Robin Hood, le prince des voleurs Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre V


à cette orageuse soirée succéda une nuit de calme et de silence. Le jeune moine et Lincoln étaient revenus de leur expédition dans la forêt pour enterrer le cadavre du bandit ; Marianne et Marguerite n'entendaient plus qu'en rêve le bruit de la bataille ; Allan, Robin, Lincoln et les deux moines réparaient leurs forces dans un profond sommeil ; seul Gilbert Head veillait encore.

Penché sur le lit de Ritson, toujours évanoui, il attendait plein d'anxiété que l'agonisant ouvrît les yeux et il doutait... il doutait que cet homme à la face livide et décomposée, aux traits stigmatisés par le vice et vieillis par la débauche plutôt que par l'âge, fût le joyeux et beau Ritson d'autrefois, le frère bien-aimé de Marguerite, le fiancé de la malheureuse Annette.

Et, joignant les mains, Gilbert s'écriait :

– Permets, mon Dieu, qu'il ne meure pas encore !

Dieu le permit, et quand le soleil levant inonda l'appartement de lumière, Ritson, comme s'il se réveillait du sommeil de la mort, tressaillit, poussa un long cri de repentir, et, saisissant la main de Gilbert, la porta à ses lèvres et balbutia ces mots :

– Me pardonnes-tu ?

– Parle d'abord, répondit Gilbert qui avait hâte de recevoir des éclaircissements sur la mort de sa sœur Annette et sur la naissance de Robin ; je pardonnerai ensuite.

– Je mourrai donc moins malheureux.

Ritson allait commencer ses révélations, quand un bruit de voix joyeuses retentit dans la salle du rez-de-chaussée.

– Père, dormez-vous ? demanda Robin au bas de l'escalier.

– Il est temps de partir pour Nottingham si nous voulons revenir ce soir, ajouta Allan Clare.

– Et, s'il vous plaisait, messeigneurs, s'écriait le moine herculéen, je serais votre compagnon de voyage, car une bonne œuvre m'appelle au château de Nottingham.

– Allons, père, descendez qu'on vous dise adieu.

Gilbert descendit, mais à regret ; il craignait que le moribond n'expirât d'un instant à l'autre, et il s'arrangea de manière à remonter promptement auprès de lui et à ne plus être dérangé pendant cet entretien solennel d'où sortiraient sans doute des révélations importantes.

Il congédia donc immédiatement Robin, Allan et le moine ; Marianne et Marguerite devaient les accompagner à quelque distance de la maison, afin de s'égayer par une promenade matinale ; Lincoln fut envoyé sous un prétexte quelconque à Mansfeldwoohaus, et le père Eldred profita de l'occasion pour aller visiter le village : on devait se trouver réunis à la fin de la journée.

– Nous sommes seuls maintenant, parle, je t'écoute, dit Gilbert en s'asseyant au chevet de Ritson.

– Je ne vous raconterai pas, frère, tous les crimes, toutes les actions monstrueuses dont je me suis rendu coupable. Ce récit serait trop long. à quoi bon d'ailleurs raconter tout cela ? Vous ne voulez savoir que deux choses : ce qui concerne Annette et ce qui concerne Robin, n'est-ce pas ?

– Oui ; mais parle-moi d'abord de Robin, répondit Gilbert, car il craignit que le moribond n'eût pas le temps de faire tous ses aveux.

– Vous savez que je quittai Mansfeldwoohaus, il y a vingt-trois ans pour entrer au service de Philippe Fitzooth, baron de Beasant. Ce titre avait été donné à mon maître par le roi Henri en récompense de services rendus pendant la guerre de France. Philippe Fitzooth était le fils cadet du vieux comte de Huntingdon, qui mourut longtemps avant mon entrée dans cette maison, et laissa ses biens et son titre à son fils aîné Fitzooth.

« Quelque temps après cet héritage, Robert perdit sa femme par suite de couches, et concentra toutes ses affections sur l'héritier qu'elle lui laissa ; faible et souffreteux enfant dont la vie ne fut entretenue qu'à l'aide de soins constants et minutieux. Le comte Robert, déjà inconsolable de la mort de sa femme, et désespérant de l'avenir de son fils, se laissa dominer par le chagrin, et mourut en confiant à son frère Philippe la mission de veiller sur l'unique rejeton de sa race.

« Désormais le baron de Beasant, Philippe de Fitzooth, avait un devoir impérieux à remplir. Mais l'ambition, le désir d'acquérir de nouveaux titres nobiliaires et d'hériter d'une fortune colossale lui firent oublier les recommandations de son frère, et, après quelques jours d'hésitation, il résolut de se débarrasser de l'enfant ; mais il dut bientôt renoncer à ce projet, le jeune Robert vivant au milieu d'un nombreux domestique, les laquais, les gardes, les habitants du comté lui étaient dévoués et n'eussent pas manqué de protester et même de se révolter si Philippe Fitzooth eût osé le dépouiller ouvertement de ses droits.

« Il temporisa donc en exploitant la faible constitution de l'héritier qui, selon les avis des médecins, ne tarderait pas à succomber si on lui donnait le goût de la débauche et des exercices violents.

« C'est dans ce but que Philippe Fitzooth me prit à son service. Déjà le comte Robert avait atteint sa seizième année, et, d'après les infâmes calculs de son oncle, je devais le pousser à sa perte par tous les moyens possibles, les chutes, les accidents, les maladies ; je devais tout tenter enfin pour qu'il mourût promptement, tout, sauf l'assassinat.

« Je l'avoue à ma honte, brave Gilbert, je fus un digne et zélé mandataire du baron de Beasant, qui ne pouvait surveiller mon travail de corrupteur et de meurtrier, puisque le roi Henri l'avait envoyé commander un corps d'armée en France. Dieu me pardonne ! j'aurais dû profiter de son absence pour déjouer cette trame odieuse ; au contraire, je m'efforçai de gagner la récompense promise pour le jour où je lui annoncerais la mort de Robert.

« Mais Robert en grandissant était devenu fort. La fatigue n'avait plus de prise sur lui ; nous avions beau courir de jour et de nuit, et par tous les temps, les plaines, les forêts, les tavernes et les mauvais lieux, c'était moi souvent qui criais le premier merci ! Mon amour-propre en souffrait, et si le baron m'eût alors écrit un mot, un seul mot à double entente à propos de cette santé merveilleuse et invincible, je n'eusse pas hésité à faire intervenir quelque poison lent pour accomplir mon œuvre.

« Ma tâche devenait donc plus rude de jour en jour, j'épuisais toutes les ressources de mon esprit sans trouver un moyen naturel d'ébranler l'étrange vigueur de mon élève ; je m'épuisais moi-même et j'étais sur le point de résilier mon marché avec le baron de Beasant, quand je crus voir enfin quelques changements dans la physionomie et dans les allures du jeune comte ; ces changements presque imperceptibles d'abord devinrent peu à peu visibles, réels, importants ; il perdait sa vivacité et sa gaieté ; il demeurait triste et rêveur pendant de longues heures ; il s'arrêtait immobile au début d'un lancer, ou se promenait solitairement tandis que les chiens forçaient la bête ; il ne mangeait plus, ne buvait plus, ne dormait plus, fuyait les femmes, et me parlait à peine une ou deux fois le jour.

