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Chapitre XXX
Samuel médecin

Samuel salua gravement Christiane. Julius, chose étrange ! ne marqua point d'étonnement en le voyant, alla vers lui et lui serra la main.
- Toi qui as fait de la médecine, lui dit-il, vois donc, notre pauvre petit est malade.
Samuel examina silencieusement l'enfant, puis, cherchant autour de lui, aperçut la nourrice, alla à elle et lui tâta le pouls.
- Mais, monsieur, dit Christiane, chez qui l'inquiétude du cœur surmontait déjà la frayeur de l'esprit, ce n'est pas la nourrice qui est malade, c'est mon enfant.
- Madame, répondit poliment et froidement Samuel, tout en continuant son examen, la mère ne voit que l'enfant, le médecin cherche la cause. Le mal de votre enfant n'est que l'effet du mal de sa nourrice. Le pauvre petit a faim, voilà tout, et cette femme ne peut plus le nourrir. Le changement de climat et d'habitudes, l'ennui, la nostalgie, que sais-je ? ont altéré son lait. Il est urgent de la remplacer.
- La remplacer ? Par qui ? demanda Christiane.
- N'y a-t-il pas quelque nourrice dans les environs ?
- Mon Dieu ! je ne sais pas. Oh ! je suis une mère bien imprévoyante, ou du moins bien inexpérimentée. Il ne faut pas m'en vouloir, monsieur.
L'enfant cria et se plaignit de nouveau.
- Ne vous tourmentez pas, madame, reprit Samuel du même ton froid et poli, l'enfant n'est nullement malade et ne court aucun danger.
- Voici ce que vous pouvez faire. Prenez pour nourrice une des jeunes chèvres de Gretchen.
- Wilhelm ne s'en trouvera pas mal ?
- Il s'en trouvera à merveille. Seulement, quand vous aurez commencé, il faudra continuer. De trop fréquents changements de lait pourraient avoir des inconvénients. Et puis, une chèvre est une nourrice qui n'aura pas la nostalgie de la Grèce.
Julius envoya aussitôt prévenir Gretchen, qui arriva quelques instants après.
Elle non plus ne témoigna aucune surprise à l'aspect de Samuel. Seulement Christiane, qui l'observait, remarqua qu'un sourire amer plissa sa lèvre. La joie lui revint lorsqu'on lui dit qu'une de ses chèvres allait nourrir le petit Wilhelm. Justement elle en avait une jeune et forte, et d'un lait parfait. Elle courut la chercher. Pendant son absence, Samuel acheva de rassurer Christiane. Ses manières étaient tout à fait différentes, sans être plus rassurantes peut-être. Une sorte de réserve respectueuse, mais glacée, avait succédé à sa moquerie âpre et hautaine.
Gretchen revint avec une belle chèvre, blanche et nette, qu'elle fit coucher sur le tapis. Christiane y posa près d'elle Wilhelm, qui se mit à téter avec avidité. Christiane battit des mains.
- Nous voilà sauvés ! dit Samuel en souriant.
Christiane ne put s'empêcher de lever sur lui un regard de reconnaissance. Cet homme étrange ajouta d'un ton pensif :
- J'aime les enfants. Je voudrais en avoir un. Ils sont charmants et ne sont pas orgueilleux ; ils sont faibles et ne sont pas méchants. J'aime les enfants : ils ne sont pas encore hommes.
Il se levait comme pour partir.
- Tu vas déjeuner avec nous ? lui dit Julius.
- Je ne peux pas, répondit Samuel en regardant Christiane.
Julius insista. Mais Christiane ne dit rien. Le passé, qu'elle avait oublié dans un premier élan de maternité, lui revenait en mémoire, et la femme reparaissait sous la mère.
Samuel sembla remarquer le silence de Christiane et répondit plus sèchement aux instances de Julius :
- Impossible. Fais-moi seller un cheval. Je te le renverrai de Neckarsteinach.
Julius donna des ordres. Christiane, ne craignant plus que Samuel restât, se sentit plus libre pour le remercier, et lorsqu'on vint annoncer que le cheval était prêt, elle voulut le reconduire avec Julius jusqu'au perron, et le remercia encore. Mais elle ne l'invita pas à revenir. Et, pendant qu'il montait à cheval, elle dit tout bas à Julius :
- Comment et pourquoi M. Samuel Gelb était-il donc ici, Julius ?
- Ma foi ! répondit Julius, je te jure sur l'honneur que je ne le sais pas encore moi-même.
Samuel était en selle ; il salua et s'éloigna au galop.
- Le voilà parti ! dit Christiane comme soulagée.
Gretchen, dans cette minute, descendait avec sa chèvre et arrivait au perron. Elle entendit Christiane et secoua la tête :
- Ah ! madame, dit-elle à demi-voix, est-ce que vous croyez qu'il est parti ?


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