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Chapitre XXV
Jean de Procida

Vers la fin de l'année 1268, il y avait à Salerne un noble sicilien qui s'appelait Jean, et qui était seigneur de l'île de Procida; aussi était-il généralement connu sous le nom de Jean de Procida. Jean pouvait alors être âgé de trente-quatre ou trente-cinq ans.
Quoique jeune encore, sa réputation était grande, non seulement dans la noblesse, car, outre sa seigneurie de Procida, il était encore seigneur de Tramonte et du Cajano, de son chef, et du chef de sa femme seigneur de Pistiglioni, mais dans les armes, car il avait combattu avec Frédéric, et dans l'administration, car il avait fait exécuter le port de Palerme. Enfin son nom n'était pas moins illustre dans les sciences: en effet, Jean s'était adonné tout particulièrement à la médecine, et il avait guéri des maladies que les plus grands mires de l'époque regardaient comme incurables.
A la mort de Manfred, dont il était grand-protonotaire, il s'était rallié à Charles d'Anjou, qui l'avait fait membre de son conseil; mais, soit, comme le disent les uns, qu'il se fût aperçu que Charles d'Anjou était l'amant de sa femme Pandolfina, soit que la mort tragique de Conradin l'eût détaché de son nouveau roi, il quitta Salerne et passa en Sicile sans que ce départ fît naître aucun soupçon, car il était déjà absent depuis deux ans lorsque Charles d'Anjou, au moment de partir lui-même pour Tunis avec Louis IX son frère, permit à deux de ses favoris nommés, l'un Gautier Carracciolo, et l'autre Manfredo Commacello, d'aller le consulter sur une maladie dont ils étaient atteints.
On connaît le résultat de la croisade: Louis IX, se fiant au Dieu pour lequel il s'était armé, débarqua sur le rivage d'Afrique au moment des grandes chaleurs, sans attendre, comme le lui avait conseillé son frère, que les pluies les eussent tempérées. La peste se mit dans l'armée, et le héros chrétien mourut martyr le 25 août 1270.
Charles d'Anjou prit le commandement de l'armée, alla assiéger Tunis; mais, au lieu d'y presser le roi maure à la dernière extrémité, comme le demandaient peut-être et la mémoire de son frère et l'intérêt de l'église, il traita avec lui à la condition qu'il se reconnaîtrait tributaire de la Sicile, et, ramenant ses vaisseaux vers son royaume, au lieu de les conduire à Jérusalem, il débarqua à Trapani au milieu d'une effroyable tempête. Déclarant alors que la croisade était finie, il invita chaque prince à rentrer dans ses états, et donna l'exemple lui-même en faisant voile pour Naples, sa capitale.
Cependant Jean de Procida, après avoir parcouru toute la Sicile et s'être assuré que chacun, depuis le plus petit jusqu'au plus grand, y gardait un coeur sicilien, avait cherché sur tous les trônes d'Europe quel était le prince qui avait à la fois le plus de droits et d'intérêt à renverser Charles d'Anjou du trône de Naples et de Sicile, et il avait reconnu que c'était don Pierre d'Aragon, gendre de Manfred, et cousin du jeune Conradin, qui venait d'être si cruellement mis à mort sur la place du Marché-Neuf, à Naples.
Il s'était donc rendu à Barcelone, où il avait trouvé le roi don Pierre et la reine, sa femme, fort douloureusement attristés de cette destruction qui s'était mise dans leur famille.
Mais don Pierre était un prince sage qui ne faisait rien que gravement et sûrement; il avait reçu, avec de grands honneurs, Henri d'Apifero, qui lui avait apporté le gant de Conradin, et, quoique dès cette époque sa résolution eût sans doute été prise, il s'était contenté de suspendre ce gant au pied de son lit, entre son épée et son poignard, mais sans rien dire ni sans rien promettre. Au reste, il avait offert à Henri d'Apifero de rester à sa cour, lui promettant qu'il y serait traité à l'égal des plus grands seigneurs de Castille, de Valence et d'Aragon. Henri y était resté trois ans, espérant que le roi don Pierre prendrait quelque parti hostile à l'égard de Charles d'Anjou; mais, malgré les pleurs de sa femme Constance, malgré la présence accusatrice de Henri, il ne lui avait plus parlé de la cause de son voyage; et le chevalier, croyant qu'il l'avait oubliée, s'était retiré sans rien dire, et était monté sur un vaisseau qui s'en allait en croisade.
Ce fut quelque temps après son départ que Jean de Procida arriva.
Jean demanda une audience au roi don Pierre, et l'obtint aussitôt, car sa réputation s'était étendue jusqu'en Castille, et l'on savait à la fois que c'était un vaillant homme d'armes, un loyal conseiller et un grand médecin. Il dit à don Pierre tout ce qu'il venait de voir de ses propres yeux, et comment la Sicile était prête à se révolter. Le roi d'Aragon l'écouta d'un bout à l'autre sans rien dire, et, lorsqu'il eut fini, le conduisant dans sa chambre, il lui montra pour toute réponse le gant de Conradin cloué au pied de son lit, entre son poignard et son épée.