« Ne m'attendant à aucune confidence de sa part, je voulus l'espionner pour découvrir la cause d'un si grand changement ; mais l'espionnage était difficile, car il trouvait toujours des prétextes pour m'éloigner de lui.

« Un jour que nous étions en chasse, nous arrivâmes, à la poursuite d'un cerf, sur les lisières de la forêt de Huntingdon ; là le comte fit halte, et après un moment de repos il me dit d'un ton bref :

« – Roland, attendez-moi près de ce chêne ; je reviendrai dans quelques heures.

« – Oui, seigneur, répondis-je.

« Et le comte s'enfonça dans un fourré. Aussitôt j'attachai mes chiens à un arbre et m'élançai à sa piste, en suivant dans les broussailles les traces de son passage ; mais quelque diligence que je fisse il m'échappa, et j'errai longtemps, si longtemps que je finis par m'égarer.

« Tandis que, fort désappointé d'avoir manqué cette occasion de découvrir le mystère dont s'enveloppait Robert, je cherchais à retrouver l'arbre au pied duquel il m'avait ordonné de l'attendre, j'entendis à quelques pas de moi, derrière un bouquet d'arbustes, une douce voix, une voix de jeune fille... Je m'arrêtai, j'écartai sans bruit quelques branches, et je vis, assis l'un près de l'autre, causant et souriant, les mains entrelacées, mon maître et une belle enfant de seize ou dix-sept ans.

« – Ah ! ah ! pensai-je, voilà du nouveau auquel ne s'attend pas monseigneur le baron de Beasant ! Robert est amoureux ; cela explique ses insomnies, sa tristesse, son manque d'appétit et surtout ses promenades solitaires.

« Je prêtai une oreille attentive aux paroles des deux amants, espérant surprendre quelque secret ; mais je n'entendis rien autre chose que le langage usité en pareille circonstance.

« Le jour baissait : Robert se leva, et, prenant le bras de la jeune fille, la conduisit sur la lisière de la forêt, où l'attendait un domestique avec deux chevaux ; je les suivis de loin, là ils se séparèrent, et mon maître revint à grands pas où il m'avait laissé.

« J'eus le temps d'y arriver avant lui, et, quand il parut, les chiens étaient détachés et je donnais du cor à pleins poumons.

« – Pourquoi une telle sonnerie ? demanda-t-il.

« – Le soleil est couché, seigneur comte, répondis-je, et je craignais que vous ne vous fussiez égaré dans la forêt.

« – Je n'étais point égaré, répliqua-t-il froidement. Rentrons au château.

« Les entrevues de Robert et de sa bien-aimée se renouvelèrent longtemps. Pour les faciliter, Robert m'en confia le secret, et je ne racontai l'affaire au baron de Beasant qu'après m'être bien renseigné sur la position de la jeune fille. Miss Laura appartenait à une famille moins élevée dans la hiérarchie nobiliaire que celle de Robert, mais dont l'alliance était cependant honorable.

« Le baron me dit d'empêcher à tout prix le mariage de Robert avec cette miss Laura, il alla même jusqu'à m'ordonner de sacrifier la jeune fille.

« Cet ordre me parut fort cruel, fort dangereux, et surtout fort difficile à exécuter ; j'aurais voulu refuser d'y obéir, mais le pouvais-je, vendu que j'étais corps et âme au baron de Beasant ?

« Je ne savais plus quel parti prendre ni à quel démon demander conseil, lorsque, confiant et indiscret comme l'est tout homme heureux, Robert m'apprit que, ayant voulu être aimé pour lui-même, il avait caché son rang à miss Laura.

« Miss Laura le croyait fils d'un forestier, et consentait, malgré cette basse extraction, à lui donner sa main.

« Robert avait loué une maisonnette dans la petite ville de Loockeys, en Nottinghamshire ; il devait s'y réfugier avec sa jeune femme, et, pour qu'on ne se doutât de rien, il annoncerait, en quittant le château de Huntingdon, qu'il allait passer quelques mois en Normandie près de son oncle le baron de Beasant.

« Ce plan réussit à merveille ; un prêtre unit clandestinement les deux amoureux ; je fus l'unique témoin du mariage, et nous allâmes vivre dans la maisonnette de Loockeys.

« Là s'écoulèrent de longs jours de bonheur, en dépit des ordres pressants du baron, que je tenais au courant de tout ce qui se passait, et qui me menaçait de sa colère pour n'avoir point mis obstacle à cette union... Dieu soit loué, maintenant ! je n'en eus pas le pouvoir.

« Après une année de félicité sans nuages, Laura mit un fils au monde, mais la naissance de ce fils lui coûta la vie.

– Et ce fils, demanda anxieusement Gilbert, ce fils serait-ce ?...

– Oui, c'est l'enfant que nous t'avons confié voilà quinze ans.

– Robin alors doit porter le nom de comte de Huntingdon ?

– Oui, Robin est comte, Robin...

Et Ritson, qui, soutenu par la fièvre du remords, avait pu parler si longuement, sembla près de rendre le dernier soupir, maintenant que Gilbert interrompait sa narration.

– Ah ! mon fils adoptif est comte, répéta orgueilleusement le vieux Gilbert Head, comte de Huntingdon ! Achève, frère, achève l'histoire de mon Robin.

Ritson réunit tout ce qui lui restait de force et continua ainsi :

– Robert, fou de douleur, repoussa les consolations, perdit courage et tomba sérieusement malade.

« Le baron de Beasant, mécontent de ma surveillance, m'avait annoncé son prochain retour ; je crus agir selon ses désirs en faisant enterrer la comtesse Laura dans un couvent du voisinage, sans révéler sa qualité de femme du comte Robert, et je plaçai l'enfant en nourrice chez une fermière de mes connaissances. Sur ces entrefaites, le baron de Beasant revint en Angleterre, et, trouvant favorable à ses projets de ne pas démentir la prétendue excursion de Robert en France, il le fit transporter au château en annonçant qu'il était tombé malade pendant le voyage.

« Le sort favorisait le baron de Beasant, il touchait au but de ses désirs, il se voyait déjà héritier des titres et de la fortune du comte de Huntingdon : Robert allait mourir...

« Quelques instants avant de rendre le dernier soupir, cet infortuné jeune homme manda le baron à son chevet, lui raconta son mariage avec Laura, et lui fit jurer sur l'évangile d'élever l'orphelin. L'oncle jura... mais le cadavre du malheureux Robert n'était pas encore refroidi que le baron m'appelait dans la chambre mortuaire, et à son tour me faisait jurer sur l'évangile de ne jamais révéler, sa vie durant, ni le mariage de Robert, ni la naissance de son fils, ni les circonstances de sa mort.

« J'avais l'âme navrée ; je pleurais au souvenir de mon maître, ou plutôt de mon élève, de mon compagnon, si doux, si bon, si magnifique pour moi et pour tous ; mais il fallait obéir au baron de Beasant.

« Je jurai donc, et nous vous apportâmes l'enfant déshérité.

– Et le baron de Beasant, devenu comte de Huntingdon par usurpation, où est-il ? demanda Gilbert.

– Il est mort dans un naufrage sur les côtes de France, et c'est moi qui l'accompagnais alors comme je l'accompagnai quand nous vînmes ici ; c'est moi qui ai apporté en Angleterre la nouvelle de sa mort.

– Et qui donc lui a succédé ?

– Le riche abbé de Ramsay, William Fitzooth.

