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Scène 3

                              SCENE III
Les Mêmes, Christine ; un huissier, annonçant la reine.

                              Christine, entrant.
A tous salut ! Qui donc peut, ici, s'il vous plaît,
Me dire, d'entre vous, messieurs, l'heure qu'il est ?

                              Steinberg.
Neuf heures.

                              Christine.
          Se peut-il que si tard on demeure
Dans un lit loin du jour. Mieux vaut, je crois, qu'on meure,
Que de cette manière exister à moitié.

                              Monaldeschi.
Mais nous avons besoin...

                              Christine.
                    Mais nous faisons pitié ;
                              Monaldeschi.
Madame, vous dormiez du sommeil de la gloire,
Et le repos est doux après une victoire.

                              Christine.
Que dit notre écuyer ?

                              Monaldeschi.
                    Il fait allusion
A vos combats d'hier, à la confusion
Du savant qui vous vit résoudre ce problème,
Qu'il pouvait rencontrer plus savant que lui-même.

                              Christine.
Mon ennemi n'était rien moins que confondu,
Et mon latin, je crois, est du latin perdu.
Je n'ai pu du vrai texte entendre une syllabe ;
Au lieu de ce latin, si j'avais su l'arabe
Mais ce n'est point ici l'heure de discuter.
Avez-vous ce matin quelqu'un à présenter,
Marquis ?

                              Monaldeschi.
          Oui, deux Français, l'un fat, l'autre poète.

                              Christine.
Eh bien, prévenez-les que, pendant sa toilette
Christine jugera de leurs talents divers,
Et que nous causerons de modes et de vers.
                              Monaldeschi sort.
A Sentinelli.
Monsieur le commandant de notre grande armée,
Qui de douze soldats pour l'instant est formée,
A notre grand lever, nous recevrons encore
Les deux officiers qui font l'état-major.
                              Sentinelli sort.
Quant à toi, chère Ebba, je te garde la peine
De charger de bijoux le front de ton ex-reine.
Choisis ceux qu'elle doit supporter aujourd'hui ;
Tous ces détails pour moi sont d'un mortel ennui.
                              Ebba.
Ils ont trouvé parfois votre âme moins rebelle :
A Votre Majesté souffrez que je rappelle
Les soins qu'à sa toilette elle-même donna,
Lorsqu'elle prit le nom du comte de Dohna.

                              Christine.
Ce n'était plus alors des vêtements de femme
Dieu pour un autre sexe avait créé mon âme ;
Je sentais, sous l'habit d'un jeune cavalier,
Ma volonté plus libre et mon coeur plus altier.
Ainsi qu'à moi, Steinberg, il vous souvient peut-être
Du plaisir qu'à mes yeux vous avez vu paraître,
Lorsque, pour retomber sur le sol étranger,
Je franchissais joyeuse, et d'un pied plus léger,
Le ruisseau dont le cours a marqué la limite
Qu'au Danemark jadis la Suède avait prescrite ;
Et que, dans un transport soudain, je m'écriais :
« A tout jamais adieu, terre et ciel que je hais ! »
Eh bien, sons le ciel pur de France et d'Italie,
J'ai souvent regretté, dans ma mélancolie,
Cet air froid, ce ciel dur, ces horizons glacés,
Où s'effacent des monts l'un sur l'autre entassés ;
Ces vieux ifs que l'hiver de ses frimas assiège,
Géants enveloppés dans leur manteau de neige ;
Et ces légers traîneaux, qu'en mon illusion,
Je vois glisser encore comme une vision.
Oh ! c'est qu'ils sont puissants sur notre âme attendrie,
Ces souvenirs lointains d'enfance et de patrie !
Elle tombe dans une profonde rêverie, et en sort tout à coup.
Mais nous la reverrons bientôt, rassurez-vous.
En attendant, Ebba, demande mes bijoux.
Nos courtisans sont là ; pour leur troupe frivole
Le temple va s'ouvrir, il faut parer l'idole.
Venez ici, Steinberg, vous qui m'avez parfois
Par votre dévouement rappelé mes Suédois.

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