Robin Hood le proscrit Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre IX


Une année entière s'était écoulée depuis le jour où Robin avait si généreusement secouru sir Richard de la Plaine, et depuis quelques semaines les joyeux hommes étaient de nouveau établis dans la forêt de Barnsdale.

Dès le matin du jour fixé pour la visite du chevalier, Robin Hood se prépara à le recevoir ; mais l'heure du rendez-vous n'amena point le débiteur attendu.

– Il ne viendra pas, dit Will écarlate, qui assis avec Petit-Jean et Robin Hood sous l'ombrage d'un arbre, explorait avec une certaine impatience la route qui se déroulait sous ses yeux.

– L'ingratitude de sir Richard nous servira de leçon, répondit Robin ; elle nous apprendra à ne point nous fier aux promesses des hommes ; mais, pour l'amour du genre humain, je ne voudrais pas être trompé par sir Richard, car je n'ai jamais vu un homme qui portât sur sa figure une empreinte plus visible de loyauté et de franchise, et j'avoue que si mon débiteur manque à sa parole, je ne saurais plus à quel signe extérieur on peut reconnaître un honnête homme.

– Moi, j'attends avec certitude la venue de ce bon chevalier, dit Petit-Jean ; le soleil n'est pas encore caché derrière les arbres, et avant une heure sir Richard sera ici.

– Que Dieu vous entende, mon cher Jean, répondit Robin Hood, et je veux espérer avec vous que la parole d'un Saxon est un engagement d'honneur. Je resterai à cette place jusqu'au lever des premières étoiles, et si le chevalier ne vient pas, son absence sera pour moi le deuil d'un ami. Prenez vos armes, mes garçons, appelez Much, et allez vous promener tous les trois sur le chemin qui conduit à l'abbaye de Sainte-Marie. Peut-être apercevrez-vous sir Richard ; à défaut de cet ingrat, quelque riche Normand, ou même un pauvre diable affamé. Je désire voir un visage inconnu, allez à la recherche d'une aventure, et amenez-moi un convive quelconque.

– Voilà, par exemple, une étrange manière de vous consoler, mon cher Robin, dit Will en riant ; mais qu'il en soit ainsi que vous le désirez. Nous allons nous mettre en quête d'une passagère distraction.

Les deux jeunes gens appelèrent Much, et lorsque celui-ci eut répondu à l'appel, ils s'engagèrent de compagnie dans la direction indiquée par Robin.

– Robin est bien triste aujourd'hui, dit Will en manière de réflexion.

– Pourquoi ? demanda Much d'un ton surpris.

– Parce qu'il craint de s'être trompé en accordant sa confiance à sir Richard de la Plaine, répondit Petit-Jean.

– Je ne vois pas comment il peut y avoir dans cette erreur une cause de chagrin pour Robin, dit Will ; nous n'avons pas besoin d'argent, et quatre cents écus de plus ou de moins dans notre caisse...

– Robin ne songe pas à l'argent, interrompt Jean d'une voix presque irritée, et ce que vous dites là, mon cousin, est une véritable sottise. Robin souffre d'avoir obligé un cœur ingrat, voilà tout.

– J'entends les pas d'un cheval, dit Will ; arrêtons-nous.

– Je vais à la rencontre du voyageur, cria Much qui s'éloigna en courant.

– Si c'est le chevalier, appelez-nous, dit Jean.

William et son cousin attendirent, et bientôt Much se montra au bout du sentier.

– Ce n'est pas sir Richard, dit-il en arrivant auprès de ses amis, deux frères dominicains accompagnés d'une douzaine d'hommes.

– Si ces dominicains ont un cortège sur leurs talons, dit Jean, ils sont richement pourvus de pièces d'or, soyez-en sûrs. En conséquence, il faut les inviter à partager le repas de Robin.

– Faut-il appeler quelques-uns des joyeux hommes ? demanda Will.

– C'est inutile, le cœur des valets est placé dans leurs jambes, et il est tellement l'esclave de ces dernières que tout cela ne fait qu'un et ne comprend qu'une chose en présence du danger, la fuite. Vous allez être juges de la vérité de mes paroles. Attention, voici les moines. Souvenez-vous qu'il faut absolument les conduire à Robin ; il s'ennuie, et ce lui sera une amusante distraction. Préparez vos arcs, et tenez-vous prêts à barrer le chemin à cette belle cavalcade.