– Quoi ! c'est un abbé qui dépouille à son profit mon fils Robin ?

– Oui, cet abbé me prit à son service, et voilà quelques jours il me chassa injustement, à la suite d'une dispute que j'eus avec un de ses valets. Je sortis de chez lui le cœur plein de rage et jurant de me venger... Et quoique la mort me rende impuissant, je me venge, car je ne connais guère Gilbert Head s'il permet que Robin soit longtemps encore privé de son héritage.

– Non, il n'en sera pas longtemps privé, répliqua Gilbert, ou je mourrai à la peine. Quels sont ses parents du côté de sa mère ? Il est de leur intérêt que Robin soit reconnu comte d'Angleterre.

– Sir Guy de Gamwell-Hall est le père de la comtesse Laura.

– Comment ! le vieux sir Guy de Gamwell-Hall, le même qui habite de l'autre côté de la forêt avec ses six robustes fils, les hercules chasseurs de Sherwood ?

– Oui, frère.

– Eh bien ! avec son aide, je me fais fort de jeter hors du château de Huntingdon monsieur l'abbé, quoiqu'on l'appelle le riche, le puissant abbé de Ramsay, baron de Broughton.

– Frère, mourrai-je vengé ? demanda Ritson ouvrant à plein la bouche.

– Sur ma parole et sur mon bras, je jure, si Dieu me prête vie, que Robin sera comte de Huntingdon en dépit de tous les abbés de l'Angleterre !... et cependant il y en a un joli nombre.

– Merci ! j'aurai du moins réparé quelques-uns de mes torts.

L'agonie de Ritson se prolongeait, et de temps en temps, il reprenait quelques forces pour faire de nouveaux aveux. Il n'avait pas tout dit encore ; était-ce honte, ou bien les approches de la mort obscurcissaient-elles sa mémoire ?

– Ah ! reprit-il après un long râle, j'oubliais une chose importante... bien importante...

– Parle, dit Gilbert en lui soutenant la tête, parle.

– Ce cavalier et cette jeune dame auxquels tu as donné l'hospitalité...

– Eh bien ?

– Je voulais les tuer. Hier... le baron Fitz-Alwine m'avait payé pour cela, et de peur que je manquasse de les rencontrer, il avait envoyé à leur poursuite ces gens, mes complices, que vous avez battus ce soir. Je ne sais pourquoi le baron en veut à la vie de ces deux personnes... mais avertis-les de ma part qu'elles se gardent bien d'approcher du château de Nottingham.

Gilbert frémit en pensant qu'Allan et Robin étaient partis pour Nottingham, mais il était trop tard pour les avertir du danger.

– Ritson, dit-il, je connais un père bénédictin qui n'est pas loin d'ici ; veux-tu que j'aille le chercher, il te réconciliera avec Dieu ?

– Non, je suis damné, damné, damné, et d'ailleurs il n'arriverait pas à temps... je meurs.

– Courage, frère.

– Je meurs, et si tu me pardonnes, Gilbert, promets-moi de m'enterrer entre le chêne et le hêtre qui sont là-bas à l'angle du carrefour de Mansfeldwoohaus ; tu creuseras ma tombe entre eux. Le promets-tu ?

– Je le promets.

Merci, bon Gilbert...

Puis Ritson ajouta en tordant ses membres de désespoir :

– Ah ! tu ne connais pas tous mes crimes ! Il faut que j'avoue tout !... mais si j'avoue tout, promettras-tu encore de m'enterrer là-bas ?

– Je le promets encore.

– Gilbert Head, tu avais une sœur ! t'en souvient-il ?

– Oh ! s'écria Gilbert qui devint pâle et dont les mains se joignirent convulsivement, si je m'en souviens ! Qu'as-tu à me dire de ma pauvre sœur, perdue dans la forêt, enlevée par un outlaw, ou dévorée par les loups ; Annette, ma douce et belle Annette !

Ritson frissonna du frisson de la mort, et d'une voix presque éteinte il dit :

– Tu aimais ma sœur Marguerite, Gilbert, moi j'aimais la tienne ; je l'aimais à la folie, je l'aimais jusqu'au délire, et vous ignoriez tous que je l'aimais ainsi. Un jour je la rencontrai dans la forêt, et j'oubliai qu'un homme d'honneur doit respecter la jeune fille dont il veut faire sa femme. Annette me repoussa avec mépris et jura qu'elle ne me pardonnerait jamais ma faute... J'implorai ma grâce, je tombai à ses genoux, je parlais de mourir... Elle s'attendrit, et là-bas, sous les arbres où je veux être enterré, nous échangeâmes nos serments d'amour... Quelques jours après, je la trompai d'une manière indigne, affreuse... un de mes amis, déguisé en prêtre nous maria secrètement.

– Enfer et mort ! rugit Gilbert ivre de colère et se cramponnant au bois du lit pour résister à la tentation d'étrangler le misérable.

– Oui, je mérite la mort, et la mort va venir... Gilbert, ne me tue pas, je ne t'ai pas tout dit encore... Annette croyait donc être ma femme ; elle était trop pure, trop innocente pour soupçonner ma perfidie, et elle ajoutait foi aux raisons que j'inventais pour me dispenser de dévoiler notre union à sa famille ; je reculais toujours le moment de cette révélation, lorsqu'elle devint mère. Il lui était désormais impossible d'habiter sous le toit de son père. Vous épousâtes alors ma sœur ; le moment de tout avouer était donc venu, et elle me conjura de le faire ; mais je ne l'aimais plus, et je rêvais aux moyens de quitter le pays sans l'avertir de mon départ. Un soir Annette m'attendait sous le chêne où j'avais juré de l'aimer éternellement : j'allai au rendez-vous, la tête remplie de pensées sinistres, et j'écoutai froidement ses prières, ses reproches entremêlés de larmes et de sanglots. Ah ! que ne restai-je sourd et indifférent lorsque, éperdue à mes pieds et serrant mes genoux sur sa poitrine, elle me supplia de la frapper de mon poignard plutôt que de l'abandonner. à peine ces mots : « Tue-moi ! » furent-ils tombés de ses lèvres que le démon, oui, le démon, me poussa à m'armer de mon poignard, et... je frappai une fois, deux fois, trois fois... Nous étions seuls, la nuit était obscure ; je restai là debout, immobile, je n'avais pas conscience de mon crime, je ne me souvenais plus d'avoir frappé, et je ne pensais à rien, je crois ; quand soudain j'éprouvai aux jambes une sensation de chaleur : c'était le sang d'Annette qui ruisselait sur moi !...Réveillé de ma léthargie, averti de mon crime, je voulus fuir alors ; mais ses mains enserrèrent mes pieds, et j'entendis sa douce voix qui disait : « Mon Roland, merci ! » Oh ! Dieu voulut alors me punir pour toute ma vie, car en ce moment où je comprenais l'étendue de mon forfait, il me refusa la force de me poignarder sur le cadavre de la pauvre Annette.

– Misérable ! misérable ! qui as tué ma sœur ! répéta Gilbert chaque fois que Ritson s'arrêtait pour reprendre haleine. Qu'as-tu fait de son corps, assassin, infâme assassin ?

