendre le but, et contraignit Maude à la suivre.

– Robin Hood, dit Allan Clare en prenant les mains du jeune archer dans les siennes, Robin Hood, c'est en risquant deux fois votre vie que vous avez sauvé la mienne et celle de lady Christabel, vous êtes donc plus qu'un ami pour moi, vous êtes un frère. Or entre frères tout est commun : à vous donc mon cœur, mon sang, ma fortune, à vous tout ce que je possède ; quand je cesserai d'être reconnaissant, c'est que j'aurai cessé de vivre. Adieu !

– Adieu, messire.

Les deux jeunes gens s'embrassèrent et Robin porta respectueusement à ses lèvres les doigts blancs de la belle fiancée du chevalier.

– Adieu, vous tous ! cria Robin en envoyant un dernier salut aux Gamwell.

– Adieu ! répondirent-ils en agitant en l'air leurs bonnets.

– Adieu ! murmura une douce voix, adieu !

– Au revoir, chère Maude, dit Robin, au revoir ! N'oubliez pas votre frère !

Allan et Christabel, montés sur le cheval du baron, partirent les premiers.

– La sainte Vierge les protège, eux, dit tristement Maude.

– Le fait est que le cheval va bien, répondit Halbert.

– Enfant ! murmura Maude ; et un soupir profond s'échappa de ses lèvres.

Le noble animal qui emportait lady Christabel et Allan Clare vers le hall de Gamwell marchait rapidement, mais avec une souplesse, une douceur infinie de mouvement, comme s'il eût compris la nature de son précieux fardeau ; la bride flottait sur son cou gracieusement cambré, mais il ne quittait pas le sol des yeux de crainte d'interrompre par un faux pas le dialogue des amoureux.

De temps en temps le jeune homme tournait la tête, et ses paroles se touchaient avec les paroles de Christabel, qui, pour se soutenir en selle, serrait la taille du cavalier entre ses bras.

Que pouvaient-ils se dire après une si terrible nuit ? Tout ce que le délire du bonheur inspire, beaucoup quelquefois, parfois aussi rien ; les uns ont le bonheur éloquent, les autres sont silencieux.

Christabel s'adressait des reproches sur sa conduite envers son père ; elle se voyait blâmée, repoussée par le monde pour avoir fui avec un homme : elle se demandait si plus tard Allan lui-même ne la mépriserait pas. Mais ces reproches, ces scrupules, ces craintes, elle ne les exprimait que pour avoir le plaisir de les entendre réduire à néant par l'éloquence persuasive du chevalier.

– Que deviendrions-nous si mon père avait le pouvoir de nous séparer, cher Allan ?

– Il ne l'aura bientôt plus, adorée Christabel ; bientôt vous serez ma femme, non seulement devant Dieu comme aujourd'hui, mais encore devant les hommes. Moi aussi j'aurai des soldats, ajouta fièrement le jeune chevalier, et mes soldats vaudront ceux de Nottingham. Plus de soucis, chère Christabel, abandonnons-nous à la jouissance de notre bonheur et à la protection divine.

– Fasse Dieu que mon père nous pardonne !

– Si vous redoutez le voisinage de Nottingham, ma bien-aimée, nous irons vivre dans les îles du Sud, où il y a toujours un beau ciel, de chauds rayons de soleil, des fleurs et des fruits. Exprimez un désir, je trouverai pour vous un paradis terrestre.

– Vous avez raison, cher Allan, nous serions plus heureux là-bas que dans cette froide Angleterre.

– Vous quitteriez donc sans regret l'Angleterre !

– Sans regret !... pour vivre avec vous je quitterais le ciel, ajouta tendrement Christabel.

– Eh bien ! sitôt mariés nous partirons pour le continent ; Marianne nous suivra.

– Chut ! s'écria la jeune fille, écoutez... Allan, on nous poursuit.

Le chevalier arrêta son cheval. Christabel ne s'était pas trompée, le retentissement d'un galop de chevaux arrivait jusqu'à eux, et, de minute en minute, de seconde en seconde, ce bruit, d'abord lointain, augmentait d'intensité et se rapprochait.

