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Chapitre LXIII
Après le combat

Cependant Gaspard, ayant rejoint ses compagnons, les remercia de leurs services, les ajourna à des temps meilleurs, et leur enjoignit de se disperser pour échapper plus aisément à la poursuite des soldats ; puis il revint à Petit-Pierre, qu'il retrouva à la même place, ayant autour de lui le marquis de Souday, Bertha et quelques Vendéens qui n'avaient pas voulu songer à leur sûreté avant d'avoir assuré la sienne.

– Eh bien, demanda Petit-Pierre à Gaspard en voyant celui-ci revenir seul, ils sont partis ?

– Oui ; que vouliez-vous qu'ils fissent de plus qu'ils n'ont fait ?

– Pauvres gens ! continua Petit-Pierre, combien de misères les attendent ! Pourquoi Dieu m'a-t-il refusé la consolation de les presser sur mon cœur ? Mais je n'en eusse pas eu la force, et ils ont eu raison de me quitter ainsi. C'est trop d'agoniser deux fois dans sa vie, et, les journées de Cherbourg, j'espérais ne les revoir jamais.

– Il faut maintenant, dit Gaspard, que nous songions à vous mettre en sûreté.

– Oh ! ne vous occupez pas de ma personne, répliqua Petit-Pierre ; je n'ai qu'un regret, c'est que pas une balle n'ait voulu de moi. Ma mort ne vous eût sans doute pas donné la victoire, je le sais bien ; mais, au moins, la lutte eût été glorieuse, tandis qu'aujourd'hui, que nous reste-t-il à faire ?

– à attendre des jours meilleurs... Vous avez prouvé aux Français qu'un cœur vaillant battait dans votre poitrine ; le courage est la principale vertu qu'ils exigent de leurs rois : ils se souviendront, soyez tranquille.

– Dieu le veuille ! dit Petit-Pierre en se levant et en s'appuyant au bras de Gaspard, qui descendit le monticule et prit le chemin de la plaine.

Les troupes, au contraire, ne connaissant pas le pays, étaient obligées de prendre les chemins frayés.

Gaspard dirigea à travers champs la marche du petit cortège ; là, on ne risquait que de rencontrer des éclaireurs ; mais, grâce à la connaissance que maître Jacques avait de quelques sentiers presque impraticables qu'il indiqua, on parvint dans les environs du moulin Jacquet sans avoir rencontré une seule cocarde tricolore.

Chemin faisant, Bertha s'approcha de son père et lui demanda si, au milieu de la mêlée, il n'avait pas aperçu Michel ; mais le vieux gentilhomme, que l'issue de l'insurrection, soulevée avec tant de peine et si vite étouffée, mettait de mauvaise humeur, lui répondit, en termes fort durs, que, depuis deux jours, personne ne savait ce qu'était devenu le jeune de la Logerie ; que, très probablement, il avait eu peur et avait honteusement renoncé à la gloire qu'il devait acquérir et à l'alliance qui était le prix de cette gloire.

Cette réponse consterna Bertha.

Inutile de dire qu'elle ne crut, cependant, pas un mot de ce qu'avançait le marquis.

Mais son cœur frémissait à la seule idée qui lui sembla probable : c'est que Michel avait été tué, ou, du moins, blessé grièvement. Elle résolut, en conséquence, d'aller aux renseignements jusqu'à ce qu'elle sût à quoi s'en tenir sur le sort de celui qu'elle aimait.

Elle interrogea tous les Vendéens.

Aucun d'eux n'avait vu Michel et quelques-uns, poussés par leur vieille haine contre le père, s'exprimèrent sur le compte du fils en termes non moins énergiques que ceux dont s'était servi le marquis de Souday.

Bertha devenait folle de douleur : rien, si ce n'est une preuve palpable, visible, irrécusable, n'eût pu lui faire avouer qu'elle avait fait un choix indigne d'elle, et, quand toutes les apparences accusaient Michel, son amour, devenu plus ardent, plus impétueux sous le coup de ces accusations, lui donnait la force de les traiter de calomnies.

Peu d'instants auparavant, son cœur était déchiré, sa tête folle à l'idée que Michel avait trouvé la mort dans le combat ; et, maintenant, voilà que cette mort glorieuse était devenue un espoir, une consolation pour sa douleur ; elle avait hâte d'en acquérir la cruelle certitude ; elle pensait à retourner au Chêne, à visiter le champ de bataille, à chercher le corps du jeune homme comme édith avait cherché celui de Harold, et, quand elle aurait réhabilité sa mémoire des odieuses suppositions de son père, à le venger, lui, Michel, sur ses meurtriers.

Elle réfléchissait aux moyens qu'elle pourrait employer pour avoir un prétexte de rester en arrière et de retourner au Chêne, lorsque Aubin Courte-Joie et Trigaud, qui formaient l'arrière-garde de la troupe, vinrent à la rejoindre et à passer à côté d'elle.