William et Much exécutèrent prestement les ordres de leur chef. En tournant un coin de la route qui serpentait capricieusement entre deux lignes d'arbres, les voyageurs aperçurent les forestiers et la position hostile qu'ils avaient prise.

Les hommes, épouvantés par cette rencontre dangereuse, arrêtèrent leurs chevaux, et les moines, qui occupaient le premier rang de la petite colonne, tentèrent de se dissimuler derrière leurs serviteurs.

– Ne bougez pas, mes pères, cria Jean d'une voix impérieuse, sinon je vous frappe de mort.

Les moines pâlirent alternativement ; mais, se sentant à la merci des forestiers, ils obéirent à l'ordre qui leur était donné avec tant de violence.

– Doux étranger, dit un des moines en grimaçant le plus aimable sourire, que désirez-vous d'un pauvre serviteur de la sainte église ?

– Je désire que vous hâtiez le pas de vos chevaux ; mon maître vous attend depuis trois heures, et le dîner va se refroidir.

Les dominicains échangèrent un regard plein d'inquiétude.

– Le sens de vos paroles est une énigme pour nous, mon ami ; veuillez vous expliquer, répondit le moine d'un ton mielleux.

– Je vous dis une fois encore, et ceci ne demande pas à être expliqué : Mon maître vous attend.

– Qui est votre maître, mon ami ?

– Robin Hood, répondit laconiquement Petit-Jean. Un frisson d'épouvante passa comme un souffle glacé sur l'épiderme des hommes qui accompagnaient les moines. Ils jetèrent autour d'eux des regards pleins de frayeur, croyant sans doute voir surgir un outlaw du centre des buissons et du massif des arbustes.

– Robin Hood ! répéta le moine d'une voix plus criarde qu'elle ne s'était montrée musicale ; je connais Robin Hood : c'est un voleur de profession dont la tête est mise à prix.

– Robin Hood n'est pas un voleur, répondit furieusement Petit-Jean, et je ne conseille à personne de se faire l'écho de l'insolente accusation que vous venez de porter contre mon noble maître. Mais je n'ai pas le temps de discuter avec vous sur un point aussi délicat. Robin Hood vous invite à dîner, suivez-moi sans résistance. Quant à vos serviteurs, je les engage à me tourner les talons s'ils veulent avoir la vie sauve. Will et Much, faites tomber le premier homme qui fera mine de vouloir rester ici malgré ma volonté.

Les forestiers, qui avaient abaissé leurs arcs pendant la conversation du moine avec Petit-Jean, les relevèrent aussitôt et se tinrent prêts à envoyer la dangereuse flèche.

En voyant les arcs levés et tournés contre eux, les serviteurs des dominicains éperonnaient leurs montures et se sauvaient avec une précipitation qui faisait hautement l'éloge de la prudence de leur caractère.

Les moines se disposaient à suivre l'exemple de la petite troupe lorsqu'ils furent arrêtés par Jean, qui saisit la bride des chevaux et les contraignit à rester stationnaires. Derrière les moines, Jean aperçut un groom qui paraissait avoir la charge de conduire un cheval de somme, et près de ce groom se tenait, muet de frayeur, un petit garçon vêtu d'un costume de page.

Plus courageux que les hommes de l'escorte, les deux enfants n'avaient point déserté leur poste.

– Gardez-moi à vue ces jeunes drôles, dit Jean à Will écarlate ; je leur accorde la permission de suivre leurs maîtres.

Robin était resté assis sous l'arbre du Rendez-Vous et, dès qu'il aperçut Jean et ses compagnons, il se leva vivement, s'avança à leur rencontre et salua affectueusement les moines.

Cette politesse ne laissant pas supposer aux dominicains qu'ils se trouvaient en présence de Robin Hood, ils ne lui rendirent pas son salut.

– Ne faites pas attention à ces impertinents, Robin, dit Jean irrité de l'irrévérence des moines ; ce sont des êtres sans éducation ; ils n'ont jamais de bienveillantes paroles pour les pauvres, ni de courtoisie à l'égard de qui que ce soit.

– N'importe, répondit Robin ; je connais les moines et je n'attends d'eux ni bonnes paroles ni gracieux sourires. La politesse est un devoir dont je suis l'esclave. Mais qu'avez-vous là, Will ? ajouta Robin en regardant les deux pages et le cheval de somme.

– Les débris d'une troupe composée d'une douzaine d'hommes, répondit le jeune homme en riant.

– Qu'avez-vous fait du corps de cette vaillante armée ?

– Rien ; la vue de nos arcs tendus a jeté l'épouvante et la déroute dans ses rangs ; il a fui sans même tourner la tête. Robin se mit à rire.

– Mais, dignes frères, reprit-il en s'adressant aux moines, vous devez avoir grand faim après une aussi longue promenade ; voulez-vous partager mon repas ?

Les dominicains regardaient les joyeux hommes accourus à l'appel du cor d'un air si effaré, que Robin leur dit doucement, afin de calmer leur épouvante :

– Ne craignez rien, bons moines, il ne vous sera fait aucun mal ; mettez-vous à table et mangez à votre faim.

Les moines obéirent ; mais il était facile de voir qu'ils étaient fort peu rassurés par les bienveillantes paroles du jeune chef.

– Où est située votre abbaye ? demanda Robin et quel nom porte-t-elle ?

– J'appartiens à l'abbaye de Sainte-Marie, répondit l'aîné des moines et je suis le grand cellérier (pourvoyeur) du couvent.

– Soyez le bienvenu, frère cellérier, dit Robin ; je suis heureux de recevoir un homme de votre valeur. Vous allez me donner une opinion sur mon vin, car vous devez être à cet égard-là un excellent juge ; mais j'ose espérer que vous le trouverez à votre goût, car, étant moi-même fort difficile, je bois toujours du vin de première qualité. Les moines prirent confiance ; ils mangèrent de bon appétit et le cellérier reconnut l'excellence des mets et le bon crû des vins, ajoutant que c'était un véritable plaisir de dîner sur l'herbe en si joyeuse compagnie.

– Mon cher frère, dit Robin Hood vers la fin du repas, vous avez paru surpris d'être attendu à dîner par un homme que vous ne connaissez pas. Je vais en peu de mots vous expliquer le mystère de cette invitation. J'ai prêté, il y a un an, une somme d'argent à un ami de votre prieur, et j'ai accepté pour caution la mère de Notre Seigneur Jésus, notre sainte patronne. Mon inaltérable confiance en la bonté de la Vierge divine m'a donné la confiance que, au dernier terme de l'échéance de cette dette, je recevrais par une voie quelconque l'argent que j'ai prêté. J'ai donc envoyé trois de mes compagnons à la rencontre des voyageurs ; ils vous ont vus, ils vous ont amenés vers moi. Vous appartenez à un couvent et je ne puis mettre en doute la délicate mission qui vous a été confiée par la prévoyante et généreuse bienveillance de votre bien sainte patronne. Vous venez me rendre en son nom l'argent donné à un pauvre, soyez les bienvenus.

– La dette dont vous me parlez m'est complètement étrangère, messire, répondit le moine, et je ne vous apporte point d'argent.

– Vous vous trompez, mon père, je suis certain que les coffres-forts qui sont placés sur le cheval confié à vos pages contiennent la somme qui m'est due. Combien avez-vous de pièces d'or dans cette jolie petite malle en cuir si solidement attachée sur le dos de ce malheureux quadrupède ?

Le moine, foudroyé par la question de Robin Hood, devint affreusement pâle et balbutia d'une voix inintelligible :

– Je possède bien peu de chose, messire : une vingtaine de pièces d'or tout au plus.

– Vingt pièces d'or seulement ? repartit Robin en attachant sur le moine un regard fixe et dur.

– Oui, messire, répondit le moine dont le visage livide s'éclaira soudain d'une profonde rougeur.

– Si vous dites vrai, mon frère, reprit Robin d'un ton amical, je n'enlèverai pas un denier à votre petite fortune. Mieux que cela encore, je vous donnerai tout l'argent dont vous pourriez avoir besoin. Mais, en revanche, si vous avez eu le mauvais goût de me faire un mensonge, je ne vous laisserai pas entre les mains la valeur d'un penny. Petit-Jean, ajouta Robin, visitez le petit coffre dont il est question : si vous n'y trouvez que vingt pièces d'or, respectez la propriété de notre hôte ; si la somme est double ou triple, prenez-la tout entière.

Petit-Jean s'empressa d'obéir à l'ordre de Robin. Le visage du moine perdit ses couleurs ; une larme de rage roula le long de ses joues, il croisa convulsivement ses deux mains, et laissa échapper de sa gorge une sourde exclamation.

– Ah ! ah ! dit Robin en considérant le frère, il paraît que les vingt pièces d'or sont en nombreuse compagnie. Eh bien ! Jean, demanda Robin, notre hôte est-il aussi pauvre qu'il veut bien le dire ?

