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Chapitre XL
Les poules de M. Chateaubriand

En sortant de l'hôtel de l'Aigle et en prenant le chemin qui s'étend à la gauche du lac de Zug, nous nous retrouvions sur un terrain qui appartient exclusivement à l'histoire. La route que nous suivions fut suivie par Guessler, et va aboutir à sa tombe. Nous ne nous arrêtâmes à Immensee, où nous arrivâmes à sept heures du matin, que le temps de faire une halte, et nous prîmes aussitôt la route de Küssnach, dont le nom amoureusement poétique est si peu en harmonie avec le souvenir de mort qu'il rappelle. à un quart de lieue d'Immensee à peu près, nous nous engageâmes dans le chemin creux au bout duquel veillait Guillaumd Tell ; il est large à peine pour passer une voiture et encaissé des deux côtés par un talus de douze pieds de hauteur, au sommet duquel s'élèvent des arbres dont les branches, se joignant et s'entrelaçant, forment un berceau au-dessus de la tête du voyageur ; à son extrémité, s'élève une chapelle ; c'est celle qui fut élevée à l'endroit même où expira Guessler. En face de la chapelle, un chemin latéral quitte la route, monte vingt pas à peu près, et s'arrête au pied d'un arbre. S'il faut en croire la tradition, c'est là, derrière et contre cet arbre même, dont on aperçoit à gauche, en venant d'Immensee, le tronc couvert de mousse, que Tell, caché, appuya son arbalète pour être plus sûr de son coup. En admettant cette distance entre le tireur et le but, Guillaume aurait tiré à vingt-sept pas.
Cette chapelle n'a rien qui la distingue des autres. Les effigies de saint Nicolas de Floue et de saint Charles Borromée la décorent, et, dans celle-ci comme dans les autres, on me présenta un livre où les pèlerins inscrivent leurs noms ; à l'avant-dernière page, je trouvai celui de M. de Chateaubriand.
Depuis Martigny, j'avais vu de temps en temps reparaître sur les livres des auberges ce grand et beau nom, confondu parmi les noms obscurs des touristes. à Andermatt, un voyageur avait dessiné au-dessous de ce nom une lyre couronnée de lauriers. L'aubergiste me l'avait montré comme un nom de prince, et je l'avais détrompé en lui disant que c'était un nom de roi. Je griffonnai ma signature bien loin et bien au-dessous de la sienne, comme devait le faire un courtisan respectueux, et je me remis en route.
En sortant du petit bois dans lequel est située la chapelle de Tell, nous aperçûmes à notre gauche les ruines de la forteresse à laquelle se rendait Guessler lorsqu'il fut tué. Un petit chemin y conduit ; nous le prîmes, et, en moins de dix minutes, nous arrivâmes à ce château, détruit par Stauffacher au mois de janvier de l'année 1308, et qui n'offre rien de remarquable que le souvenir qu'il rappelle. Le sentier qui y mène entre d'un côté, le traverse entièrement, et, sortant de l'autre, conduit droit à Küssnach. Nous nous y embarquâmes pour Lucerne.
Le lac des Quatre-Cantons passe généralement pour le plus beau lac de la Suisse : en effet, le caprice de sa forme donne à ses perspectives différentes beaucoup d'inattendu. Cependant, jusqu'alors je lui avait préféré le lac de Brientz, avec sa ceinture de glaciers ; mais, en arrivant en face de Lucerne, je fus forcé d'avouer que nulle part encore une vue aussi complète dans son ensemble et dans ses détails ne s'était offerte à mes yeux.
