Le Véloce ou Tanger, Alger et Tunis Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre XXVI
Carthage

La journée du lendemain était prise autant qu'une journée peut l'être. Le matin, nous devions visiter la chapelle Saint-Louis et les ruines de Carthage. Le soir, il y avait grand bal au consulat.
à sept heures du matin, la voiture nous attendait à la porte de la ville. Elle était conduite par un Maltais qui, comme le zagal espagnol, court près des chevaux, tandis que les chevaux traînent les voyageurs.
La première chose que nous aperçûmes, en sortant de Tunis, fut un charmant khoubbah – nous avons dit que khoubbah veut dire mausolée – qui passe pour le tombeau du dernier Abancérage. Je descendis de voiture, et, à la pointe du couteau, je gravai sur la muraille le nom de Chateaubriand.
C'est aux environs de Tunis que s'est réfugiée la majeure partie des Maures chassés de l'Espagne, de l'Espagne qui continue de leur apparaître comme un paradis perdu. Une famille arabe qui habite à Solenian, petite ville située à sept ou huit lieues de Tunis, conserve encore la clef de sa maison de Grenade.
Rien n'est plus disgracieux et plus infect qu'une promenade autour des murs de Tunis : la ville s'échappe au dehors par des égouts purulents d'un aspect immonde, d'une odeur fétide ; c'est l'abcès sur une grande échelle, appliqué à une ville de cent mille âmes au lieu d'être appliqué à un homme.
Aux observations faites aux autorités de Tunis sur la fétidité de ces cloaques et sur la nécessité d'en purger la ville, elles répondent qu'elles s'en garderaient bien, attendu que cette fétidité est leur sauvegarde contre la peste ; soit. Nous gagnâmes la campagne aussi promptement que possible.
La compagne est ensuite presque déserte : nul, n'étant sûr de sa propriété, ne soigne sa propriété ; ce n'est pas la stérilité, c'est le despotisme qui rend la terre inféconde.
De temps en temps, on voit surgir au milieu de ces landes quelques oliviers ; mais eux-mêmes sont vieux et presque inféconds ; on ne plante plus, seulement on ne détruit pas : la destruction, c'est l'œuvre du temps, et le temps fait son œuvre.
Au bout de trois quarts d'heure de marche, nous arrivâmes à un café maure, où nous fîmes une halte. Un café maure est toujours une chose charmante pour la poésie et la peinture : s'il y a un arbre dans la plaine, il va s'y adosser ; puis il s'y appuie avec un sans-façon si charmant, l'arbre et lui font un groupe si heureux d'ombre et de jour, de vert sombre et de blanc mat, les gens qui l'habitent causent d'une allure si pittoresque avec les gens qui passent, le mendiant est si bien drapé dans ses haillons, le cavalier est si fièrement campé sur sa monture, que le tableau se trouve tout composé, et que nous nous demandons comment la religion défend de peindre des images d'hommes dans un pays où l'image de l'homme semble si bien être l'image de Dieu.
Nous nous arrêtâmes pour prendre le café : en Afrique, on prend le café vingt fois par jour, et cela sans aucun inconvénient.
La caravane se composait seulement d'Alexandre, de Desbarolles, de Chancel, de Maquet et de moi. Nous n'avions pas pu arracher, pour cette fois, Giraud et Boulanger aux rues de Tunis. Nous devions les retrouver sur le Montézuma, le capitaine Cunéo d'Ornano nous ayant invités à revenir par mer, et nous ayant offert à dîner à son bord.
Le café pris, nous continuâmes notre route à pied, le fusil sur l'épaule. La campagne commençait à prendre un aspect pittoresque, les sillons du terrain se comblaient avec des pierres, des monticules formés par des restes de maçonnerie bosselaient les champs, de grands aqueducs interrompus semblaient des statues de géants dont une main jalouse aurait brisé la tête et le torse. On ne voyait pas la ville, on se sentait au milieu de ses ruines.
Pardonnez-moi, Madame, de faire une excursion dans l'Antiquité. Tournez une douzaine de pages, et vous nous trouverez sur la mer, voguant vers le Montézuma. Mais, en vérité, je crois qu'on m'en voudrait si, arrivant sur cette terre historique, je ne disais pas un mot des deux Carthages, si je ne prononçais pas, ne fût-ce qu'à demi-voix, les noms d'Annibal et de saint Louis.
Carthage, la vieille Carthage bien entendu, la Carthage tyrienne ou phénicienne, la Carthage d'Annibal, la rivale et l'ennemie de Rome, a, comme toute ville importante, deux origines : l'origine historique et l'origine fabuleuse, l'origine que lui ont faite les archéologues, et l'origine que lui a faite Virgile.
Il va sans dire que l'origine des archéologues, c'est-à-dire la vraie, est obscure, incertaine, perdue dans cette nuit des temps où la science n'apparaît jamais qu'à l'état d'aurore boréale.
Il va sans dire que l'origine fabuleuse est claire, précise, probable, et, ce qui ne gâte rien à la chose, poétique en même temps.
La Carthage des historiens fut fondée 1059 ans avant Jésus-Christ par une colonie tyrienne chassée de son pays. Elle reçut le nom phénicien de Kartha-Haddad, ou ville neuve. Plus tard, les Grecs, quand ils la connurent, l'appelèrent Karchedon, et les romains Carthago. Le delenda Carthago du vieux Caton est devenu un axiome politique. Mais, à côté de ce premier jalon reconnu, de cette première pierre posée, rien sur Carthage, que ce qu'en disent le Grec Hérodote et le Sicilien Diodore.
La Carthage de Didon est resplendissante de lumière. Didon, fille de Bélus, roi de Tyr, devait, après la mort de son père, régner conjointement avec son frère Pygmalion. Pygmalion s'empare du trône, confisque à son profit l'autorité souveraine, poignarde Sichée, mari de sa sœur, qui, en sa qualité de grand prêtre d'Hercule, possède d'immenses richesses, et tente de s'emparer de ces richesses. Mais Didon prend les devants, charge les trésors du défunt sur un vaisseau, s'y réfugie, accompagnée de quelques grands du royaume et d'une troupe de soldats qui lui est demeurée fidèle, touche à Chypre, remet à la voile, se dirige vers l'Afrique, prend terre à Utique, colonie tyrienne, y est accueillie comme une sœur et comme une reine à la fois par les habitants, et achète d'eux, sur l'endroit de la plage qui lui conviendra le mieux, tout l'espace que pourra entourer le cuir d'un taureau.
Le marché conclu, Didon fait tuer le plus fort taureau qu'elle peut trouver, découpe sa peau en courroies aussi déliées que possible, et décrit par ce stratagème, moitié au bord du lac, moitié sur le rivage de la mer, une circonférence spacieuse qui devient le berceau de la nouvelle ville, de Kartha-Haddad.
Malheureusement pour la poésie, ou peut-être pour l'histoire, il y a 200 ans de différence entre la fondation des archéologues et celle de Virgile, la Carthage des archéologues remontant à 1059 avant Jésus-Christ, celle de Virgile datant seulement de 882 ans avant l'ère vulgaire.
Il est vrai qu'Appien trouve moyen de donner raison à tout le monde. Selon lui, Didon trouva Carthage toute bâtie, et ne fit que donner un nouvel éclat à la ville, en y ajoutant un quartier nouveau qui prit le nom de Byrsa. Or Byrsa, en grec, veut dire cuir ; la tradition du taureau racontée par Virgile dans ces deux vers était donc bien réelle :

Mercatique solum facti de nomine Byrsam
Taurino quantum possent circumdare tergo

Le poète a donc pour lui Appien. Mais il a contre lui Polybe, Diodore, Strabon, Pausanias, lesquels ne disent pas un mot de toute cette poétique histoire.
Maintenant, Carthage bâtie, Didon reine, c'est le moment où, selon Virgile, arrive énée, où commencent les amours du fugitif avec la belle élise, amours suivies d'ingratitude, ingratitude suivie de la mort.
Didon se frappe sur un bûcher dressé à l'endroit où s'élève aujourd'hui le cap Carthage, et meurt les yeux fixés sur le navire qui entraîne son infidèle amant en prédisant la rivalité future de Carthage et de Rome.
Justin, de son côté, donne une autre cause à la mort de Didon. Jarbas, roi des Gétules, peuple voisin de la nouvelle colonie, Jarbas, frappé de la beauté de la Tyrienne, aspire à devenir son époux, mais n'obtient d'elle qu'un refus. Alors il menace la colonie naissante, marche à la tête d'une armée contre Kartha-Haddad. Didon voit qu'il lui faut choisir entre la ruine de son peuple ou la douleur d'épouser un homme qu'elle déteste. Elle a inscrit son nom parmi les fondatrices de villes, c'est assez pour sa gloire ; elle a aimé, c'est assez pour son bonheur : elle se résout à mourir, à mourir dans sa jeunesse et dans sa beauté. Elle demande à Jarbas un délai pour apaiser par des prières l'ombre de son premier époux, et, ce délai expiré, elle monte sur un bûcher préparé par ses ordres, tire un poignard caché sous sa robe et se tue.
élise était le véritable nom de la fille de Bélus, Didon n'était qu'une épithète. Didon veut dire errante, et les voyages de la belle élise ont suffisamment justifié son surnom.
Maintenant, selon toute probabilité, cette Carthage primitive, cette Carthage tyrienne, s'étendait du lac de Tunis aux salines de Soukara, des salines de Soukara au cap Kamar, du cap Kamar au cap Carthage, du cap Carthage à la Goulette, de la Goulette au point de départ que nous venons d'indiquer, c'est-à-dire à l'endroit où sont aujourd'hui les Puits.
Peu à peu, cette ville eut un territoire, peu à peu encore, ce territoire s'agrandit. Sur la façon dont se fit cet agrandissement, nul ne sait rien. Les livres carthaginois qui traitaient des premiers temps de la puissance punique furent, il est vrai, trouvés par les Romains lors de la prise de Carthage, mais les Romains, dans ce dédain profond de tout ce qui n'était pas eux, abandonnèrent ces livres au roi des Munides, à Massinissa. Par ordre de succession, ces livres furent transmis à Hiemsal II, qui régnait sur la Numidie l'an 105 avant le Christ. Enfin, Salluste, préteur en Afrique, les retrouve huit ans après en rassemblant des matériaux pour sa Guerre de Jugurtha. Il se les fait expliquer, en tire quelques renseignements sur le sol, sur les tribus qui le couvrent, et les abandonne comme inutiles. à partir de ce moment, ces livres sont perdus.
Voilà donc tout ce que nous savons de Carthage :
Carthage se mêle à l'histoire positive 546 ans avant Jésus-Christ, c'est-à-dire du temps de Cyrus. Elle conclut un traité avec Cyrène. Six ans après, elle s'allie aux étrusques.
Puis viennent le règne de Malchus, sa défaite en Sardaigne, son bannissement, son retour à Carthage, mais en ennemi, son retour à Carthage, qu'il assiège et qu'il prend.
En 524, il tombe au milieu d'une tentative de tyrannie. Magon le Grand lui succède, tige robuste qui donnera onze robustes rejetons, lesquels civiliseront et agrandiront Carthage, que Cambyse tente inutilement de conquérir, les Phéniciens se rappelant que les Carthaginois sont leurs frères, et refusant de fournir des vaisseaux à ce conquérant insensé que le simoun attend, que les sables réclament.
Jusqu'en 509, Rome et Carthage s'ignorent, pour ainsi dire : chacune grandit sur une rive de la Méditerranée sans que l'ombre de l'une s'étende jusqu'à l'autre.
En 509, l'an premier de la république romaine, un traité de commerce se conclut entre les deux puissances. Cherchez dans Polybe, et vous le trouverez textuellement conservé au bout de deux mille quatre cents ans.
Rien en Gaule, rien en Ligurie, Marseille en ferme les portes à Carthage : la fille de Phocée est jalouse de la fille de Tyr.
En effet, Carthage est déjà une rude exploratrice, elle regorge d'ailleurs d'habitants qu'il faut éparpiller sur le monde. Hannon part avec soixante vaisseaux ; trente mille colons libyo-phéniciens l'accompagnent. Des villes seront bâties tout le long du littoral de l'Afrique, depuis les colonnes d'Hercule jusqu'à Cerné, jusqu'à Cerné qui est aussi éloignée des colonnes d'Hercule que les colonnes d'Hercule le sont de Carthage, ce qui indiquerait que le voyage d'Hannon s'est étendu jusqu'au cap Blanc et peut-être même jusqu'au Sénégal.
Ce n'est pas le tout. En même temps que celle d'Hannon, une autre expédition part. Elle est commandée par Imiléon, son frère. Aux colonnes d'Hercule, les deux flottes se séparent, et, tandis qu'Hannon s'avance vers le midi, Imiléon s'aventure vers le nord, visite les côtes d'Espagne et de la Gaule, reconnaît la Manche, et arrive aux îles Cassitérides, les Sorlingues modernes, situées au sud-ouest de l'Angleterre.
Que fait Rome pendant ce temps ? Elle lutte contre Porsenna, elle se débat pour conserver son petit territoire. Qui eût dit alors aux Carthaginois qu'un jour les Romains passeraient la charrue sur leur capitale les eût bien étonnés.
Le monde occidental découvert, les Carthaginois y fondent leur commerce. Dix ans après le voyage d'Imiléon, ils ont une flotte dans la Baltique. Ces intrépides marchands vont demander de l'ambre aux rivages de la Suède et de la Scandinavie. Celui de la Sicile ne leur paraît ni assez beau ni assez abondant.
C'est qu'aussi la Sicile leur est et leur sera fatale. C'est là que, le jour même de la bataille de Salamine, ils sont taillés en pièces et perdent, au dire de Diodore de Sicile, trois cent mille hommes, tant tués que prisonniers ! Les prisonniers, au nombre de deux cent mille, vont travailler aux embellissements d'Agrigente et de Syracuse.
Diodore ajoute que, pendant soixante ans, les Carthaginois ne tentèrent plus rien contre la Sicile. Cela se conçoit.
Il va sans dire que nous n'admettons pas plus ces grands mouvements d'hommes que Voltaire n'admet les armées innombrables de SaĆ¼l, d'Holopherne et de Sisara.
Cependant, la Sicile les attire, comme tout but fatal attire les cités ou les hommes que Dieu a condamnés. En 396, les Carthaginois assiègent Syracuse ; la peste et une sortie leur coûtent cent cinquante mille hommes. La guerre dure ainsi pendant plus de cent ans.
Enfin, Rome, qui s'étend de son côté comme Carthage du sien, rencontre sa rivale à Messine. Une fois aux prises, les deux colosses ne se quitteront plus que l'un des deux n'ait renversé l'autre.
Disons ce qu'était Carthage à cette époque. Carthage s'étendait depuis les autels des Philènes jusqu'au promontoire d'Hercule, c'est-à-dire depuis la grande Syrte jusqu'aux îles Canaries ; les bornes au sud étaient la grande chaîne de l'Atlas.
Nous avons dit comment Hannon avait répandu ses colonies sur le rivage de l'Océan. Disons comment, sur la Méditerranée, elle s'était étendue sur la grande Syrte.
Nous avons parlé des démêlés de Carthage et de Cyrène : il fut convenu entre les Carthaginois et les Cyrénéens que deux jeunes gens partiraient de Cyrène pour aller à Carthage, que, le même jour et à la même heure, deux autres jeunes gens partiraient de Carthage pour aller à Cyrène, et que là où Carthaginois et Cyrénéens se rencontreraient, on tracerait les limites de chaque puissance.
Les quatre coureurs se rencontrèrent à la grande Syrte. Seulement, comme les Carthaginois avaient fait une incroyable diligence, tout le bénéfice du marché se trouvait être pour Carthage.
Il en résulta que les Cyrénéens accusèrent les Carthaginois de supercherie : selon eux, ces derniers seraient partis avant le jour et avant l'heure dite. Les Carthaginois jurèrent sur leur tête qu'ils avaient accompli scrupuleusement toutes les conditions du traité. Nous n'en conviendrons, dirent les Cyrénéens, que si vous vous laissez enterrer à l'endroit même où nous sommes, des hommes capables d'un pareil dévouement étant incapables de mentir.
« Enterrez-nous, » répondirent les Carthaginois.
à l'endroit même, ils furent enterrés vivants, et, sur la pierre de leur tombeau, la limite fut tracée. Les Carthaginois ne pensèrent point qu'un tombeau fût assez, et élevèrent sur le tombeau même deux autels. Les deux frères s'appelaient Philènes, les autels s'appelèrent aræ Philenorum.
Carthage, sur la terre ferme, s'étendait donc de la grande Syrte à l'extrémité occidentale du Maroc. Elle avait la Sardaigne qui lui fournissait des vivres, les îles Baléares qui lui fournissaient des frondeurs, les îles des Cérunites et des Lotophages qui lui fournissaient des matelots. Elle avait une partie de l'Espagne, la Bétique probablement. Elle avait une partie de la Sicile. Enfin, elle avait la mer. La mer, où elle promenait ses vaisseaux, et dont elle était la véritable reine depuis que Tyr avait abdiqué.
De leur côté, les Romains possédaient l'Italie entière depuis Mediolanum jusqu'à Rhegium, c'est-à-dire depuis Milan jusqu'à Reggio.
Qui s'arrêtera dans sa course conquérante, de Rome, qui est sortie de l'enceinte de Romulus et qui a conquis le Latium, l'étrurie, le Samnium, la Campagnie, la Lucanie et le Brutium ? Ou de Carthage, qui a enjambé par-dessus les lanières de cuir qui servent de limite à la ville neuve, et qui a conquis, à l'occident, la Mauritanie et la Tingitane, à l'orient, la petite et la grande Syrte ; sur la mer, la Sardaigne, les Baléares et une portion de la Sicile ?
Voilà les deux seules puissances de l'Occident. Le monde sera-t-il Carthaginois ou Romain ? Là est la question.
Un instant le monde crut que cette question était décidée à Trébié, à Cannes et à Trasymène. Et cela eût été, si Capoue ne se fût trouvée sur la route d'Annibal. Le monde se trompait : ce fut Zama qui décida de l'avenir. L'avenir échut aux Romains.
Nous l'avons dit au commencement de ce livre, c'est que Carthage n'était que le fait, et que Rome était l'idée.
La haine était grande entre les deux peuples rivaux, si grande que Carthage disparut de la surface de la terre. La flamme avait passé dessus, ses sept cent mille habitants avaient été dispersés, et d'horribles imprécations prononcées contre quiconque tenterait de faire sortir Carthage de ses ruines.
Et cependant, 15 ans après, Caïus Gracchus essaya de relever la ville maudite. Il y conduisit une colonie, et nomma d'avance la future cité Junonia. Mais le sol était maudit, et les présages les plus funestes vinrent le détourner de cette entreprise. La pique de la première enseigne fut brisée par le vent ; un ouragan dispersa les entrailles des victimes déjà posées sur l'autel et les jeta hors des palissades ; enfin, des loups vinrent arracher ces palissades à belles dents, et les emportèrent dans les bois dont elles étaient sorties.
Ce dernier présage était d'autant plus terrible que, de nos jours du moins, le loup est un animal parfaitement inconnu en Afrique.
Quarante-trois ans plus tard, Marius venait chercher un asile sur les ruines de Carthage.
Cependant, quelque temps après – la date n'est point fixe –, une autre colonie romaine vint demander l'hospitalité à ces ruines qui avaient vu fuir le fils de Cornélie et errer l'oncle de César. Seulement, elle respecta l'emplacement maudit, et s'étendit, selon toute probabilité, depuis le cap Carthage jusqu'à Sidi-Rahel.
C'est cette seconde Carthage que, quatre cent soixante-dix ans plus tard, doit prendre Genséric, ce vengeur d'Annibal, qui à son tour viendra mettre le siège devant Rome, et ne trouvera pas de Capoue.
Chaque Carthage devait durer huit siècles. La Carthage punique avait été détruite par Scipion émilien ; la Carthage romaine fut détruite par Hassan le Gassanide. Cette fois, elle fut bien détruite, et nul ne songea plus à la relever.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente