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Acte premier, deuxième tableau


L'entrée des Carmes déchaux. Un pré aride; vieux bâtiments sans fenêtres; sur le côté, fond vague de maisons.

SCèNE PREMIèRE

ATHOS, D'ARTAGNAN.

ATHOS, assis sur une borne.
Personne ! Mon Gascon ne viendrait il pas ?... Attendons.

D'ARTAGNAN, arrivant tout essoufflé.
Ah ! monsieur, vous êtes le premier au rendez vous. Excusez moi; c'est que j'ai tant couru, et pour ne rien trouver... Ouf !

ATHOS
Il n'est pas midi, monsieur, vous n'êtes donc pas en retard...

D'ARTAGNAN
Voilà midi qui sonne

ATHOS
Monsieur, j'ai fait prévenir deux de mes amis qui me serviront de seconds; mais ces deux amis ne sont pas encore venus; du reste, je ne vois pas non plus les vôtres!...

D'ARTAGNAN
Je n'en ai pas, monsieur; arrivé seulement d'hier à Paris, je n'y connais personne, que M. de Tréville... et encore...

ATHOS
Vous ne connaissez personne ?... Ah çà ! mais, si je vous tuais, par malheur, j'aurais l'air d'un mangeur d'enfants... moi!...

D'ARTAGNAN
Pas trop, monsieur; puis vous avez du désavantage, puisque vous me faites l'honneur de tirer l'épée contre moi avec une blessure dont vous devez être fort incommodé

ATHOS
Très incommodé, sur ma parole ! vous m'avez fait un mal du diable!... mais, si je suis trop fatigué de la main droite, je prendrai la main gauche; c'est mon habitude en pareille occasion... Oh ! je ne vous fais pas de grâce, je tire aussi bien d'une main que de l'autre... et l'avantage est même pour moi: un gaucher, c'est très gênant pour les gens qui n'en ont pas l'habitude.

D'ARTAGNAN
Oh ! monsieur, ne vous occupez pas de moi, je vous prie!... je n'en vaux pas la peine... Causons de vous.

ATHOS
Vous me rendez confus... Mais ces messieurs ne viennent pas... Ah ! sang Dieu, que vous m'avez fait mal!... L'épaule me brûle.

D'ARTAGNAN
Si vous vouliez permettre, monsieur, j'ai un baume miraculeux pour les blessures... un baume qui vient de ma mère; je vous en ferais part, je suis sûr qu'en trois jours, ce baume vous guérirait.

ATHOS
Eh bien ?

D'ARTAGNAN
Eh bien, au bout de trois jours, quand vous seriez guéri, ce me serait toujours un grand honneur d'être votre homme.

ATHOS
Parbleu ! voilà une proposition qui me plaît, elle sent son homme de cœur... Merci ! Mais, d'ici à trois jours, voyez-vous, monsieur, le cardinal ou ses gens sauraient que nous devons nous battre, et l'on s'opposerait à notre combat... Ah ! mais ces flâneurs n'arrivent pas...

D'ARTAGNAN
Si vous êtes pressé, monsieur, et qu'il vous plaise de m'expédier tout de suite, je vous en prie, ne vous gênez pas.

ATHOS
Voilà encore un mot qui m'est agréable; il est bien dit, il n'est pas d'un homme sans cervelle. Monsieur, j'aime les gens de votre trempe; et, si nous ne nous entretuons pas aujourd'hui, je crois que, plus tard, j'aurai un véritable plaisir dans votre conversation... Ah ! voici un de mes hommes.

D'ARTAGNAN
Quoi ! M. Porthos ?...

ATHOS
Cela vous contrarie ?...

D'ARTAGNAN
Nullement.


SCèNE II

Les mêmes, PORTHOS, ARAMIS.

PORTHOS
Ah ! qu'est ce que je vois ?_

ATHOS
C'est avec monsieur que je me bats.

PORTHOS
Et moi aussi !

ATHOS
Vous aussi ?...

D'ARTAGNAN
A une heure!...

ARAMIS, arrivant.
Et moi aussi!... je me bats avec ce monsieur...

D'ARTAGNAN
A deux heures!...

ARAMIS
C'est vrai... Mais pourquoi vous battez vous, Athos ?