– Je ne sais s'il est pauvre, répondit Jean, mais ce dont je suis certain, c'est que je viens de trouver dans le petit coffre huit cents pièces d'or.

– Laissez-moi cet argent, messire, dit le moine ; il ne m'appartient pas, et j'en suis responsable devant mon supérieur.

– à qui portiez-vous ces huit cents pièces d'or ? demanda Robin.

– Aux inspecteurs de l'abbaye Sainte-Marie, de la part de notre abbé.

– Les inspecteurs abusent de la générosité de votre prieur, mon frère, et c'est très mal à eux de se payer si cher quelques indulgentes paroles. Cette fois-ci, ils n'auront rien, et vous leur direz que Robin Hood ayant eu besoin d'argent, s'est emparé de celui qu'ils attendent.

– Il y a encore un autre coffre, dit Jean, dois-je l'ouvrir ?

– Non, répondit Robin, je me contente des huit cents pièces d'or. Sir moine, vous êtes libre de continuer votre route. Vous avez été traité avec courtoisie, et j'espère vous voir partir satisfait en tout point.

– Je n'appelle pas de la courtoisie une invitation forcée et un vol manifeste, répondit le moine d'un ton rogue. Me voilà obligé de rentrer au couvent, et que dirai-je au prieur ?

– Vous le saluerez de ma part, répondit Robin Hood en riant. Il me connaît, le digne frère, et ce souvenir de bonne amitié lui sera extrêmement sensible.

Les moines remontèrent à cheval, et le cœur gonflé de colère, ils reprirent au galop le chemin qui devait les conduire à l'abbaye de Sainte-Marie.

– Quela sainte Vierge soit bénie ! s'écria Petit-Jean ; elle nous a rendu l'argent que vous avez prêté à sir Richard, et si ce dernier a manqué de parole, nous pouvons encore nous consoler puisque nous n'avons rien perdu.

– Je ne me console pas avec tant de facilité d'avoir perdu confiance en la parole d'un Saxon, répondit Robin, et j'eusse préféré recevoir la visite de sir Richard, pauvre et dépouillé de tout, que d'avoir la conviction qu'il est ingrat et sans honneur.

– Mon noble maître, cria tout à coup une voix joyeuse venant de la clairière, un chevalier suit la grande route ; il est accompagné d'une centaine d'hommes, armés jusqu'aux dents. Faut-il se préparer à leur barrer passage ?

– Sont-ce des Normands ? demanda vivement Robin.

– On voit peu de Saxons aussi richement habillés que le sont ces voyageurs, répondit le jeune garçon qui avait annoncé l'approche de cette respectable troupe.

– Alerte, alors, mes joyeux hommes ! cria Robin. à vos arcs et à vos cachettes ; préparez vos flèches, mais ne tirez pas avant d'avoir reçu l'ordre de commencer l'attaque.

Les hommes disparurent, et le carrefour où se tenait Robin parut bientôt entièrement désert.

– Vous ne venez donc pas avec nous ? demanda Jean à Robin, qui restait immobile au pied d'un arbre.

– Non, répondit le jeune homme ; je veux attendre les étrangers et reconnaître à qui nous allons avoir affaire.

– Alors je reste avec vous, reprit Jean ; votre isolement pourrait devenir dangereux : une flèche est si vite lancée. Si on vous frappe, je serai au moins à portée de vous défendre.

– Je me fais également votre garde du corps, dit Will en s'asseyant auprès de Robin qui s'était nonchalamment étendu sur l'herbe.

L'arrivée, si inattendue, d'un corps d'hommes presque formidable, vu le petit nombre de forestiers, qui la plupart du temps, étaient disséminés dans tous les coins du bois, inquiétait légèrement Robin, et il ne voulait pas commencer les hostilités avant d'être certain que la victoire pouvait être possible.

Les cavaliers avançaient rapidement le long de la clairière ; lorsqu'ils furent parvenus à portée de flèche de l'endroit où se tenait Robin, celui qui paraissait être leur chef s'élança au galop de son cheval à l'encontre de Robin.

– C'est sir Richard ! cria Jean d'une voix joyeuse après avoir regardé le fougueux cavalier.

– Sainte mère, je te remercie ! s'écria Robin en bondissant sur ses pieds ; un Saxon n'a pas violé sa parole !

Sir Richard descendit rapidement de son cheval, courut vers Robin et se jeta dans ses bras.

