Le Bâtard de Mauléon Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre LI
Le retour.

Mauléon fit toutes ses dispositions sur l'heure.
Il ne se sentait plus de joie. Désormais une union indissoluble avec sa maîtresse ; la sécurité dans l'amour... Riche, belle, aimante, Aïssa lui arrivait comme un de ces rêves que Dieu prête aux hommes jusqu'au matin pour leur faire comprendre qu'il y a autre chose que la vie terrestre.
Musaron partageait l'enthousiasme de son maître. Une grande maison à monter dans ce pays si riche de la Gascogne, par exemple, où la terre nourrit assez le fainéant, enrichit le laborieux, devient un paradis pour le riche ; commander à des valets, à des serfs, élever des bestiaux, dresser des chevaux, ordonner des chasses, telles étaient les douces visions qui assaillaient en foule l'imagination très active du bon écuyer d'Agénor.
Déjà Mauléon songeait qu'il ne pourrait s'occuper de guerres pendant une année, car Aïssa l'occuperait tout entier, car il lui devait, il se devait à lui- même une année au moins de bonheur calme, en reconnaissance de tant d'heures douloureuses.
Mauléon attendit avec impatience le retour du sire de Laval.
Ce seigneur avait récolté de son côté chez plusieurs nobles Bretons des sommes considérables, destinées à payer la rançon du connétable. Les scribes du roi et du duc de Bretagne collationnèrent leurs comptes d'après lesquels il apparut que la moitié des soixante-dix mille florins d'or était déjà trouvée.
C'en était assez pour Mauléon, il espérait que le roi de France ferait le reste, et connaissait assez le prince de Galles pour savoir que, dans le cas même où la première moitié de la rançon arriverait, les Anglais laisseraient le connétable en liberté, si leur politique ne leur conseillait pas de le retenir malgré le paiement intégral de la somme.
Mais pour l'acquit de sa conscience pointilleuse, Mauléon parcourut le reste de la Bretagne avec l'étendard royal, en faisant l'appel au peuple breton.
Chaque fois qu'il traversait un bourg, il se faisait précéder du cri funèbre :
- Le bon connétable est prisonnier des Anglais ; gens de Bretagne, le laisserez-vous captif ?
Chaque fois, disons-nous, qu'il rencontrait dans cette circonstance ces Bretons si pieux, si hardis, si mélancoliques, il recueillait les mêmes gémissements, la même indignation, et les pauvres se disaient : Vite à l'ouvrage, mangeons moins de notre blé noir, et amassons un sou pour la rançon de messire Duguesclin.
De cette façon, Agénor compléta six mille autres florins, qu'il confia aux gens d'armes du sire de Laval, aux vassaux de la dame Tiphaine Raguenel, à laquelle avant de partir il revint faire ses adieux.
Mais alors un scrupule lui vint. Il pouvait partir ; il devait aller prendre sa maîtresse ; mais tout n'était pas fini pour lui dans sa mission d'ambassadeur. Agénor, qui avait promis à dona Maria de ne jamais rentrer en Espagne, devait cependant rapporter à Bertrand Duguesclin cet argent récolté par ses soins en Bretagne, argent précieux, après l'arrivée duquel soupirait sans doute le captif du prince de Galles.
Agénor, placé entre ces deux devoirs, balança longtemps. Un serment, et il avait fait ce serment à dona Maria était chose sacrée ; son affection, son respect pour le connétable lui paraissaient sacrés aussi.
Il s'ouvrit de ses inquiétudes à Musaron.
- Rien de plus aisé, dit l'ingénieux écuyer, demandez à dame Tiphaine l'escorte d'une douzaine de vassaux armés pour escorter l'argent, le sire de Laval y joindra bien quatre lances, le roi de France donnera, pourvu que cela ne lui coûte rien, une douzaine de gens d'armes ; avec cette troupe que vous commanderez jusqu'à la frontière l'argent sera bien en sûreté.
Une fois à Rianzarès, vous écrivez au prince de Galles, qui vous envoie un sauf-conduit ; l'argent passe de cette façon sûrement jusqu'au connétable.
- Mais moi... mon absence ?
- Le prétexte d'un voeu.
- Un mensonge !
- Ce n'est pas un mensonge, puisqu'en effet vous avez juré à dona Maria... Puis, fût-ce un mensonge, le bonheur vaut bien un péché.
- Musaron !
- Eh ! monsieur, ne faites pas tant le religieux, vous épousez une Sarrasine... Voilà bien un autre péché mortel ce me semble !
- C'est vrai, soupira Mauléon.
- Et puis, continua Musaron, le seigneur connétable serait bien difficile, s'il vous voulait avec l'argent... Mais, croyez-moi, je connais les hommes ; aussitôt que les florins brilleront, on oubliera le collecteur... D'ailleurs, une fois le connétable en France, s'il veut vous voir, il vous verra, vous ne vous enterrerez pas, que je suppose ?
Agénor fit comme toujours, il céda. Musaron d'ailleurs avait parfaitement raison. Le sire de Laval fournit des hommes d'armes, la dame Tiphaine Raguenel arma vingt vassaux, le sénéchal du Maine fournit douze gens d'armes au nom du roi, et Agénor s'adjoignant un des jeunes frères de Duguesclin, partit à grandes journées pour la frontière, dans la hâte qu'il était de devancer de deux ou trois jours pour le moins le rendez-vous fixé par dona Maria Padilla.
Ce fut une marche triomphale que celle de ces trente-six mille florins d'or destinés à racheter le connétable. Le peu de compagnons qui restaient en France depuis le départ des compagnies, étaient des brigands de vol très humble, et pour qui la proie, fort belle sans doute, était impossible à dévorer. Ils aimèrent donc mieux, en la voyant passer devant leurs serres, pousser des acclamations chevaleresques, bénir le nom du glorieux prisonnier et se donner des airs de respect, ne pouvant être irrespectueux sans crainte de laisser leurs os sur le champ de bataille.
Mauléon dirigea si habilement sa marche, qu'il arriva en effet, le quatrième jour du mois à Rianzarès, petit bourg détruit depuis bien des années, mais qui alors jouissait de quelque renom, étant un lieu de passage usité entre la France et l'Espagne.

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