C'était une réponse; si claire qu'elle fût cependant, elle n'était point assez précise pour Jean de Procida. Aussi, quelques jours après, sollicita-t-il une nouvelle audience, et, plus hardi cette fois que la première, pressa-t-il don Pierre de s'expliquer. Mais don Pierre, qui, comme le dit son historien Ramon de Muntaneo, était un prince qui songeait toujours au commencement, au milieu et à la fin, se contenta de lui répondre qu'avant de rien entreprendre, un roi devait songer à trois choses:
1° Ce qui pouvait l'aider ou le contrarier dans son entreprise;
2° Où il trouverait l'argent nécessaire à son entreprise;
3° Ne se fier qu'à des gens qui lui garderaient le secret sur cette entreprise.
Procida, qui était un homme sage, répondit qu'il reconnaissait la vérité de cette maxime, et que des trois choses qu'exigeait don Pierre il faisait sa propre affaire.
En conséquence, rien de plus, pour cette fois, ne fut dit ni fait entre don Pierre d'Aragon et Jean de Procida; et, le lendemain de cette entrevue, Jean de Procida s'embarqua sur un navire, sans dire où il allait ni quand il reviendrait.
En effet, la position du roi don Pierre était difficile, et il avait raison d'être inquiet sur les trois points qu'il avait indiqués.
L'Occident ne lui offrait point d'allié contre Charles d'Anjou, ses coffres étaient vides, et s'il transpirait la moindre chose de son projet de détrôner le roi de Sicile, les papes qui le soutenaient ne pouvaient manquer de l'excommunier, comme ils avaient fait de Frédéric, de Manfred et de Conradin. Or, tous trois avaient fini fort piteusement: Frédéric par le poison, Manfred par le fer, et Conradin sur l'échafaud.
De plus, il y avait liaison fort intime entre le roi don Pierre et le roi Philippe le Hardi, son beau-frère. Lorsque le premier n'était encore qu'enfant, il était venu à la cour de France, où il avait été reçu avec grand honneur, et où il était resté deux mois, prenant part à tous les jeux et tournois qui avaient été célébrés à l'occasion de son arrivée. Pendant ces deux mois, une telle intimité s'était formée entre les deux princes, qu'ils s'étaient mutuellement prêté foi et hommage, s'étaient juré qu'ils ne s'armeraient jamais l'un contre l'autre en faveur de qui que ce fût au monde, et, en garantie de ce serment, avaient communié tous deux de la même hostie.
Jusque-là, cette amitié s'était maintenue inaltérable, et souvent, en signe de cette amitié, le roi d'Aragon portait à la selle de son cheval, sur un canton, les armes de France, et sur l'autre les armes d'Aragon; ce que faisait aussi le roi de France.
Or déclarer la guerre à Charles d'Anjou, oncle du roi Philippe le Hardi, n'était-ce pas violer le premier de tous les serments jurés?
Cependant, au moment où, comme on le voit, les choses paraissaient impossibles à mener à bien, Dieu permit qu'elles s'arrangeassent pour le plus grand bonheur de la Sicile.
Michel Paléologue, grand-connétable et grand domestique de l'empereur grec à Nicée, venait de déposer l'empereur Jean IV, lui avait fait crever les yeux comme c'était l'habitude, puis, ayant marché sur Constantinople, il en avait chassé les Francs qui y régnaient depuis l'an 1204, c'est-à-dire depuis cinquante-six ans.
C'était Beaudoin II qui était alors empereur, Beaudoin dont le fils Philippe était marié à Béatrix d'Anjou, fille du roi de Naples.
Charles d'Anjou, débarrassé de ses deux rivaux, voyant son double royaume à peu près en paix, avait tourné les yeux vers l'Orient, et, rêvant un immense royaume franc qui ceindrait la moitié de la Méditerranée, il avait fait alliance avec les princes de Morée, et avait résolu de renverser Paléologue. En conséquence, il préparait, à la grande terreur de ce dernier, une foule de vaisseaux, de nefs et de galères, qu'il disait tout haut être destinés à une expédition dont le but était de rétablir son gendre Philippe sur le trône de Constantinople.
L'empereur, de son côté, était occupé à se prémunir contre cette entreprise; il avait levé des contributions et des troupes par tout l'empire, il faisait construire des vaisseaux, il faisait réparer ses ports, et cependant toutes ces précautions ne le rassuraient pas, car il savait à quel terrible ennemi il avait affaire, lorsqu'on lui annonça tout à coup qu'un moine franciscain, arrivant de Sicile, demandait à lui parler pour choses de la plus haute importance.
L'empereur ordonna aussitôt qu'il fût introduit, et cet ordre exécuté, Paléologue et l'inconnu se trouvèrent en face l'un de l'autre.
L'empereur était défiant comme un Grec; aussi, se tenant à distance du moine:
-Mon père, lui demanda-t-il, que me voulez-vous?
-Très noble empereur, répondit le moine, ordonnez; je vous demande au nom du Seigneur Dieu que je puisse vous accompagner en quelque lieu secret où ce que j'ai à vous dire ne soit entendu de personne.
-Que voulez-vous donc me dire de si particulier?
-Je veux vous entretenir de la plus grande affaire que vous ayez au monde.
-D'abord, qui êtes-vous? demanda l'empereur.
-Je suis Jean, seigneur de Procida, répondit le moine.
-Venez donc et suivez-moi, dit l'empereur.

Et ils montèrent aussitôt sur la plus haute tour du palais, et quand ils furent arrivés sur la plate-forme:
-Seigneur Jean de Procida, dit l'empereur en lui montrant le vide qui les environnait de tous côtés, nous n'avons ici que Dieu qui puisse nous entendre; parlez donc en toute sécurité.
-Très noble empereur, lui répondit Jean, ne sais-tu pas que le roi Charles a juré sur le Christ de t'enlever ta couronne, de te tuer toi et les tiens, comme il a tué le noble roi Manfred et le gentil seigneur Conradin, et qu'en conséquence, avant qu'il soit un an, il va se mettre en route pour conquérir ton royaume, avec cent vingt galères armées, trente gros vaisseaux, quarante comtes et dix mille cavaliers, et une foule de croisés chrétiens?
-Hélas! dit l'empereur, messire Jean, que voulez-vous? Oui, je le sais, et j'en vis comme un homme désespéré; j'ai déjà voulu m'arranger plusieurs fois avec le roi Charles, et jamais il n'a voulu entendre à rien. Je me suis mis au pouvoir de la sainte église de Rome, de nos seigneurs les cardinaux et de notre saint-père le pape; je me suis mis entre les mains du roi de France, du roi d'Angleterre, du roi d'Espagne et du roi d'Aragon, et chacun me répond verbalement aux lettres que je lui envoie qu'il craint de mourir rien que d'en parler, tant est grande la puissance de ce terrible roi Charles. C'est pourquoi je n'attends ni conseils, ni secours des hommes, et je n'espère plus qu'en Dieu, puisque, malgré tout ce que j'ai pu faire, je ne trouve dans les chrétiens ni aide ni conseil.
-Eh bien! dit Jean de Procida, celui qui te délivrerait de cette grande crainte qui te tient, le regarderais-tu comme digne de quelque récompense?
-Il mériterait tout ce que je pourrais faire, s'écria l'empereur. Mais qui serait assez hardi pour penser à moi de sa seule et bonne volonté? qui serait assez puissant pour faire la guerre pour moi à la puissance du roi Charles?
-Ce sera moi, répondit Jean de Procida.

Et l'empereur le regarda avec étonnement et lui demanda:
-Comment ferez-vous pour achever, vous, simple seigneur, ce que n'osent même entreprendre les plus puissants rois de la terre?
-Cela me regarde, répondit Jean; sachez seulement que je tiens la chose pour sûre et certaine.
-Dites-moi donc alors comment vous comptez vous y prendre? demanda l'empereur.
-Sauf votre respect, répondit Jean, je ne vous le dirai point que vous ne m'ayez promis 100 000 onces.
-Et avec les 100 000 onces, que ferez-vous?
-Ce que je ferai? dit Procida: je ferai venir quelqu'un qui prendra la terre de Sicile au roi Charles, et qui lui donnera tant à faire qu'il en aura pour tout le reste de ses jours à se débarrasser de lui.
-Si tu es en état de tenir ce que tu me promets, répondit l'empereur, ce n'est pas 100 000 onces seulement que je te donnerai, mais ce sont tous mes trésors dont tu peux disposer.

Et Jean de Procida dit alors:
-Seigneur empereur, signez-moi donc une lettre par laquelle vous me donnerez créance près de tel souverain qui me conviendra, et dans laquelle vous vous engagerez à me payer 100 000 onces en trois paiements: le premier pour commencer l'entreprise, le second quand elle sera en son milieu, et le troisième quand elle aura eu bonne fin.
-Descendons dans mon cabinet, répondit l'empereur, et à l'instant même je vous ferai écrire et sceller cette lettre.
-Avec votre permission, très noble empereur, reprit Jean, mieux vaut que vous m'écriviez cette lettre de votre main, et que vous la scelliez vous-même, car outre qu'étant toute de votre écriture elle aura un plus grand crédit, nul ne saura que nous deux ce qui se sera passé entre vous et moi.
-Vous avez raison, dît l'empereur, et je vois que ce n'est point à tort que vous vous êtes fait la réputation d'un sage et vaillant homme.

Alors ils descendirent tous deux dans le cabinet particulier de l'empereur, qui écrivit la lettre de sa main, la scella lui-même, et la remit à messire Jean de Procida.
-Et maintenant, pour plus grande sûreté encore, répondit messire Jean, il faut que vous me fassiez chasser de vos états, comme si j'avais commis quelque méchante action, car, de cette façon, personne ne se doutera, même vos plus intimes, qu'il y ait alliance entre vous et moi.

L'empereur approuva ce projet, et le lendemain messire Jean de Procida fut
arrêté publiquement et reconduit hors de l'empire. Puis, lorsqu'on demanda
ce qu'avait fait ce moine inconnu, on répondit qu'il était venu de la part
du roi Charles pour empoisonner l'empereur de Constantinople,
Le vaisseau qui emmenait Jean de Procida le déposa à Malte, d'où il prit une barque et gagna la Sicile.
A peine y eut-il mis le pied, qu'évitant les côtes, qui étaient gardées par les Angevins, il pénétra dans l'intérieur des terres et s'en alla trouver, toujours vêtu en franciscain, messire Palmieri Abbate et plusieurs autres barons de Sicile aussi puissants et aussi patriotes que lui.
Puis, les ayant rassemblés, il leur dit:
-Misérables que vous êtes, vendus comme des chiens et traités comme des chiens, ne vous lasserez-vous donc jamais d'être des esclaves et de vivre comme des animaux, quand vous pouvez être des seigneurs et vivre comme des hommes? Allez, nous n'êtes pas dignes que Dieu vous regarde en pitié, puisque vous n'avez pas pitié de vous-mêmes.

Alors, tous répondirent d'une seule voix:
-Hélas! messire Jean de Procida, comment pouvons-nous faire autrement que nous faisons, nous qui sommes soumis à des maîtres puissants comme jamais il n'y en eut au monde? Tout au contraire, il nous semble que, quelque effort que nous fassions, nous ne sortirons jamais d'esclavage.
-Eh bien donc! dit Procida, puisque vous n'avez pas le courage de vous délivrer vous-mêmes, je vous délivrerai, moi, pourvu que vous vouliez faire ce que je vous dirai.

Et tous tombèrent à genoux devant Jean de Procida, l'appelant leur sauveur et leur second Christ, et lui demandant ce qu'ils avaient à faire pour le seconder.
-Il faut, dit Jean de Procida, retourner dans vos terres, armer vos vassaux, et leur dire de se tenir prêts à un signal. Quand le temps sera venu, je vous donnerai ce signal, et vous, vous le transmettrez à vos vassaux.
-Mais, dirent les seigneurs, comment pouvons-nous entreprendre une pareille chose sans argent et sans appui?
-Quant à l'argent je l'ai déjà, dit Procida; et quant à l'appui, je l'aurai bientôt, si vous voulez écrire la lettre que je vais vous dicter.

Tous répondirent qu'ils étaient prêts, et Jean de Procida dicta la lettre suivante:
«Au magnifique, illustre et puissant seigneur, roi d'Aragon et comte de Barcelone.
«Nous nous recommandons tous à votre grâce. Et d'abord messire Alaimo, comte de Lentini, puis messire Palmieri Abbate, puis messire Gualtieri de Galata Girone, et tous les autres barons de l'île de Sicile, nous vous saluons avec toute révérence, en vous priant d'avoir pitié de nos personnes, comme vendus et assujettis à l'égal des bêtes.
«Nous nous recommandons à votre seigneurie et à madame votre épouse, qui est notre maîtresse, et à laquelle nous devons porter allégeance.
«Nous vous envoyons prier de daigner nous délivrer, retirer et arracher des mains de nos ennemis, qui sont aussi les vôtres, de même que Moïse délivra le peuple des mains de Pharaon.
«Croyez donc, magnifique, illustre et puissant seigneur roi, à notre
dévouement et à notre reconnaissance, et, pour tout ce qui n'est point
porté en cette lettre, rapportez-vous-en à ce que vous dira messire Jean de
Procida.»
Puis ils signèrent cette lettre, et, l'ayant scellée de leurs sceaux, ils la remirent à messire Jean de Procida, qui la joignit à celle qu'il avait déjà reçue de Michel Paléologue, et qui, se remettant en voyage, partit aussitôt pour Rome.
Nicolas III de la maison des Ursins régnait alors: c'était un homme d'une volonté forte et pervévérante, qui voulait fixer authentiquement le pouvoir temporel de la tiare, et qui, en conséquence, après avoir fait tous ses parents princes, avait cherché pour eux des alliances dans les plus puissantes maisons d'Europe; il avait donc fait demander à Charles d'Anjou la main de sa fille pour un de ses neveux; mais Charles d'Anjou avait dédaigneusement refusé.
De là était née dans le coeur du saint-père une haine secrète, mais profonde, qui lui faisait oublier ce qu'il devait à ses prédécesseurs, Urbain IV et Clément IV.
Jean de Procida connaissait cette haine, et il comptait sur elle pour rallier le pape au parti de la Sicile.
Arrivé à Rome, toujours sous sa robe de franciscain, il fit donc demander au pape une audience; le pape, qui le connaissait de réputation, la lui accorda aussitôt.
A peine Procida se vit-il en présence du saint-père, que, reconnaissant à la manière gracieuse dont il le recevait que ses intentions étaient bonnes à son égard, il lui demanda à lui parler dans un lieu plus secret que celui où ils se trouvaient: le pape y consentit volontiers, et, ouvrant lui-même la porte d'une chambre retirée qui lui servait d'oratoire, il y introduisit Jean de Procida.
Puis, y étant entré à son tour, il ferma la porte derrière lui.
Alors, Jean de Procida regarda autour de lui, et voyant qu'effectivement nul regard ne pouvait pénétrer jusqu'où il était, il tomba aux genoux du pape, qui le voulut relever; mais lui, n'en voulant rien faire:
-O Saint-Père! lui dit-il, toi qui maintiens dans ta droite tout le monde en équilibre, toi qui es le délégué du Seigneur en ce monde, toi qui dois désirer avant toute chose la paix et le bonheur des hommes, intéresse-toi à ces malheureux habitants des royaumes de Fouille et de Sicile, car ils sont chrétiens comme le reste des hommes, et cependant traités par leur maître au-dessous des plus vils animaux.

Mais le pape répondit:
-Que signifie une pareille demande, et comment veux-tu que j'aille contre le roi Charles, mon fils, qui maintient la pompe et l'honneur de l'église?
-O très saint-père, s'écria Jean de Procida, oui, vous devez parler ainsi, car vous ne savez pas encore à qui vous parlez; mais moi je sais au contraire que le roi Charles n'obéit à aucun de vos commandements.

Alors le pape lui dit:
-Vous savez cela, mon fils! et dans quel cas n'a-t-il pas voulu nous obéir?
-Je n'en citerai qu'un, saint-père, répondit Jean: ne lui avez-vous pas fait demander une de ses filles pour un de vos neveux, et ne vous a-t-il pas refusé?

Le pape devint très pâle et dit:
-Mon fils, comment savez-vous cela?
-Je sais cela, très saint-père, et non seulement je le sais, mais encore beaucoup d'autres seigneurs le savent comme moi, et c'était un bruit généralement répandu dans la terre de la Sicile lorsque je l'ai quittée, que non seulement il avait refusé l'honneur de votre alliance, mais encore que, devant votre ambassadeur, il avait dédaigneusement déchiré les lettres de Votre Sainteté.
-Cela est vrai, cela est vrai, dit le pape, n'essayant plus même de dissimuler la haine qu'il portait au roi Charles; et j'avoue que, si je trouvais l'occasion de l'en faire repentir, je la saisirais bien volontiers.
-Eh bien! cette occasion, très saint-père, je viens vous l'offrir, moi, et plus prompte et plus certaine que vous ne la trouverez jamais.
-Comment cela? demanda le pape.
-Je viens vous offrir de lui faire perdre la Sicile d'abord, puis, après la Sicile, peut-être bien encore tout le reste de son royaume.
-Mon fils, dit le saint-père, songez à ce que vous dites, et vous oubliez, ce me semble, que ces pays sont à l'église.
-Eh bien! répondit Procida, je les lui ferai enlever par un seigneur plus fidèle que lui à l'église, qui paiera mieux que lui le cens dû à l'église, et qui se conformera en tous points comme chrétien et comme vassal à ce que lui ordonnera l'église.
-Et quel est le seigneur qui aura tant de hardiesse que de marcher contre le roi Charles? demanda le pape.
-Promettez-moi, très saint-père, quelque parti que vous preniez, de tenir son nom secret, et je vous le dirai.
-Sur ma foi! je te le promets, dit le saint-père.
-Eh bien! ce sera don Pierre d'Aragon, reprit Jean de Procida, et il accomplira cette entreprise avec l'argent du Paléologue et l'appui des barons de Sicile, ainsi que ces lettres peuvent en faire foi à Votre Sainteté.

Le pape lut les lettres, et lorsqu'il les eut lues:
-Et quel sera le chef de la révolte? demanda-t-il.
-Ce sera moi, répondit Jean de Procida, à moins que Votre Sainteté n'en connaisse un plus digne que moi.
-Il n'en est pas de plus digne que vous, messire, répondit le pape.
Accomplissez donc votre projet, et nous le seconderons de nos prières.
-C'est beaucoup, dit messire Jean, mais ce n'est point assez: il me faut encore une lettre de Votre Sainteté pour la joindre à celle de Michel Paléologue et à celle des barons de Sicile.
-Je vais donc vous la donner, dit le pape, et telle que vous la désirez.

Et alors il s'assit devant une table et écrivit la lettre suivante:
«Au très chrétien roi notre fils Pierre, roi d'Aragon, le pape Nicolas III.
«Nous te mandons nôtre bénédiction avec cette recommandation sainte que, nos sujets de Sicile étant tyrannisés et non bien gouvernés par le roi Charles, nous te demandons et commandons d'aller dans l'île de Sicile, en te donnant tout le royaume à prendre et à maintenir, comme fils conquérant de la sainte mère église romaine.
«Donne créance à messire Jean de Procida, notre confident, et à tout ce
qu'il te dira de bouche; tiens caché le fait, afin qu'on n'en sache jamais
rien, et pour cela je te prie qu'il te plaise de vouloir bien commencer
cette entreprise et de ne rien craindre de qui voudrait t'offenser.»
Messire Jean de Procida joignit la lettre du saint-père aux deux lettres qu'il avait déjà, et, pour ne point perdre un temps précieux, il s'embarqua le lendemain au port d'Ostie, afin de toucher en Sicile, et de la Sicile gagner Barcelone.
Messire Jean aborda à Cefalu, et donna ordre à son bâtiment d'aller l'attendre à Girgenti.
Alors il traversa toute la Sicile, pour s'assurer que les sentiments de ses compatriotes étaient toujours les mêmes, et pour annoncer aux seigneurs conjurés qu'ils n'avaient plus qu'à se tenir prêts, et que le signal ne se ferait pas attendre. Puis, messire Jean de Procida ayant doublé leur courage par l'espoir qu'il leur donnait, il gagna Girgenti, monta sur son navire, et s'embarqua pour Barcelone.
Mais le Dieu qui l'avait toujours encouragé et soutenu sembla tout à coup l'abandonner.
Il est vrai que ce que messire Jean de Procida regarda d'abord comme un revers de fortune, n'était rien autre chose qu'une nouvelle faveur de la Providence.
Une tempête terrible s'éleva, qui jeta le navire de messire Jean de Procida sur les côtes d'Afrique, où il fut pris, lui et tout son équipage, et conduit devant le roi de Constantine, qui lui demanda qui il était et où il allait.
Messire Jean, qui était, comme toujours, habillé en franciscain, se garda bien de révéler sa condition, et se contenta de répondre qu'il était un pauvre moine chargé par Sa Sainteté d'une mission secrète pour le roi Pierre d'Aragon.
Alors le roi de Constantine réfléchit un instant, et ayant fait éloigner tout le monde:
-Veux-tu, demanda-t-il, te charger aussi d'une mission de ma part pour le roi don Pierre?
-Oui, répondit Procida, et bien volontiers, si cette mission n'a rien de contraire à la religion catholique et aux intérêts de notre saint-père le pape.
-Bien au contraire, répondit le roi de Constantine, car voici ce qui nous arrive.

Et il raconta à Jean de Procida que son neveu, le roi de Bougie, étant révolté contre lui et voulant le détrôner, il ne voyait d'autre moyen de conserver son trône qu'en se mettant sous la protection du roi d'Aragon; et, pour que cette protection fût encore plus efficace, le roi de Constantine ajouta qu'il était prêt à se faire chrétien, lui et tout son royaume, si le roi don Pierre voulait le recevoir pour son filleul et pour son vassal.
Jean de Procida promit de s'acquitter de la mission qui lui était confiée, et, au lieu de le retenir en prison, le roi de Constantine, au grand étonnement de ses ministres et de son peuple, lui fit rendre la liberté, ainsi qu'à tout son équipage. Puis son navire, toujours par l'ordre du roi, lui ayant été remis avec tout ce qu'il contenait, il s'embarqua aussitôt, et après une heureuse traversée il descendit à Barcelone.
Comme on le pense bien, après ce qui s'était passé au premier voyage de messire Jean de Procida, son retour était un grand événement pour le roi don Pierre; aussi le mena-t-il, comme la première fois, dans la chambre la plus secrète de son palais, et là il lui demanda avec empressement ce qu'il avait fait depuis son départ.
-Très noble seigneur roi, répondit Procida, vous m'avez dit que, pour accomplir la grande entreprise que je vous avais proposée, il fallait trois choses: un appui, de l'argent, et le secret.
-Cela est vrai, répondit don Pierre.
-Le secret a été bien gardé, reprit messire Jean de Procida, puisque vous-même, monseigneur, ignorez d'où je viens. Quant à l'argent, voici la lettre de l'empereur Paléologue, qui s'engage à vous donner 100 000 onces. Enfin, quant à l'appui, voici l'adhésion signée par les principaux seigneurs de la Sicile, qui se révolteront au premier signal que je leur donnerai, et voici le bref de Sa Sainteté qui vous autorise à profiter de cette révolte.

Le roi don Pierre prit les lettres les unes après les autres, et les lut avec attention; puis, se retournant vers messire Jean de Procida:
-Tout cela est bien, lui dit-il; et sans doute mieux que je ne l'espérais; il reste un obstacle que je ne t'ai pas dit: j'ai fait alliance d'amitié avec le roi de France, et j'ai promis de n'armer ni contre lui, ni contre ses parents, ni contre ses amis. Or, il me va falloir armer, et beaucoup, et, quand le roi de France me fera demander contre qui j'arme, il me faudra donc mentir ou m'exposer à une brouille avec lui. Trouve-moi au moins, toi qui m'as déjà trouvé tant de choses, un prétexte que je puisse donner de cet armement.
-Il est trouvé, monseigneur, lui répondit Jean de Procida. Le roi de Constantine, que le roi de Bougie, son neveu, menace de détrôner, vous fait dire, par ma bouche, qu'il est prêt à se faire chrétien, si vous voulez lui servir de parrain et de défenseur. Or, si l'on vous demande pourquoi et contre qui vous armez, vous répondrez que c'est pour soutenir le roi de Constantine contre son neveu le roi de Bougie; et, comme il se fera chrétien indubitablement, il en rejaillira un grand honneur sur votre règne. Armez donc tranquillement, monseigneur, et faites voile pour l'Afrique; je me charge du reste.
-Puisqu'il en est ainsi, dit le roi don Pierre, je vois bien que Dieu veut que la chose s'accomplisse. Va donc, cher ami, fais que ton entreprise vienne à bonne fin, et je t'engage ma parole que, l'occasion échéant, je ne ferai défaut ni à toi, ni aux barons de Sicile, ni à notre saint-père le pape.

Sur cette promesse, Jean de Procida quitta le roi don Pierre et s'en retourna d'abord vers l'empereur Paléologue, qui lui remit avec grande joie les 53 000 onces d'or qu'il avait promises, et que Procida envoya aussitôt au roi don Pierre; puis, de Constantinople, il s'en revint à Rome; mais, en abordant à Ostie, il apprit que le pape Nicoles III était mort, et que le pape Martin IV, qui était une créature du duc d'Anjou, venait d'être élu.
Alors il jugea inutile d'aller plus loin, et, remettant aussitôt à la voile, il se dirigea vers la Sicile, où il trouva tout le monde dans la crainte et dans la douleur de cette élection.
Mais il rassura les conjurés, en disant qu'à défaut du pape il restait aux Siciliens trois des princes les plus puissants de la terre, qui étaient l'empereur Frédéric, l'empereur Michel Paléologue, et le roi don Pierre d'Aragon.
Or, les barons ayant repris courage, demandèrent à Jean de Procida ce qu'ils devaient faire, et Jean de Procida répondit que chaque seigneur devait s'en retourner dans ses domaines et tenir ses vassaux prêts pour le moment convenu, et qu'à ce moment, à un signal donné, on tuerait tous les Français qui se trouvaient dans l'île. Et tous les barons avaient une telle confiance dans messire Jean de Procida, qu'ils s'en retournèrent chez eux, et se tinrent prêts à agir, lui laissant le soin de fixer l'heure de l'exécution.
Comme l'avait prévu don Pierre d'Aragon, le roi de France et le nouveau pape s'étaient inquiétés de ses armements, et lui avaient demandé contre qui il les dirigeait. Le roi avait alors répondu que c'était contre les Sarrasins d'Afrique, comme bientôt on pourrait voir.
En effet, ses armements terminés, ce qui fut promptement fait, grâce à l'or de Michel Paléologue, don Pierre monta sur sa flotte avec mille chevaliers, huit mille arbalétriers, et vingt mille almogavares, et, après avoir relâché à Mahon, il s'achemina vers le port d'Alcoyll, où il aborda après trois jours de traversée.
Mais là il apprit de bien tristes nouvelles: le projet du roi de Constantine avait été su, et lorsque cette nouvelle était arrivée aux cavaliers sarrasins, comme ceux-ci étaient fort attachés à la religion de Mahomet, ils s'étaient soulevés; puis, se rendant au palais en grande rumeur, ils avaient pris le roi et avaient coupé la tête à lui et à douze de ses plus intimes qui lui avaient donné parole de se faire chrétiens avec lui. Ensuite ils s'étaient rendus près du roi de Bougie, et lui avaient offert le royaume de son oncle, dont celui-ci s'était aussitôt emparé.
Ces nouvelles ne découragèrent point don Pierre; et comme son entreprise avait un autre but que celui qu'elle paraissait avoir, il n'en résolut pas moins de prendre terre, et d'attendre, tout en consultant les Sarrasins, des nouvelles de la Sicile.
Il fit donc débarquer toute son armée.
Puis, cette armée étant en pays découvert, et rien ne la protégeant contre les attaques des Sarrasins, il mit à l'oeuvre tous les maçons qu'il avait amenés avec lui, et fit construire un mur qui entourait toute la ville.
Cependant la conjuration marchait en Sicile.
Le moment était on ne peut mieux choisi: les Français s'endormaient dans une sécurité profonde, le roi Charles était à la cour du pape, son fils était en Provence, et Jean de Procida avait fixé le jour de la délivrance de la Sicile au premier avril 1282.
En conséquence tous les seigneurs avaient reçu avis du jour fixé et se tenaient prêts à agir, soit à Palerme, soit dans l'intérieur de la Sicile.
On était arrivé au 30 mars: c'était le lundi de Pâques, et, selon l'habitude, toute la ville de Palerme se rendait à vêpres.
Comme le temps était magnifique, beaucoup de dames et de jeunes seigneurs siciliens avaient choisi, plus encore dans un but de plaisir que dans un but religieux, l'église du Saint-Esprit, qui est située, comme nous l'avons dit, à un quart de lieue de Palerme, pour y entendre l'office.
Presque toutes les dames et seigneurs, comme c'était la coutume, étaient vêtus de longues robes de pèlerins, et portaient à la main un bourdon.
Les soldats angevins étaient sortis comme les autres, et on les rencontrait par groupes armés tout le long du chemin, regardant insolemment les femmes, et de temps en temps les faisant rougir par quelque parole cynique ou par quelque geste grossier; mais, comme les jeunes gens qui les accompagnaient étaient désarmés, une loi de Charles d'Anjou défendant aux Siciliens de porter ni épée ni poignards, ils étaient forcés de supporter tout cela.
Cependant un groupe de Palermitains s'avançait, composé d'une jeune fille, de son fiancé et de ses deux frères: il était suivi depuis les portes de Palerme par un sergent nommé Drouet, et par quatre soldats armés de leurs épées et de leurs poignards, et qui, outre ces armes, portaient en guise de bâtons des nerfs de boeuf à la main. Le groupe venait de franchir le pont de l'Amiral, et allait entrer dans l'église, lorsque Drouet, s'avançant et se plaçant devant la porte de l'église, accusa les jeunes gens de porter des armes sous leurs robes de pèlerins. Ceux-ci, qui voulaient éviter une rixe, ouvrirent à l'instant même leurs manteaux, et montrèrent qu'à l'exception du bourdon qu'ils portaient à la main, ils étaient entièrement désarmés.
-Alors, dit Drouet, c'est que vous avez caché vos armes sous la robe de cette jeune fille.

Et en disant ces mots il étendit la main vers elle et la toucha d'une façon si inconvenante, qu'elle jeta un cri et s'évanouit dans les bras d'un de ses frères.
Le fiancé alors, ne pouvait contenir plus longtemps sa colère, repoussa violemment Drouet, qui, levant le nerf de boeuf qu'il tenait à la main, lui en fouetta la figure. Au même instant un des deux frères, arrachant du fourreau l'épée de Drouet, lui en donna un si violent coup de pointe, qu'il lui traversa le corps d'un flanc à l'autre, et que Drouet tomba mort. En ce moment les vêpres sonnèrent.
Aussitôt le jeune homme, voyant qu'il était trop avancé pour reculer, leva son épée toute sanglante en criant:
-A moi, Palerme! à moi! qu'ils meurent, les Français! qu'ils meurent!

Et il tomba sur le premier soldat, stupéfait de ce qui venait de se passer, et le renversa près de son sergent.
Le fiancé se saisit aussitôt de l'épée de ce soldat et vint prêter main forte à son ami contre les deux qui restaient.
En un même instant le cri: A mort, à mort les Français! courut sur les ailes ardentes de la vengeance jusqu'à Palerme.
Messire Alaimo de Lentini était dans la ville avec deux cents conjurés.
Voyant quelles choses se passaient, il comprit qu'il fallait avancer le signal convenu: le signal fut donné, et le massacre, commencé à la porte de la petite église du Saint-Esprit sur la personne du sergent Drouet, gagna Palerme, puis Montreale, puis Cefalu; des bandes de conjurés s'élancèrent dans l'intérieur de la Sicile en criant vengeance et liberté.
Chaque château devint une tombe pour les Français qu'il renfermait, chaque ville répondait au cri poussé par Palerme, chaque église sonna ses vêpres, et, en moins de huit jours, tous les Français qui se trouvaient en Sicile étaient égorgés, à l'exception de deux qui, contre la règle générale adoptée par leurs compatriotes, s'étaient montrés doux et cléments.
Ces deux hommes étaient le seigneur de Porcelet, gouverneur de Calatafini, et le seigneur Philippe de Scalembre, gouverneur du val di Noto.
Charles d'Anjou apprit à Rome la nouvelle des vêpres siciliennes par l'entremise de l'archevêque de Montreale, qui lui envoya un courrier pour lui annoncer ce qui venait de se passer. Mais Charles d'Anjou reçut le messager comme un grand coeur reçoit une grande infortune, et se contenta de répondre:
-C'est bien, nous allons partir, et nous verrons la chose par nous-même.

Puis, lorsque le messager fut sorti de sa présence, il leva les deux mains au ciel et s'écria:
-Sire Dieu, puisque, après m'avoir comblé de tes dons, il te plaît aujourd'hui de m'envoyer la fortune contraire, fais que je ne redescende du trône que pas à pas, et je jure que je laisserai mille de mes ennemis couchés sur chacun de ses degrés.

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