En Suisse Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre XXIX
Werner Stauffacher

Un an s'est passé depuis que nous avons pris congé de nos lecteurs sur les bords de la Reuss, après leur avoir fait traverser avec nous le pont du Diable et le saut du Moine . Nous étions restés, si nous avons bonne mémoire, en vue du village d'Attinghausen, derrière le clocher duquel nous apercevions les ruines de la maison de Walter Furst, l'un des trois libérateurs de la Suisse. Depuis ce temps, nous avons fait une lointaine et longue excursion chez d'autres peuples et au fond d'autres contrées ; nous en avons rapporté de nouvelles impressions et de puissants souvenirs qui demandent aussi à voir le jour, mais qui, en frères respectueux, doivent cependant céder la place à leurs aînés. Nous allons donc revenir, non plus à notre Helvétie des glaciers et des montagnes, mais à la Suisse des lacs et des prairies ; non plus au sol fabuleux, mais à la terre historique, car nous n'avons que cette petite montagne qui est devant nous à gravir, que ce petit cimetière plein de roses à traverser, et, près de l'église, à gauche, nous allons nous trouver à la porte d'une petite chapelle bâtie sur l'emplacement de la maison même où est né Guillaume Tell, et dont le sacristain est allé nous chercher la clé.
Si connue que soit l'histoire du héros populaire dont nous venons de prononcer le nom, et quelques familiers que nous soyons généralement avec cette histoire, nous ne pouvons nous dispenser, arrivés où nous en sommes et près de parcourir les lieux qui se déroulent à notre vue, d'entrer dans quelques détails sur la révolution helvétique et de suivre dans ses développements l'association qui donna naissance à la plus vieille république, non seulement de l'ère moderne, mais encore des temps anciens. D'ailleurs, nous écrivons non seulement pour le lecteur casanier qui nous lit au coin de son feu, un pied sur chacun de ses chenets et enveloppé dans sa robe de chambre, mais encore pour le voyageur aventureux qui, comme nous, le grand chapeau de paille sur la tête, le sac sur l'épaule et le bâton ferré à la main, suivra dans l'avenir la route que nous avons suivie et que nous lui traçons. Or, celui-là, à qui nous donnons ici notre salut fraternel, sera heureux de s'asseoir au haut de cette petite colline de roses, près de cette église et en face de cette chapelle où nous sommes, et de trouver chez nous un précis historique court et cependant exact des événements passés il y a près de six siècles et dont il peut embrasser presque tout l'ensemble sur cet immense panorama qui s'étend à nos pieds comme une carte géographique.
Albert d'Autriche, qui était de la maison de Habsbourg, parvint au trône impérial en 1298. à l'époque de son avènement, il n'existait en Hévétie ni associations, ni cantons, ni Diète.
Quant à l'empereur, il possédait seulement, au milieu de ces contrées, à titre de chef des comtes de Habsbourg, une quantité considérable de villes, de forteresses et de terres qui font aujourd'hui partie des cantons de Zurich, Lucerne, Zug, Argovie, etc., etc. Les autres comtes auxquels appartenait le reste du pays étaient ceux de Savoie, de Neufchâtel et de Rapperschwil.
Il serait difficile de faire l'histoire individuelle de cette noblesse, riche, débauchée et remuante, toujours en guerre et en plaisir, épuisant le sang et l'or de ses vassaux et couvrant chaque cime de montagne de tours et de forteresses d'où, comme les aigles dans leurs aires, ils s'abattaient dans la plaine pour y enlever l'objet de leur désir, qu'ils revenaient mettre en sûreté derrière les murs de leurs châteaux. Et que l'on ne croie pas que les laïcs seuls se livraient à ces déprédations : non, les puissants évêques de Bâle, de Constance, de Coire et de Lausanne vivaient de la même manière, et les riches abbés de Saint-Gall et d'Ensielden suivaient l'exemple de leurs chefs mitrés, comme la petite noblesse celui des hauts barons.