Elle respira ; sans doute, la lumière allait-elle lui venir de là.

– Et vous, mes braves amis, leur dit-elle, ne sauriez-vous me donner des nouvelles de M. de la Logerie ?

– Ah ! si fait, ma chère demoiselle, répondit Courte-Joie.

– Enfin ! s'écria Bertha.

Puis, avec toute la vivacité de l'espoir :

– N'est-ce pas, dit-elle, qu'il n'a point quitté la division, comme on l'en accuse ?

– Il l'a quittée, répondit Courte-Joie.

– Quand ?

– La veille du combat de Maisdon.

– Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! fit Bertha avec angoisse, vous en êtes sûr ?

– Parfaitement sûr. Je l'ai vu qui rejoignait Jean Oullier à la Croix-Philippe, et nous avons même fait un bout de chemin avec eux sur la route de Clisson.

– Avec Jean Oullier ? s'écria Bertha. Oh ! alors, je suis tranquille ; Jean Oullier ne se sauvait pas, lui ! Et, si Michel est avec Jean Oullier, il n'a rien fait de lâche ni de déshonorant.

Puis, tout à coup, une idée terrible lui traversa l'esprit.

Pourquoi cet intérêt si subit de Jean Oullier pour le jeune homme ? Comment celui-ci avait-il plutôt suivi Jean Oullier que le marquis ?

Ces deux questions, que la jeune fille s'adressait à elle-même, remplissaient son cœur de sinistres pensées.

– Et vous dites, demanda-t-elle à Courte-Joie, que vous les avez vus tous deux s'éloigner dans la direction de Clisson ?

– De mes propres yeux vus.

– Et que s'est-il passé du côté de Clisson ? Le savez-vous ?

– C'est trop loin de nous pour que nous puissions déjà avoir des détails, répondit l'hôtelier. Cependant, nous avons été rejoints tantôt par un gars de Sainte-Lumine, qui nous a dit que, depuis dix heures du matin, on entendait, du côté de la Sèvre, une fusillade de tous les diables.

Bertha ne répliqua point ; mais ses idées changèrent complètement de face.

Elle vit Michel conduit à la mort par la haine que lui portait Jean Oullier.

Elle se figura le pauvre enfant blessé, pantelant, abandonné, étendu sans secours au milieu de quelque lande déserte et ensanglantée.

Elle l'entendait l'appeler à son secours.

– Connaissez-vous quelqu'un qui puisse me conduire où est Jean Oullier ? demanda-t-elle à Courte-Joie.

– Aujourd'hui ?

– à l'instant.

– Mais les chemins sont couverts de culottes rouges !

– Il nous reste les sentiers.

– Mais la nuit va venir !

– Notre route n'en sera que plus sûre. Trouvez-moi un guide, ou, sans cela, je pars seule.

Les deux hommes se regardèrent.

– Vous n'aurez pas d'autre guide que moi, dit Aubin Courte-Joie ; ne suis-je pas l'obligé de votre famille ? Et, d'ailleurs, mademoiselle Bertha, vous m'avez rendu, pas plus tard qu'aujourd'hui même, à l'endroit de certain garde national qui allait m'enfiler avec sa baïonnette, un service que je n'ai pas oublié.

– Bien ! Alors, restez en arrière et attendez-moi dans ce champ de blé, dit Bertha ; d'ici à un quart d'heure, je suis à vous.

Courte-Joie et Trigaud se couchèrent au milieu des épis, et Bertha, doublant le pas, rejoignit Petit-Pierre et les Vendéens au moment où ils allaient rentrer au moulin Jacquet.

Elle monta rapidement à la chambrette qu'elle habitait avec sa sœur et se hâta de changer ses habits couverts de sang contre un costume de paysanne. En descendant, elle trouva Mary, qui était restée près des blessés, et, sans l'instruire de son projet, elle lui dit de ne pas être inquiète si elle ne reparaissait que le lendemain.

Puis elle reprit le chemin qu'elle venait de parcourir.

Quelle qu'eût été la réserve de Bertha à l'endroit de Mary, celle-ci avait vu sur le visage bouleversé de sa sœur tout ce qui se passait dans son âme ; elle connaissait la disparition de Michel et elle ne douta pas que le départ si soudain de Bertha n'eût cette disparition pour motif.

Mais, après ce qui s'était passé l'avant-veille, Mary n'osa point interroger Bertha.

Seulement, une nouvelle angoisse s'ajouta à celles qui déchiraient déjà son cœur, et, lorsqu'on l'appela pour partir avec Petit-Pierre, qui allait chercher un autre asile, elle s'agenouilla et demanda à Dieu que son sacrifice ne demeurât point inutile et qu'il lui plût de sauvegarder à la fois les jours et l'honneur du fiancé de Bertha.

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