Dans son roman La
Comtesse de Charny, Dumas raconte comment, à l'occasion de la
mort de Mirabeau, l'Assemblée décida de transformer l'église
Sainte-Geneviève en Panthéon. L'émotion populaire suscitée
par la mort du grand homme, son installation au Panthéon... et son
exclusion trois ans plus tard par la Convention : autant de scènes
qui ont inspiré la verve de Dumas !
Quelques secondes après la sortie du docteur de la chambre mortuaire,
une grande clameur s'éleva dans la rue.
C'était le bruit de la mort de Mirabeau qui commençait à
se répandre (...).
La douleur fut immense, universelle ; en un instant elle se répandit
du centre à la circonférence, de la rue de la Chaussée-d'Antin
aux barrières de Paris. Il était huit heures et demie du matin.
Le peuple jeta une clameur terrible ; puis il se chargea de décréter
le deuil.
Il courut aux théâtres, dont il déchira les affiches,
et dont il ferma les portes.
Un bal avait lieu le soir même dans un hôtel de la rue de la
Chaussée d'Antin ; il envahit l'hôtel, dispersa les danseurs,
et brisa les instruments des musiciens.
La perte qu'elle venait de faire fut annoncée à l'Assemblée
nationale par son président.
Aussitôt Barrère monta à la tribune et demanda que l'Assemblée
nationale déposât dans le procès-verbal de ce jour funèbre
le témoignage des regrets qu'elle donnait à la perte de ce
grand homme et insista pour qu'il fût fait, au nom de la patrie, une
invitation à tous les membres de l'Assemblée d'assister à
ses funérailles.
Le lendemain, 3 avril, le département de Paris se présenta
à l'Assemblée nationale, demanda et obtint que l'église
Sainte-Geneviève fût érigée en panthéon,
consacrée à la sépulture des grands hommes, et que,
le premier, Mirabeau y fût inhumé.
Consignons ici ce magnifique décret de l'Assemblée. Il est
bon qu'on retrouve dans ces livres que les hommes politiques tiennent pour
frivoles, parce qu'ils ont le tort d'apprendre l'histoire sous une forme
un peu moins lourde que celle qu'emploient les historiens, il est bon, disons-nous,
qu'on rencontre, le plus souvent possible, et n'importe où, pourvu
que ce soit à la portée des yeux, ces décrets d'autant
plus grands, qu'ils sont spontanément arrachés à l'admiration
ou à la reconnaissance d'un peuple.
Voici ce décret dans toute sa pureté :
« L'Assemblée nationale décrète :
Article premier
Le nouvel édifice de Sainte-Geneviève sera destiné
à recevoir les cendres des grands hommes, à dater de l'époque
de la liberté française.
Article II
Le corps législatif décidera seul à quels hommes
cet honneur sera décerné.
Article III
Honoré Riquetti Mirabeau est jugé digne de cet honneur.
Article IV
La législature ne pourra pas à l'avenir décerner
cet honneur à l'un de ses membres venant à décéder
; il ne pourra être déféré que par la législature
suivante.
Article V
Les exceptions qui pourront avoir lieu pour quelques grands hommes morts
avant la Révolution ne pourront être faites que par le corps
législatif.
Article VI
Le directoire du département de Paris sera chargé de
mettre promptement l'édifice Sainte-Geneviève en état
de remplir sa nouvelle destination, et fera graver au-dessus du fronton
ces mots :
« Aux Grands Hommes
La Patrie Reconnaissante »
Article VII
En attendant que la nouvelle église Sainte-Geneviève
soit achevée, le corps de Riquetti Mirabeau sera déposé
à côté des cendres de Descartes dans le caveau de
l'église Sainte-Geneviève. »
Le lendemain, à quatre heures de l'après-midi, l'Assemblée
nationale tout entière quitta la salle du Manège pour se
rendre à l'hôtel de Mirabeau ; elle y était attendue
par le directeur du département, par tous les ministres, et par
plus de cent mille personnes.
Mais de ces cent mille personnes pas une n'était spécialement
venue de la part de la reine.
Le cortège se mit en marche.
La Fayette marchait en tête, comme commandant général
des gardes nationales du royaume.
Puis le président de l'Assemblée nationale Tronchet, entouré
royalement des douze huissiers de la chaîne.
Puis les ministres.
Puis l'Assemblée, sans distinction de partis, Sieyès donnant
le bras à Charles de Lameth.
Puis, après l'Assemblée, le club des Jacobins, comme une
seconde Assemblée nationale ; lui s'était signalé
par sa douleur, probablement plus fastueuse que vraie : il avait décrété
huit jours de deuil, et Robespierre, trop pauvre pour faire la dépense
d'un habit, en avait loué un, comme il avait déjà
fait pour le deuil de Franklin.
Puis la population de Paris tout entière, renfermée dans
deux lignes de gardes nationales montant à plus de trente mille
hommes.
Une musique funèbre, dans laquelle on entendait, pour la première
fois, deux instruments inconnus jusqu'alors, le trombone et le tam-tam,
marquait le pas à cette foule immense.
Ce fut à huit heures seulement que l'on arriva à Saint-Eustache.
L'éloge funèbre fut prononcé par Cérutti ;
au dernier mot, dix mille gardes nationaux qui étaient dans l'église
déchargèrent leurs fusils d'un seul coup. L'assemblée,
qui ne s'attendait pas à cette décharge, jeta un grand cri.
La commotion avait été si violente, que pas un carreau n'était
resté intact. On put croire un instant que la voûte du temple
allait s'écrouler, et que l'église servirait de tombe au
cercueil.
On se remit en marche aux flambeaux ; l'ombre était descendue,
et non seulement avait envahi les rues par lesquelles on devait passer,
mais encore la plupart des coeurs de ceux qui passaient.
La mort de Mirabeau, c'était, en effet, une obscurité politique.
Mirabeau mort, savait-on dans quelle voie on allait entrer ? L'habile
dompteur n'était plus là pour diriger ces fougueux coursiers
qu'on appelle l'ambition et la haine. On sentait qu'il emportait avec
lui quelque chose qui désormais manquerait à l'Assemblée
: l'esprit de paix veillant même au milieu de la guerre, la bonté
du coeur cachée sous la violence de l'esprit. Tout le monde avait
perdu à cette mort ; les royalistes n'avaient plus d'aiguillon,
les révolutionnaires plus de frein. Désormais le char allait
rouler plus rapide, et la descente était encore longue. Qui pouvait
dire vers quoi on roulait, et si c'était vers le triomphe ou vers
l'abîme ?
On n'atteignit le Panthéon qu'au milieu de la nuit.
Un seul homme avait manqué au cortège, Pétion.
Pourquoi Pétion s'était-il abstenu ? Il le dit lui-même,
le lendemain, à ceux de ses amis qui lui faisaient un reproche
de son absence.
Il avait lu, disait-il, un plan de conspiration contre-révolutionnaire
écrit de la main de Mirabeau.
Trois ans après, dans une sombre journée d'automne, non
plus dans la salle du Manège, mais dans la salle des Tuileries,
quand la Convention, après avoir tué le roi, après
avoir tué la reine, après avoir tué les girondins,
après avoir tué les cordeliers, après avoir tué
les jacobins, après avoir tué les montagnards, après
s'être tuée elle-même, n'eut plus rien de vivant à
tuer, elle se mit à tuer les morts. Ce fut alors qu'avec une joie
sauvage elle déclara qu'elle s'était trompée dans
le jugement qu'elle avait rendu sur Mirabeau, et qu'à ses yeux,
le génie ne pouvait faire pardonner à la corruption.
Un nouveau décret fut rendu qui excluait Mirabeau du Panthéon.
Un huissier vint, et, sur le seuil du temple, il fit lecture du décret
qui déclarait Mirabeau indigne de partager la sépulture
de Voltaire, de Rousseau et de Descartes, et qui sommait le gardien de
l'église de lui remettre le cadavre.
Ainsi, une voix plus terrible que celle qui doit être entendue dans
la vallée de Josaphat, criait avant l'heure :
- Panthéon, rends tes morts !
Le Panthéon obéit ; le cadavre de Mirabeau fut remis à
l'huissier, qui fit, il le dit lui-même, conduire et déposer
ledit cercueil dans le lieu ordinaire des sépultures.
Or, le lieu ordinaire des sépultures, c'était Clamart, le
cimetière des suppliciés.
Et, sans doute pour rendre encore plus terrible la punition qui l'allait
chercher jusque dans la mort, ce fut nuitamment et sans cortège
aucun que le cercueil fut inhumé, sans nul indice du lieu de l'inhumation,
sans croix, sans pierre, sans inscription.
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