Au milieu de cette terre couverte d'esclaves et d'oppresseurs, trois petites communes étaient restées libres : c'étaient celles d'Uri, de Schwyz et d'Unterwald, qui, dès 1291, prévoyant les jours de malheur et les circonstances périlleuses cachées dans l'avenir, s'étaient réunies et engagées à défendre mutuellement envers et contre tous leurs personnes, leurs familles, leurs biens, et s'aider, le cas échéant, par les conseils et par les armes. Cette alliance leur avait fait donner le nom d'Eidsgenossen , c'est-à-dire alliés par serment. Albert, déjà alarmé de cette première démonstration hostile, voulut les forcer à renoncer à la protection de l'empereur, leur seul suzerain, et de se soumettre à celle plus immédiate et plus directe des comtes de Habsbourg, afin que, si aucun de ses fils n'était élu au trône romain après lui, ils conservassent la souveraineté de ces pays qui, sans cela, échappaient à la noble maison des ducs d'Autriche. Mais Uri, Schwyz et Unterwald avaient trop vu quels brigandages infâmes s'exerçaient autour d'eux pour être dupes d'une pareille proposition. Ils repoussèrent donc les ouvertures qui leur en furent faites, en 1305, par les députés d'Albert, et supplièrent qu'on ne les privât pas de la protection de l'empereur régnant ou, selon l'expression usitée à cette époque, qu'on ne les séparât point de l'Empire.
Albert leur fit répondre que son désir était de les adopter comme enfants de sa famille royale, offrit des fiefs à leurs principaux citoyens, et parla d'une création de dix chevaliers par commune. Mais ces vieux montagnards répondirent que ce qu'ils demandaient était le maintien de leurs anciens droits et non de nouvelles faveurs. Alors Albert, voyant qu'il n'y avait rien à faire de ces hommes par la corruption, voulut voir ce qu'on en pourrait faire par la tyrannie. Il leur envoya en conséquence deux baillis autrichiens dont il connaissait le caractère despotique et emporté : c'étaient Hermann Gessler de Brouneig et le chevalier Beringuer de Landenberg. Ces nouveaux baillis s'établirent dans le pays même des Confédérés, ce que leurs devanciers ne s'étaient jamais permis de faire : Landenberg prit possession du château royal de Sarnen, dans le Haut-Unterwald, et Gessler, ne trouvant point de séjour digne de lui dans le pauvre pays qui lui était échu en partage, fit bâtir une forteresse à laquelle il donna le nom d'Urijoch, ou Joug d'Uri. Dès lors commença à être mis à exécution le plan d'Albert, qui espérait, à l'aide de cette tyrannie, déterminer les Confédérés à se détacher eux-mêmes de l'Empire et à se mettre sous la protection de la maison d'Autriche : en conséquence, les péages furent augmentés, les plus petites fautes punies par de fortes amendes, et les citoyens traités avec hauteur et mépris.
Un jour que Hermann Gessler faisait sa tournée dans le canton de Schwyz, il s'arrêta devant une maison que l'on achevait de bâtir et qui appartenait à Werner Stauffacher.
- N'est-ce point une honte, dit-il en s'adressant à l'écuyer qui le suivait, que de misérables serfs bâtissent de pareilles maisons, quand les chaumières seraient trop bonnes pour eux ?
- Laissez-la finir, Monseigneur, répondit l'écuyer, et, lorsqu'elle sera achevée, nous ferons sculpter au-dessus de la porte les armes de la maison de Habsbourg, et nous verrons si son maître est assez hardi pour la réclamer.
- Tu as raison, dit Gessler.
Et, piquant son cheval, il continua son chemin. La femme de Werner Stauffacher était sur le seuil de la porte ; elle entendit cette conversation et donna aussitôt l'ordre aux ouvriers de laisser là leur ouvrage et de se retirer chacun chez eux. Ils obéirent.
Lorsque Werner Stauffacher revint, il regarda avec étonnement cette maison solitaire et demanda à sa femme pourquoi les ouvriers s'étaient retirés, qui leur en avait donné l'ordre.
- Moi, répondit-elle.
- Et pourquoi cela, femme ?
- Parce qu'une chaumière est tout ce qu'il faut à des vassaux et à des serfs.
Werner poussa un soupir et entra dans la maison. Il avait faim et soif ; il s'attendait à trouver le dîner préparé. Il s'assit à table. Sa femme lui servit du pain et de l'eau, et s'assit près de lui.
