Henri III et sa cour Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Scène 5

                              SCENE V
Saint-Mégrin, la duchesse de Guise.

                              Saint-Mégrin.
Elle !... c'est elle !... la voilà... Il s'élance vers elle, puis s'arrête tout à coup. Dieu ! j'ai lu que parfois des magiciens enlevaient au tombeau des corps qui, par la force de leurs enchantements, prenaient la ressemblance d'une personne vivante. Si... Que Dieu me protège ! Ah !... rien ne change... Ce n'est donc pas un prestige, un rêve du ciel... Oh ! son coeur bat à peine !... sa main... elle est glacée !... Catherine ! réveille-toi : ce sommeil m'épouvante ! Catherine !... Elle dort... Que faire ?... Ah ! ce flacon,... j'oubliais...Ma tête est perdue !...
Il lui fait respirer le flacon.

                              La duchesse de Guise.
Ah !...

                              Saint-Mégrin.
Oui, oui,... respire !... lève-toi !... parle, parle !... j'aime mieux entendre ta voix, dût-elle me bannir à jamais de ta présence, que de te voir dormir de ce sommeil froid.

                              La duchesse de Guise.
Ah ! que je suis faible !... Elle se lève en s'appuyant sur la tête de Saint- Mégrin, qui est à ses pieds. J'ai dormi longtemps... Mes femmes... comment s'appellent-elles ?... Apercevant Saint-Mégrin. Ah ! C'est vous, comte ?
Elle lui tend la main.

                              Saint-Mégrin.
Oui... oui...

                              La duchesse de Guise.
Vous !... mais pourquoi vous ? Ce n'était pas vous que j'étais habituée à voir à mon réveil... Mon front est si lourd, que je ne puis y rassembler deux idées...

                              Saint-Mégrin.
Oh ! Catherine, qu'une seule s'y présente, qu'une seule y reste !... celle de mon amour pour toi...


                              La duchesse de Guise.
Oui,... oui,... vous m'aimez... Oh ! depuis longtemps, je m'en suis aperçue... Et moi aussi, je vous aimais, et je vous le cachais... Pourquoi donc ?... Il me semble pourtant qu'il y a bien du bonheur à le dire !...

                              Saint-Mégrin.
Oh ! redis-le donc encore !... redis-le, car il y a bien du bonheur à l'entendre !...

                              La duchesse de Guise.
Mais j'avais un motif pour vous le cacher... Quel était-il donc ?... Ah !... ce n'était pas vous que je devais aimer... Se levant, et oubliant son mouchoir sur le sofa. Sainte Mère de Dieu ! aurais-je dit que je vous aimais ?... Malheureuse que je suis ! mon amour s'est réveillé avant ma raison.

                              Saint-Mégrin.
Catherine ! n'écoute que ton coeur. Tu m'aimes ! tu m'aimes !

                              La duchesse de Guise.
Moi ? Je n'ai pas dit cela, monsieur le comte ; cela n'est pas ; ne croyez pas que cela soit... C'était un songe,... le sommeil,... le... Mais comment se fait-il que je sois ici ?... Quelle est cette chambre ?... Marie !... Madame de Cossé !... Laissez-moi, monsieur de Saint-Mégrin, éloignez-vous.

                              Saint-Mégrin.
M'éloigner ! pourquoi ?

                              La duchesse de Guise.
O mon Dieu ! mon Dieu ! que m'arrive-t-il ?...

                              Saint-Mégrin.
Madame, je me vois ici, je vous y trouve, je ne sais comment... Il y a de l'enchantement, de la magie.

                              La duchesse de Guise.
Je suis perdue !... moi qui jusqu'à présent vous ai fui, moi que déjà les soupçons de M. de Guise, mon seigneur et maître...

                              Saint-Mégrin.
M. de Guise !... mille damnations !... M. de Guise, votre seigneur et maître !... Oh ! puisse-t-il ne pas vous soupçonner à tort... et que tout son sang... tout le mien...

                              La duchesse de Guise.
Monsieur le comte, vous m'effrayez.

                              Saint-Mégrin.
Pardon !... mais quand je pense que je pouvais vous connaître libre, être aimé de vous, devenir aussi votre seigneur et maître... Il me fait bien mal, M. de Guise ; mais que mon bon ange me manque au jour du jugement si je ne le lui rends pas.

                              La duchesse de Guise.
Monsieur le comte !... Mais enfin... où suis-je ? dites-le moi... Aidez-moi à sortir d'ici, à me rendre à l'hôtel de Guise, et je vous pardonne...

                              Saint-Mégrin.
Me pardonner ! et quel est donc mon crime ?


                              La duchesse de Guise.
Je suis ici et vous me le demandez... Vous avez profité de son sommeil pour enlever une femme qui vous est étrangère, qui ne peut vous aimer, qui ne vous aime pas, monsieur le comte...

                              Saint-Mégrin.
Qui ne m'aime pas !... Ah ! madame, on n'aime pas comme j'aime, pour ne pas être aimé. J'en crois vos premières paroles, j'en crois...

                              La duchesse de Guise.
Silence !

                              Saint-Mégrin.
Ne craignez rien.

                              Joyeuse, dans l'antichambre.
Vive Dieu !... nous sommes en sentinelle, et on ne passe pas...

                              Le duc de Guise, derrière le théâtre.
Tête-Dieu ! messieurs, prenez garde, en croyant jouer avec un renard, d'éveiller un lion...

                              La duchesse de Guise.
Sainte Marie !... c'est la voix du duc de Guise !... Où fuir ? Où me cacher ?

                              Saint-Mégrin, s'élançant vers la porte.
C'est le duc de Guise ?... Eh bien...

                              La duchesse de Guise.
Arrêtez, monsieur, au nom du ciel ! vous me perdez.

                              Saint-Mégrin.
C'est vrai...
Il court à la porte, passe entre les deux anneaux de fer la barre qui sert de verrou.

                              Ruggieri, entrant et prenant la duchesse par la main.
Silence, madame... Suivez-moi...
Il ouvre la porte secrète : la duchesse de Guise s'y élance, Ruggieri la suit ; la porte se referme derrière eux.

                              Le duc de Guise, avec impatience.
Messieurs !...

                              D'Epernon.
Ne trouves-tu pas qu'il a un petit accent lorrain tout à fait agréable ?...

                              Saint-Mégrin, se retournant.
Maintenant, madame,... nous pouvons... Eh bien, où est-elle ?... Tout cela ne serait-il pas l'oeuvre du démon ? Que croire ? Oh ! ma tête ! ma tête !... Maintenant, qu'il entre.
Il ouvre la porte.

                              Le duc de Guise, entrant.
J'aurais dû deviner, par ceux de l'antichambre, celui qui me ferait les honneurs de l'appartement...

                              Saint-Mégrin.
Ne vous en prenez qu'à la circonstance, monsieur le duc, si je ne profite pas de ce moment pour vous rendre tous ceux dont je vous crois digne... Cela viendra, je l'espère...

                              Joyeuse.
Comment, Saint-Mégrin, c'est le Balafré lui-même ?

                              Saint-Mégrin.
Oui, oui, messieurs, c'est lui...Mais il se fait tard ; partons ! partons !
                                                                      Ils sortent.

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