Henri III et sa cour Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Scène 4

                              SCENE IV
Les mêmes, le duc de Guise.
Il est couvert d'une armure complète, précédé de deux pages, et suivi par quatre, dont l'un porte son casque.

                              Henri.
Venez, monsieur le duc, venez... Quelqu'un qui s'est retourné au bruit que faisaient vos pages, et qui vous a aperçu de loin, offrait de parier que vous veniez encore nous supplier de réformer quelque abus, de supprimer quelque impôt... Mon peuple est un peuple bien heureux, mon beau cousin, d'avoir en vous un représentant si infatigable, et en moi un roi si patient !

                              Le duc de Guise.
Il est vrai que Votre Majesté m'a accordé bien des grâces,... et je suis fier d'avoir si souvent servi d'intermédiaire entre elle et ses sujets.

                              Saint-Mégrin, à part.
Oui, comme le faucon entre le chasseur et le gibier...


                              Le duc de Guise.
Mais, aujourd'hui, sire, un motif plus puissant m'amène encore devant Votre Majesté, puisque c'est à la fois des intérêts de son peuple et des siens que j'ai à l'entretenir...

                              Henri.
Si l'affaire est si sérieuse, monsieur le duc, ne pourriez-vous pas attendre nos prochains états de Blois ?... Les trois ordres de la nation ont là des représentants qui, du moins, ont reçu de nous mission de me parler au nom de leurs mandataires.

                              Le duc de Guise.
Votre Majesté voudra-t-elle bien songer que les états de Blois viennent de se dissoudre, et ne se rassembleront qu'au mois de novembre ?...Lorsque le danger est pressant, il me semble qu'un conseil privé...

                              Henri.
Lorsque le danger est pressant !...Mais vous nous effrayez, monsieur de Guise... Eh bien, toutes les personnes qui composent notre conseil privé sont ici... Parlez, monsieur le duc, parlez.
                              Catherine.
Mon fils, permettez que je me retire.

                              Henri.
Non, madame, non ; M. le duc sait bien que nous n'avons rien de caché pour notre auguste mère, et que, dans plus d'une affaire importante, ses conseils nous ont même été d'un utile secours.

                              Le duc de Guise.
Sire, la démarche que je fais près de vous est hardie, peut-être trop hardie... Mais hésiter plus longtemps ne serait par d'un bon et loyal sujet.

                              Henri
Au fait, monsieur le duc, au fait...

                              Le duc de Guise.
Sire, des dépenses immenses, mais nécessaires, puisque Votre Majesté les a faites, ont épuisé le trésor de l'Etat... Jusqu'à présent, Votre Majesté, avec l'aide de ses fidèles sujets, a trouvé moyen de le remplir : Mais cela ne peut durer... L'approbation du Saint-Père a permis d'aliéner pour deux cent mille livres de rente sur les biens du clergé. Un emprunt a été fait aux membres du Parlement sous prétexte de faire sortir les gens de guerre étrangers... Les diamants de la couronne sont en gage pour la sûreté des trois millions dus au duc Casimir... Les deniers destinés aux rentes de l'hôtel de ville ont été détournés pour un autre usage, et les états généraux ont eu l'audace de répondre par un refus, lorsque Votre Majesté a proposé d'aliéner les domaines.

                              Henri.
Oui, oui, monsieur le duc, je sais que nos finances sont en assez mauvais état... Nous prendrons un autre surintendant.

                              Le duc de Guise.
Cette mesure pourrait être suffisante en temps de paix, sire... mais Votre Majesté va se voir contrainte à la guerre. Les huguenots, que votre indulgence encourage, font des progrès effrayants. Favas s'est emparé de la Réole ; Montferrand, de Périgueux ; Condé, de Dijon. Le Navarrois a été vu sous les murs d'Orléans ; la Saintonge, l'Agénois et la Gascogne sont en armes, et les Espagnols, profitant de nos troubles, ont pillé Anvers, brûlé huit cents maisons, et passé sept mille habitants au fil de l'épée.
                              Henri.
Par la mort-Dieu ! si ce que vous me dites là est vrai, il faut châtier les huguenots au dedans et les Espagnols au dehors. Nous ne craignons pas la guerre, mon beau cousin ; et, s'il le fallait, nous irions nous-même sur le tombeau de notre aïeul Louis IX saisir l'oriflamme et nous marcherions à la tête de notre brave armée, au cri de guerre de Jarnac et de Moncontour.

                              Saint-Mégrin.
Et, si l'argent vous manque, sire, votre brave noblesse est là pour rendre à Votre Majesté ce qu'elle a reçu d'elle. Nos maisons, nos terres, nos bijoux peuvent se monnayer, monsieur le duc ; et, vive Dieu ! en fondant les seules broderies de nos manteaux et les chiffres de nos dames, nous aurions de quoi envoyer à l'ennemi, pendant toute une campagne, des balles d'or et des boulets d'argent.

                              Henri.
Vous l'entendez, monsieur le duc ?

                              Le duc de Guise.
Oui, sire. Mais, avant que cette idée vînt à M. le comte de Saint-Mégrin, trente mille de vos braves sujets l'avaient eue ; ils s'étaient engagés par écrit à fournir de l'argent au trésor et des hommes à l'armée ; ce fut le but de la sainte Ligue, sire, et elle le remplira, lorsque le moment en sera venu... Mais je ne puis cacher à Votre Majesté les craintes qu'éprouvent ses fidèles sujets, en ne la voyant pas reconnaître hautement cette grande association.

                              Henri.
Et que faudrait-il faire pour cela ?

                              Le duc de Guise.
Lui nommer un chef, sire, d'une grande maison souveraine, digne de sa confiance et de son amour, par son courage et sa naissance, et qui surtout ait assez fait ses preuves comme bon catholique, pour rassurer les zélés sur la manière dont il agirait dans les circonstances difficiles...

                              Henri.
Par la mort-Dieu ! monsieur le duc, je crois que votre zèle pour notre personne royale est tel, que vous seriez tout prêt à lui épargner l'embarras de chercher bien loin ce chef...
Nous y penserons à loisir, mon beau cousin, nous y penserons à loisir.
                              Le duc de Guise.
Mais Votre Majesté devrait peut-être à l'instant...

                              Henri.
Monsieur le duc, quand je voudrai entendre un prêche, je me ferai huguenot... Messieurs, c'est assez nous occuper des affaires de l'Etat, songeons un peu à nos plaisirs. J'espère que vous avez reçu nos invitations pour ce soir, et que madame de Guise, madame de Montpensier, et vous, mon cousin, voudrez bien embellir notre bal masqué.

                              Saint-Mégrin, montrant la cuirasse du duc.
Votre Majesté ne voit-elle pas que M. le duc est déjà en costume de chercheur d'aventures ?

                              Le duc de Guise.
Et de redresseur de torts, monsieur le comte.

                              Henri.
En effet, mon beau cousin, cet habit me paraît bien chaud pour le temps qui court.
                              Le duc de Guise.
C'est que, pour le temps qui court, sire, mieux vaut une cuirasse d'acier qu'un justaucorps de satin.

                              Saint-Mégrin.
M. le duc croit toujours entendre la balle de Poltrot siffler à ses oreilles.

                              Le duc de Guise.
Quand les balles m'arrivent en face, monsieur le comte montrant sa blessure à la joue, voilà qui fait foi que je ne détourne pas la tête pour les éviter...

                              Joyeuse, prenant sa sarbacane.
C'est ce que nous allons voir...

                              Saint-Mégrin, lui arrachant la sarbacane.
Attends !... il ne sera pas dit qu'un autre que moi en aura fait l'expérience. Lui envoyant une dragée au milieu de la poitrine. Vous, monsieur le duc.

                              Tous.
Bravo ! bravo !
                              Le duc de Guise, portant la main à son poignard.
Malédiction !
Saint-Paul l'arrête.

                              Saint-Paul.
Qu'allez-vous faire !...

                              Henri.
Par la mort-Dieu ! mon cousin de Guise, j'aurais cru que cette belle et bonne cuirasse de Milan était à l'épreuve de la balle...

                              Le duc de Guise.
Et vous aussi, sire !... Qu'ils rendent grâce à la présence de Votre Majesté.

                              Henri.
Oh ! qu'à cela ne tienne, monsieur le duc, qu'à cela ne tienne ; agissez comme si nous n'y étions pas...

