Kean Vous êtes ici : Accueil > Œuvre > Dictionnaire des œuvres
Page précédente | Imprimer

Titre Kean

Année de publication 1836 pour la version originale, représentée pour la première fois au Théâtre des Variétés le 31 août 1836 - 1953 pour la version de Jean-Paul Sartre

Genre Théâtre

Collaborateur(s) aucun pour la version originale. Jean-Paul Sartre pour la version de 1953.

Epoque du récit années 1820 ?

Résumé Sous-titrée Désordre et génie, cette pièce de théâtre est basée sur la vie du très réel Edmond Kean, génial comédien britannique (1787-1833) qui connut une immense popularité en tant qu'acteur shakespearien.

Elle met donc en scène la vie de ce dernier, qui d'une part est adulé par le public et recherché par la bonne société anglaise - jusqu'au prince de Galles qui affecte de le traiter en ami - et qui d'autre part se sent éternellement marginal et exclu. Le « monde » le considère comme un simple amuseur, et Kean lui-même ne peut, en dépit de ses considérables revenus, se défaire de son goût pour la pègre et les cabarets mal famés.

Le premier acte se déroule dans le salon d'Eléna de Koefeld, où le prince de Galles discute des dernières frasques de l'acteur, accusé d'avoir enlevé une riche jeune fille, Anna Damby. Kean lui-même arrive, et, sous couvert d'expliquer qu'il ne connaît pas miss Anna, donne en cachette un rendez-vous à la comtesse de Koefeld.

Au deuxième acte, Kean, chez lui, reçoit la visite d'Anna Damby, qui lui explique que, refusant le mariage imposé par sa famille avec lord Mewill, elle veut désormais gagner sa vie en devenant actrice. Kean lui brosse un portrait terrifiant de ce métier, où une actrice doit se vendre pour réussir, où un acteur est sans cesse victime de cabales, où la gloire n'est qu'illusion - mais métier qui lui, Kean, n'abandonnerait pour rien au monde !

Le troisième acte se déroule dans une taverne où Kean voit arriver Anna, poursuivie par lord Mewill. L'acteur se dresse contre le grand seigneur, qui refuse de se battre avec lui, car un lord ne se bat pas avec un «saltimbanque». Kean l'écrase de son mépris dans une grandiose tirade.

Situé dans la loge de Kean, le quatrième acte voit l'acteur y recevoir d'abord la visite d'Eléna, qui est prête à tout quitter pour lui, puis celle du prince de Galles. Sachant que ce dernier est un grand coureur de jupons, Kean le supplie de ne pas chercher à séduire Eléna, dont il est amoureux. Après avoir un moment refusé de jouer, l'acteur entre finalement en scène, mais se trouve pris d'une crise de folie, injurie le prince de Galles et son entourage, et interrompt la représentation.

Enfermé chez lui pour le cinquième acte, Kean reçoit successivement les visites d'Anna, d'Eléna, du mari de cette dernière, du prince de Galles, etc... Il en ressort qu'Eléna a repris ses esprits et ne veut plus abandonner sa position sociale pour fuir avec l'acteur ; tandis qu'Anna, qui l'aime d'un amour sincère, est prête à tous les dévouements pour lui. Le prince de Galles intervient pour sauver Kean de la prison. L'acteur s'exile en Amérique avec Anna.

Analyse Telle quelle, la pièce écrite par Dumas est un superbe hommage au théâtre, à la passion d'être acteur. C'est aussi, beaucoup, un plaidoyer sur le statut social de ce dernier. Kean, issu d'un milieu social très modeste, vit très mal la situation résolument fausse dans laquelle il se trouve : adulé par la foule, recherché par la haute société, ami du prince héritier - mais demeurant en fin de compte aux yeux de tous un saltimbanque, un bouffon avec qui les relations ne sauraient qu'être superficielles. A cet égard, Kean fait beaucoup penser à Dumas lui-même : comme l'acteur, l'écrivain s'est fait tout seul, a connu la gloire universelle, la fortune instantanée, l'amitié des grands de ce monde. Mais comme Kean, Dumas n'a jamais été pris au sérieux : passionné de politique, il ne s'est jamais fait élire ; l'Académie française a rejeté avec mépris cet écrivain trop superficiel. Et les têtes couronnées qui l'ont fréquenté ne l'ont jamais considéré comme autre chose qu'un amuseur particulièrement brillant.

Déjà remarquable par elle-même, la pièce de Dumas a connu en outre le sort singulier d'être «réécrite» un bon siècle plus tard par Jean-Paul Sartre. Une réécriture intégrale qui n'a pas pour autant incité Sartre à revendiquer la paternité de la nouvelle pièce: l'édition Gallimard présente bien Kean comme étant l'oeuvre d'Alexandre Dumas (dont le nom apparaît seul au dos du livre), dans une «adaptation de Jean-Paul Sartre».

Cela dit, il faut bien reconnaître que la version de Sartre est encore bien plus réussie que celle de Dumas, et que la transformation effectuée par l'auteur de La nausée est passionnante. Sartre a en fait considérablement développé certains éléments qui n'étaient évoqués que de façon passagère chez Dumas : la dérive de Kean vers la folie, la perte d'identité de l'acteur qui ne sait plus où est le réel et où est le jeu.

Alors que chez Dumas, Kean souffre essentiellement de son statut social, chez Sartre il n'a plus d'identité. La passion de jouer qui l'anime finit par l'envahir tout entier, ce qui donne à Sartre l'occasion de vertigineuses mises en abîme. Le meilleur exemple en est fourni par Anna, dont le rôle est beaucoup plus important dans la version de Sartre : quand elle vient demander à Kean de lui apprendre à jouer, ce dernier lui demande, à titre d'exercice, de jouer le rôle d'une jeune fille qui viendrait demander à lui, Kean, de lui apprendre à jouer...

Très grand chef d'oeuvre, donc, le Kean de Dumas-Sartre est fort heureusement encore joué régulièrement. Signalons enfin l'existence d'une parodie très réussie, Kinne, contemporaine de la première de la pièce. Voir un article complet sur Kinne sur le site pastichesdumas.com.

Patrick de Jacquelot

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente