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Scène 2

                              SCENE II

                              Christine, seule.
Oh ! que c'est un spectacle à faire envie au coeur,
Que voir ce sentiment, de tout autre vainqueur,
Cette ardente amitié qui soi-même s'oublie,
Et que mes courtisans appelleraient folie !
Ce miracle du coeur, Monaldeschi, pour toi,
Peut à la voix de Dieu naître ; – tu n'es pas roi.
Que c'est une effrayante et sombre destinée,
Que celle de cette âme au trône condamnée !
Qui pourrait vivre, aimer, être aimée à son tour ;
Qui, dans elle, sentait palpiter de l'amour,
Et qui voit qu'à ce faîte où le destin la place,
Tous les coeurs sont couverts d'une couche de glace,
Comme au haut d'un grand mont le voyageur lassé,
Part tout brûlant d'en bas, puis arrive glacé.
Sans qu'un éclair de joie un seul instant y brille,
User à le rider son front de jeune fille,
Sentir une couronne en or, en diamant,
Prendre place à ce front d'une bouche d'amant ;
Marcher sur du velours, mais, partout où nous sommes,
Sentir que nous marchons sur la tête des hommes ;
Voir tous ceux sur lesquels nos pieds ne pèsent pas,
Qui relèvent le front, et qui grondent tout bas ;
Deviner, quand de près notre oeil les examine,
Sous chaque habit croise, couvrant chaque poitrine,
Une main qui se cache en cachant un poignard...
César, Ladislas-Six, Henri-Quatre, Stuart !...
La foule,... flot brayant qui mugit et qui roule,
Dès qu'un trône s'élève, ou qu'un trône s'écroule,
La foule, forte, immense, hydre aux cent mille pieds,
Par qui passent les rois constamment épiés,
Qui dans l'ombre sans cesse autour de nous tournoie,
Nous suit de tous ses yeux, et dont chaque oeil flamboie ;
Se dresse devant nous à notre lit de mort,
Et qui, si nous souffrons, soudain crie au remord ;
Bourdonne pour troubler la royale agonie,
Ne nous quitte pas même alors qu'elle est finie ;
Et, sur la tombe fraîche où nous fuyons en vain,
Pour funèbre oraison, ne dit qu'un mot : « Enfin !... »
Voilà ce qu'est régner... A travers la vallée,
Courir en se jouant, bruyante, échevelée,
Vivre d'air, de bonheur, de joie ; à tout moment,
Rire avec des éclats ou pleurer librement ;
Choisir avec son coeur parmi tous un seul homme,
Qu'on aimera ; l'aimer ! – visiter Paris, Rome ;
Etre seule avec soi,... n'avoir pas toujours là,
L'histoire qui vous dit : « Ne faites pas cela. »
N'être plus d'aucun poids au mouvant équilibre
De ce monde... voilà ce que c'est qu'être libre !
                    Elle entend du bruit et se retourne.
                                        A Paula qui entre.
Le prince ?... Ah ! bien ! – Passez dans cet appartement,
Jeune homme, et laissez-nous...
                                        Paula sort.

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