Le Bâtard de Mauléon Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre LX
La rançon.

Bordeaux était pleine de tumulte et d'agitation causés par l'arrivée du sire de Laval avec ses quatre mulets charges d'or et les cinquante hommes d'armes portant les bannières de France et de Bretagne.
Une foule considérable avait suivi le cortège imposant, et sur tous les visages on lisait, soit l'inquiétude et le dépit s'il s'agissait d'un Anglais, soit la joie et le triomphe si le visage était d'un Gascon ou d'un Français.
Le sire de Laval recueillait en passant les félicitations des uns, les lourdes imprécations des autres. Mais sa contenance était calme et impassible ; il tenait après les trompettes la tête du cortège, une main sur son poignard, l'autre à la bride de son puissant cheval noir, et, visière levée, il fendait les flots de la foule curieuse, sans presser ni ralentir devant aucun obstacle le pas de sa monture.
Il arriva devant le château où Duguesclin était prisonnier, mit pied à terre, donna son cheval aux écuyers, et commanda aux quatre muletiers de descendre les coffres qui contenaient les espèces.
Ces gens obéirent.
Tandis qu'ils soulevaient l'un après l'autre les quatre pesants fardeaux, et que les curieux se pressaient avidement autour de l'escorte, un chevalier, visière baissée, sans couleurs ni devise, s'approcha du sire de Laval et lui dit en pur français :
- Messire, vous allez avoir le bonheur de voir l'illustre prisonnier, le bonheur plus grand encore de le mettre en liberté, puis vous l'emmènerez au milieu des braves gens d'armes qui vous suivent ; moi, qui suis un des bons amis du connétable, je n'aurais peut-être pas l'occasion de lui dire un mot, vous plairait-il me faire monter avec vous dans le donjon.
- Sire chevalier, dit M. de Laval, votre voix caresse agréablement mon oreille, vous parlez la langue de mon pays, mais je ne vous connais pas, et si l'on me demandait votre nom, je devrais mentir..
- Vous répondriez, dit l'inconnu, que je suis le bâtard de Mauléon.
- Mais vous ne l'êtes pas, dit vivement Laval, puisque le sire de Mauléon nous a quittés pour passer plus vite en Espagne.
- Je viens de sa part, messire, ne me refusez pas, j'ai un seul mot à dire au connétable, un seul...
- Dites-moi ce mot alors, je le lui transmettrai.
- Je ne puis le dire qu'à lui, et encore il ne peut le comprendre que si je lui montre mon visage. Je vous en supplie, sire de Laval, ne me refusez pas, au nom de l'honneur des armes françaises, dont, je vous le jure devant Dieu, je suis un des plus zélés défenseurs.
- Je vous crois, messire, dit le comte, mais vous me montrez bien peu de confiance.. sachant qui je suis, ajouta-t-il avec un sentiment d'orgueil blessé.
- Quand vous saurez qui je suis moi-même, sire comte, vous ne tiendrez plus un pareil langage... Voilà trois jours que je passe à Bordeaux, essayant de pénétrer auprès du connétable ; et ni or ni ruse ne m'a réussi.
- Vous m'êtes tout à fait suspect, répliqua le comte de Laval, et je ne chargerai pas pour vous ma conscience d'un mensonge. D'ailleurs, quel intérêt avez-vous à monter près du connétable, qui va sortir dans dix minutes ? Dans dix minutes, en effet, il sera ici, où vous êtes, et vous lui direz ce mot si important...
L'étranger s'agita impatiemment.
- D'abord, dit-il, je ne suis pas de votre avis, et je ne regarde pas le connétable comme libre. Quelque chose me dit que sa sortie de prison rencontrera plus de difficultés que vous ne le supposez. D'ailleurs, en admettant qu'il sortit dans dix minutes, comte, j'aurais déjà gagné ce temps sur la route que je veux prendre ; j'aurais évité tous les retards de la cérémonie de mise en liberté : visite au prince, remerciements au gouverneur, festin d'adieu ; je vous en prie, menez-moi avec vous... je puis vous être utile.
L'étranger fut interrompu à ce moment par le geôlier, qui vint sur le seuil inviter le sire de Laval à pénétrer dans le donjon.
Le comte prit congé de son solliciteur avec une brusque autorité.
Le chevalier inconnu, qu'il semblait voir frissonner sous son armure, se retira le long d'un pilier, derrière les hommes d'armes, et attendit, comme s'il espérait toujours, que le dernier coffre eût disparu sur la route du donjon.
Tandis que le sire de Laval montait l'escalier, on vit passer par une galerie ouverte, qui joignait les deux ailes du château, le prince de Galles, précédé du gouverneur et suivi de Chandos et de quelques officiers.
Le vainqueur de Navarette allait rendre sa dernière visite à Duguesclin.
Toute la populace cria : Nol ! et vive saint Georges ! pour le prince de Galles...
Les trompettes françaises sonnèrent en l'honneur du héros, qui les salua courtoisement.
Puis, les portes se fermèrent, et toute la foule se rapprochant des degrés, attendit avec des murmures bruyants la sortie du connétable.
Le coeur battit violemment aux hommes d'armes bretons, qui allaient revoir leur grand capitaine, et qui, tous, eussent donné leur vie pour lui conquérir la liberté.
Cependant une demi-heure se passa ; l'impatience des assistants commençait à devenir de l'inquiétude pour les Bretons.
Le chevalier inconnu déchirait son gantelet droit avec son gantelet gauche.
On vit reparaître sur la galerie ouverte Chandos, causant vivement avec des officiers qui semblaient stupéfaits et étourdis de surprise.
Puis, lorsque la porte du château se rouvrit, au lieu de donner passage au héros devenu libre, elle laissa voir le sire de Laval, pâle, défait, tremblant d'émotion, qui cherchait des yeux dans la foule.
Plusieurs officiers bretons se précipitèrent vers lui.
- Qu'y a-t-il donc ? demandèrent-ils avec anxiété.
- Oh ! un grand désastre ! un étrange événement ! répliqua le comte... Mais où est donc cet inconnu, ce prophète de malheur ?
- Me voici, dit le chevalier mystérieux, me voici... je vous attendais ;
- Désirez-vous toujours voir le connétable ?
- Plus que jamais !
- Eh bien ! hâtez-vous, car dans dix minutes il serait trop tard. Venez ! venez ! il est plus prisonnier que jamais.
- Nous allons voir, répliqua l'inconnu en gravissant légèrement les degrés derrière le comte qui l'entraînait à sa suite.
Le geôlier leur ouvrit la porte en souriant, et toute la foule rassemblée se mit sur mille tons différents à commenter l'événement qui retardait la sortie du connétable.
- 0à, dit tout bas le chef des Bretons à ses hommes d'armes, le poing à l'épée, et attention !

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