Homme de mouvement, homme de désir,
homme de plaisir, Alexandre Dumas a naturellement multiplié les liaisons
amoureuses. Les mille et trois maîtresses de ce Don Juan bonhomme
ont passé furtivement le long de sa course debridée à
travers la vie. Comme des ombres. Leur nombre est trop considérable
pour que chacune d'elles pût être considérée longuement.
Aussi, les juge-t-on toutes généralement insignifiantes.
Pourtant, chaque fois qu'un regard dépourvu de préjugés
s'arrête sur l'une de ces irrégulières, il découvre
des fragments d'existence quelquefois riches d'enseignements psychologiques
ou sociologiques, souvent touchants, toujours romanesques.
La redécouverte d'un monument, la tombe de Micaëlla Cordier,
et d'un document d'état-civil, l'acte de naissance de Belle Krelsamer,
a constitué le point d'appui de deux enquêtes parallèles
sur ces deux femmes particulières que furent les mères des
deux filles de Dumas. Que connaissions-nous d'elles ? Presque rien, fût-ce
leur nom ou prénom.
Les biographes n'évoquaient jusqu'ici Emélie (et non Emilie)
Cordier qu'à l'aide de quelques témoignages contemporains
très partiaux et d'éléments glanés dans les
Souvenirs et impressions manuscrits de
Micaëlla Cordier, conservés dans les papiers Alexandre Dumas
fils de la Bibliothèque nationale (n.a. fr. 24 642) : c'est pourquoi,
publiant intégralement ce manuscrit, dans lequel transparaît
l'existence pathétique du Bébé d'Alexandre Dumas -
trois lettres de Dumas au Petit Journal
nous disent la tendresse qu'éprouvait le vieux père pour sa
petite fille - , nous l'avons considérablement enrichi par des notes
qui pouvaient éclairer les souvenirs souvent confus de Micaëlla
; les archives d'état-civil ont mené à reconstituer
les familles d'Emilie Cordier : sa famille d'origine, sa famille légitime
(son mari, Oscar Edwards, et ses enfants : Berthe, René, Emile, Andrée
et Jacques Edwards), sa longue liaison avec Edouard Goepp ; ses lettres
retrouvées à Lorédan Larchey, conservateur de la Bibliothèque
de l'Arsenal, donnent même à entendre la voix de l'amiral vieillissant.
Belle Kreilssamner (et non Krelsamer), quant à elle, avait eu son
historien, Maurice Châtelier, descendant par alliance de la comédienne,
qui avait déposé à la Bibliothèque de la Comédie-Française
trois feuilles manuscrites, notices biographiques des quatre surs
Kreilssamner. Les renseignements fournis, qui comportaient des zones d'ombre,
demandaient à être complétés. Des documents importants
(acte de mariage des parents, actes de naissance des surs, actes notariaux,
quelques lettres, précisions sur sa carrière théâtrale)
ont été mis au jour, retouchant largement cette première
esquisse biographique, difficilement accessible.
Si, à première et courte vue, ces documents témoins
de vies éparses éloignent de l'uvre, ils nous semblent
au contraire plonger au coeur de la création dumasienne : Marie et
Micaëlla sont les petites surs de leurs frères, nés
tout armés du cerveau de leur père : Antony, Raoul de Bragelonne,
Salvator des Mohicans
de Paris, Sébastien Gilbert des Mémoires
d'un médecin. Tous bâtards.
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