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Chapitre XXIX
Les Vendéens de 1832

Le même jour, à cinq heures de l'après-midi, le comte de Bonneville était de retour.

Il avait vu cinq des principaux chefs, et ceux-ci devaient être au château de Souday, entre huit et neuf heures.

Le marquis, toujours hospitalier, ordonna à la cuisinière de s'entendre comme elle le voudrait avec la basse-cour et le garde-manger, mais de tenir prêt le plus copieux souper qu'il lui serait possible.

Les cinq chefs rejoints par le comte, et qui devaient se réunir le soir, étaient Louis Renaud, Pascal, Cœur-de-Lion, Gaspard et Achille.

Ceux de nos lecteurs qui sont quelque peu familiers avec les événements de 1832 reconnaîtront facilement les personnages dont il est question, qui se déguisaient sous ces différents noms de guerre, destinés à les masquer aux yeux de l'autorité dans le cas où quelque dépêche serait surprise.

En conséquence, à huit heures du soir, Oullier n'étant pas revenu, – au grand désespoir du marquis, – la porte du château fut confiée à Mary, qui ne devait ouvrir qu'à ceux qui frapperaient d'une certaine façon.

Le salon, contrevents fermés, rideaux tirés, fut destiné à la conférence.

Dès sept heures du soir, quatre personnages attendaient dans ce salon : c'étaient le marquis de Souday, le comte de Bonneville, Petit-Pierre et Bertha.

Mary, nous l'avons dit, faisait le guet dans une espèce de petite logette percée, du côté de la grande route, d'une fenêtre à travers les barreaux de laquelle on pouvait voir qui frappait, de manière à n'ouvrir qu'après s'être assuré de l'identité du visiteur.

Des personnages du salon, le plus impatient était Petit-Pierre, dont le calme ne paraissait pas être la vertu dominante. Quoique la pendule marquât sept heures et demie à peine, et que le rendez-vous eût été fixé pour huit heures, il allait sans cesse écouter à la porte entr'ouverte si quelque bruit n'annonçait pas un des gentilshommes attendus.

Enfin, à huit heures précises, on entendit frapper à la porte et l'on reconnut, aux trois coups espacés d'une certaine façon, que ce devait être un des chefs convoqués.

– Ah ! fit Petit-Pierre en allant vivement à la porte.

Mais le comte de Bonneville l'arrêta d'un geste et d'un sourire respectueux.

– C'est juste, dit le jeune homme.

Et il alla se perdre dans le coin le plus obscur du salon.

Presque au même moment, le chef convoqué apparaissait dans l'encadrement de la porte.

– M. Louis Renaud, dit le comte de Bonneville assez haut pour que Petit-Pierre entendît, et pût, d'après le nom de guerre, connaître le nom véritable.

Le marquis de Souday alla au-devant de Louis Renaud avec d'autant plus d'empressement qu'il avait reconnu dans ce jeune homme un de ceux qui, comme lui, avaient été pour une prise d'armes immédiate.

– Ah ! venez, mon cher comte ; vous êtes le premier arrivé ; c'est de bon augure.

– Si j'arrive le premier, mon cher marquis, dit Louis Renaud, ce n'est pas, j'en suis certain, que j'y aie mis plus d'empressement que mes compagnons ; c'est que, étant plus rapproché de vous, j'ai eu moins de chemin à faire.

Et, achevant ces mots, celui qui s'annonçait sous le nom de Louis Renaud, quoique revêtu d'un simple costume de paysan breton, se présentait avec une grâce juvénile si parfaite et saluait Bertha avec une aisance si aristocratique, que ces deux qualités, devenues des défauts, lui eussent considérablement nui s'il eût été forcé d'emprunter, même momentanément, les manières et le langage de la caste sociale à laquelle il avait emprunté son costume.

Ces devoirs de politesse rendus au maître de la maison et à Bertha, le comte de Bonneville eut son tour.