En effet, en face de moi, au fond de son petit golfe, s'élevait Lucerne, entourée de fortifications qui remontent au XVIe siècle, et qui donnent un aspect étrange à cette ville, dans un pays où les véritables remparts sont bâtis de la main de Dieu et s'élèvent à quatorze mille pieds de hauteur ; à sa droite et à sa gauche, comme deux sentinelles, comme deux géants, comme le génie du bien et du mal, s'élèvent le Righi, cette reine des montagnes , revêtu de son manteau de verdure brodé de villages et de chalets, et le Pilate , squelette osseux et décharné, couronné de nuages, où dorment les tempêtes. Jamais contraste plus complet que celui qu'offrent ces deux montagnes n'a été embrassé d'un coup d'œil. L'une, couverte de végétation de sa base à son sommet, abrite cent cinquante chalets, et nourrit trois mille vaches, l'autre, comme un mendiant, vêtue à peine de quelques lambeaux de verdure sombre qui laissent apercevoir ses flancs nus et déchirés, n'est habitée que par les orages et les aigles, les nuages et les vautours ; la première n'a que des traditions riantes, la seconde ne rappelle que des légendes infernales ; aussi le chemin qui côtoie sa base est-il celui que Walter Scott a choisi pour en faire le théâtre de la scène terrible qui ouvre son roman de Charles le Téméraire.
Le vent qui soufflait de Brunnen et qui enflait notre petite voile nous faisait glisser si doucement, au milieu de ce ravissant paysage, que, couché comme je l'étais sur la proue, je ne me sentais pas marcher, et que j'étais prêt à croire que c'était la ville qui venait au-devant de moi ; cette illusion dura jusqu'au dernier moment ; les maisons grandissantes semblaient sortir de l'eau. Nous doublâmes une tour qui, servant autrefois de phare , a donné son nom à la ville, et nous abordâmes sur le quai. Une auberge que nous trouvâmes sur notre route était celle du Cheval-Blanc ; nous nous y arrêtâmes.
La première nouvelle que j'appris, et en effet c'était la plus importante, était que M. de Chateaubriand habitait Lucerne. On se rappelle qu'après la révolution de juillet, notre grand poète, qui avait voué sa plume à la défense de la dynastie déchue, s'exila volontairement, et ne revint à Paris que lorsqu'il y fut rappelé par l'arrestation de la duchesse de Berry. Il demeurait à l'hôtel de l'Aigle.
Je m'habillai aussitôt dans l'intention d'aller lui faire une visite ; je ne le connaissais pas personnellement. à Paris, je n'eusse point osé me présenter à lui ; mais hors de la France, à Lucerne, isolé comme il l'était, je pensai qu'il y aurait peut-être quelque plaisir pour lui à voir un compatriote. J'allai donc hardiment me présenter à l'hôtel de l'Aigle ; je demandai M. de Chateaubriand au garçon de l'hôtel ; il me répondit qu'il venait de sortir pour donner à manger à ses poules. Je le fis répéter, croyant avoir mal entendu ; mais il me fit une seconde fois la même réponse. Je laissai mon nom, en réclamant en même temps la faveur d'être reçu le lendemain, car il commençait à se faire tard, et les courses continues que j'avais faites depuis Brigg, le peu de repos que j'avais pris pendant les trois ou quatre dernières étapes, me faisaient sentir que je n'aurais pas trop du reste du jour et de la nuit pour me remettre tout à fait ; quant à Francesco, toute ville était pour lui Capoue.
Le lendemain, je reçus une lettre de M. de Chateaubriand, envoyée dès la veille, mais qu'on ne m'avait pas remise de peur de m'éveiller ; c'était une invitation à déjeuner pour dix heures ; il en était neuf, il n'y avait pas de temps à perdre ; je sautai à bas de mon lit, et je m'habillai.
Il y avait bien longtemps que je désirais voir M. de Chateaubriand. Mon admiration pour lui était une religion d'enfance ; c'était l'homme dont le génie s'était le premier écarté du chemin battu pour frayer à notre jeune littérature la route qu'elle a suivie depuis ; il avait suscité à lui seul plus de haines que tout le cénacle ensemble ; c'était le roc que les vagues de l'envie, encore émues contre nous, avaient vainement battu pendant cinquante ans, c'était la lime sur laquelle s'étaient usées les dents dont les racines avaient essayé de nous mordre.
