Titre
Urbain Grandier
Année de publication
1850
Genre
Théâtre (drame en cinq actes et un prologue ; Théâtre-Historique,
30 mars 1850)
Collaborateur(s)
Auguste Maquet
Epoque du récit
1629-1634
Résumé
L'action commence au moment du siège de Casal, un épisode
de la Guerre de trente ans au cours duquel Espagnols et Piémontais
s'opposaient aux armées de Richelieu. Urbain Grandier, alors simple
soldat, facilite la fuite d'Olivier de Sourdis, qui vient d'enlever sa
bien aimée Bianca dei Albizzi envoyée au couvent par son
frère. Urbain revient chez lui, pour apprendre la mort subite de
la femme qu'il aime, Ursule de Sablé ; il renonce alors au monde
(Prologue). Devenu curé de Loudun, Urbain fait échouer la
cérémonie des vux perpétuels de Bianca, trompée
par son frère Maurizio qui lui avait fait croire à l'infidélité
d'Olivier. Il découvre peu après qu'Ursule n'est pas morte,
mais recluse dans un in-pace au couvent des Ursulines (Acte I). Ursule
a été enfermée sur ordre de l'ancienne maîtresse
d'Urbain, Jeanne de Laubardemont, jalouse et tourmentée par la
relation incestueuse qui l'unit à son père, le conseiller
d'État. Urbain délivre Ursule (Acte II)
et l'emmène
chez lui. C'est là qu'on vient l'arrêter pour s'être
opposé à la prise de voile de Bianca. En prison il apprend
que d'autres charges, beaucoup plus lourdes, pèsent contre lui
: sorcellerie, pacte avec le démon. Il parvient à s'évader
(Acte III)
et s'enfuit dans la nuit et la neige. Il va au secours
d'Ursule, menacée par des spadassins aux ordres de Jeanne, et tire
en même temps Bianca, encore aux prises avec son frère, d'un
autre guet-apens. Lors du combat, Urbain croit avoir tué Maurizio
et se constitue prisonnier. Le procès intenté à Urbain
tourne à la confusion de ses juges, Jeanne témoignant contre
son père et les religieuses prétendument subornées
se rétractant. Mais l'arrivée de Maurizio, mourant, amène
Urbain, désespéré de ne pouvoir s'unir à Ursule
en ce monde, à se livrer pour ce meurtre à la justice des
hommes (Acte IV). Urbain refuse l'offre d'Olivier qui ourdit un plan pour
le libérer, et marche au supplice dans une atmosphère d'apothéose,
martyr et déjà saint aux yeux du peuple (Acte V).
Analyse
Cette pièce que Gautier portait aux nues est quelquefois rangée
parmi les uvres fantastiques de Dumas. Le tableau muet qui clôt
le deuxième acte et sublime en une pantomime et un ballet la scène
de bacchanale des religieuses en goguette, quasi onirique - et un rien
saphique, y est sans doute pour quelque chose, d'autant que dans ce même
tableau Grandier exerce pour la première fois en direct son étrange
magnétisme sur Jeanne et la force à lui remettre la clé
du cachot d'Ursule. Au début, il se sert de son jeune frère
comme d'un médium, pour voir à distance, ou même dans
le passé, et confie, troublé, son don de double vue à
son vieux confesseur. Celui-ci le rassure, c'est Dieu et non le diable
qui l'inspire. N'empêche... L'insistance de Dumas sur ce qu'on appellerait
aujourd'hui ses facultés parapsychologiques, et les effets spectaculaires
qu'il en tire à la scène, rendent le personnage ambigu.
Il était très beau, et les nonettes en étaient folles.
On sait qu'il déplût au pouvoir - Dumas passe sous silence
le différend qu'il eut avec Richelieu - et il fut facile d'instrumentaliser
les tourments intimes de vierges folles de leur corps. L'affaire des diables
de Loudun défraya la chronique. Dumas y avait consacré près
de dix ans auparavant un chapitre
des Crimes célèbres,
et l'évoque aussi dans Vingt
ans après et d'autres uvres. Sur le même sujet,
Aldous Huxley écrivit The Devils of Loudun
(1952), un roman devenu une pièce dont s'inspirèrent ensuite
le compositeur Krzysztof Penderecki et le cinéaste Ken Russell,
pour un opéra (1969) et pour un film vite interdit (1971) portant
chacun le même titre. Plus récemment l'historien jésuite
Michel de Certeau publia une étude sur La
possession de Loudun (1970), et, y revint dans une perspective
psychanalytique avec The Theater of the Quiproquo
: Alexandre Dumas (in Heterologies :
Discourses on the Other, Minneapolis, University of Minnesota Press,
1986) . Joué au Théâtre-Historique le 30 mars 1850,
ce drame en cinq actes est un peu déséquilibré par
le très long prologue, qui couvre trois tableaux et fait à
peu près le tiers de l'ensemble. L'action suit deux lignes dramatiques
qui nuisent à son unité, les amours contrariées d'Olivier
et de Bianca d'un côté, et celles d'Urbain et d'Ursule de
l'autre, mais offre de grands spectacles, frôlant le mélo
parfois, la nuit dans la neige, le procès d'Urbain Grandier, sa
marche au supplice. La charge anticléricale est nuancée,
le personnage central prenant de plus en plus une figure christique, attaché
les bras en croix sur le bûcher au dernier tableau. Le texte a été
publié en librairie l'année de la création.
François Rahier
|