Mais celui-ci, comprenant l'impatience de Petit-Pierre, qui, pour être caché dans son coin, ne rappelait pas moins sa présence par des mouvements dont le comte de Bonneville semblait pouvoir donner seul l'interprétation, aborda nettement la question.

– Mon cher comte, dit-il à Louis Renaud, vous connaissez l'étendue de mes pouvoirs ; vous avez lu la lettre de Son Altesse royale Madame, et vous savez que, momentanément du moins, je suis son intermédiaire auprès de vous... Quel est votre avis sur la situation ?

– Mon avis, mon cher comte, je l'ai dit ce matin, pas tel peut-être que je vais le dire ici ; mais, ici, où je sais être avec d'ardents partisans de Madame, je puis risquer la vérité tout entière.

– Oui, la vérité tout entière, dit Bonneville ; c'est ce qu'il faut surtout que sache Madame ; et, ce que vous me direz, mon cher comte, vous n'en avez aucun doute, ce sera comme si elle l'entendait.

– Eh bien, mon avis serait de ne rien commencer avant l'arrivée du maréchal.

– Le maréchal, fit Petit-Pierre, n'est-il point à Nantes ?

Louis Renaud, qui n'avait pas encore remarqué le jeune homme, tourna les yeux vers lui en entendant cette interpellation, puis salua, et répondit :

– Aujourd'hui seulement, en rentrant chez moi, j'ai appris qu'à la nouvelle des événements du Midi le maréchal avait quitté Nantes, et que personne ne savait, ni la route qu'il avait prise, ni la résolution qu'il avait arrêtée.

Petit-Pierre frappa du pied avec impatience.

– Mais, s'écria-t-il, le maréchal était l'âme de l'entreprise, cependant ! son absence va nuire au soulèvement, diminuer la confiance du soldat. En son absence, tous les droits vont être égaux, et nous allons voir renaître parmi les chefs ces rivalités qui furent si fatales au parti royaliste dans les premières guerres de la Vendée.

Voyant que Petit-Pierre s'était emparé de la conversation, le comte de Bonneville s'effaça, démasquant le jeune homme, qui fit deux pas en avant et entra dans le cercle de lumière projeté par les lampes.

Louis Renaud regarda avec étonnement ce jeune homme, presque enfant, qui venait de parler avec tant d'assurance et de précision.

– C'est un retard, monsieur, dit-il, et voilà tout. Ne doutez point que, dès que le maréchal sera assuré de la présence de Madame en Vendée, il ne s'empresse de se rendre à son poste.

– M. de Bonneville ne vous a-t-il donc pas dit que Madame était en route et serait incessamment au milieu de ses amis ?

– Si fait, monsieur, et cette nouvelle m'a, pour ma part, causé une vive joie.

– Un retard ! un retard ! murmura Petit-Pierre. J'avais toujours entendu dire, il me semble, que tout soulèvement dans votre pays devait avoir lieu dans la première quinzaine de mai, afin qu'on pût disposer plus facilement des habitants des campagnes, qui, plus tard, sont occupés de leurs travaux. Or, nous sommes au 14 ; donc, nous sommes en retard. Quant aux chefs, ils sont convoqués, n'est-ce pas ?

– Oui, monsieur, répondit Louis Renaud avec une certaine gravité triste ; je dis plus, c'est que vous ne devez même guère compter que sur les chefs.

Puis il ajouta avec un soupir :

– Et pas sur tous encore, ainsi qu'a pu le voir, ce matin, M. le marquis de Souday.

– Que me dites-vous là, monsieur ! s'écria Petit-Pierre. De la tiédeur en Vendée, quand nos amis de Marseille – et je vous en parle pertinemment, j'en arrive – quand nos amis de Marseille sont furieux contre eux-mêmes et ne demandent qu'à prendre leur revanche !

Un pâle sourire passa sur les lèvres du jeune chef.