- N'y a-t-il plus de vin au cellier, plus de chamois dans les montagnes, plus de poissons dans le lac, femme ? dit Werner.
- Il faut savoir vivre selon sa condition. Le pain et l'eau sont le dîner des vassaux et des serfs.
Werner fronça le sourcil, mangea le pain et but l'eau. La nuit vint, ils se couchèrent. Avant de s'endormir, Werner prit sa femme entre ses bras et voulut l'embrasser ; elle le repoussa.
- Pourquoi me repousses-tu, femme ? dit Werner .
- Parce que les vassaux et les serfs ne doivent point désirer donner le jour à des enfants qui seront vassaux et serfs comme leurs pères.
Werner se jeta à bas du lit, se rhabilla en silence, détacha de la muraille une longue épée qui y était pendue, la jeta sur ses épaules, et sortit sans prononcer une parole.
Il marcha, sombre et pensif, jusqu'à Brunnen. Arrivé là, il fit prix avec quelques pêcheurs, traversa le lac, arriva deux heures avant le jour à Attinghausen, et alla frapper à la maison de Walter Furst, son beau-père. Ce vieillard vint ouvrir lui-même et, quoique étonné de voir paraître son gendre à cette de nuit, il ne lui demanda pas la cause de cette visite, mais donna l'ordre à un serviteur d'apporter sur la table un quartier de chamois et du vin.
- Merci, père, dit Werner, j'ai fait un vœu.
- Et lequel ?
- De ne manger que du pain et de ne boire que de l'eau jusqu'à un moment peut-être bien éloigné encore.
- Et lequel ?
- Celui où nous serons libres.
Walter Furst s'assit en face de Werner.
- Ce sont de bonnes paroles que celles que tu viens de dire. Mais auras-tu le courage de les répéter à d'autres qu'au vieillard que tu appelles ton père ?
- Je les répéterai à la face de Dieu qui est au ciel, et à la face de l'empereur qui est son représentant sur la terre.
- Bien dit, enfant. Il y a longtemps que j'attendais de ta part une pareille visite et une semblable réponse. Je commençais à croire que ni l'une ni l'autre ne viendraient.
On frappa de nouveau ; Walter Furst alla ouvrir. Un jeune homme armé d'un bâton qui ressemblait à une massue était debout à la porte. Un rayon de lune éclaira en ce moment ses traits pâles et bouleversés.
- Mechtal ! s'écrièrent à la fois Walter Furst et Stauffacher.
- Et que viens-tu demander ? continua Walter Furst, effrayé de sa pâleur.
- Asile et vengeance ! dit Mechtal d'une voix sombre.
- Tu auras ce que tu demandes, répondit Walter Furst, si la vengeance dépend de moi comme l'asile.
- Qu'est-il donc arrivé, Mechtal ?
- Il est arrivé que j'étais à labourer ma terre et que j'avais à ma charrue les deux plus beaux bœufs de mon troupeau, lorsqu'un valet de Landenberg vint à passer et s'arrêta. Puis, après un instant, s'approchant de mon attelage :
» - Voilà de trop beaux bœufs pour un vassal, dit-il. Il faut qu'ils changent de maître.
» - Ces bœufs sont à moi, lui dis-je, et, comme j'en ai besoin, je ne veux pas les vendre.
» - Et qui parle de te les acheter, manant ?
» à ces mots, il tira de sa ceinture un couteau à dépouiller le gibier et coupa les traits.
» - Mais si vous me prenez cet attelage, comment ferai-je pour labourer ma terre ?
» - Des paysans comme toi peuvent bien traîner leur charrue eux-mêmes, s'ils veulent manger le pain dont ils ne sont pas dignes.
» - Tenez, lui dis-je, il en est encore temps, si vous passez votre chemin, je vous pardonne.
» - Et où est ton arc ou ton arbalète pour parler ainsi ?
» Il y avait près de moi un jeune arbre, je le brisai.
» - Je n'ai besoin ni de l'un ni de l'autre, vous voyez que je suis armé, lui dis-je.
» - Si tu fais un pas, me répondit-il, je t'éventre comme un chamois.