– Pendant qu'elle me disait merci, les rayons de la lune, traversant le feuillage, éclairèrent sa pâle figure, et je lus mon pardon dans ses yeux... Puis elle me tendit la main et poussa son dernier soupir, après avoir murmuré ces mots : « Merci, Roland, merci, car je préfère la mort à la vie sans ton amour ! Je désire qu'on ignore toujours ce que je suis devenue... enfouis mon corps au pied de cet arbre. »
Je ne sais combien de temps je demeurai foudroyé, évanoui près du cadavre de la malheureuse Annette ; je ne revins à moi que sous l'impression d'une vive douleur, il me semblait que les chairs de mon bras étaient déchiquetées par des dents aiguës ; je ne me trompais pas : c'était un loup, qui, attiré par l'odeur du sang, arrivait à la curée... La lutte que je soutins avec cet animal me rendit tout mon sang-froid ; je compris que si je n'enfouissais pas au plus tôt le corps de ma victime, mon crime serait découvert ; je creusai donc une tombe entre le chêne et le hêtre dont je vous ai parlé, et quand j'y eus déposé la pauvre Annette, je m'enfuis, et, bourrelé de remords, je vagabondai dans la forêt jusqu'au jour... C'est alors que vous me rencontrâtes étendu sur le sol, couvert de morsures et baigné dans mon sang... les loups me poursuivaient, ils allaient me dévorer, et sans vous je recevais déjà le châtiment de mon crime !... Le lendemain, quand on s'alarma de la disparition d'Annette, je n'eus garde d'avouer mon forfait, je vous aidai même dans vos recherches pour la découvrir, et je laissai croire qu'un outlaw l'avait enlevée, ou qu'elle avait servi de pâture aux bêtes féroces...

Gilbert n'écoutait plus Ritson ; il sanglotait, appuyé sur le rebord de la fenêtre. En vain le misérable lui criait-il : « Je meurs ! je meurs ! n'oublie pas le chêne ! » il demeura longtemps à cette même place, immobile et abîmé dans sa douleur, et quand il revint près du lit, Ritson avait rendu le dernier soupir.

Pendant cette longue agonie de Roland Ritson, nos trois voyageurs pour Nottingham, Allan, Robin et le moine, le moine au robuste appétit, au cœur vaillant et aux membres vigoureux, cheminaient rapidement à travers l'immense forêt de Sherwood. Ils causaient, riaient et chantaient ; tantôt le gros moine racontait quelque aventure égrillarde, tantôt la voix argentine de Robin entamait une ballade, tantôt Allan, par ses réflexions spirituelles, captivait l'attention de ses compagnons de voyage.

– Maître Allan, dit tout à coup Robin, le soleil marque déjà midi, et mon estomac ne se souvient plus du déjeuner de ce matin. Si vous voulez m'en croire, nous gagnerons les bords d'un ruisseau qui coule à quelques pas d'ici ; j'ai des vivres dans mon sac, et nous mangerons en nous reposant.

– Ce que tu proposes est plein de sens, mon fils, répliqua le moine, et j'y adhère de tout mon cœur, je voulais dire de toutes mes dents.

– Je n'y mets pas d'obstacle, cher Robin, dit Allan ; mais permets-moi de te faire observer que je veux absolument arriver au château de Nottingham avant le coucher du soleil, et si ce que tu proposes nous en empêche, je préfère continuer ma route sans m'arrêter.

– à vos souhaits, messire, répondit Robin ; où vous irez, nous irons.

– Au ruisseau ! au ruisseau ! cria le moine ; nous ne sommes plus qu'à trois milles de Nottingham, et nous avons dix fois le temps d'y arriver avant la nuit ; ce n'est pas une heure de repos et un bon repas qui pourront nous en empêcher.

Rassuré par les paroles du moine, Allan consentit à faire halte, et ils allèrent s'asseoir sous l'ombre d'un grand chêne, au fond d'une délicieuse vallée où serpentait un petit ruisseau aux eaux limpides et transparentes, au lit pavé de cailloux blancs et roses, aux rives bordées d'herbes fleuries.

– Quel ravissant paysage ! s'écria Allan dont les regards inventoriaient les beautés de ce petit recoin du monde ; mais il me semble, cher Robin, que ce paradis terrestre est trop éloigné de ta demeure pour que tu viennes t'y reposer souvent ?

– En effet, messire, nous n'y venons que rarement, une fois par année, et non pas quand tout verdit, quand tout fleurit, quand tout est beau comme aujourd'hui, mais quand l'hiver a tout dévasté et que le vent secoue lugubrement les branches des arbres dépouillées de leurs feuilles et chargées de givre ; notre cœur alors est rempli de tristesse, de même que le ciel est rempli de nuages, et le deuil de la nature sympathise avec le nôtre.

– Pourquoi ce deuil, Robin ?

– Voyez-vous ce hêtre qui s'élève là-bas au centre d'un massif d'églantiers ? Il y a une tombe sous ce hêtre, la tombe du frère de mon père, Robin Hood, dont je porte le nom. C'était quelque temps avant ma naissance : les deux forestiers revenaient de la chasse, quand ils furent assaillis par une bande d'outlaws ; ils se défendirent vaillamment, mais, hélas ! mon oncle Robin reçut une flèche en pleine poitrine et tomba pour ne plus se relever ; Gilbert vengea sa mort et lui éleva cet humble mausolée, devant lequel nous venons prier et pleurer chaque année, le jour anniversaire du malheur.

– Il n'y a pas d'endroit en l'univers, quelque beau qu'il soit, que l'homme n'ait profané, dit sentencieusement le moine.

Puis, changeant de ton, il ajouta avec une joyeuse impatience :

– Holà ! Robin, laisse dormir ton mort, et pense aux vivants qui t'accompagnent ; un mort n'a pas faim, et la faim nous taquine. Voyons, ça ! ouvre ta besace ; elle contient, m'as-tu dit, des trésors de provisions.

Assis sur l'herbe au bord du ruisseau, les trois compagnons banquetèrent largement, grâce à la prévoyance de la bonne Marguerite, et une volumineuse gourde, remplie d'un vieux vin de France, passa et repassa si souvent des mains aux lèvres et des lèvres aux mains, que la gaieté de chacun devint très expansive, et que le temps consacré à cette halte se prolongea indéfiniment sans qu'ils s'en aperçussent. Robin chantait, chantait sans relâche. Allan, transporté au septième ciel, décrivait pompeusement les charmes et les qualités de lady Christabel. Le moine bavardait à tort et à travers, et déclarait aux échos qu'il se nommait Gilles Sherbowne, qu'il appartenait à une bonne famille de campagnards, qu'il préférait à la vie de couvent la vie active et indépendante du forestier, et qu'il avait acheté et payé fort cher au supérieur de son ordre le droit d'agir à sa guise et de manier le bâton.

– On m'a surnommé le frère Tuck, ajoutait-il, à cause de mon talent bâtonniste et de l'habitude que j'ai de relever ma robe jusqu'aux genoux. Je suis bon avec les bons et méchant avec les méchants, je donne un coup de main à mes amis et un coup de bâton à mes ennemis, je chante la ballade pour rire et la chanson à boire à qui aime à rire, à qui aime à boire, je prie avec les dévots, j'entonne des Oremus avec les bigots, et j'ai de joyeux contes à raconter à ceux qui détestent les homélies. Voilà, voilà le frère Tuck ! Et vous, messire Allan, dites-nous donc qui vous êtes ?

– Volontiers, si vous me laissez parler, répondit Allan.

En ce moment Robin tenait à la main sa gourde, qui n'était pas tout à fait vide, et frère Tuck allongeait le bras pour s'en saisir.

– Hop ! minute ! s'écria le jeune homme ; je te donnerai la gourde, frère Tuck, si tu n'interromps pas messire Allan Clare.

– Donne, je n'interromprai pas.

– C'est ce que nous verrons quand le chevalier aura fini.

– Méchant Robin ! la soif m'étrangle !

– Eh bien ! jette ta soif à l'eau.

Le moine fit une longue grimace de dépit, et s'étendit sur l'herbe comme pour dormir au lieu d'écouter l'histoire d'Allan Clare.

– Je suis d'origine saxonne, dit ce dernier ; mon père était l'intime ami du Premier ministre d'Henri II, Thomas Becket, et cette amitié causa tous ses malheurs, car il fut exilé à la mort de ce ministre.

Robin allait imiter le moine, car il ne s'intéressait guère aux éloges pompeux que le chevalier faisait de ses ancêtres et de sa famille ; mais il cessa d'être indifférent dès que le nom de Marianne fut prononcé et, le cœur dans les oreilles, il écouta... il écouta si attentivement qu'il ne s'aperçut pas que Tuck se redressait sur son séant et lui enlevait des mains sa gourde. Chaque fois qu'Allan cessait de parler de la belle Marianne, Robin trouvait le moyen de ramener la conversation sur elle ; il dut cependant permettre au chevalier de parler de ses amours et de s'extasier longuement sur les charmes de la noble Christabel, la fille du baron de Nottingham. Le chevalier, devenu très communicatif sous l'influence du vin de France, parla ensuite de sa haine pour le baron.

– Quand les faveurs de la cour pleuvaient sur ma famille, dit-il, le baron de Nottingham souriait à nos amours et m'appelait son fils ; mais dès que la fortune nous fut contraire, il me ferma sa porte et jura que Christabel ne serait jamais ma femme ; je jurai à mon tour de faire fléchir sa volonté et de devenir l'époux de sa fille, et depuis lors j'ai lutté sans cesse pour atteindre mon but, et je crois avoir réussi... Ce soir, oui, ce soir, il m'accordera la main de Christabel, ou il sera puni de sa forfanterie. Grâce au hasard, j'ai découvert un secret dont la révélation entraînerait sa ruine et sa mort, et je vais lui dire en face : Baron de Nottingham, je te propose un échange : mon silence contre ta fille.

Allan aurait continué sur ce ton longtemps encore, et Robin, qui établissait dans son esprit des comparaisons entre Marianne et Christabel, n'avait garde de l'interrompre, lorsqu'il s'aperçut que le soleil baissait à l'horizon.

– En route, dit Allan.

– En route, frère Tuck, ajouta Robin.

Mais frère Tuck dormait couché sur le côté, et tenait la gourde vide aplatie sur son cœur.

Robin laissa au chevalier le soin de réveiller le moine et courut s'agenouiller sur la tombe du frère de Gilbert ; il se serait cru coupable d'un sacrilège s'il avait quitté ces lieux sans remplir ce pieux devoir.

Il se signait après une courte prière quand il entendit un grand bruit de cris, de jurements et de rires ; le chevalier et le moine se battaient, ou plutôt le moine faisait tournoyer son terrible bâton sur la tête d'Allan, et Allan cherchait à parer les coups avec sa lance, et riait, riait à gorge déployée, tandis que le bénédictin vociférait des malédictions.

– Holà ! messeigneurs, quelle mouche vous pique ? s'écria Robin.

– Si ta lance pique fort, mon bâton tape dur, beau chevalier, disait le moine enflammé de colère.

Allan riait en se sauvegardant des atteintes du moine ; cependant, à la vue de quelques gouttes de sang qui tombaient de dessous la robe du frère et rougissaient le gazon, il comprit que la colère de son adversaire était légitime, aussi demanda-t-il immédiatement merci. Le moine interrompit donc ses moulinets en grognant sourdement et en manifestant tous les symptômes d'une vive douleur ; et portant sa main derrière lui presque au bas de sa robe, il répondit au jeune archer qui s'enquérait des causes de la dispute :

– Les causes, les causes sont là, et c'est une honte, un crime que de troubler les dévotions d'un saint homme comme moi en lui enfonçant un fer de lance dans un endroit où la pointe ne rencontre point d'os.

Allan s'était avisé de réveiller le moine en lui lardant le bas des reins avec la pointe de sa lance ; certes, il avait voulu rire et non blesser jusqu'au sang le pauvre Tuck, aussi lui fit-il des excuses en règle et, la paix conclue, la petite caravane reprit la route de Nottingham. En moins d'une heure elle atteignit la ville et gravit la colline au sommet de laquelle s'élevait le château féodal.

– On m'ouvrira la porte du castel quand je demanderai à parler au baron, dit Allan ; mais vous, mes amis, quel motif donnerez-vous pour me suivre ?

– Ne vous inquiétez pas de cela, messire, répondit le moine. Il y a au château une jeune fille dont je suis le confesseur, le père spirituel ; cette jeune fille commande quand il lui plaît les manœuvres du pont-levis, et, grâce à son autorité, j'ai mes entrées au château de nuit aussi bien que de jour ; faites attention à vous, beau chevalier, vous gâteriez vos affaires en agissant avec le baron aussi rudement qu'avec moi ; c'est un vrai lion que vous allez relancer jusque dans sa caverne, prenez-le par la douceur, sinon malheur à vous, mon fils.

– J'aurai à la fois de la douceur et de la fermeté.

– Dieu vous inspire ! mais nous voici arrivés, attention ! et, d'une voix de stentor, le moine s'écria : Que la bénédiction de mon vénéré patron, le grand saint Benoît, répande ses bienfaits sur toi et sur les tiens, maître Herbert Lindsay, gardien des portes du château de Nottingham ! Laisse-nous entrer ; j'accompagne deux amis : l'un désire entretenir ton maître de choses très importantes ; l'autre a besoin de se rafraîchir, de se reposer, et moi, si tu le permets encore, je donnerai à ta fille les conseils spirituels que réclame l'état de son âme.

– Comment, c'est vous, joyeux et honnête Tuck, la perle des moines de l'abbaye de Linton ? répondit-on de l'intérieur avec cordialité. Soyez les bienvenus, vous et vos amis, mon très cher gentleman.

Aussitôt le pont-levis s'abaissa et les voyageurs pénétrèrent dans le château.

– Le baron s'est déjà retiré dans sa chambre, répondit maître Herbert Lindsay, le porte-clefs, à Allan, qui voulait être conduit sans retard près du baron, et si les paroles que vous avez à dire à milord ne sont pas des paroles de paix, je vous conseillerais de remettre cette entrevue à demain, car ce soir le baron est en proie à une violente colère.

– Est-il malade ? demanda le moine.

– Il a sa goutte dans une épaule, et souffre comme un damné ; si on le laisse seul, il grince des dents et appelle au secours ; si on l'approche, il écume de rage et menace de mort quiconque ose lui dire un mot de consolation. Ah ! mes amis, ajouta maître Herbert avec tristesse, depuis que monseigneur a reçu des coups de cimeterre sur la tête au pays de Jérusalem, il a perdu la patience et le bon sens.

– Ses fureurs ne m'inquiètent pas, dit Allan, je veux lui parler sur-le-champ.