ATHOS
Ma foi, je ne sais pas... Il m'a fait mal à l'épaule. Et vous, Porthos ! pourquoi vous battez vous contre ce jeune homme ?

PORTHOS
Je me bats, parce que... je me bats.

D'ARTAGNAN
Une discussion sur la toilette.

ATHOS
Mais vous, Aramis, qu'avez vous eu avec lui ?...

ARAMIS
Un point de controverse. (A d'Artagnan.) Monsieur ?...

D'ARTAGNAN
A propos de saint Augustin, oui...

ATHOS, à part.
C'est un garçon d'esprit, décidément !

PORTHOS
çà, prenons notre tour.

D'ARTAGNAN
Un moment, messieurs; à présent que vous êtes réunis, permettez moi de vous faire mes excuses...

Tous
Oh ! Oh !

D'ARTAGNAN
Vous ne me comprenez pas... Je m'excuse d'une seule chose, c'est de ne pouvoir vous payer ma dette à tous trois. En effet, M. Athos a le droit de me tuer le premier; ce qui ôte beaucoup de valeur à votre créance, monsieur Porthos, et rend la vôtre à peu près nulle, monsieur Aramis... Je ferai donc banqueroute à l'un de vous, à deux peut être ... Voilà de quoi je m'excusais, rien que de cela... Maintenant, messieurs, quand vous voudrez!...

ATHOS
A la bonne heure !...

D'ARTAGNAN
J'y crèverai ! mais, les cent mousquetaires y fussent ils ensemble, je ne romprai pas d'une semelle. (Ils dégainent.)

ATHOS
Vous avez pris la mauvaise place; vous avez le soleil dans les yeux.

D'ARTAGNAN
Bah ! je le connais... Je suis du Midi. (ils engagent le fer.)

SCèNE III

Les mêmes, JUSSAC, BISCARAT, DE WINTER,

CAHUSAC, Gardes.

JUSSAC
Oh ! oh ! mousquetaires ! on se bat donc par ici ? Et les édits, qu'en faisons nous ?...

ATHOS
Jussac !...

PORTHOS
Les gens du cardinal!...

ARAMIS
L'épée au fourreau!...

JUSSAC
Il est trop tard !

ATHOS
Eh ! messieurs, de quoi vous mêlez vous ?... Si nous vous voyions vous battre, vous tuer, je vous réponds que nous ne vous en empêcherions pas...

BISCARAT
Toujours aimables... Les leçons ne vous profitent pas, il paraît ?

ARAMIS
Ah ! monsieur de Biscarat, vous vous rappelez que nous avons une partie liée.

JUSSAC
Encore des provocations!... Nous sommes en service, messieurs; rengainez, mille diables ! et suivez nous!...

ARAMIS
Impossible d'obéir à votre gracieuse invitation... M. de Tréville nous l'a défendu...

JUSSAC
C'est comme cela ?...

ATHOS
Mais oui ! c'est comme cela...

JUSSAC
Eh bien, si vous n'obéissez pas...

ATHOS
Quoi ?

JUSSAC
Vous allez voir ! Attention, vous autres ! Monsieur de Winter, vous n'êtes pas à M. le cardinal, vous... vous êtes Anglais. Si vous voulez vous abstenir...

DE WINTER
Non, messieurs, je ne suis pas à M. le cardinal; mais ma sœur, lady de Winter, est des amies de Son Eminence... Je suis Anglais, c'est vrai, mais raison de plus pour que je montre à des Français qu'on se bat bien en Angleterre comme en France, et, comme ma promenade m'a conduit ici, ce que vous y ferez, je le ferai.

ATHOS, à ses amis.
Ils sont cinq, nous sommes trois, nous serons encore battus et il nous faudra mourir ici. çà, je vous déclare que je ne reparais pas vaincu devant le capitaine...

PORTHOS
Ni moi!...

ARAMIS
Ni moi!...

D'ARTAGNAN, dans un coin.
Voici le moment de prendre son parti; si je ne me trompe, c'est là un de ces événements qui décident de la vie d'un homme... Il s'agit de choisir entre le roi et le cardinal... C'est un triste ami que le roi, c'est un rude ennemi que le cardinal... Ah ! bah ! J'ai le cœur mousquetaire... tant pis!... Pardon, messieurs...

ATHOS
Quoi ?...

D'ARTAGNAN
Vous venez de vous tromper, tout à l'heure, en disant que vous n'étiez que trois...

ARAMIS
Mais non...

PORTHOS
Nous sommes trois...

JUSSAC
Diantre ! est ce qu'ils prennent du renfort ? Allons, vous autres ! l'épée à la main sur une ligne... Vous, beau Gascon, déguerpissez!... nous vous donnons la clef des champs... Sauvez votre peau !

BISCARAT
Vous ferez sagement, car il va pleuvoir des coups d'épée...

D'ARTAGNAN
Eh bien, il en pleuvra pour tout le monde; je reste...

ATHOS
Vous vous mettez avec nous contre eux ?... vous, notre ennemi ? C'est beau!... mais...

D'ARTAGNAN
Oui... je vois, vous vous demandez si je vaux mon homme.
Essayez, essayez toujours; j'en ferai bien assez pour me faire tuer proprement.

ATHOS
Allons, vous êtes un joli garçon... Comment vous appelle-t on ?

D'ARTAGNAN
D'Artagnan.

ATHOS
Eh bien, Athos, Porthos, Aramis et d'Artagnan, en avant !

JUSSAC
Ah ! c'est cela que vous décidez ? Eh bien, nous autres, en avant, en avant !

Tous
En avant !
(Combat général.)

D'ARTAGNAN, après avoir engagé le fer avec Jussac, à de Winter.
Si vous voulez, il y a place pour tout le monde.

DE WINTER
Non... Je remplacerai le premier qui sera blessé.

PORTHOS, à Cahusac
Est ce que je n'entends pas sonner midi et demi, monsieur de Cahusac ?

CAHUSAC
Fanfaron !

PORTHOS
Vous avez là une jolie lame, mon cher !

ARAMIS, à Biscarat.
Biscarat, je vous devais celle là. (Il le tue.) A un autre.

JUSSAC
C'est un jeu de province que vous avez là.

D'ARTAGNAN
Un jeu de Gascon, oui, monsieur.
(Il le blesse.)

ATHOS, à Aramis.
Il va bien, le d'Artagnan !

ARAMIS
Et vous, Athos ?

ATHOS
Moi... moi... je souffre ! mais je m'échauffe.

D'ARTAGNAN
Attendez moi un peu.

JUSSAC
Il est charmant, lui...

D'ARTAGNAN
N'est ce pas ?... Allez ! (Il renverse Jussac.) C'est une botte de M. d'Artagnan père... Monsieur de Winter, je suis à vos ordres.

ATHOS
Laissez moi celui là, c'est celui qui m'a blessé hier (Il désarme un des Gardes.)

PORTHOS, touchant son homme.
Trois à quatre.

ATHOS, au Garde qu'il vient de désarmer.
Rendez vous !

D'ARTAGNAN, à de Winter.
Je vous tue !

DE WINTER
Tuez !

D'ARTAGNAN
Ma foi, non... Vous me faites l'effet d'un brave Anglais, vous vivrez.

DE WINTER
Merci ! Votre nom, monsieur ? votre adresse ?

D'ARTAGNAN
Si c'est pour recommencer, je suis là, recommençons tout de suite.

DE WINTER
Non, monsieur, c'est pour vous remercier; c'est pour présenter à ma sœur un galant homme à qui je dois la vie; ainsi, votre nom, votre adresse ?

D'ARTAGNAN
M. le chevalier d'Artagnan, rue des Fossoyeurs.

DE WINTER
Monsieur, recevez tous mes compliments. Au revoir

PORTHOS
Ah ! ah ! voilà une revanche !

D'ARTAGNAN, voyant que les Mousquetaires partent sans lui.
Et moi ?

ATHOS
Vous ?... toi ? Embrasse moi, et ne me fais pas mal à l'épaule.
(Aramis et Porthos embrassent d'Artagnan.)

D'ARTAGNAN
Nous sommes donc amis ?

ATHOS
A la vie ! à la mort !

TOUS
A la vie ! à la mort !

ATHOS
Seulement, te voilà brouillé avec M. le cardinal.

D'ARTAGNAN
Ah ! bah ! si je suis reçu apprenti mousquetaire. M. le cardinal n'est pas mon oncle.

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