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Scène 3

                              SCENE III
Monaldeschi, Paula.

                              Monaldeschi.
Sur le premier vaisseau voguant pour l'Italie,
Vous partirez, Paula.

                              Paula.
                    Marquis, je vous supplie !

                              Monaldeschi.
Vous partirez !..

                              Paula.
                    Marquis ; au nom du ciel, restez.
Oh ! je veux vous parler un instant, écoutez,
Ecoutez-moi !

                              Monaldeschi.
                    J'écoute.
                              Paula.
                              Est-ce ma faute, dites,
Si l'effroi m'arracha ces paroles maudites ?
Je vous avais cru mort ; quand je rouvris les yeux,
Je vous revis vivant. – Oh ! mon coeur trop joyeux
D'un bonheur aussi grand ne put porter la charge ;
Mon sein pour renfermer n'était pas assez large !
Il devait s'exhaler en paroles, en cris ;
Et, pour ce crime, – toi, – c'est toi qui me proscris !

                              Monaldeschi.
Pourquoi me suivre ici ?

                              Paula.
                              Pourquoi ! – Pourquoi mon âme
S'en va-t-elle avec toi quand tu t'en vas ?

                              Monaldeschi.
                                                  Madame !

                              Paula.
Monaldeschi, pardonne. – Oh ! si je l'avais su,
Que le moindre soupçon en dût être conçu,
Oui, je serais restée, et triste et résignée,
De mon Monaldeschi tout le jour éloignée,
Tout le soir, sans d'un mot accuser sa rigueur,
Comptant chaque seconde aux élans de mon coeur
Puis, lorsque tu serais rentre, sur ton visage
Du sort qui m'attendait épiant le présage,
J'aurais ri, si j'avais vu ton front éclairé,
Et, si je l'avais vu triste, j'aurais pleuré !...
                    
                              Monaldeschi.
Oui, Paula, vous m'aimez, je le crois...

                              Paula.
                                        Quel blasphème !
Tu le crois ! tu n'en es pas certain ! – Mais je t'aime
Comme au jour où mon coeur, cédant à tous tes voeux,
Se fondit en amour dans mes premiers aveux ;
Comme au jour où, glissant de ta lèvre à mon âme,
Ton baiser dévorant passa comme une flamme ;
Comme au jour où, pour toi désertant mon pays,
Ma mère et mon devoir furent tous deux trahis.
Eh bien, souffrant par toi, pour toi, quelquefois ai-je,
Sous ce ciel nébuleux et sur ce sol de neige,
Aidé, par un soupir, par un mot, regretté
Mon ciel brillant et pur et mon sol enchanté ?
Suis-je – lorsque j'appris qu'aux anges réunie,
Ma mère, dont j'avais fait la longue agonie,
Etait, dans sa douleur et dans son abandon,
Morte sans prononcer sur moi le mot pardon, –
Suis-je venue en pleurs et d'une voix amère
Te dire : « T'a m'as fait maudire de ma mère ?... »

                              Monaldeschi.
Non, tu fus bonne et douce.

                              Paula.
                    Et, lorsque de ta main
Je reçus ces habits, et que, sans examen,
Je les mis, t'ai-je dit ce que souffrait mon âme ;
Que je devinais tout ;... qu'aux regards d'une femme,
C'était pour me cacher que ton soin déguisait
Mon sexe ? Et dans mon coeur l'enfer me le disait
Pourtant ! – Non, dans ce coeur palpitaient mes blessures,
Et le sourire encore recouvrait mes tortures,
Et mes accents joyeux te dérobaient mes maux,
Quand j'aurais tout donné pour pleurer à sanglots !
Mon Dieu !...

                              Monaldelschi.
          Je t'aimais, oui, – Paula, je t'aime encore ;
Mais ne comprends-tu pas quel espoir me dévore ?
Quand à Stockholm, au sein d'une autre nation,
J'apportai les projets de mon ambition,
J'étais loin d'espérer que jamais souveraine
Daignerait m'accueillir sous son manteau de reine :
Elle l'a fait ! Sais-tu ce que peut être un jour
L'homme qui de Christine aura surpris l'amour ?
Cet homme, eh bien, c'est moi : chaque jour, enlacée
Dans mes mille replis, je la tiens plus pressée ;
Un pas encore, et maître et roi publiquement,
Je m'assieds sur le trône à ma place d'amant.
N'as-tu pas entendu ? maintenant, elle implore
La grâce du Seigneur ; mais le nom qu'elle adore
Pour elle vibrera jusque dans le saint lieu,
Et la voix de son coeur sera la voix de Dieu.
Tu parles de douleur, tu parles de torture :
Pour oser en parler, aurais-tu d'aventure
Vu, découvert à nu le coeur d'un favori,
Quand pendant un long jour à tout il a souri ?
O mon Dieu ! qu'est-ce donc que le bras qui nous pousse ?
Quand notre vie aurait pu passer libre et douce,
Marcher dans cet enfer, ou des démons, riant,
Nous suivent pas à pas d'un regard flamboyant ;
Monter aux flancs raidis d'une montagne aride,
Sans que rien en chemin nous soutienne ou nous guide ;
Ne s'arrêter jamais qu'afin de ramasser
Un cordon qu'on ne peut prendre sans se baisser ;
Sentir trembler sous soi, de sa fortune esclave,
Un sol mouvant pétri de cendres et de lave ;
Monter, monter encore, toujours, – et n'oser pas
Se retourner jamais pour regarder en bas,
De peur qu'épouvanté des hauteurs où nous sommes,
Nous ne retombions nous briser parmi les hommes.

                              Paula.
Ah ! j'ignorais qu'il fût des supplices si grands.
Oui, tu l'avais bien dit, c'est affreux ! je comprends...
Eh bien, puisque c'est moi qui suis la plus heureuse,
Laisse-moi soutenir ta marche aventureuse.
Pour te faire oublier les affronts essuyés,
Il te faut à ton tour à fouler à tes pieds
Quelqu'un. – Ah ! garde-moi, je serai ta servante ;
Tout ce qu'une amour pure ou délirante invente
De bonheurs, oui, pour toi je les inventerai ;
Quand tu me maudiras, moi, je te bénirai ;
J'aurai des mots d'amour qui te guériront l'âme.
Garde-moi ! je consens qu'une autre soit ta femme ;
Je promets de l'aimer, d'obéir à sa loi ;
                                        Se jetant à son cou.
Mais, par le Dieu vivant, garde-moi, garde-moi !...

                              Monaldeschi.
Non, la reine t'a vue et peut te voir encore,
Apprendre d'un seul mot ce qu'il faut qu'elle ignore.
Dans un sombre regard, j'ai vu Sentinelli
Fixer sur toi ses yeux de tigre : – j'ai pâli...
Pour que tu restes, – non, – trop de terreur m'assiège.
Si la reine voulait te voir, que lui dirais-je ?

                              Paula.
Oh ! n'est-ce que cela ? Partout où tu voudras,
Ne puis-je me cacher, moi ? Veux-tu ? Tu diras
Tout ce que ton esprit inventera. Qu'importe !...
Dis que je suis partie ou dis que je suis morte,
Si c'est mieux. – N'as-tu pas, dis-moi, dans ta maison,
Quelque coin, quelque tour, quelque étroite prison,
Sans issue au dehors, obscure, sans fenêtre,
Où jamais un rayon de soleil ne pénètre ?
J'y resterai toujours ; on ne pourra savoir
Où je suis, si je vis ; nul ne pourra m'y voir
Que toi ; tu me diras dans ma sombre demeure,
Quand tu seras sorti, si tu veux que je pleure,
Ou non ; – toi seul viendras me donner l'eau, le pain,
Et, quand tu m'oublieras, j'aurai soif, j'aurai faim !...

                              Monaldeschi.
Paula...

                              Paula.
          Monaldeschi, vois mes pleurs sur mes joues,
Mes tourments oubliés, ceux auxquels tu me voues ;
Avant ces pleurs déjà tant de pleurs sont passés,
Que je ne suis plus belle aujourd'hui, je le sais.
Tu m'en veux, et pourtant c'est ton amour fatale
Qui m'a rendu l'oeil sombre et m'a fait le front pâle.
                                                  Se traînant sur ses genoux.
Mon corps faible, en tes bras tant de fois soulevé,
A tes pieds se meurtrit, rampant sur le pavé ;
Veux-tu mon sang, mes jours ?
Prends mon sang, prends mon âme,
Ouvre avec ton poignard ma poitrine de femme,
Que j'y sente mon coeur entre tes mains broyé,
Et je souffrirai moins que je souffre. – Oh ! pitié !

                              Monaldeschi, attendri.
Paula !...

                              Paula.
          Pitié, mon Dieu !

                              Monaldeschi, la relevant.
                              Dis-moi... Voyons, écoute.
Si tu pouvais rester, je le voudrais sans doute.

                              Paula, se jetant dans ses bras.
Monaldeschi...
On entend la cloche du temple où prie Christine.
                              Monaldeschi.
                    Qu'entends-je ! – A la reine voilà
Dieu qui parle de moi.
          La repoussant.
                              Vous partirez, Paula.
                                                  Il sort.

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