– Vous êtes du Midi, monsieur, dit-il au jeune homme, quoique vous n'en ayez point l'accent.

– C'est vrai, fit Petit-Pierre. Eh bien, après ?

– Il ne faut point confondre le Midi avec l'Ouest, monsieur, le Marseillais avec le Vendéen. Une proclamation soulève le Midi, un échec l'abat. La Vendée, au contraire – et, quand vous y serez resté quelque temps, vous apprécierez la vérité de ce que je vous dis, – la Vendée, au contraire, est grave, froide, silencieuse ; tout projet s'y discute lentement et laborieusement ; toutes chances de revers et de succès sont exposées à leur tour ; puis, lorsque les chances de succès paraissent l'emporter sur les autres, la Vendée tend la main, dit oui et meurt, s'il le faut, pour accomplir sa promesse. Mais, comme elle sait que oui et non sont pour elle des paroles de vie et de mort, elle est lente à les prononcer.

– Mais l'enthousiasme, monsieur ! s'écria Petit-Pierre.

Le jeune chef sourit.

– Oui, l'enthousiasme, dit-il, j'en ai entendu parler dans ma jeunesse : c'est une divinité de l'autre siècle, qui est descendue de son autel depuis que tant de promesses ont été faites à nos pères qui n'ont point été tenues. Savez-vous ce qui s'est passé, ce matin, à Saint-Philbert ?

– En partie, oui ; le marquis me l'a dit.

– Mais après le départ du marquis ?

– Non.

– Eh bien, sur douze chefs qui devaient commander les douze divisions, sept ont protesté au nom de leurs hommes, et doivent, à cette heure, les avoir renvoyés chez eux ; et cela, tout en déclarant, les uns et les autres, qu'en toute circonstance, et personnellement, leur sang était au service de Madame et prêt à couler pour elle ; seulement, ils ne voulaient point, ajoutaient-ils, prendre devant Dieu la terrible responsabilité d'entraîner leurs paysans dans une entreprise qui semblait ne devoir être qu'une sanglante échauffourée.

– Mais, alors, dit Petit-Pierre, il faudra donc renoncer à tout espoir, à toute tentative ?

Le même sourire triste passa sur les lèvres du jeune homme :

– à tout espoir, oui, peut-être ; à toute tentative, non. Madame nous a fait écrire qu'elle était poussée par le comité directeur de Paris ; Madame nous a fait affirmer qu'elle avait des ramifications dans l'armée ; essayons ! Peut-être une émeute à Paris, peut-être une désertion parmi les soldats lui donnera-t-elle raison contre nous. Si nous ne tentions rien pour elle, Madame serait convaincue, en se retirant, que, si l'on avait tenté quelque chose, on eût pu réussir, – et il ne faut pas que Madame ait un doute.

– Cependant, si l'on échoue ? s'écria Petit-Pierre.

– Ce sera cinq ou six cents personnes qui se seront fait tuer inutilement, voilà tout ; et il est bon que, de temps en temps, un parti, dût-il échouer, donne ces sortes d'exemples, non-seulement à son pays, mais encore aux nations voisines.

– Vous n'êtes point de ceux qui ont renvoyé leurs hommes, vous ? demanda Petit-Pierre.

– Si fait, monsieur ; mais je suis de ceux qui ont fait le serment de mourir pour Son Altesse royale. D'ailleurs, continua le jeune homme, peut-être l'affaire est-elle déjà engagée, et n'aurons-nous d'autre mérite que de suivre le mouvement.

– Comment cela ? demandèrent en même temps Petit-Pierre, Bonneville et le marquis.

– Il y a eu des coups de fusil tirés aujourd'hui, à la foire de Montaigu.

– Et on en tire en ce moment du côté du gué de la Boulogne, dit une voix inconnue et qui venait du côté de la porte, dans l'encadrement de laquelle apparaissait un nouveau personnage.

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