– Fatalité ! pourquoi avons-nous devancé nos amis de Gamwell ! murmurait Allan qui éperonna son cheval pour faire volte-face et s'enfoncer dans les taillis, car ils se trouvaient alors sur le bord d'une route.

En ce moment un hibou, réveillé par le bruit, sortit d'un tronc d'arbre voisin, poussa un cri lugubre et rasa de son vol les narines du cheval, qui allait obéir à l'éperon. Le cheval épouvanté s'affola et, au lieu de fuir dans la direction choisie par Allan, se lança à fond de train sur la route.

– Courage, Christabel ! cria le jeune homme qui luttait inutilement contre la folie de la bête, courage ! tenez-vous ferme ! un baiser, Christabel, et Dieu nous sauve !

Une bande de cavaliers aux couleurs du baron se présentait en ligne et tenait toute la largeur de la route.

La fuite était impossible en tournant le dos aux cavaliers, et l'on ne pouvait miraculeusement échapper qu'en forçant leur ligne.

Allan vit le danger et ne pensa plus qu'à le braver.

Clouant alors les molettes de ses éperons dans les flancs du cheval, il donna tête baissée au milieu des hommes d'armes et passa... passa comme l'éclair qui traverse la nue.

– Change de main ! volte-face ! commanda le chef de la troupe qu'exaspéra ce trait d'audace. Visez à la bête, hurla le chef, et malheur à qui blessera milady !

Une grêle de flèches tomba autour d'Allan ; mais le noble cheval ne ralentit pas sa course, mais Allan ne perdit pas courage.

– Enfer ! ils nous échappent ! hurla le chef. Aux jarrets, tirez aux jarrets !

Quelques instants après les cavaliers entouraient les deux amants, jetés sur le gazon par la chute mortelle du pauvre cheval.

– Rendez-vous, chevalier, dit le chef avec une ironie courtoise.

– Jamais, répondit Allan, qui déjà debout avait dégainé sa rapière, jamais ; vous avez tué lady Fitz-Alwine, ajouta le jeune homme en montrant Christabel évanouie à ses pieds. Eh bien ! je mourrai en la vengeant.

L'inégale lutte ne fut pas de longue durée : Allan tomba criblé de blessures, et les soldats reprirent le chemin de Nottingham, emportant Christabel comme un enfant endormi.

William eut un remords de conscience et rejoignit son cher Robin, il croyait pouvoir lui être utile, et se promettait de revenir ensuite promptement au hall se livrer à l'admiration des beaux yeux de miss Hubert Lindsay.

Mais Petit-Jean, très formaliste, le rappela.

– Il convient, dit-il, que tu sois l'introducteur au hall de ces nouveaux arrivants. J'accompagnerai Robin, moi.

William y consentit ; il n'aurait eu garde de refuser les devoirs que lui imposait l'amitié.

C'est pendant ce court entretien qu'Allan et Christabel avaient devancé les Gamwell, et Robin lui-même, croyant abréger sa route, marcha quelque temps encore en leur compagnie jusqu'à ce qu'il trouvât un certain sentier à lui bien connu.

Hal et Maude avaient aussi pris les devants ; mais frère Tuck s'était arrêté pour attendre le gros de la troupe.

Tout en causant, les jeunes gens arrivèrent au petit carrefour où Robin devait se séparer d'eux et non loin duquel frère Tuck attendait mollement assis sur le gazon ; il rêvait de la cruelle Maude, le pauvre frère !

Les derniers souhaits du départ se répétaient pour la millième fois quand les yeux de quelques-uns des Gamwell découvrirent à une faible distance le corps sanglant d'un homme étendu sur le sol.

– Un soldat du baron ! dirent les uns.

– Une victime de Robin ! ajoutèrent les autres.

– Ciel ! un affreux malheur est arrivé ! s'écria Robin qui reconnut aussitôt Allan Clare. Ah ! mes amis, voyez... l'herbe est foulée par des piétinements de chevaux. On s'est battu ici... mon Dieu ! mon Dieu ! il est mort peut-être... et lady Christabel, qu'est-elle devenue ?

Tous les amis firent cercle autour du corps qui paraissait sans vie.

– Il n'est pas mort, rassurez-vous ! s'écria Tuck.

– Béni soit Dieu ! répéta le groupe.

– Le sang coule par cette grande blessure au sommet de la tête, le cœur bat... Allan, messire chevalier, vos amis vous entourent, ouvrez les yeux.

– Fouillez les environs, dit Robin, cherchez lady Christabel.

Ce doux nom prononcé par Robin ranima chez Allan la vie bien près de s'éteindre.

– Christabel ! murmura-t-il.

– En sûreté, messire, cria le moine qui s'occupait à cueillir quelques plantes utiles en pareilles circonstances.

– Vous répondez de lui ? demanda Robin au moine.

– J'en réponds ; sitôt la blessure pansée, on le transportera au hall à l'aide d'une litière en branches d'arbres.

– Alors, adieu, messire Allan, dit Robin, penché tristement sur le blessé ; nous nous reverrons.

Allan ne put répondre que par un faible sourire.

Tandis que les robustes bras des Gamwell transportaient lentement au hall le pauvre Allan Clare, Robin, dévoré d'inquiétude, s'avançait rapidement vers la demeure de son père adoptif. L'infortune d'Allan et ses craintes personnelles lui oppressaient le cœur ; il maudissait l'étendue, l'espace ; il aurait voulu voler plus rapidement que ne volent les hirondelles ; il aurait voulu percer l'épaisseur de la forêt, embrasser Marguerite et Gilbert pour être certain qu'ils vivaient encore.

– Vous avez des jambes de cerf, dit Petit-Jean.

– On les a toujours ainsi quand on veut, répondit Robin.

En entrant dans la vallée d'aulnes qui conduisait à la maison de Gilbert, les deux jeunes gens reconnurent avec terreur l'affreuse véracité des paroles de Lambic. Un épais nuage de fumée tourbillonnait encore au-dessus des arbres, et les âcres senteurs de l'incendie imprégnaient l'atmosphère.

Robin jeta un cri de désespoir, et, suivi de Petit-Jean, non moins peiné, il s'élança en courant dans l'avenue.

à quelques pas des noirs décombres, là où la veille souriait encore par ses fenêtres éclairées la joyeuse maison, était agenouillé le pauvre Robin, et ses mains pressaient convulsivement les mains froides de Marguerite étendue devant lui.

– Père ! père ! cria Robin.

Une sourde exclamation s'échappa des lèvres de Gilbert ; puis il fit quelques pas vers Robin et tomba en sanglotant dans les bras tendus du jeune homme.

Cependant l'énergie naturelle du vieux forestier fit taire un instant les plaintes, les larmes et les sanglots.

– Robin, dit-il d'une voix ferme, tu es le légitime héritier du comte de Huntingdon ; ne tressaille pas : c'est vrai... tu seras donc puissant un jour, et tant qu'il y aura un souffle de vie dans mon vieux corps, il t'appartiendra... tu auras donc pour toi la fortune d'un côté, mon dévouement de l'autre : eh bien ! regarde, regarde-la, morte, assassinée par un misérable, celle qui t'aimait tendrement, sincèrement, comme elle eût aimé le fils de ses entrailles.

– Oh ! oui, elle m'aimait ! murmura Robin agenouillé auprès du corps de Marguerite.

– Voici ce qu'ils ont fait de ta mère, un cadavre ; voici ce qu'ils ont fait de ta maison, une ruine ! Comte de Huntingdon, vengeras-tu ta mère ?

– Je la vengerai !

Et, se levant fièrement, le jeune homme ajouta :

– Le comte de Huntingdon écrasera le baron de Nottingham, et la seigneuriale demeure du noble lord sera, comme la maison de l'humble forestier, dévorée par les flammes !

– Je jure à mon tour, dit Petit-Jean, de ne laisser ni repos ni trêve au Fitz-Alwine, à ses gens et tenanciers.

Le lendemain, le corps de Marguerite, transporté au hall par Lincoln et Petit-Jean, fut pieusement enterré dans le cimetière du village de Gamwell.

Les mémorables événements de cette étrange nuit avaient réuni comme une seule famille, pour se venger du baron Fitz-Alwine, les divers personnages de notre histoire.

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