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Scène 2

                              SCENE II
Monaldeschi, Paula.

                              Paula.
Moi ? Rien ; je t'écoutais.

                              Monaldeschi.
Oh ! pardonne, Paula, je t'avais oubliée.
Pourrais-tu me sauver ? A mon destin liée,
J'entrevois que l'espoir va me venir de toi.
J'avais tout oublié.

                              Paula.
                    Je me rappelais, moi !
Tu parlais de l'Arno, de sa rive si belle,
Et, dans tes souvenirs, ta mémoire rebelle
Ne se rappelait pas le jour où tu me dis :
« Je t'aime, ma Paula ! sois mienne, et je prédis
A ma jeune maîtresse, et bientôt mon épouse,
Un amour qui rendrait une reine jalouse ! »
Et puis tu le juras par la terre et les cieux ;
Moi, je ne jurai rien ; mais tu compris mes yeux
Plus tard, – c'était la nuit, c'était sous un ciel sombre, –
A mon tour, je jurai te suivre comme une ombre ;
Qu'à l'heure de la mort tu me trouverais là.
Lequel a mieux tenu son serment ? – Me voilà.

                              Monaldeschi.
Quoi ! Paula, sans espoir faudra-t-il que je meure ?
Qu'ai-je à vivre du moins ?

                              Paula.
                              Nous avons un quart d'heure.

                              Monaldeschi.
Un quart d'heure, ô mon Dieu !

                              Paula.
                              Voyons, reviens à toi ;
Du courage, marquis !.
                              Monaldeschi.
                    J'en aurais aussi, moi,
Du courage, au milieu d'un combat, quand. la poudre
Quand la voix des canons grondant comme la foudre,
Le bruit du fer heurté, celui des instruments
De guerre, des blessés et des hennissements,
Au milieu des dangers vous pousse et vous enflamme,
Et d'un besoin de mort vous vient enivrer l'âme !
J'en aurais, du courage, à la fin de mes jours,
Si Dieu dans sa clémence eût prolongé leur cours ;
Si ma tête blanchie, en arrière tournée,
Avait soixante fois déjà vu fuir l'année ;
Si je sentais de moi s'éloigner sans retour
Chacun de ces plaisirs qui nous quitte à son tour.
La mort nous trouble moins par degrés rapprochée,
Et l'âme est doucement par sa main détachée ;
Mais sentir dans son sein que le fer veut ouvrir
Une âme ardente à vivre, – et puis falloir mourir !


                              Paula.
Sans doute cette mort, notre âme la repousse ;
Mais notre mort à nous ne peut-elle être douce ?
Que souvent tu m'as dit, autrefois, je le sais,
Quand à l'entour de nous les deux bras enlacés,
Isolés sur la terre, en notre amour profonde,
De ce monde oubliés, nous oubliions ce monde ;
Que souvent tu m'as dit d'un doux transport saisi :
« Que je serais heureux si j'expirais ainsi !
Si je pouvais mourir alors que je la touche,
D'un poison lentement épuisé sur ta bouche,
Et passer dans tes bras, et les yeux sur tes yeux,
Du sommeil à la mort, et de la terre aux cieux ! »
Pendant ces cours instants, délire. qui dévore !
Je ne disais rien, moi ! mais je suis prêté encore ;
Cinq ans se sont passés, j'ai toute ma raison ;
Je suis prête, dis-je, et voici du poison.

                              Monaldeschi.
Du poison !... Et sais-tu quelle affreuse souffrance
Peut causer le poison ?... Non ; j'ai quelque espérance,
Elle voudra me voir avant de me frapper ;
Eh bien, si d'ici là je ne puis m'échapper,
Il me reste l'espoir que, dans cette entrevue,
Je toucherai son coeur... Mourir sans l'avoir vue
Serait au désespoir trop tôt s'abandonner :
Elle est femme, elle m'aime, elle peut pardonner.
Non, non ; plus tard, plus tard !... A mon heure dernière,
Quand le prêtre sera là, faisant sa prière,
Quand le monde pour moi n'aura plus de secours,
Alors à ce poison, crois-moi, j'aurai recours.
Donne-le-moi, Paula.

                              Paula.
                    Quoi ?...

                              Monaldeschi.
                              Mon esprit se trouble.


                              Paula.
Le poison est cache dans cette bague double ;
Quand l'un de ces anneaux sera tari par toi,
Que je reçoive l'autre, et c'est tout ; – attends-moi.

                              Monaldeschi.
Ah ! Paula !

                              Paula.
          Maintenant, rappelle ton courage ;
Moi qui suis près de toi la plus jeune, par l'âge,
Mais dont le coeur, longtemps à tous les maux offert,
Est plus vieux que le tien pour avoir plus souffert,
Je veux te consoler et calmer ta souffrance
En te parlant de mort, de ciel et d'espérance.
Notre vie ici-bas, ami, n'est qu'un chemin ;
La joie ou la douleur nous y prend par la main,
Et nous conduit au bout, où nous attend la tombe ;
Notre corps, fatigue de tout son poids, y tombe ;
Mais l'âme, toujours jeune, à sa source revient,
Et de l'éternité tout à coup se souvient !...
A moins qu'un crime affreux de son poids ne l'entraîne,
Et dans la tombe avec notre corps ne l'enchaîne !
Mais de ton crime, à toi, ne sois-pas alarmé.
Tu trahis, il est vrai, qui t'avait tant aimé ;
Tu déchiras le coeur qui, dans son innocence,
Faible et tendre, s'était remis en ta puissance.
Ami,... que tout s'efface et s'oublie entre nous,
Hors les jours de bonheur et de joie !... – A genoux !
En vertu du pouvoir que le malheur me donne,
Au nom du Dieu vivant, au mien, je te pardonne !
C'est un instant... Que Dieu veuille te secourir...
Plus calme maintenant, lève toi pour mourir ;
Car on vient.

                              Monaldeschi.
          Oh ! déjà ! déjà cesser de vivre !...

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