» D'un seul bond, je fus près de lui, le bâton levé.
» - Et moi, si vous portez la main sur mon attelage, je vous assomme comme un taureau. Il étendit le bras et toucha le joug. Oui, je crois qu'il le toucha du bout du doigt. Mon bâton tomba, et le valet de Landenberg avec lui. Je lui avais rompu le bras comme si c'eût été une baguette de saule. »
- Et tu avais bien fait, et c'était justice, s'écrièrent les deux hommes.
- Je le sais, et je ne m'en repens pas, continua Mechtal. Mais je ne fus pas moins forcé de me sauver. J'abandonnai mes bœufs et je me cachai tout le jour dans le bois du Rœstock. Puis, la nuit venue, je pensai à vous, qui êtes bon et hospitalier. Je pris la passe de Surchen, et me voilà.
- Sois le bienvenu, Mechtal, dit Walter Furst en lui tendant la main.
- Mais ce n'est point tout, continua le jeune homme. Il nous faudrait un homme intelligent que nous pussions envoyer à Sarnen, afin qu'il sache ce qui s'est passé depuis hier et quelles mesures de vengeance ont été prises contre moi par Landenberg.
En ce moment, un pas alourdi par la fatigue se fit entendre. Un instant après, un homme frappa en disant :
- Ouvrez, je suis Ruder.
Mechtal ouvrit la porte pour se jeter dans les bras du serviteur de son père, mais il le trouva si pâle et si abattu, qu'il recula, épouvanté.
- Qu'y a-t-il, Ruder ? dit Mechtal d'une voix tremblante.
- Malheur sur vous, mon jeune maître ! Malheur sur le pays qui voit tranquillement de pareils crimes ! Malheur sur moi, qui vous apporte de si fatales nouvelles !
- Il n'est rien arrivé au vieillard ? dit Mechtal. Ils ont respecté son âge et ses cheveux blancs ? La vieillesse est sacrée.
- Respectent-ils quelque chose ? Y a-t-il quelque chose de saint pour eux ?
- Ruder ! s'écria Mechtal en joignant les mains.
- Ils l'ont pris, ils ont voulu lui faire dire où vous étiez, et, comme il ne le savait pas... pauvre vieillard ! Ils lui ont crevé les yeux !
Mechtal jeta un cri terrible. Werner et Walter Furst se regardèrent, les cheveux hérissés et la sueur sur le front.
- Tu mens ! s'écria Mechtal en saisissant Ruder au collet, tu mens ! Il est impossible que des hommes commettent de pareils crimes ! Oh ! tu mens ! Dis-moi que tu mens !
- Hélas ! répondit Ruder.
- Ils lui ont crevé les yeux, dis-tu ? Et cela parce que je m'étais sauvé comme un lâche ! Ils ont crevé les yeux du père parce qu'il ne voulait pas livrer le fils ! Ils ont enfoncé une pointe de fer dans les yeux d'un vieillard, et cela à la face du jour, du soleil, de Dieu ! Et nos montagnes ne se sont pas écroulées sur leurs têtes ! Nos lacs n'ont pas débordé pour les engloutir ! Le tonnerre n'est pas tombé du ciel pour les foudroyer ! Ils n'ont plus assez de nos larmes, et ils nous font pleurer le sang ! Ah ! ah ! mon Dieu ! Prenez pitié de nous !
Et Mechtal tomba comme un arbre déraciné, se roula et mordit la terre. Werner s'approcha de Mechtal.
- Ne pleure pas comme un enfant, ne te roule pas comme une bête fauve. Relève-toi comme un homme, nous vengerons ton père, Mechtal !
Le jeune homme se retrouva debout, comme si un ressort l'avait remis sur ses pieds.
- Nous le vengerons, avez-vous dit, Werner ?
- Nous le vengerons, reprit Walter Furst.
En ce moment, le refrain d'une chanson joyeuse se fit entendre à quelque distance, et, au détour du chemin, on vit, aux premiers rayons du jour, apparaître un nouveau personnage.
- Rentrez, s'écria Ruder en s'adressant à Mechtal.
- Reste, dit Walter Furst. C'est un ami.
- Et qui pourrait nous être utile, ajouta Werner.