– Que Dieu te garde, Robin Hood, dit-il, en embrassant paternellement le jeune homme ; que Dieu te garde en joie et en santé jusqu'à ton dernier jour !

– Sois le bienvenu dans la verte forêt, doux chevalier, répondit Robin avec émotion ; je suis heureux de te voir fidèle à ta promesse et le cœur rempli de bons sentiments pour ton dévoué serviteur.

– Je serais venu même les mains vides, Robin Hood, tant je me fais gloire et bonheur de te serrer les mains ; heureusement pour la satisfaction de mon cœur, je puis te rendre l'argent que tu m'as prêté avec tant de grâce, de bonté et de courtoisie.

– Tu es donc rentré dans l'entière possession de tes biens ? demanda Robin Hood.

– Oui, et que Dieu te rende en prospérité tout le bonheur que je te dois.

Les hommes, magnifiquement vêtus à la mode du temps, qui formaient une ligne étincelante autour de sir Richard, attirèrent bientôt l'attention de Robin.

– Cette belle troupe t'appartient ? demanda le jeune homme.

– Elle m'appartient dans ce moment-ci, répondit le chevalier en souriant.

– J'admire la tenue des hommes et leurs martiales figures, reprit Robin Hood d'un ton de réelle surprise ; ils paraissent parfaitement disciplinés.

– Oui, ils sont braves et fidèles, et tous d'origine saxonne ; leur caractère est loyal, j'ai déjà mis à l'épreuve les qualités que je te signale. Tu me rendrais un véritable service, mon cher Robin, si tu voulais donner l'ordre à tes gens d'héberger mes compagnons ; ils ont fait une longue route et doivent avoir besoin de quelques heures de repos.

– Ils vont apprendre ce que c'est que l'hospitalité forestière, répondit Robin avec empressement. Mes joyeux hommes, dit-il à sa troupe qui commençait à surgir de tous les coins du fourré, ces étrangers sont des frères, des Saxons ; ils ont faim et soif. Montrez-leur, je vous prie, comment nous traitons les amis qui nous rendent visite dans la verte forêt.

Les forestiers obéirent aux ordres de Robin avec une promptitude qui dut satisfaire sir Richard ; car, avant de se retirer à l'écart avec son hôte, il vit le gazon couvert de vivres, de pots d'ale et de bouteilles remplies de bon vin.

Robin Hood, sir Richard, Petit-Jean et Will s'attablèrent devant un succulent repas, et au dessert le chevalier commença ainsi le récit des événements qui s'étaient passés depuis le jour de sa première rencontre avec notre héros.

– Je ne puis vous dépeindre, mes chers amis, avec quels sentiments de gratitude et de joie infinie je sortis de cette forêt, il y a aujourd'hui un an. Mon cœur bondissait dans ma poitrine, et j'avais une telle hâte de revoir ma femme et mes enfants que je gagnai le château en moins de temps qu'il n'en faut pour vous raconter toute mon histoire.

» – Nous sommes sauvés ! m'écriai-je en attirant sur mon cœur ma pauvre famille. Ma femme fondit en larmes et faillit s'évanouir, tant sa surprise et son émotion étaient grandes.

» – Comment se nomme le généreux ami qui est venu à notre aide ? demanda Herbert.

» – Mes enfants, répondis-je, j'ai frappé inutilement à toutes les portes, j'ai inutilement imploré le secours de ceux qui disaient être nos amis, et je n'ai trouvé de pitié qu'auprès d'un homme à qui j'étais inconnu. Cet homme bienfaisant est un noble proscrit, le protecteur des pauvres, le soutien des malheureux, le vengeur des opprimés ; cet homme, c'est Robin Hood.

» – Mes enfants s'agenouillèrent auprès de leur mère et, d'une voix pieuse, ils élevèrent vers Dieu les sincères remerciements d'une profonde reconnaissance.

» – Ce devoir de cœur accompli, Herbert me supplia de lui permettre de te rendre visite ; mais je fis comprendre à mon fils que la spontanéité de cette démarche serait pour toi plutôt une gêne qu'un véritable plaisir, parce que tu n'aimais pas à entendre parler de tes bonnes actions. »

– Mon cher chevalier, interrompit Robin, laissons un peu de côté cette partie de ton histoire, et apprends-nous comment tu as arrangé ton affaire avec l'abbé de Sainte-Marie.

– Patience, mon cher hôte, patience, dit sir Richard en souriant ; je ne veux pas faire votre éloge, soyez sans inquiétude ; à cet égard-là, je connais votre admirable modestie ; néanmoins, je crois devoir vous dire que la douce Lilas joignit ses prières aux instances d'Herbert, et qu'il me fallut user de toute mon autorité paternelle pour arriver à mettre un peu de résignation dans ces jeunes cœurs. J'ai promis en votre nom à mes enfants qu'ils auraient le bonheur de vous voir au château.

– Vous avez bien fait, sir Richard ; je vous promets d'aller un de ces jours vous demander l'hospitalité, dit affectueusement Robin.

– Merci, mon cher hôte. Je ferai part à Lilas et à Herbert de l'engagement que vous venez de prendre, et l'espoir de vous remercier de vive voix les comblera de satisfaction.

» Dès le lendemain de mon arrivée, continua sir Richard, je me présentai à l'abbaye de Sainte-Marie.

» J'appris plus tard que, à l'heure même où je m'acheminais vers le couvent, l'abbé et le prieur, réunis dans la salle du réfectoire, parlaient de moi en ces termes :

» – Il y a aujourd'hui un an, disait l'abbé au prieur, un chevalier dont le domaine touche aux limites du couvent, m'a emprunté quatre cents pièces d'or ; il doit me rembourser cet argent avec l'intérêt, ou me laisser la libre disposition de tous ses biens. Selon moi, le jour commencé finit à midi : je considère donc l'heure de l'échéance comme arrivée, et je me crois maître absolu de la totalité de son héritage.

» – Mon frère, répondit le prieur d'un ton indigné, vous êtes cruel ; un pauvre homme qui a une dette à payer doit, en toute justice, avoir un dernier délai de vingt-quatre heures. Il serait honteux à vous de réclamer une propriété sur laquelle vous n'avez encore aucun droit. En agissant ainsi, vous ruinerez un malheureux, vous le réduirez à la misère, et votre devoir comme membre de la très sainte église vous fait une obligation d'alléger autant que possible le fardeau de chagrin qui pèse sur nos malheureux frères.

» – Gardez vos conseils pour ceux qui veulent bien les recevoir, répondit l'abbé avec colère : je ferai ce que bon me semble sans prendre souci de vos réflexions hypocrites. – En ce moment, le grand cellérier entra dans le réfectoire. – Avez-vous reçu des nouvelles de sir Richard de la Plaine ? lui demanda l'abbé.

» – Non, mais cela ne m'importe guère. Tout ce que je sais, monsieur l'abbé, c'est que sa propriété est maintenant la vôtre.

» – Le grand juge est ici, reprit l'abbé ; je vais apprendre de lui si je puis réclamer comme m'appartenant le château de sir Richard.

» L'abbé alla trouver le grand juge, et celui-ci, moyennant finance, répondit au moine :

» – Sir Richard ne viendra pas aujourd'hui ; en conséquence tu peux te considérer comme étant le possesseur de tous ses biens.

» Ce jugement inique venait d'être rendu lorsque je me présentai à la porte du couvent.

» Afin de mettre à l'épreuve la générosité de mon créancier, je m'étais vêtu d'un habit mesquin, et les hommes qui m'accompagnaient étaient aussi fort pauvrement accoutrés.

» Le portier de l'abbaye vint à ma rencontre. J'avais eu des bontés pour lui au temps heureux de ma prospérité, et le brave homme en avait conservé un souvenir reconnaissant. Le portier me fit part de la conversation qui venait d'avoir lieu entre l'abbé et le prieur. Je n'en fus pas surpris : je savais bien que je n'avais à attendre aucune grâce du saint homme.

» – Soyez le bienvenu, continua le moine ; votre arrivée va surprendre très agréablement le prieur. Milord abbé sera moins satisfait sans doute, car il se croit déjà propriétaire de votre belle habitation. Vous trouverez beaucoup de monde dans la grande salle, des gentilshommes, plusieurs lords. J'espère, sir Richard, que vous n'avez accordé aucune confiance aux mielleuses paroles de notre supérieur, et que vous apportez de l'argent, ajouta le brave portier d'un ton d'affectueuse inquiétude.

» Je rassurai le bon moine, et je pénétrai seul dans la salle, où toute la communauté réunie en grand conseil prenait ses arrangements pour me faire signifier l'expropriation de mes terres.

» La noble assemblée fut si désagréablement surprise à mon aspect qu'on eût dit que j'étais un horrible fantôme venu tout exprès de l'autre monde pour leur ravir une proie si ardemment convoitée.

» Je saluai humblement l'honorable compagnie, et d'un air de fausse humilité, je dis à l'abbé :

» – Vous le voyez, sir abbé, j'ai tenu ma promesse ; me voici.

» – M'apportez-vous de l'argent ? demanda vivement le saint homme.

» – Hélas ! pas un penny...

» Un sourire de joie entrouvrit les lèvres de mon généreux créancier.

» – Alors que viens-tu faire ici, si tu n'es pas en mesure de pouvoir acquitter ta dette ?

» – Je viens vous supplier de m'accorder un délai de quelques jours.

» – C'est impossible ; selon nos conventions, tu dois payer aujourd'hui même. Si tu ne peux le faire, tes propriétés m'appartiennent ; du reste, le grand juge en a décidé ainsi. N'est-il pas vrai, milord ?

» – Oui, répondit le juge. Sir Richard, ajouta-t-il en me jetant un regard de dédain, les terres de vos ancêtres sont la propriété de notre digne abbé.

» Je feignis un grand désespoir, et je suppliai l'abbé d'avoir compassion de moi, de m'accorder trois jours ; je lui dépeignis le sort misérable qui attendait ma femme et mes enfants s'il les chassait de leur demeure. L'abbé resta sourd à mes prières, il se lassa de ma présence, et me donna impérieusement l'ordre de quitter la salle.

» Exaspéré par cet indigne traitement, je relevai fièrement la tête, et m'avançant au milieu de la pièce, je déposai sur la table un sac plein d'argent.

» – Voici les quatre cents pièces d'or que vous m'avez prêtées ; le cadran n'a pas encore marqué l'heure de midi ; j'ai donc satisfait à toutes les exigences de nos conventions, et en dépit de vos subterfuges, mes propriétés ne changent pas de maître.

» Tu ne saurais concevoir, Robin, ajouta le chevalier en riant, la stupéfaction, la rage et la fureur de l'abbé ; il tournait la tête à droite et à gauche, il ouvrait les yeux, murmurait d'indistinctes paroles ; il ressemblait à un fou. Après avoir joui un instant du spectacle de cette muette fureur, je sortis de la salle et je gagnai la loge du portier. Là, je revêtis des vêtements convenables, mes hommes s'habillèrent, et accompagné d'une escorte digne de mon rang, je rentrai dans la salle.

» La métamorphose de mon extérieur sembla frapper tout le monde d'une vive surprise ; je m'avançai d'un air calme vers le siège occupé par le grand juge.

» – Je m'adresse à vous, milord, dis-je d'une voix haute et ferme, pour vous demander, en présence de l'honorable compagnie qui vous entoure, si, ayant rempli toutes les conditions de mon traité, les terres et château de la Plaine ne sont pas à moi ?

» – Ils sont à vous, répondit le juge à contrecœur.

» Je m'inclinai devant la justice de cette décision, et je sortis du couvent la joie dans le cœur.

» Sur la route qui conduisait à ma demeure, je rencontrai ma femme et mes enfants.

» – Soyez heureux, mes chers cœurs, leur dis-je en les embrassant, et priez pour Robin Hood, car sans lui nous serions des mendiants. Et maintenant, tâchons de montrer au généreux Robin Hood que nous n'oublions pas le service qu'il nous a rendu.

» Nous nous mîmes au travail dès le lendemain, et bien cultivées, mes terres produisirent bientôt la valeur de l'argent que tu m'avais prêté. Je t'apporte cinq cents pièces d'or, mon cher Robin, une centaine d'arcs du meilleur if, autant de flèches et de carquois, et de plus, je te fais cadeau de la troupe d'hommes dont tu admirais tout à l'heure la belle tenue. Ces hommes sont solidement armés, et chacun possède un excellent cheval de guerre. Accepte-les pour serviteurs, ils te serviront avec reconnaissance et fidélité. »

– Je me ferais un grand tort dans ma propre estime si j'acceptais ce riche présent, mon cher chevalier, répondit Robin avec émotion. Je ne veux même pas recevoir l'argent que tu m'apportes. Le grand pourvoyeur de l'abbaye de Sainte-Marie a déjeuné avec moi ce matin, et la dépense qu'il a faite ici nous a mis en caisse huit cents pièces d'or. Je ne reçois jamais de l'argent deux fois le même jour ; j'ai pris l'or du moine à la place du tien, et tu es quitte envers moi. Je sais, mon cher chevalier que les ressources de ta propriété ont été appauvries par les exigences du roi, et qu'elles demandent à être ménagées. Songe à tes enfants ; je suis riche, moi, les Normands affluent dans nos parages et ils sont cousus d'or. Ne parlons plus entre nous de service et de reconnaissance, à moins que je puisse être utile à la prospérité de ta fortune et au bonheur de ceux que tu aimes.

– Tu as une manière d'agir si noble et si généreuse, répondit sir Richard d'une voix attendrie, que je croirais commettre une indiscrétion en persistant à te faire accepter les présents que tu refuses.

– Oui, sir chevalier, n'en parlons plus, dit gaiement Robin ; et dites-moi comment il se fait que vous soyez arrivé si tard à notre rendez-vous.

– En venant ici, répondit sir Richard, j'ai traversé un village où se tenait une réunion des meilleurs yeomen du pays de l'Ouest ; ils étaient occupés à lutter de force les uns contre les autres. Les prix destinés au vainqueur étaient un taureau blanc, un cheval, une selle et une bride garnies de clous d'or, une paire de gantelets, un anneau d'argent et un tonneau de vieux vin. Je m'arrêtai un instant pour assister à ce combat. Un yeoman de taille ordinaire donnait des preuves d'une vigueur si admirable qu'il était évident que les prix allaient couronner son triomphe ; en effet, après avoir terrassé tous ses adversaires, il resta debout et maître absolu du champ de bataille. On allait lui donner les objets qu'il avait si légitimement conquis lorsqu'il fut reconnu pour être de ta bande.

– C'était vraiment un de mes hommes ? demanda vivement Robin.

– Oui, on l'appelait Gaspard le Drouineur.

– Alors il a gagné les prix, ce brave Gaspard ?

– Il les a tous gagnés ; mais, sous le prétexte qu'il faisait partie de la troupe des joyeux hommes, on lui disputait ses droits. Gaspard défendait vaillamment sa cause ; alors deux ou trois des combattants se mirent à joindre à ton nom d'injurieuses épithètes. Il fallait voir avec quelle vigueur de poumons et de muscles Gaspard prenait ta défense ; il parlait si haut et gesticulait si bien que des couteaux furent tirés. Ton pauvre Gaspard allait être vaincu par le nombre ou par la traîtrise de ses ennemis, lorsque, aidé de mes hommes, je mis tout le monde en fuite. Ce petit service rendu au brave garçon, je lui donnai cinq pièces d'or pour son vin, et j'engageai les fuyards à faire connaissance avec le contenu du tonneau. Comme tu dois le penser, ils ne refusèrent pas, et j'emmenai Gaspard, afin de le soustraire à une vengeance rétrospective.

– Je te remercie d'avoir protégé un de mes braves serviteurs, mon cher chevalier, dit Robin ; celui qui prête l'appui de sa force à mes compagnons a des droits éternels à mon amitié. Si jamais tu as besoin de moi, viens me demander l'objet de ton désir, mon bras et ma bourse sont à ta disposition.

– Je te traiterai toujours en véritable ami, Robin, répondit le chevalier, et j'espère que tu en agiras de même à mon égard.

Les dernières heures de l'après-midi s'écoulèrent joyeusement, et vers le soir, sir Richard accompagna Robin, Will et Petit-Jean au château de Barnsdale, où tous les membres de la famille Gamwell se trouvaient rassemblés.

Sir Richard ne put s'empêcher de sourire en admirant les dix charmantes femmes qui lui furent présentées. Après avoir attiré l'attention du chevalier sur sa bien-aimée Maude, Will entraîna son hôte à l'écart, et lui demanda à l'oreille s'il lui était jamais arrivé de voir un visage aussi ravissant que l'était celui de Maude.

Le chevalier se mit à rire, et répondit tout bas à Will que ce serait manquer de galanterie envers les autres dames d'oser se permettre d'avancer hautement ce qu'il pensait de l'adorable Maude.

William, enchanté de cette gracieuse réponse, alla embrasser sa femme avec la conviction qu'il était le plus favorisé des maris et l'homme le plus heureux de la terre.

à la tombée de la nuit, sir Richard quitta Barnsdale, et escorté par une partie des hommes de Robin qui devaient guider sa marche à travers la forêt, il rentra bientôt avec ses nombreux serviteurs dans les murs du château de la Plaine.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente