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Titre La San Felice. Certaines éditions anciennes divisent l'œuvre en trois parties : La San Felice, Emma Lyonna et Le destin de la San Felice.

Année de publication 1864

Genre Roman

Collaborateur(s) -

Epoque du récit 1798-1800

Résumé Septembre 1798. Revenant d'Aboukir où la flotte britannique a vaincu Bonaparte, l'Amiral Nelson est reçu en triomphateur à la cour de Naples. Garat, ambassadeur de la République, fait irruption dans cette manifestation d'hostilité anti-française et promet la guerre au Royaume de Naples. Trop vite cependant : le soir même, Salvato Palmieri, agent envoyé de Rome par le général Championnet pour informer Garat de la situation des Français et l'inviter à gagner du temps, est attaqué par les sbires de la reine Marie-Caroline de Naples. Laissé pour mort, il est recueilli par Luisa San Felice, jeune Napolitaine épouse du chevalier San Felice, vieil homme de lumières et bibliothécaire à la cour. Confié par le sort à ses soins, Salvato s'éprend de Luisa, et réciproquement.

Marie-Caroline convainc le roi Ferdinand de la nécessité d'entrer sans retard en guerre contre les Français maîtres de Rome, en faisant valoir l'appui des Anglais que l'irrésistible Lady Hamilton a pu obtenir de Nelson. C'est bientôt chose faite. Les Français sont repoussés, le général Mack s'empare de Rome, Ferdinand y triomphe, mais, contre toute attente, la riposte française est fulgurante et sans appel : ils reprennent la ville, l'armée napolitaine est déconfite, et le roi regagne piteusement ses terres. C'est la porte ouverte aux soldats de la République, qui marchent sur Naples. La cour fuit vers Palerme, en Sicile.

Un régime républicain s'installe à Naples. La "République parthénopéenne", calquée sur son aînée française, est proclamée. Les Jacobins, élite libérale du royaume, arrivent à vaincre l'ignorance populaire. Saint-Janvier y contribue, dont le miracle semestriel (la liquéfaction de son sang) est anticipé par Championnet. L'idylle se poursuit entre Salvato et Luisa, qui devient bien malgré elle une icône du nouveau régime, en déjouant, pour sauver la vie de son amant, une conspiration bourbonienne fomentée par un de ses anciens admirateurs, le jeune banquier Backer.

Mais la liberté nouvelle est fragile. Le cardinal Ruffo, que Ferdinand a nommé Lieutenant-général et à qui il a donné carte blanche, organise la reconquête de la partie continentale du Royaume, à partir de Reggio de Calabre. Il n'hésite pas à recruter parmi les brigands - Fra Diavolo n'en est que le plus sanguinaire - pour former son "Armée de la Sainte-Foi". Les Sanfédistes reprennent peu à peu les cités des Pouilles et de Calabre. Après bien des vicissitudes, Naples, que les Français ont évacué, semble perdue. Ruffo promet l'exil aux Républicains. La ville tombe après des combats chaotiques. Ferdinand, qui doit pourtant son royaume au cardinal, refuse d'honorer la promesse d'exil. S'ensuit une répression féroce. La San Felice, enceinte de Salvato, en sera la dernière victime.

Analyse Dernier des grands romans historiques de Dumas, La San Felice est de l'aveu même de l'auteur un "monument à la gloire du patriotisme napolitain, et à la honte de la tyrannie bourbonienne". Et une sorte de "vieux compte à régler" de Dumas envers ledit régime.

La figure du général Dumas, père de l'écrivain, bien qu'absente de l'intrigue, est au cœur de la composition de La San Felice. Le général fut ainsi mêlé de près aux événements dont il est question : parti d'Egypte en mars 1799, il échoue sur la côte occidentale de la Pouille, que viennent de reprendre les Sanfédistes. Détenu à Tarente puis à Brindisi, on tente de l'empoisonner. Il est libéré après deux ans de captivité. Rentré très affaibli en France, il meurt prématurément en 1806. Alexandre Dumas a quatre ans. Il convient donc sans doute, en lisant La San Felice de mesurer le poids du souvenir du père chez l'auteur.

C'est d'ailleurs à Naples, sur les lieux mêmes de l'action, que Dumas écrit. Il y est arrivé à la suite de Garibaldi, en 1860. Biographe du "héros des deux mondes" (Mémoires de Garibaldi), il a (très modestement) fourni les "Mille" en carabines lors de la prise de la Sicile. Garibaldi le remercie en le nommant directeur des fouilles de Pompéi, une sinécure qui lui permet de loger dans le fastueux palais Chiatamone (aujourd'hui disparu, une rue adjacente porte aujourd'hui le nom de Via Alessandro Dumas). Evident parallélisme entre la révolution qu'il raconte et celle à laquelle il vient d'assister.

Ces années napolitaines (1860-1864), Dumas les emploie utilement. Outre la fondation et l'animation du quotidien L'Indipendente, il peut approfondir le sujet historique de La San Felice avec l'Histoire des Bourbons de Naples et Souvenirs d'une favorite. Ce dernier titre, qui retrace la vie de Lady Hamilton, offre un pendant négatif de Luisa San Felice. A cela il faut ajouter un séjour antérieur de Dumas à Naples, en 1835, qui ne dura qu'une quinzaine de jours mais fut un véritable feu d'artifice, raconté dans Le Corricolo.

En effet Dumas maîtrise le sujet, et pas seulement les événements historiques. L'aisance avec laquelle il appréhende la "chaudière" napolitaine est remarquable. Les caractères (Ferdinand, Fra Pacifico), les situations (le chassé-croisé d'Itri, la crèche du roi Nasone, les kangourous de Caserte), les dialogues (Ferdinand - Marie-Caroline, très amusante illustration du fossé culturel nord-sud), etc... sont très supérieurs à la simple couleur locale. La dérision (notamment l'auto-dérision), la gaieté, l'humour, la nonchalance, mêlés au sentiment de la précarité de l'existence, voilà des traits éminemment napolitains que Dumas sait rendre parfaitement. Qu'il ait été comme chez lui à Naples, il l'écrit dans Le Corricolo : "En m'éloignant de ce pays (...), j'éprouvais donc quelque chose de semblable à ce qui doit se passer dans l'âme de l'exilé disant un dernier adieu à sa patrie".

Certes, l'évocation des épisodes militaires est tantôt fastidieuse, et le personnage de Luisa lasse parfois par son éternelle pureté... Il faut cependant lire La San Felice pour, comme Dumas, boucler la boucle. On peut commencer par l'excellente introduction à Naples que constitue Le Corricolo.

Arrivé très tard dans la carrière littéraire de Dumas, et bien après l'âge d'or du grand roman-feuilleton, La San Felice n'eut pas le succès espéré et tomba dans un relatif oubli. Le roman est mieux connu depuis qu'il a été réédité par Claude Schopp en 1996 (Gallimard, collection Quarto). Il fut popularisé à la télévision au début des années 2000 par une adaptation - très décevante - des frères Taviani.

Noël Lebeaupin

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
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