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Ce visage est aussi multiple que les mouvements de son esprit, dans la jeunesse surtout. On peut dire qu'il y avait trois Dumas. Le Dumas pratique, le Dumas d'Antony, de Henri III, de Christine, exalté, sentimental, passionné, vivant en dehors de ce monde et s'en créant un autre dans les nuages. C'etait celui de l'amour, celui que les femmes rêvaient après avoir vu ses drames,celui dont le regard exprimait à la fois tous les sentiments élevés de l'âme, dont le front s'illuminait comme d'une auréole, lorsqu'il se laissait aller à la rêverie et qu'il exprimait ce qu'il savait si bien peindre et sentir. Ce Dumas-là n'existe plus depuis longtemps ; il serait un anachronisme en ce temps-ci ; c'est lui qui a écrit presque tout son théâtre, sous la dictée de son coeur. Voila pourquoi la jeunesse du jour prétend que ce théâtre a vieilli ; c'est qu'elle est incapable de s'élever à la hauteur de ces impressions. Elle a supprimé l'amour et ne cherche plus que la galanterie ; évidemment ces scènes toutes de passion doivent lui sembler étranges, elles sont passées de mode. Elles étaient vraies quand l'auteur les écrivit ; elles ne le sont plus maintenant, où l'on réduit toutes choses à leur plus simple expression, où ce qui ne va pas droit au but est du temps perdu. On est peut-être dans le vrai ; c'est plus rationnel, plus sage, plus sûr et moins trompeur, comme dit la chanson, mais c'est bien moins grand, moins noble, moins enivrant. C'est le bonheur dans la souffrance ; l'âme s'épure à ces émotions-là. Maintenant, il faut s'amuser et faire fi du reste ! A quoi bon ? Il y avait ensuite le Dumas homme du monde, parfaitement bien élevé, distingué de manières, n'oubliant aucun usage, sachant rendre à chacun ce qui lui appartenait et pouvant frayer avec les plus grands seigneurs. Celui-là aussi s'est bien atténué ; il s'est laissé envahir par le sans-gêne, par les habitudes modernes, il a pris un aplomb que ses succès devaient lui donner. Il s'impose tel qu'il est, il ne se contraint pas ; le monde l'ennuie, et, s'il se décide à s'y rendre, c'est une concession dont il ne veut pas être dupe. Dumas n'a point oublié son savoir-vivre ; il le retrouve quand il en a besoin ; c'est un bijou précieux enfermé dans son écrin, qui ne se rouille, ni ne se ternit ; on le sort les jours de gala, tout le monde l'admire et quand on ne veut plus s'en parer on le renferme de nouveau en attendant une occasion. La troisième face est celle qui s'est maintenue le plus longtemps,
c'est le Dumas bon enfant, le Dumas spirituel, le Dumas des Impressions
de voyage, le Dumas qui raconte comme personne, dont la conversation
étincelle, dont les mots se colportent et se retiennent, celui
qui a amusé toute l'Europe pendant plus de trente ans, qui a tenu
l'univers suspendu à sa plume, celui-là existe et vivra
toujours ; s'il a des défauts, ses défauts le complètent
; il ne serait pas ce qu'il est, s'il s'avisait de s'en corriger. Nul
ne tiendra la place qu'il a occupée, parce que nul ne réunit
les conditions nécessaires pour cela. II faudrait non seulement
un esprit comme le sien, - et je n'en connais pas un autre, - il faudrait
sa verve inépuisable, il faudrait son imagination, il faudrait
sa force, sa facilité de travail il faudrait sa santé, sa
vigueur, sa gaieté, ses instincts ; il faudrait ce qu'une seule
nature ne reunit pas deux fois dans chaque génération. |
© Société des Amis d'Alexandre Dumas 1998-2010 |
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