Aussi, lorsque je mis le pied sur la première marche de l'escalier, le cœur faillit me manquer. Tout à fait inconnu, il me semblait que j'eusse été moins écrasé de cette immense supériorité, car alors le point de comparaison eût manqué pour mesurer nos deux hauteurs, et je n'avais pas la ressource de dire comme le Stromboli au mont Rosa : « Je ne suis qu'une colline, mais je renferme un volcan. »
Arrivé sur le palier, je m'arrêtai, le cœur me battait avec violence ; j'eusse moins hésité, je crois, à frapper à la porte d'un conclave. Peut-être en ce moment, M. de Chateaubriand croyait-il que je le faisais attendre par impolitesse, tandis que je n'osais entrer par vénération. Enfin, j'entendis le garçon qui montait : je ne pouvais rester plus longtemps à cette porte, je frappai ; ce fut M. de Chateaubriand lui-même qui me vint ouvrir.
Certes il dut se former une singulière opinion de mes manières, s'il n'attribua pas mon embarras à sa véritable cause : je balbutiai comme un provincial ; je ne savais si je devais passer devant ou derrière lui ; je crois que, comme M. Parseval devant Napoléon, s'il m'eût demandé mon nom, je n'aurais su que lui répondre.
Il fit mieux, il me tendit la main.
Pendant tout le déjeuner, nous parlâmes de la France ; il envisagea, les unes après les autres, toutes les questions politiques qui se débattaient à cette époque, depuis la tribune jusqu'au club, et cela avec cette lucidité de l'homme de génie qui pénètre au fond des choses et des hommes, qui estime à leur valeur les convictions et les intérêts, et qui ne s'illusionne sur rien. Je demeurai convaincu que M. de Chateaubriand regardait dès lors le parti auquel il appartenait comme perdu, croyait tout l'avenir dans le républicanisme social, et demeurait attaché à sa cause plus encore parce qu'il la voyait malheureuse que parce qu'il la croyait bonne : il en est ainsi de toutes les grandes âmes, il faut qu'elles se dévouent à quelque chose ; quand ce n'est pas aux femmes, c'est aux rois ; quand ce n'est pas aux rois, c'est à Dieu.
Je ne pus m'empêcher de faire observer à M. de Chateaubriand que ses théories, royalistes par la forme, étaient républicaines par le fond.
- Cela vous étonne ? me dit-il en souriant.
Je le lui avouai.
- Je le crois. Cela m'étonne bien davantage encore, continua-t-il ; j'ai marché sans le vouloir comme un rocher que le torrent roule, et maintenant voilà que je me trouve plus près de vous que vous de moi !... Avez-vous vu le lion de Lucerne ?
- Pas encore.
- Eh bien, allons lui faire une visite ; c'est le monument le plus important de la ville ; vous savez à quelle occasion il a été érigé ?
- En mémoire du 10 août.
- C'est cela.
- Est-ce une belle chose ?
- C'est mieux que cela, c'est un beau souvenir.
- Il n'y a qu'un malheur, c'est que le sang répandu pour la monarchie était acheté à une république, et que la mort de la garde suisse n'a été que le paiement exact d'une lettre de change.
- Cela n'en est pas moins remarquable, dans une époque où il y avait tant de gens qui laissaient protester leurs billets.
Comme on voit, ici nous différions dans nos idées : c'est le malheur des opinions qui partent de deux principes opposés ; toutes les fois que le besoin les rapproche, elles s'entendent sur les théories, mais elles se séparent sur les faits.
Nous arrivâmes en face du monument, situé à quelque distance de la ville, dans le jardin du général Pfyffer. C'est un rocher taillé à pic, dont le pied est baigné par un bassin circulaire. Une grotte de quarante-quatre pieds de longueur sur quarante-huit pieds d'élévation a été creusée dans ce rocher, et, dans cette grotte, un jeune sculpteur de Constance nommé Ahorn a, sur un modèle en plâtre de Thorwaldsen, taillé un lion colossal percé d'une lance dont le tronçon est resté dans la plaie, et qui expire en couvrant de son corps le bouclier fleurdelisé qu'il ne peut plus défendre ; au-dessus de la grotte, on lit ces mots :
HELVETIORUM FIDEI AC VIRTUTI.
Et, au-dessous de cette inscription, les noms des officiers et des soldats qui périrent le 10 août ; les officiers sont au nombre de vingt-six, et les soldats de sept cent soixante.
Ce monument prenait, au reste, un intérêt plus grand de la nouvelle révolution qui venait de s'accomplir et de la nouvelle fidélité qu'avaient déployée les Suisses. Cependant, chose bizarre, l'invalide qui garde le lion nous parla beaucoup du 10 août, mais ne nous dit pas un mot du 29 juillet. La plus nouvelle des deux catastrophes était celle qu'on avait déjà oubliée, et c'est tout simple : 1830 n'avait chassé que le roi, 1790 avait chassé la royauté.
Je montrai à M. de Chateaubriand les noms de ces hommes qui avaient si bien fait honneur à leur signature, et je lui demandai, si l'on élevait un pareil monument en France, quels seraient les noms de nobles qu'on pourrait inscrire sur la pierre funéraire de la royauté pour faire pendant à ces noms populaires.
- Pas un, me répondit-il.
- Comprenez-vous cela ?
- Parfaitement : les morts ne se font pas tuer.
L'histoire de la révolution de juillet était tout entière dans ces mots : la noblesse est le véritable bouclier de la royauté ; tant qu'elle l'a porté au bras, elle a repoussé la guerre étrangère et étouffé la guerre civile ; mais, du jour où, dans sa colère, elle l'a imprudemment brisé, elle s'est trouvée sans défense. Louis XI avait tué les grands vassaux, Louis XIII les grands seigneurs, et Louis XVI les aristocrates ; de sorte que, lorsque Charles X a appelé à son secours les d'Armagnac, les Montmorency et les Lauzun, sa voix n'a évoqué que des ombres et des fantômes.
- Maintenant, me dit M. de Chateaubriand, si vous avez vu tout ce que vous vouliez voir, allons donner à manger à mes poules.
- Au fait, vous me rappelez une chose : c'est que, lorsque je me suis présenté hier à votre hôtel, le garçon m'a dit que vous étiez sorti pour vous livrer à cette champêtre occupation ; votre projet de retraite irait-il jusqu'à vous faire fermier ?
- Pourquoi pas ? Un homme dont la vie aurait été comme la mienne poussée par le caprice, la poésie, les révolutions et l'exil sur les quatre parties de ce monde, serait bien heureux, ce me semble, non pas de posséder un chalet dans ces montagnes, je n'aime pas les Alpes, mais un herbage en Normandie, ou une métairie en Bretagne. Je crois décidément que c'est la vocation de mes vieux jours.
- Permettez-moi d'en douter. Vous vous souviendrez de Charles-Quint à Saint-Just : vous n'êtes pas de ces empereurs qui abdiquent, ou de ces rois qu'on détrône ; vous êtes de ces princes qui meurent sous un dais et qu'on enterre comme Charlemagne, les pieds sur leur bouclier, l'épée au flanc, la couronne en tête et le sceptre à la main.
- Prenez garde, il y a longtemps qu'on ne m'a flatté, et je serais capable de m'y laisser reprendre. Allons donner à manger à mes poules.
Sur mon honneur, j'aurais voulu tomber à genoux devant cet homme, tant je le trouvais à la fois simple et grand !...
Nous nous engageâmes sur le pont de la Cour, qui conduit à la partie de la ville qui est séparée par un bras du lac : c'est le pont couvert le plus long de la Suisse après celui de Rapperschwyl ; il a treize cent quatre-vingt pieds et est orné de deux cent trente-huit sujets tirés de l'Ancien et du Nouveau Testament.