                              Le duc de Guise.
Votre Majesté permet donc que je descende jusqu'à lui ?...
                              Henri.
Non, monsieur le duc ; mais je puis l'élever jusqu'à vous... Nous trouverons bien, dans notre beau royaume de France, un fief vacant, pour en doter notre fidèle sujet le comte de Saint-Mégrin.

                              Le duc de Guise.
Vous en êtes le maître, sire... Mais d'ici là ?...

                              Henri.
Eh bien, nous ne vous ferons pas attendre... Comte Paul Estuert, nous te faisons marquis de Caussade.

                              Le duc de Guise.
Je suis duc, sire.

                              Henri.
Comte Paul Estuert, marquis de Caussade, nous te faisons duc de Saint- Mégrin ; et maintenant, monsieur de Guise, répondez-lui... car il est votre égal.

                              Saint-Mégrin.
Merci, sire, merci ; je n'ai pas besoin de cette nouvelle faveur ; et, puisque Votre Majesté ne s'y oppose pas, je veux le défier de manière à ce qu'il s'ensuive combat ou déshonneur... Or, écoutez, messieurs : moi, Paul Estuert, seigneur de Caussade, comte de Saint-Mégrin, à toi, Henri de Lorraine, duc de Guise ; prenons à témoin tous ceux ici présents, que nous te défions au combat à outrance, toi et tous les princes de ta maison, soit à l'épée seule, soit à la dague et au poignard, tant que le coeur battra au corps, tant que la lame tiendra à la poignée ; renonçant d'avance à ta merci, comme tu dois renoncer à la mienne ; et, sur ce, que Dieu et saint Paul me soient en aide ! Jetant son gant. A toi seul, ou à plusieurs !

                              D'Epernon.
Bravo, Saint-Mégrin ! bien défié.

                              Le duc de Guise, montrant le gant.
Saint-Paul...

                              Bussy d'Amboise.
Un instant, messieurs !... un instant ! Moi, Louis de Clermont, seigneur de Bussy d'Amboise, me déclare ici parrain et second de Paul Estuert de Saint- Mégrin ; offrant le combat à outrance à quiconque se déclarera parrain et second de Henri de Lorraine, duc de Guise ; et, comme signe de défi et gage du combat, voici mon gant.

                              Joyeuse.
Vive Dieu ! Bussy, c'est un véritable vol que tu me fais... tu ne m'as pas donné le temps... Mais sois tranquille, si tu es tué...

                              Le duc de Guise.
Saint-Paul ! A part. Tu me provoques trop tard, ton sort est décidé. Haut. Antraguet, tu seras mon second... Vous le voyez, messieurs, je vous fais beau jeu : je vous offre un moyen de venger Quélus... Saint-Paul, tu prépareras mon épée de bal ; elle est juste de la même longueur que l'épée de combat de ces messieurs.

                              Saint-Mégrin.
Vous avez raison, monsieur le duc : cette épée serait bien faible pour entamer une cuirasse aussi prudemment solide que celle-ci... Mais nous pouvons en venir aux mains, nus jusqu'à la ceinture, monsieur le duc, et l'on verra celui dont le coeur battra.

                              Henri.
Assez, messieurs, assez ! nous honorerons le combat de notre présence, et nous le fixons à demain... Maintenant, chacun de vous peut réclamer un don, et, s'il est en notre puissance royale de vous l'accorder, vous serez satisfaits à l'instant... Que veux-tu, Saint-Mégrin ?

                              Saint-Mégrin.
Un égal partage du terrain et du soleil ; pour le reste, je m'en rapporte à Dieu et à mon épée.

                              Henri.
Et vous, monsieur le duc, que demandez-vous ?

                              Le duc de Guise.
La promesse formelle qu'avant le combat Votre Majesté reconnaîtra la Ligue, et nommera son chef. J'ai dit.


                              Henri.
Quoique nous ne nous attendissions pas à cette demande, nous vous l'octroyons, mon beau cousin... Messieurs, puisque M. de Guise nous y force, au lieu du bal masqué de cette nuit, nous aurons un conseil d'Etat... Je vous y convoque tous, messieurs. Quant aux deux champions, nous les invitons à profiter de cet intervalle, pour bien songer au salut de leur âme. Allez, messieurs, allez.

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