En 1811, Alexandre Dumas
fait une entrée mouvementée au petit collège de Villers-Cotterêts,
qu'il décrit avec humour dans ses Mémoires.
C'est dans ce modeste établissement qu'il fera ses études,
tellement sommaires qu'il se lancera plus tard, durant ses premières
années à Paris, dans une boulimie de lectures pour pallier
aux lacunes de son instruction.
Il fut convenu qu'au lieu d'aller au séminaire, j'irais au collège
chez l'abbé Grégoire, à Villers-Cotterêts.
On appelait collège l'école de l'abbé Grégoire,
comme, en Angleterre, on appelle lords certains bâtards de grands
seigneurs, par pure courtoisie.
Il fut donc décidé que j'irais au collège de l'abbé
Grégoire. Oh ! parlons de l'abbé Grégoire, parlons-en
longuement ; parlons-en comme on parle d'un honnête homme, d'un
digne homme, d'un saint homme.
L'abbé Grégoire n'était pas un esprit élevé
; c'était mieux que cela, c'était un esprit juste ; deux
cents écoliers lui sont passés par les mains pendant les
quelques années qu'il a tenu collège. Je ne sache pas qu'un
seul ait mal tourné.
Depuis quarante ans qu'il était attaché à l'église
de Villers-Cotterêts, jamais une de ces petites médisances
qui font sourire les indévots et les libertins n'avait été
hasardée sur son compte ; les mères qui s'étaient
confessées à lui dans leur jeunesse, et pendant la sienne,
lui menaient leurs filles avec confiance, parce qu'elles savaient qu'à
travers la grille du confessionnal ne passeraient alors, comme autrefois,
que des paroles chastes et paternelles.
Jamais il n'avait eu ni bonne ni gouvernante ; il vivait avec sa soeur,
petite vieille maigre, un peu acariâtre, un peu bossue, qui adorait,
je me trompe, qui vénérait son frère.
Pauvre cher abbé, que nous avons rendu si malheureux, que nous
avons tant fait enrager, qui nous grondait si fort, et qui nous aimait
tant !
Il en avait été de lui comme d'Hiraux ; je l'aimais tant
avant qu'il fût question d'aller au collège, que je me décidai,
sans le moindre effroi, à cette grande innovation dans mon existence.
D'ailleurs, à côté du séminaire, qu'était-ce
que cela ?
La classe de l'abbé Grégoire ouvrait à huit heures
et demie du matin, aussitôt la messe dite ; puis elle fermait à
midi. Chacun s'en allait dîner chez ses parents ; on était
de retour à une heure ; à une heure cinq minutes, la classe
se rouvrait pour se refermer à quatre. Joignez à cela les
dimanches, fêtes, demi-fêtes et quarts de fête, et vous
conviendrez que ce n'était pas une existence bien dure que celle
que j'allais mener.
En général, à l'âge que j'avais, je n'étais
pas très aimé des autres enfants de la ville ; j'étais
vaniteux, insolent, rogue, plein de confiance en moi-même, rempli
d'admiration pour ma petite personne, et cependant, avec tout cela, capable
de bons sentiments, quand le coeur était mis en jeu aux lieu et
place de l'amour-propre ou de l'esprit.
Quant au physique, je faisais un assez joli enfant : j'avais de longs
cheveux blonds bouclés, qui tombaient sur mes épaules, et
qui ne crêpèrent que lorsque j'eus atteint ma quinzième
année ; de grands yeux bleus qui sont restés à peu
près ce que j'ai encore aujourd'hui de mieux dans le visage ; un
nez droit, petit et assez bien fait ; de grosses lèvres roses et
sympathiques ; des dents blanches et assez mal rangées. Là-dessous,
enfin, un teint d'une blancheur éclatante, lequel était
dû, à ce que prétendait ma mère, à l'eau-de-vie
que mon père l'avait forcée de boire pendant sa grossesse,
et qui tourna au brun à l'époque où mes cheveux tournèrent
au crépu. Pour le reste du corps, j'étais long et maigre
comme un échalas.
Les cadres du collège de l'abbé Grégoire n'étaient
pas larges : vingt-cinq ou trente écoliers suffisaient pour les
remplir ; c'était donc un événement que l'arrivée
d'un nouvel élève au milieu de ce petit nombre d'élèves.
De mon côté, cette entrée était une grande
affaire : on m'avait fait tailler, dans une redingote de mon grand-père,
un habillement complet. Cet habillement était café au lait
foncé, tout chiné de points noirs. J'en étais satisfait,
et je pensais qu'il produirait une certaine sensation sur mes camarades.
A huit heures du matin, un lundi d'automne, je m'acheminai donc vers le
puits où j'allais boire la science à pleines lèvres,
marchant d'un pas grave, levant le nez d'un air fier, portant sous le
bras toute ma bibliothèque de grammaires, d'Epitome historiae
sacrae de dictionnaires et de rudiments, tout cela neuf comme mes
habits, et jouissant d'avance de l'effet qu'allait produire mon apparition
sur le commun des martyrs. On entrait dans la cour de l'abbé Grégoire
par une grande porte faisant voûte assez prolongée, et donnant
sur la rue de Soissons. Cette porte était toute grande ouverte.
Mes yeux plongeaient dans la cour : elle était vide. Je crus un
instant que j'étais en retard, et qu'on était déjà
en classe. Je franchis rapidement le seuil ; en même temps, la porte
se ferma derrière moi, de grands cris de joie retentirent, et une
rosée, qui ressemblait fort à une averse, tomba sur moi
du haut d'un double amphithéâtre de tonneaux.
Je levai les yeux : chaque élève, sur un tonneau, posait
dans l'attitude et dans l'action de Manneken-Pis, de Bruxelles. Les grandes
eaux jouaient pour mon arrivée.
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