Nous nous arrêtâmes aux deux tiers à peu près de son étendue, à quelque distance d'un endroit couvert de roseaux. M. de Chateaubriand tira de sa poche un morceau de pain qu'il y avait mis après le déjeuner, et commença de l'émietter dans le lac ; aussitôt, une douzaine de poules d'eau sortirent de l'espèce d'île que formaient les roseaux, et qui virent en hâte se disputer le repas que leur préparait, à cette heure, la main qui avait écrit le Génie du christianisme, les Martyrs et le Dernier des Abencerrages. Je regardai longtemps, sans rien dire, le singulier spectacle de cet homme penché sur le pont, les lèvres contractées par un sourire, mais les yeux tristes et graves : peu à peu son occupation devint tout à fait machinale, sa figure prit une expression de mélancolie profonde, ses pensées passèrent sur son large front comme des nuages au ciel ; il y avait parmi elles des souvenirs de patrie, de famille, d'amitiés tendres, plus sombres que les autres. Je devinai que ce moment était celui qu'il s'était réservé pour penser à la France.
Je respectai cette méditation tout le temps qu'elle dura. à la fin, il fit un mouvement et poussa un soupir. Je m'approchai de lui ; il se souvint que j'étais là et me tendit la main.
- Mais si vous regrettez tant Paris, lui dis-je, pourquoi n'y pas revenir ? Rien ne vous en exile, et tout vous y rappelle.
- Que voulez-vous que j'y fasse ? me dit-il. J'étais à Cauterets lorsqu'arriva la révolution de juillet. Je revins à Paris. Je vis un trône dans le sang et l'autre dans la boue, des avocats faisant une charte, un roi donnant des poignées de main à des chiffonniers. C'était triste à en mourir, surtout quand on est plein, comme moi, des grandes traditions de la monarchie. Je m'en allai.
- D'après quelques mots qui vous sont échappés ce matin, j'avais cru que vous reconnaissiez la souveraineté populaire.
- Oui, sans doute, il est bon que, de temps en temps, la royauté se retrempe à sa source, qui est l'élection ; mais, cette fois, on a sauté une branche de l'arbre, un anneau de la chaîne ; c'était Henri V qu'il fallait élire, et non Louis-Philippe.
- Vous faites peut-être un triste souhait pour ce pauvre enfant, répondis-je ; les rois du nom de Henri sont malheureux en France : Henri Ier a été empoisonné, Henri II tué dans un tournoi, Henri III et Henri IV ont été assassinés.
- Eh bien, mieux vaut, à tout prendre, mourir du poignard que de l'exil ; c'est plus tôt fait, et on souffre moins.
- Mais vous, ne reviendrez-vous pas en France ? Voyons.
- Si la duchesse de Berri, après avoir fait la folie de venir dans la Vendée, fait la sottise de s'y laisser prendre, je reviendrai à Paris pour la défendre devant ses juges, puisque mes conseils n'auront pas pu l'empêcher d'y paraître.
- Sinon ?...
- Sinon, continua de M. de Chateaubriand en émiettant un second morceau de pain, je continuerai à donner à manger à mes poules.
Deux heures après cette conversation, je m'éloignai de Lucerne dans un bateau conduit par deux rameurs ; j'avais vu de la ville ce que voulais en voir, et, de plus, j'en emportais un souvenir que je ne comptais pas y trouver, celui d'une entrevue avec M. de Chateaubriand ; j'étais resté tout un jour avec le géant littéraire de notre époque, avec l'homme dont le nom retentit aussi haut que ceux de Goethe et de Walter Scott. Je l'avais mesuré comme ces montagnes des Alpes qui s'élevaient blanchissantes sous mes yeux ; j'étais monté sur son sommet, j'étais descendu au fond de ses abîmes ; j'avais fait le tour de sa base de granit, et je l'avais trouvé plus grand encore de près que de loin, dans la réalité que dans l'imagination, dans la parole que dans les œuvres. Depuis ce temps, l'impression que j'avais reçue n'a fait que s'accroître, et jamais je n'ai essayé de revoir M. de Chateaubriand, de peur de ne pas le retrouver tel que je l'avais vu, et que ce changement ne portât atteinte à la religion que je lui ai vouée. Quant à lui, il est probable qu'il a oublié, non seulement les détails de ma visite, mais encore la visite elle-même ; et c'est tout simple : j'étais le pèlerin, et il était le Dieu.

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