Mechtal, accablé, tomba sur un banc. Pendant ce temps, l'étranger s'approchait toujours. C'était un homme de quarante ans à peu près. Il était vêtu d'une espèce de robe brune qui lui descendait jusqu'aux genoux seulement, et qui tenait le milieu entre le costume monacal et le vêtement des laïcs ; cependant, ses cheveux longs, ses moustaches et sa barbe, taillés comme ceux des bourgeois libres, indiquaient que, s'il appartenait au cloître, c'était fort indirectement. Sa démarche était d'ailleurs bien plus celle d'un soldat que d'un moine, et l'on aurait pu le prendre pour un homme de guerre s'il n'eut porté, à la place de l'épée, une écritoire pendue à sa ceinture et, dans une trousse d'archer vide de flèches, un rouleau de parchemin et des plumes. Son costume était complété, du reste, par un pantalon de drap bleu collant sur sa jambe, par des brodequins lacés dessus et par le long bâton ferré sans lequel voyage si rarement le montagnard.
Dès qu'il avait aperçu le groupe qui s'était formé devant la porte, il avait cessé de chanter, et il s'approchait avec cet air ouvert qui annonçait sa certitude d'y trouver des figures de connaissance. En effet, il était encore à quelques pas, que Walter Furst lui adressa la parole.
- Sois le bienvenu, Guillaume, lui dit-il. Où vas-tu si matin ?
- Dieu vous garde, Walter. Je vais toucher les redevances du fraumünster de Zurich dont je suis, comme vous savez, le receveur.
- Ne peux-tu pas t'arrêter un quart d'heure avec nous ?
- Pour quoi faire ?
- Pour écouter ce que va te dire ce jeune homme...
L'étranger se tourna du côté de Mechtal et vit qu'il pleurait. Alors il s'approcha de lui et lui tendit la main.
- Que Dieu sèche vos larmes, frère, lui dit-il.
- Que Dieu venge le sang ! répondit Mechtal.
Et il lui raconta tout ce qui venait d'arriver. Guillaume écouta ce récit avec une grande compassion et une profonde tristesse.
- Et qu'avez-vous résolu ? dit Guillaume lorsqu'il eut fini.
- De nous venger et de délivrer notre pays, répondirent les trois hommes.
- Dieu s'est réservé la vengeance des crimes et la délivrance des peuples, dit Guillaume.
- Et que nous a-t-il donc laissé à nous autres hommes ?
- La prière et la résignation qui les hâtent.
- Guillaume, ce n'est point la peine d'être un si vaillant archer si tu réponds comme un moine quand on te parle comme à un citoyen.
- Dieu a fait la montagne pour le daim et le chamois, et le daim et le chamois pour l'homme. Voilà pourquoi il a donné la légèreté au gibier et l'adresse au chasseur. Vous vous êtes donc trompé, Walter Furst, en m'appelant un vaillant archer, je ne suis qu'un pauvre chasseur.
- Adieu, Guillaume, va en paix !
- Dieu soit avec vous, frères !
Guillaume s'éloigna. Les trois hommes le suivirent des yeux en silence jusqu'à ce qu'il eût disparu au premier détour du chemin.
- Il ne faut pas compter sur lui, dit Werner Stauffacher. Et cependant, c'eût été un puissant allié.
- Dieu réserve à nous seuls la délivrance de notre pays. Dieu soit loué !
- Et quand nous mettrons-nous à l'œuvre ? dit Mechtal. Je suis pressé... Mes yeux pleurent, et ceux de mon père saignent.
- Nous sommes chacun d'une commune différente : toi, Werner, de Scuhwyz ; toi, Mechtal, d'Unterwald, et moi, d'Uri. Choisissons chacun, parmi nos amis, dix hommes sur lesquels nous puissions compter ; rassemblons-nous avec eux au Rütli. Dieu peut ce qu'il veut et, lorsqu'ils marchent dans sa voie, trente hommes valent une armée.
- Et quand nous rassemblerons-nous ? dit Mechtal.
- Dans la nuit de dimanche à lundi, répondait Walter Furst.
- Nous y serons, répondirent Werner et Mechtal.
Et les trois amis se séparèrent.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente