Cuisine / De casserole à cave
(Le Grand dictionnaire de cuisine)
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En gourmet et cuisiner émérite, Dumas s'est passionné toute sa vie pour la gastronomie. Durant ses dernières années, il se consacre à la rédaction d'un monumental Dictionnaire de Cuisine, où il entremêle, comme dans l'extrait ci-contre, recettes, souvenirs personnels, anecdotes et réflexions en tous genres.

Casserole. Que serait l'art culinaire sans la casserole, qui en est d'abord le principal ornement ? Ce qu'il était du temps des patriarches, où la broche suffisait pour faire rôtir les viandes, et la marmite pour les faire bouillir ; mais la casserole est sans contredit l'arme favorite, le talisman, la bonne fortune d'un cuisinier. Les splendides repas des Verrès, des Lucullus, des Néron, des Vitellius, des Domitien, des Apicius, ne se faisaient certes pas sans casserole, car on ne peut penser que ces grands gourmands ne vivaient que de viandes rôties ou grillées et de légumes bouillis.

En France la casserole est plus en honneur que partout ailleurs ; on sait que les Espagnols ne vivent que de chocolat, de garbanços et de lard rance ; les Italiens de macaroni ; les Anglais de roast beef et de pudding ; les Hollandais de viande cuite au four, de pommes de terre et de fromage ; les Allemands de choucroute et de lard fumé ; aussi la casserole a-t-elle fait chez nous la réputation de plusieurs de ceux qui l'ont mise en œuvre avec le plus de talent : les Mignot, les Robert, les Miot, les Beauvilliers, les Véry, les Carême, etc. ; et de ceux qui l'ont célébrée, tels que les Grimod de la Reynière, les Berchoux les Brillat-Savarin dont les œuvres resteront à la postérité.

Il est inutile de recommander à tout cuisinier de tenir toujours bien proprement ses casseroles ; la moindre détérioration suffirait pour gâter ou affecter d'un mauvais goût les aliments qui doivent y cuire. Les casseroles de cuivre sont les plus généralement employées dans les cuisines à cause de leur solidité ; mais si vous ne les entretenez continuellement ou si vous y laissez refroidir des viandes ou de la graisse, vous vous exposez au danger d'être empoisonné. On donne aussi le nom de casseroles à plusieurs préparations culinaires dont nous allons indiquer les principales.

Casserole au riz à la bourgeoise. Braisez un morceau de viande cuit, égoutté, dressez-le, couvrez-le de riz croquant avec bouillon arrosé de lard, formez une masse demi-ronde et mettez au four afin que la croûte soit bien formée, et servez à sec.

Casserole au riz à la reine. Hachez les blancs de deux poulardes avec champignons, cuisez, pilez, délayez ; vous passez cette purée avec de la béchamel travaillée de consommé de volaille à l'essence de champignons, à l'étamine blanche, et la mettez au bain-marie afin qu'elle devienne presque bouillante sans ébullition ; versez-la ensuite dans votre casserole au riz ; placez dessus en couronne, et pour servir de couvercle, six œufs frais pochés à l'eau bouillante avec sel et un demi-litre de vinaigre, placez en travers sur chaque oeuf un filet mignon de poulets à la Conti. Masquez le milieu des oeufs avec un peu de béchamel, glacez légèrement et servez.

Casserole de riz garnie d'un ananas formé de pommes. Nous empruntons à l'excellent livre de M. de Courchamps la préparation de cet aliment. Vous faites cuire 360 grammes de riz de la Caroline avec de l'eau du beurre et du sel ; le riz étant prêt, vous le séparez en deux parties : de l'une vous formez un dôme plat du dessus et cannelé autour, puis de l'autre partie vous formez un second dôme, le bord évasé, afin de former la coupe. Vous faites cuire ces deux petites casseroles au riz à four chaud et leur donnez une belle couleur blonde ; vous les videz parfaitement, mais par-dessous, alors vous remplissez le dôme cannelé avec du riz (180 grammes préparés selon la règle), et vous mettez au milieu des pommes coupées en quartiers ; vous retournez le moule sens dessus dessous sur son plat d'entremets, vous placez alors par-dessus, la coupe ; avec la pointe d'un couteau vous ôtez le fond des deux casseroles au riz qui se trouvent l'une sur l'autre et vous garnissez ensuite le fond et les parois de la coupe de manière qu'elle figure un vase où vous placez le reste du riz en forme d'ananas en groupant à l'entour de ce riz des quartiers de pommes cuites dans du sucre au caramel afin de les colorer en jaune. Quand vous les aurez coupées en forme de têtes de clous, de manière qu'ils imitent un corps d'ananas sur lequel vous placerez une couronne de longues tiges d'angélique, garnissez le pourtour avec des feuilles de biscuits aux pistaches. Au moment du service, vous masquez légèrement la surface de la croûte de la casserole au riz avec de la marmelade d'abricots bien transparente, de même couleur que l'ananas. On peut servir ce bel entremets froid ou chaud.

Cassonade. Sucre non encore purifié ; ce nom lui vient de ce que les Portugais du Brésil qui la livraient au commerce, l'apportaient dans des caisses qu'ils appelaient casses. La cassonade ne diffère du sucre en poudre que par son état pulvérulent et sa moins grande pureté, elle contient une certaine quantité de mélasse qui la rend oléagineuse ; la cassonade, quoique contenant moins de sucre pur que le sucre en pain, a une saveur plus sucrée, cette saveur vient de sa dissolubilité qui permet à toutes ses molécules d'agir à la fois sur l'organe du goût ; le sucre, et surtout le sucre pur étant moins soluble, n'a qu'une action successive qui paraît moins intense. Il est important de l'avoir aussi pure que possible, car l'usage de la cassonade trop impure cause des dévoiements qu'on ne sait souvent à quelle cause attribuer.

Cavaillon. A vingt-cinq kilomètres d'Avignon. Restes d'un arc de triomphe. Melons d'hiver renommés. On présume que la ville de Cavaillon n'est citée ici ni pour sa position sur la Durance, ni pour son voisinage d'Avignon, ni pour son arc de triomphe, mais pour ses melons, non pas d'hiver, mais verts, renommés.
Un jour je reçus une lettre du conseil municipal de Cavaillon, lequel me dit que, fondant une bibliothèque et désirant la composer des meilleurs livres qu'il pourrait se procurer, il me priait de lui envoyer deux ou trois de mes romans qui, dans mon esprit, tiendraient la première place. J'ai un fils et une fille, je crois les aimer également ; j'ai cinq ou six cents volumes, je crois éprouver pour eux tous une sympathie à peu près égale ; je répondis à la ville de Cavaillon que ce n'était pas un auteur qu'il fallait faire juge du mérite de ses livres ; que je trouvais tous mes livres bons, mais que je trouvais les melons de Cavaillon excellents ; que, par conséquent, j'allais envoyer à la ville de Cavaillon une collection complète de mes œuvres, c'est-à-dire quatre ou cinq cents volumes, si le conseil municipal voulait me voter une rente viagère de douze melons verts.

Le conseil municipal de Cavaillon, je dois le dire, me répondit poste pour poste que ma demande avait été accueillie à l'unanimité et que je me trouvais avoir une rente viagère, la seule selon toute probabilité que j'aurai jamais.

Il y a une douzaine d'années que je jouis de cette rente, et, je dois le dire, elle n'a jamais manqué une fois d'arriver à l'époque où les melons verts, un peu en retard sur les autres, entrent dans leur maturité ; or je ne sais pas si le conseil municipal de Cavaillon a l'obligeance de faire un choix parmi ses melons et de m'envoyer ceux qu'il croit les meilleurs, mais je répète que je n'ai jamais rien mangé de plus frais, de plus savoureux et de plus sapide que les melons de ma rente. Je n'ai donc qu'un désir à émettre, c'est que mes livres aient toujours pour les Cavaillonnais le même charme que leurs melons ont pour moi ; c'est à la fois une occasion qui se présente d'exprimer à mes bons amis de Cavaillon toute ma reconnaissance, et de désigner à toute l'Europe leurs melons comme les meilleurs que je connaisse.

Cave. Une cave soigneusement organisée doit être à la fois sèche et fraîche, l'air ne doit y pénétrer que par de faibles issues, le soleil, dont les rayons méritent notre hommage au dehors, le soleil, qui a d'abord été adoré par les peuples comme le Dieu de l'univers parce qu'il faisait naître et mûrir tous les dons de la nature, est funeste pour la cave. Un gourmand expérimenté ne fait point grâce à ses rayons, il les condamne à un éternel exil.

On trouve ces préceptes déjà suivis dans l'Antiquité ; on doit au célèbre architecte Mazois la description de la maison de Scaurus. Voici ce qu'il dit de la cave :

« Du côté du nord sont les cellae vinariae où l'on conserve les vins de toute espèce qui, selon certains plaisants, comptent plus de consulats que les ancêtres de Scaurus n'en ont vu à eux tous. Ces caves tirent leur jour du côté du septentrion et du levant équinoxial ; cette exposition est choisie de préférence afin que les rayons solaires ne puissent, en échauffant le vin, le troubler et l'affaiblir. On a soin qu'il n'y ait près de cet endroit ni fumier, ni racines d'arbres, ni aucune chose fétide. On en éloigne aussi les bains, les fours, les égouts, les citernes, les réservoirs, dans la crainte que leur voisinage n'altère le goût du vin en lui communiquant une mauvaise odeur. Scaurus, qui a plus de soin de sa cave que de sa réputation, fréquente volontiers les hommes les plus corrompus de Rome ; mais il ne souffrirait pas que rien de ce qui peut corrompre son vin approchât des murs de son cellier ; il pensa une fois faire divorce avec sa femme parce qu'elle avait visité cet endroit dans un moment où elle était indisposée comme les femmes ont coutume de l'être ; ce qui pouvait, selon lui, faire aigrir ses vins précieux. Il porte si loin l'attention à cet égard, qu'il fait parfumer avec de la myrrhe, non seulement les vases pour donner bon goût au vin, mais même le local tout entier.

« La cave de Scaurus est renommée, il est parvenu à y rassembler trois cent mille amphores de presque toutes les sortes de vins connues ; il en a de cent quatre-vingt-quinze espèces différentes qu'il soigne d'une manière particulière ; rien n'est négligé, la forme des vases a été soumise à certaines observations, et les amphores trop ventrues y sont proscrites.

« Au-dessus des caves, ou plutôt des celliers, sont les magasins pour les provisions, recevant aussi la lumière du septentrion, afin que le soleil ne puisse, en y pénétrant, faire éclore les insectes qui dévorent les grains. »

Après avoir vu comment était aménagée la cave d'un gourmand antique, voyons comment doit s'aménager la cave d'un gourmand moderne.

Le nombre des espèces de vins que doit contenir la cave d'un amateur n'est pas limité, mais une sage prévoyance, la science de l'âge auquel le vin doit être bu, doivent allier le luxe à l'économie ; il n'y a que quelques espèces qui doivent être amoncelées en grande quantité, beaucoup d'autres ne doivent figurer qu'en nombre suffisant pour la consommation de quelques années. Malheur au buveur ignorant qui entasse dans sa cave les tonneaux de bourgogne et de champagne ; ces vins qui n'ont que peu d'années à vivre, doivent être bus aussitôt qu'ils ont atteint leur maturité ; leur dégénérescence est rapide, le bourgogne aigrit, le champagne graisse. En général, les vins blancs sont d'une conservation difficile, on ne doit s'approvisionner qu'au fur et à mesure des besoins, mais le bordeaux, les vins méridionaux et les vins d'Espagne peuvent et doivent être conservés longtemps, parce que la vieillesse est leur principal mérite ; ceux-là doivent s'élever en tas énormes, les espèces encore trop jeunes seront cachées sous les piles d'autres vins, afin qu'elles ne reparaissent que lorsqu'elles auront été longtemps oubliées ; alors elles se produiront sur la table dans des bouteilles murées d'une triple couche de tartre, et si l'amphitryon, poussé par un noble orgueil, s'écrie comme Horace : « Voilà du vin de l'époque de ma naissance, Mummius étant consul », un rire sardonique ne circulera pas parmi les convives, et l'on ne prendra pas ces paroles pour une gasconnade.

Voici la liste des vins dont la cave d'un amphitryon de nos jours doit être garnie.

Aï. Alicante. Anjou. Arbois. Aubigny. Auxerre. Avallon. Barzac. Beaugency. Beaune. Bellay. Benicarlo. Bordeaux. Bougy. Brue. Bucella. Cavello. Cahors. Calabre. Calon-Ségur. Canaries. Cap de Bonne-Espérance. Carbonnieux. Chablis. Chambertin. Chambolle. Champagne rouge. Champagne blanc tisane. Chassagne. Château-Grillé. Château-Margaux. Château-Neuf. Chio. Chypre. Clos-Vougeot. Collioure. Constance. Condrieu. Cortone. Coteaux de Saumur. Côte-Rôtie rouge et blanc. Côte Saint-Jacques. Coulanges. Esparron-Lazerme. Falerne. Fley. Florence. Frontignan. Grave. Grenache. Guigne. Haut-Brion. Haut-Villlers. Hermitage. Irancy. Joigny. Julna. Jurançon rouge ou blanc. Lachaînette. Lacryma-Christi. La Ciotat. Laffite-Mouton. Laffite-Ségur. La Gaude. La Malgue. La Neïthe. Langon. Lunel. Mâcon. Madère. Malaga. Malvoisie de Madère. Malvoisie de Sitges. Malvoisie de Ténériffe. Médoc. Mercurey. Meursault. Miés. Monte-Fiascone. Monte-Pulciano. Montilla. Montrachet. Moulin-à-Vent. Muscat de Frontignan. Muscat de Rivesaltes. Nuits de Rivesaltes. Oeil-de-perdrix. Oeras. Orléans. Pajaret. Paille. Paphos. Pédro Ximenès. Perpignan. Picoli. Pierry. Piquepouille. Pommard. Porto. Pouilly-Fuissé. Rancio. Reuilly. Richebourg. Rivesaltes. Romanée. Romanée-Conti. Rosée. Rota. Roussillon. Sancerre Fuissé. Samos. Saint-Amour. Saint-Emilion. Saint-Estève. Saint-Georges. Saint-Julien. Saint-Julien du Sault. Saint-Martin. Saint-Péray. Savigny. Schiras. Sercial. Sétural. Sillery. Syracuse. Sauternes. Stancho. Terrats. Tavel Thorins. Tokai. Tonnerre. Toremilla. Val de Pégnas. Vauvert. Vermanton. Vermouth. Verzi-Verzenay. Volnay. Vosne. Vougeot. Vouvray blanc. Xerès.

On sait au reste que les Anciens ne préparaient pas leurs vins de la même façon que nous ; ils ignoraient l'art de la fermentation, et faisaient cuire leurs vins avec du sucre. Cela les conservait, mais leur donnait une apparence de sirop qui devait bien vite émousser la soif ; ils ne connaissaient au reste en vins romains que le Falerne, le Massique et le Coecube ; en vins grecs, ils connaissaient le Chypre, le Samos, le Santorin et le Ténédos ; mais sans doute, dès cette époque, le gâtaient-ils comme ils font aujourd'hui, en mettant dans leurs amphores des pommes de pins, sous prétexte que cet arbre avait fourni le thyrse de Bacchus. Les Grecs modernes ont malheureusement conservé cette habitude, ce qui rend leurs vins impossibles à boire à tout autre qu'à des Grecs.

On trouve quelque chose d'analogue en Espagne, où le vin serait excellent, si on ne l'enfermait pas dans des peaux de boucs qui lui communiquent une odeur à laquelle les étrangers ne peuvent s'habituer.

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
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