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Scène 7

                              SCENE VII
Les mêmes, Steinberg, Ebba.

                              Ebba, du fond.
          Ma mère !...

                              Christine, les mains sur ses yeux.
                    Ah ! quelle terreur étrange !

                              Ebba.
Ma mère !...

                              Christine.
          Cette voix,... est-ce la voix d'un ange
Qui m'annonce l'instant de l'éternel adieu,
Et qui vient me chercher pour me conduire à Dieu ?
Dois-je me réjouir, ou faut-il que je pleure ?...


                              Ebba.
Non, ma mère, c'est moi ; j'ai pensé qu'à cette heure,
Où tant d'indifférents autour de vous viendront,
Vous chercheriez mes mains pour poser votre front.
Ai-je eu tort ?

                              Christine.
                    Chère Ebba ! voici que tout s'achève.
Je voudrais voir encore le soleil qui se lève.
Ouvre, j'ai besoin d'air...
Ebba ouvre toutes les fenêtres ; on voit, d'un côté, les campagnes de Rome ; de l'autre, la Cour pontificale, qui attend le moment d'entrer avec les messagers suédois.
                              Maintenant, conduis-moi.
Se soulevant.
Je voudrais voir le ciel... En m'appuyant sur toi,
Je puis aller encore jusqu'à cette fenêtre...
Ah ! qu'il est triste et beau, ce jour qui vient de naître !
Elle tombe sur des coussins.
Qu'il est doux au mourant, ce ciel brillant et pur,
Lorsqu'il devine Dieu par delà son azur...

                              Ebba.
Ma mère !

                              Christine, affaiblie.
          Oh ! si la mort, sans douleur, sans secousse,
Pouvait venir ainsi, qu'elle paraîtrait douce !...
Paula !... Monaldeschi !... Sentinelli !... Mon Dieu,
La couronne,... Stockholm... J'ai froid !... Ma fille,... adieu !...
Pourquoi donc votre main est-elle si glacée ?...
Oh ! ne me quittez pas !... Vous m'avez donc laissée
Mourir seule ?... Je meurs !... Je la vois, elle est là...
La mort !

                              Ebba.
          Ma mère !

                              Christine.
                    Adieu !...

                              Ebba.
                              Seigneur, recevez-la !

                              Christine.
Peut-être...
                    Elle meurt.

                              Ebba, se relevant.
Et maintenant, à tous ouvrez la porte.
Les trois messagers suédois entrent avec la Cour de Rome. De Brahé met à Christine la couronne sur la tête et le sceptre dans la main ; Oxenstiern jette sur elle le manteau royal.

                              Un huissier, au peuple.
Christine-Alessandra, reine de Suède, est morte.

                              Post-scriptum
En supposant que le drame qu'on vient de lire ait eu un succès, ce que les uns nient, ce que les autres affirment, et ce que ignore, trop intéressé qu'il est dans la question pour essayer de la résoudre ; en supposant, dis-je, que ce drame ait réussi, l'auteur est avant tout persuadé que les acteurs ont joué d'une manière si remarquable, qu'ils ont droit de réclamer les trois quarts du succès en litige : sa conscience veut donc qu'avant tout il leur fasse leur part ; ce qui restera sera pour lui, le costumier, les machinistes, le souffleur, etc.
Au milieu d'un ensemble remarquable, quatre rôles principaux, remplis par mesdemoiselles Georges et Alexandrine Noblet, MM. Ligier et Lockroy, ont surtout impressionné le public par la supériorité avec laquelle ils ont été joués.
Mademoiselle Georges, si belle dans la tragédie antique, n'avait point encore donné de gage au drame moderne ; mais elle avait beaucoup joué Corneille, et, si la certitude de la trouver à la fois tragique et naturelle manquait, du moins l'espérance était là. – Et tout ce qu'on espérait a été réalisé. L'auteur n'a donc qu'un regret, plus encore pour elle que pour lui : c'est que le public n'ait pas eu la patience d'écouter l'épilogue, sans lequel la pièce ne lui paraît pas complète, et qui renfermait une scène où mademoiselle Georges aurait, il en est sûr, plus que compensé, par l'admirable talent qu'elle y déployait, l'ennui que ce même public semble avoir plutôt craint qu'éprouvé réellement. Aujourd'hui donc, le drame moderne a dans nos deux premières actrices, Georges et Mars, deux soutiens qui le feront triompher ; et ce qui prouve à la fois leur talent et sa puissance, c'est qu'en leur laissant à toutes deux leur type primitif et original, il a rendu mademoiselle Georges comédienne et mademoiselle Mars tragédienne : chacune d'elles a passé par la route que l'autre avait battue.
Mademoiselle Noblet se trouvait dans une position plus heureuse, car il y a quelque chose de plus difficile que d'apprendre, c'est d'oublier. Les leçons de Firmin avaient déjà détruit en elle le chant et la déclamation du Conservatoire : le contrepoison avait été administré à temps. – Aussi, dans son jeu, nulle trace de travail ; tout est charme, grâce et poésie, soit qu'ardente elle supplie, que menaçante elle effraye, ou que, pale et fantastique comme une ombre, elle entre sans bruit pour écouter des souvenirs où elle n'est pour rien, ou apporter un poison qu'elle doit partager. L'auteur né sait, au reste, s'il lui doit encore quelque chose, le public s'étant chargé de sa dette et l'ayant acquittée.
Quant à Ligier, c'est bien l'homme de fer du Moyen Age, à la cuirasse d'acier et au justaucorps de buffle, au bras nerveux et à l'oeil ardent. Avec une littérature large et forte. s'ouvre à lui un large et fort avenir. Plus heureux que Talma, il aura ce que Talma espérait. Il a recueilli une bonne partie de son héritage, et cependant il était déjà riche.
Près de sa figure basanée et sévère, on n'oubliera pas la figure pâle et poétique de Lockroy : chargé du rôle sinon le plus important, du moins le plus difficile de l'ouvrage, il lui fallait faire accepter à tout un public habitué à voir mourir des héros en héros, l'agonie lâche et vile, mais historique, de Monaldeschi ; il lui fallait tour à tour, comme un serpent, ramper, mordre, et mourir foulé aux pieds. – Toutes ces nuances ont été comprises, parce que, outre le comédien, il y a eu lui l'homme d'esprit et le poète : et l'essai de la vérité vraie, fait aux yeux du public, et accepté par lui, aura un résultat réel pour l'acteur comme gloire, – pour nous tous comme conquête.
Puis, maintenant, une poignée de main amicale et franche à ces jeunes hommes qu'ou disait turbulents et railleurs, pour lesquels ou a essayé d'inspirer tant de craintes à l'auteur, et que cependant il a voulu voir assister à sa première représentation, eu leur ouvrant des portes larges et libres. Ils ont compris qu'il n'était pas juste d'opposer nos gloires séculaires aux essais d'un jeune homme de vingt-six ans ; ils ont approuve ou désapprouve franchement certaines parties de son ouvrage ; mais ils n'ont pas une seule fois humilié une idée neuve, fût-elle étrange, par un rire bas et stupide, car l'oeuvre de la conscience a été jugée avec conscience. Entre lui et eux, c'est au revoir.
                              Alex. Dumas.

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