Titre
Ingénue
Année de publication
1854
Genre
Roman
Collaborateur(s)
Paul Lacroix
Epoque du récit
1788-1793
Résumé
En août 1788, Marat, médecin aux écuries du comte
d'Artois, et Danton, avocat, font connaissance à l'occasion de
l'annonce du remplacement de M. de Brienne par Necker au poste de ministre
des finances.
Au cours d'un déjeuner, Marat raconte à Danton un épisode
de sa jeunesse qui a bouleversé sa vie aussi bien moralement que
physiquement. En Pologne, il fut le professeur de la belle comtesse Cécile
Obinska dont il tomba amoureux fou. Devant son mépris, il lui fit
prendre un narcotique et abusa d'elle. A la suite de quoi il fut roué
de coups et laissé pour mort. Le chemin du retour en France fut
long, semé d'embûches et les souffrances endurées
le rendirent laid et méchant...
Le peuple décide de brûler l'effigie de M. de Brienne, mais
cette manifestation tourne vite à l'émeute. Revenant de
dîner de chez leur ami Réveillon, fabricant de papiers peints,
le célèbre écrivain Restif de la Bretonne et sa fille
Ingénue s'y trouvent mêlés et sont séparés
lors de la charge du guet.
Ingénue est raccompagnée chez elle par le comte d'Artois
qui lui manifeste un grand intérêt dont elle ne se soucie
guère. Il faut dire que son coeur est pris par Christian, un jeune
homme qui ose enfin demander sa main à son père. Seulement
Restif, par conviction, ne mariera sa fille qu'à un ouvrier ou
à un marchand. Or, Christian est en fait le comte Obinska, page
du comte d'Artois. Désespéré, avec l'envie de mourir,
il se dirige vers l'émeute. Grièvement blessé à
la jambe, il est amené par Danton à Marat qui le contraint
à l'immobilité avant de reconnaître avec stupeur en
la mère du jeune homme, sa belle et froide polonaise...
Pendant ce temps, Auger, homme de confiance du comte d'Artois, essaye
par tous les moyens de livrer Ingénue à son maître,
mais sans succès. Le prince, mécontent de son incapacité,
le renvoie donc. Feignant le repentir, Auger, avec l'aide d'un prêtre,
se réconcilie avec Restif et Ingénue, se fait embaucher
par Réveillon, et se comporte de telle façon que sa demande
de mariage avec Ingénue est acceptée. En effet celle-ci,
ignorant la blessure de Christian et son impossibilité de bouger,
prend son silence pour une rupture.
Le soir des noces, Auger, tout fier, offre sa place dans le lit nuptial
au comte d'Artois. Reconnu par Ingénue, celui-ci bat en retraite
sous les yeux indignés de Christian, convalescent, qui vient enfin
de trouver le nouveau domicile de sa bien-aimée... Après
explications, les deux hommes se réconcilient et le prince prend
à coeur cet amour.
Ingénue, outrée et furieuse de l'attitude de son mari, le
repousse et trouve dans la conversation de Christian un répit à
ses malheurs. Auger se lance alors dans la politique en faisant élire
Réveillon pour les états généraux. Mais comme
celui-ci oublie de le remercier, il se venge en colportant les préjugés
de son patron dans le peuple. Une émeute s'en suit qu'il met à
profit pour voler la caisse et mettre le feu à la maison. Surpris
par Ingénue, il n'a d'autres choix que de la poignarder.
Heureusement, Ingénue est sauvée in extremis par Christian
qui, aidé par le comte d'Artois, la fait soigner. Après
avoir fait connaître la vérité à son père,
elle dénonce Auger qui est arrêté, jugé et
pendu.
Cinq ans après, nous retrouvons ensuite toute la famille Obinska
en Pologne où elle coule des jours heureux alors que Restif
est resté à Paris.
Analyse
C'est dans une oeuvre de Restif de la Bretonne(1734-1806) Ingénue
de Saxancour ou la femme séparée dans lequel l'écrivain
raconte la vie de sa fille aînée Agnès avec son époux
Charles-Marie Auger, que Dumas a puisé le sujet de ce roman. Il
a retenu surtout le nom d'Ingénue dont il a fait une jeune fille
pure et d'une chasteté à toute épreuve (alors que
la fille de Restif était loin de l'être) et a pris son mariage
malheureux pour bâtir son intrigue imaginaire.
La période historique, avec les prémices de la révolution
française, lui donne l'occasion de faire apparaître dans
son récit un Marat romancier (il a bien écrit un roman qui
s'appelle comme dans Ingénue Les
aventures du jeune comte Potowski). Son portrait, qui explique
les raisons de sa laideur et de sa méchanceté, arrive à
nous le faire prendre en pitié jusqu'à ce qu'une agression
envers Ingénue nous rappelle sa véritable nature. Pour l'anecdote,
une femme va se dresser entre Marat et Ingénue, n'hésitant
pas à le souffleter: Charlotte Corday...
Les autres personnages sont tout aussi remarquables. Le comte d'Artois,
malgré un côté immoral, se révèle finalement
généreux et juste; Restif de la Bretonne, en écrivain
un peu fou, considéré à son époque comme licencieux
et qui a fait de sa fille une véritable ingénue; Auger,
avec sa méchanceté, son hypocrisie, sa cupidité,
incarne le mal sous son aspect le plus abject.
Christian n'est pas un héros parfait puisqu'il a ses faiblesses:
il a menti au début en disant à Ingénue qu'il était
ciseleur, il essaye de la convaincre qu'elle peut bien sauter le pas avant
leur mariage mais se soumet quand même à ses conditions.
Ingénue est inflexible dans sa résolution de ne se donner
qu'à son mari et sa force de caractère, voire sa férocité
devant l'infamie d'Auger. Danton est dépeint en bon vivant partagé
entre l'envie de vivre comme les aristocrates et d'arrêter les brimades
commises par ceux-ci contre le peuple. Réveillon, ce pauvre devenu
riche, se comporte avec ses ouvriers comme s'il n'avait jamais connu leur
situation (une émeute mettant en cause sa conduite pendant la famine
a bien eu lieu à son encontre)...
Ingénue est un roman charmant,
parsemé de traits d'humour, qui se dévore, y compris les
premiers chapitres dans lesquels nous suivons l'amitié naissante
de Danton et Marat en passant par leurs clubs respectifs. Nous avons droit
à des discours en faveur de l'abolition de l'esclavage, sur les
mauvais traitements endurés par le peuple et à un plaidoyer
en faveur des droits de l'homme, écrits d'une très belle
manière.
A noter que lors de sa parution en feuilleton dans Le Siècle, les
petits enfants de Restif de la Bretonne (les fils d'Ingénue) intentèrent
à Dumas un procès en diffamation qui fut arrêté
au moment des plaidoiries par une transaction et des excuses de l'auteur.
Nicole Vougny
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