– à vos souhaits, monsieur. Ohé ! Tristan, cria le gardien en interpellant un domestique qui traversait la cour, donne-moi des nouvelles de l'humeur de Sa Seigneurie.

– Toujours la même ; il tempête et rugit comme un tigre, parce que son médecin a fait un faux pli à l'un de ses bandages. Figurez-vous, messieurs, que le baron a chassé le pauvre médecin à grands coups de pied, et qu'ensuite, armé de son poignard, il m'a contraint de remplacer le docteur, en me disant d'une voix terrible qu'à la moindre maladresse il me couperait le nez.

– Je vous en conjure, messire chevalier, reprit tristement Herbert, ne paraissez pas ce soir devant monseigneur, attendez.

– Je n'attendrai pas une minute, pas une seconde ; conduisez-moi dans sa chambre.

– Vous l'exigez ?

– Je l'exige.

– Que Dieu vous garde alors ! dit le vieux Lindsay en faisant un grand signe de croix. Tristan, conduisez ce gentleman.

Tristan devint livide de peur et trembla de tous ses membres ; il se félicitait d'être sorti sain et sauf d'entre les griffes de cette bête féroce, et n'était pas d'avis de s'y exposer de nouveau ; il calculait avec raison que la colère du baron tomberait sur l'introducteur aussi bien que sur le visiteur.

– Monseigneur attend sans doute la visite de ce gentilhomme ? demanda-t-il d'un air embarrassé.

– Non, mon ami.

– Voulez-vous me permettre alors de prévenir monseigneur ?

– Non, je veux vous suivre ; conduisez-moi.

– Ah ! s'écria douloureusement le pauvre diable, je suis perdu !

Et il s'éloigna suivi d'Allan, pendant que le vieux porte-clefs disait en riant :

– Ce pauvre Tristan, il monte l'escalier de la chambre du baron aussi gaiement que celui d'un échafaud. Par la sainte messe ! son cœur doit battre la chamade. Mais je perds ici mon temps, mes braves, au lieu de passer la revue des sentinelles placées sur les murailles. Frère Tuck, tu trouveras ma fille dans l'office, va l'y rejoindre, et, s'il plaît à Dieu, je me rendrai auprès de vous avant une heure.

– Grand merci, dit le moine.

Et, suivi de Robin, il s'engagea dans un dédale de couloirs, de galeries et d'escaliers où Robin se serait égaré mille fois. Frère Tuck, au contraire, possédait la connaissance exacte des lieux ; l'abbaye de Linton ne lui était pas plus familière que le château de Nottingham, et ce fut avec l'aisance et l'aplomb d'un homme content de lui-même et fier de certains droits acquis depuis longtemps qu'il frappa à la porte de l'office.

– Entrez, dit une voix juvénile et fraîche.

Ils entrèrent, et, à la vue du grand moine, une jolie fille de seize à dix-sept ans à peine, au lieu de s'alarmer, s'élança vivement au-devant d'eux et les accueillit avec un coquet et bienveillant sourire.

– Ah ! ah ! pensa Robin, voici donc la naïve pénitente du saint moine. Par ma foi ! cette belle enfant aux yeux pétillants de gaieté, aux lèvres rouges et souriantes, est la plus jolie chrétienne que j'aie jamais vue.

Robin ne put dissimuler l'impression que produisait sur lui la beauté de l'aimable fille, car lorsque la belle Maude tendit vers lui ses deux petites mains pour lui souhaiter la bienvenue, Tuck, en bon frère qu'il était alors, s'écria :

– Ne te contente pas de ces mains, mon garçon, vise aux lèvres, aux jolies lèvres vermeilles, et embrasse-les ; à bas la timidité ! la timidité, c'est une vertu des sots.

– Fi donc ! répliqua la jeune fille en secouant la tête d'un air moqueur, fi donc ! comment osez-vous dire de pareilles choses, mon père ?

– Mon père ! mon père ! répéta le moine avec fatuité.

Robin suivit le conseil du moine en dépit de la faible résistance opposée par la jeune fille, et Tuck donna ensuite le baiser de grâce, puis le baiser de paix... enfin, soyons franc, et avouons que Maude traitait le frère Tuck beaucoup plus en amoureux qu'en conseiller spirituel ; avouons aussi que les allures du frère étaient fort peu canoniques.

Robert le remarqua, et pendant qu'ils faisaient honneur aux rafraîchissements et aux vivres dont Maude avait chargé une table, il insinua d'un air candide que le moine ne ressemblait guère à un confesseur redoutable et respecté.

– Un peu d'affection et d'intimité entre parents n'a rien de répréhensible, dit le moine.

– Ah ! vous êtes parents ? Je l'ignorais.

– à un très proche degré, mon jeune ami, très proche et très peu prohibé, c'est-à-dire que mon grand-père était fils d'un des neveux du cousin de la grand-tante de Maude.

– Ah ! ah ! voici un cousinage parfaitement établi.

Maude rougissait pendant ce dialogue et semblait implorer la pitié de Robin. Les bouteilles se vidèrent, l'office retentit du choc des verres, du bruit des rires et du murmure de quelques baisers dérobés à Maude.

Au moment le plus joyeusement animé de la soirée, la porte de l'office s'ouvrit brusquement, et un sergent, accompagné de six soldats, apparut sur le seuil.

Le sergent salua courtoisement la jeune fille, et, jetant un regard sévère sur les convives, il dit :

– êtes-vous les compagnons de l'étranger qui est venu rendre visite à notre seigneur, lord Fitz-Alwine, baron de Nottingham ?

– Oui, répondit Robin d'un ton dégagé.

– Et après ? demanda audacieusement frère Tuck.

– Suivez-moi tous deux dans la chambre de monseigneur.

– Pour quoi faire ? demanda encore Tuck.

– Je l'ignore ; j'ai des ordres, obéissez.

– Mais avant de partir buvez un coup, dit la belle Maude en présentant au soldat un verre rempli d'ale ; cela ne peut pas vous faire de mal.

– Volontiers.

Et après avoir vidé son verre, le sergent renouvela aux convives de Maude l'ordre de le suivre.

Robin et Tuck obéirent, laissant à regret la jolie Maude seule et triste dans l'office.

Après avoir traversé d'immenses galeries et une salle d'armes, le soldat arriva devant une grande porte en chêne solidement fermée, et frappa trois coups violents sur cette porte.

– Entrez, cria-t-on brusquement.

– Suivez-moi de près, dit le sergent à Robin et à Tuck.

– Entrez, mais entrez donc, sacripants, bandits, gibiers de potence ; entrez, répétait d'une voix tonnante le vieux baron. Entrez, Simon.

Le sergent ouvrit enfin la porte.

– Ah ! vous voilà, coquins ! Où as-tu perdu ton temps depuis que je t'ai envoyé à leur recherche ? dit le baron en jetant sur le chef de la petite troupe des regards foudroyants.

– S'il plaît à Votre Seigneurie, j'ai...

– Tu mens, chien ! Comment oses-tu t'excuser après m'avoir fait attendre pendant trois heures ?

– Trois heures ? milord se trompe, il y a à peine cinq minutes qu'il m'a donné l'ordre de conduire ici ces gens.

– L'insolent esclave ! il ose me donner un démenti, et à ma barbe encore ! Coquins, ajouta-t-il en s'adressant aux soldats ébahis, n'obéissez pas à ce traître ; enlevez-lui ses armes, saisissez-vous de lui, emportez-le dans un cachot, et s'il ose vous résister en route, jetez-le sans pitié dans les oubliettes ! Alerte, obéissez !

Les soldats s'encouragèrent mutuellement du regard et s'approchèrent de leur chef pour le désarmer ; le sergent, plus mort que vif, gardait le silence.

– Coquins, reprit le baron, osez-vous bien toucher à cet homme avant qu'il ait répondu aux questions que je vais lui faire ?

Les soldats reculèrent.

– Maintenant, scélérat, maintenant que je t'ai donné des preuves de ma bonté en empêchant ces brutes de te désarmer, hésiteras-tu encore à répondre et à me dire si ces deux chiens que voilà sont les compagnons de ce hardi mécréant qui a osé venir m'insulter en face ?

– Oui, milord.

– Et comment le sais-tu, imbécile ? comment l'as-tu appris ? comment t'en es-tu assuré ?

– Ils me l'ont avoué, milord.

– Tu as donc osé les interroger sans ma permission ?

– Milord, ils me l'ont dit quand je leur ai commandé de me suivre devant vous.

– Ils me l'ont dit, ils me l'ont dit, répéta le baron en contrefaisant la voix tremblante du pauvre soldat ; belle raison ! tu crois donc ce que te dit le premier venu ?

– Milord, je pensais...

– Silence, fripon ! en voilà assez ; sortez d'ici.

Le sergent fit faire volte-face à ses hommes.

– Attendez !

Le sergent commanda halte.

– Non, partez, partez !

Le sergent fit de nouveau un signe de départ.

– Et où allez-vous ainsi, misérables ?

Le sergent pour la seconde fois, commanda halte.

– Mais sortez donc, vous dis-je, chiens de plomb, escargots de milice, sortez !

Cette fois-ci l'escouade ne manqua pas la sortie, et elle rentrait au poste quand le vieux baron grondait encore.

Robin avait attentivement suivi les phases diverses de cette intéressante conversation entre Fitz-Alwine et le sergent ; il en était ahuri et regardait avec des yeux plus étonnés qu'effrayés le fougueux et bizarre seigneur du château de Nottingham.

Cinquante ans environ, taille moyenne, yeux petits et vifs, nez aquilin, longues moustaches et sourcils épais, les traits énergiques, la face colorée et presque injectée de sang, et une étrange expression de sauvagerie dans toutes les manières, voilà son portrait ; il portait une armure écaillée, et un large pardessus en étoffe blanche sur lequel se détachait en rouge la croix des paladins de terre sainte. Dans cette nature éminemment inflammable, vitriolique pour ainsi dire, la moindre contrariété provoquait des explosions terribles ; un regard, une parole, un geste qui lui déplaisaient le transformaient en ennemi implacable, et il ne rêvait plus alors que vengeance, vengeance à mort.

La tournure de l'interrogatoire qu'allaient subir nos deux amis annonçait de nouvelles tempêtes pour la soirée, et ce fut d'un ton sardonique et avec l'ironie de la cruauté que le baron s'écria :

– Avance à l'ordre, jeune loup de Sherwood, et toi aussi, moine vagabond, vermine de couvent, avance ! Vous me direz, j'espère, sans fard et sans cautèle, pourquoi vous avez osé pénétrer dans mon château, et quel plan de brigandage vous a fait quitter, l'un ses broussailles et l'autre son bouge ? Parlez et parlez franc, sinon je connais un procédé merveilleux pour arracher les paroles du gosier des muets, et, par saint Jean d'Acre ! ce procédé, je l'emploierai sur votre peau de mécréants.

Robin jeta sur le baron un regard de mépris et ne daigna pas lui répondre ; le moine garda le même silence et pressa convulsivement entre ses mains ce vaillant bâton, cette noble branche de cornouiller que vous connaissez déjà et sur laquelle il s'appuyait toujours, soit en marchant, soit au repos, afin de se donner un certain air de vénérabilité.

– Ah ! vous ne répondez pas ; vous boudez, mes gentilshommes, s'écria le baron ; et je ne puis savoir à quel motif je dois l'honneur de votre visite ? Savez-vous, messeigneurs, que vous êtes parfaitement bien couplés : un bâtard d'outlaw et un mendiant crasseux !

– Tu mens, baron, répondit Robin ; je ne suis pas le bâtard d'un proscrit, et le moine n'est pas un mendiant crasseux ; tu mens !

– Vils esclaves !

– Tu mens encore ; je ne suis ni ton esclave ni celui de personne, et si ce moine allongeait le bras vers toi, ce ne serait pas pour mendier.

Tuck caressa son bâton.

– Ah ! ah ! le chien des bois, il ose me braver, m'insulter ! s'écria le baron étouffant de colère. Holà ! puisqu'il a les oreilles assez longues, qu'on le cloue par les oreilles sur la grande porte du château, et qu'on lui donne cent coups de verges.

Robin, pâle d'indignation, mais toujours plein de sang-froid, restait muet et regardait fixement le terrible Fitz-Alwine, tout en prenant une flèche dans son carquois. Le baron tressaillit, mais n'eut pas l'air de comprendre l'intention du jeune homme. Après une seconde de silence, il reprit d'un ton moins violent :

– La jeunesse excite ma commisération, et, en dépit de ton impertinence, je veux bien ne pas te faire jeter immédiatement dans un cachot ; mais il faut que tu répondes à mes questions, et en y répondant tu dois te souvenir que si je te laisse vivre, c'est par bonté d'âme.

– Je ne suis point en votre pouvoir aussi complètement que vous le pensez, noble seigneur, répondit Robin avec un dédaigneux sang-froid, et la preuve c'est qu'à toute vos questions je m'abstiendrai de répondre.

Habitué à une obéissance passive et absolue de la part de ses serviteurs et des êtres plus faibles que lui, le baron stupéfait demeura bouche béante ; puis les pensées tumultueuses qui se heurtaient dans son cerveau se formulèrent en paroles incohérentes et en invectives.

– Ah ! ah ! reprit-il alors avec un rire strident, ah ! tu n'es pas en mon pouvoir, jeune ourson mal léché ? ah ! tu veux garder le silence, métis de singe, enfant de sorcière ? Mais d'un geste, d'un regard, d'un signe, je puis t'envoyer en enfer. Attends, attends, je vais t'étrangler avec ma ceinture.

Robin, toujours impassible, avait bandé son arc et tenait une flèche prête pour le baron, quand Tuck intervint en disant d'une voix presque pateline :

– J'espère que Sa Seigneurie n'exécutera pas ses menaces ?

Les paroles du moine opérèrent une diversion ; Fitz-Alwine se retourna vers lui comme un loup enragé vers une nouvelle proie.

– Enchaîne ta langue de vipère, moine du diable ! s'écria le baron en toisant Tuck de la tête aux pieds ; puis il ajouta, afin de rendre plus expressif son dédaigneux regard : Voilà bien le type de ces gloutons rapaces qu'on appelle frères mendiants.

– Je ne suis pas tout à fait de votre avis, monseigneur, répliqua placidement maître Tuck, et vous me permettrez de vous dire, avec tout le respect qui est dû à un grand personnage, que votre manière de voir, complètement fausse, dénote un manque total de bon sens. Vous avez peut-être perdu l'esprit dans un violent accès de goutte, milord ; peut-être encore l'avez-vous laissé au fond d'une bouteille de gin.

Robin partit d'un grand éclat de rire.

Le baron exaspéré saisit un missel et le lança à la tête du moine avec une telle force que le pauvre Tuck, violemment atteint, chancela étourdi ; mais il se remit aussitôt, et, comme il n'était pas homme à recevoir un tel cadeau sans en témoigner immédiatement sa reconnaissance, il brandit son terrible bâton et en asséna un coup violent sur l'épaule goutteuse de Fitz-Alwine.

Le noble lord bondit, rugit, mugit comme le taureau d'un cirque à sa première blessure, et allongea le bras pour décrocher du mur sa grande épée des croisades ; mais Tuck ne lui en donna pas le temps, et conservant l'offensive, il administra une vigoureuse bastonnade au très haut, très noble et très puissant seigneur de Nottingham, qui, malgré sa pesante armure et ses infirmités de goutteux, courait à toutes jambes autour de l'appartement afin d'échapper autant que possible aux atteintes du terrible bâton.

Le baron appelait au secours depuis plusieurs minutes lorsque le sergent qui avait arrêté Tuck et Robin ouvrit la porte à demi, et, la tête passée entre les deux vantaux, demanda flegmatiquement si on avait besoin de lui.

Devenu ingambe comme à vingt ans, le baron ne fit qu'un saut du coin de la chambre où l'acculait la bastonnade de Tuck au seuil de la porte que le sergent n'osait franchir sans son ordre, même pour venir à son secours.

Pauvre sergent, il méritait d'être accueilli comme un sauveur, comme un ange gardien, et la colère du maître, impuissante contre le moine, se déchargea sur lui sous forme de coups de pied et de coups de poing.

Enfin, las de battre cet être inoffensif qui n'osait regimber, car à cette époque tout personnage noble était pour un vassal saintement inviolable, le baron reprit haleine et intima l'ordre au sergent d'appréhender au corps Robin et le moine et de les jeter dans un cachot.

Le sergent, hors des griffes de son seigneur, partit comme un trait en criant : Aux armes ! aux armes ! et revint aussitôt accompagné d'une douzaine de soldats.

à la vue de ce renfort, le moine saisit sur la table un crucifix d'ivoire, se plaça devant Robin qui voulait décocher quelques flèches, et s'écria :

– Au nom de la très-sainte Vierge, au nom de son Fils, mort pour vous, je vous ordonne de me laisser passer. Malheur et excommunication à qui osera y mettre obstacle.

Ces paroles, prononcées d'une voix tonnante, pétrifièrent les soudards, et le moine sortit sans obstacle de l'appartement. Robin allait suivre son ami quand, sur un signe du baron, les soldats s'élancèrent sur le jeune homme, lui enlevèrent son arc et ses flèches, et le repoussèrent dans l'intérieur de la chambre.

Brisé de lassitude et meurtri de coups, le baron s'était jeté dans un fauteuil.

– à nous deux maintenant, dit-il, quand, après beaucoup d'efforts, il put parler, à nous deux.

Ces événements se passaient à une époque où il n'était pas prudent de s'attaquer aux fils de l'église ainsi que pour son malheur l'avait éprouvé Henri II lors de sa querelle avec Thomas Becket. Le baron avait donc été obligé de laisser échapper le moine mais il comptait prendre sa revanche sur Robin.

– Vous avez accompagné Allan Clare ici ? demanda-t-il d'un ton ironiquement calme. Pourriez-vous me dire pour quelle raison il s'est présenté chez moi ?

Tout autre que Robin se serait cru perdu, perdu sans rémission, en se voyant à la merci d'un personnage aussi cruel que le vieux Fitz-Alwine ; mais le jeune et vaillant archer de Sherwood était de ceux qui ne tremblent jamais, même devant une mort imminente et certaine, et il répondit avec un admirable sang-froid :

– Je sais que j'ai accompagné messire Allan Clare ici, mais j'ignore pour quelle raison il y est venu.

– Vous mentez !

Robin sourit dédaigneusement, et le calme affecté du lord fit place à une violente explosion de colère ; mais plus cette colère se déchaînait, plus Robin souriait.

– Depuis combien de temps connaissez-vous Allan Clare ? reprit le baron.

– Depuis vingt-quatre heures.

– Tu mens, tu mens ! rugit le baron.

Irrité de toutes ces injures, Robin riposta froidement :

– Je mens, moi, je mens ? mais c'est toi-même qui nies la vérité, intraitable vieillard ! Eh bien ! soit, je mens ; mais je ne mentirai plus, car désormais je garderai le silence.

– Enfant écervelé, tu veux donc être précipité du haut des remparts dans les fossés du château, ainsi que le sera dans une heure, après sa confession, ton complice Allan Clare ? Voyons, encore une question ; mais, si tu n'y réponds pas, c'en est fait de toi. N'avez-vous pas été attaqués en venant ici ?

Robin ne répondit pas. Fitz-Alwine exaspéré, mais concentrant sa fureur, quitta son fauteuil et s'arma de sa grande épée. Robin regardait fixement le baron ; il attendait. Cependant un meurtre allait être commis quand la porte s'ouvrit tout à coup et livra passage à deux hommes. Ces deux hommes avaient la tête enveloppée de linges ensanglantés, et ne marchaient qu'avec peine. Leurs vêtements étaient déchirés et souillés de boue, et ils semblaient sortir d'une lutte où ils n'avaient pas remporté la victoire. à l'aspect de Robin, ils poussèrent à l'unisson un cri de surprise, et Robin, non moins étonné, les reconnut comme étant les survivants de cette troupe de bandits qui la dernière nuit avait attaqué la demeure de Gilbert Head. La colère du baron remonta à son paroxysme quand ils eurent raconté les malheurs de cette nuit et signalé Robin comme ayant été un de leurs plus terribles adversaires ; aussi n'attendit-il pas la fin du récit pour s'écrier avec rage :

– Enlevez ce misérable et jetez-le dans un cachot ! vous l'y laisserez jusqu'à ce qu'il raconte ce qu'il sait de relatif à Allan Clare, et qu'il nous demande pardon à deux genoux de ses insolences... et d'ici là, ni pain ni eau, qu'il meure de faim.

– Adieu, baron Fitz-Alwine, répliqua Robin, adieu. Si je ne dois sortir de mon cachot qu'après avoir rempli ces deux conditions, nous ne nous reverrons jamais. Adieu donc pour toujours.

Les soldats rudoyaient déjà Robin pour hâter sa sortie de l'appartement quand, résistant à leurs efforts, le jeune homme, tourné vers le baron, ajouta encore :

– Serais-tu assez bon, noble seigneur, pour vouloir faire prévenir Gilbert Head, l'honnête et courageux garde de la forêt de Sherwood, que tu as l'intention de me loger sans me nourrir pendant quelque temps ?... Tu me ferais plaisir et je t"adresse cette prière, milord, parce que tu es père et que tu dois comprendre les angoisses d'un père quand il ignore ce qu'est devenu son fils ou sa fille.

– Mille démons ! Enlèverez-vous ce bavard ?

– Oh ! ne suppose pas que je veuille te tenir compagnie plus longtemps, illustre baron de Nottingham. Nous avons une mutuelle envie de nous séparer.

Dès que Robin fut sorti de la chambre du baron, il se mit à chanter à pleine voix et sa voix fraîche et argentine résonnait encore sous les sombres galeries du château quand la porte de la prison se referma sur lui.

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